
Anciens, ceux dont M. Hoiiel nous a fait con-
noître les demeures, & dont j’ai parlé d’après lui
dans l’article Sicilia.
. Avec la même efpècç de demeures, ils dévoient
avoir à-peu-près les mêmes habitudes, les mêmes be~
foins ; à moins que les uns ne le fiifl'ent retirés dans
les cavernes par fimpïicité de moeurs, & les autres
par la crainte de leurs voifins. Ceux qui habitoient
le long du golfe Arabique, ou ,mer Rouge, font
les plus connus ; & c’eft fur-tout de ceux-là que
nous ont parlé les anciens, qui, au relie, ne
conviennent pas des bornes de leur pays. Avant
d’expofer ce qu’en dit M. Bruce, qui a vu par
lui-même ce pays des Troglodytes, je vais rapporter
ce qüe l’on en trouve dans les auteurs
grecs & latins. Strabon en parle ( Z. x v i ) , &
l’on peut conclure de ce qu’il dit, que plufieurs
petites nations font connues fous le nom de Troglodytes.
Il commence la Troglodytique dans la partie
la plus avancée du golfe Arabique. Ptolemée
(Z . i v , c .8 ) , appelle Trcglodyque tout le rivage
qui. borde les golfes Arabique & Avaüque.
Pline (Z. v i , c. 29) , paroît avoir été du même
fen riment ; car il dit que Ptolemée Philadelphe,
qui le premier fubjuga la Trolgodytique, y bâtit
la ville d’A ifinoé, qu’il appela ainfi du nom de
fa foeur, 6c donna le nom de Ptolemée au fleuve
qui arrofe cette ville ; ce que Pline n’auroit pas
dit, s’il n’avoit pas cru qu’A rfincë, placée au
fond du golfe, appartenoir à la Troglodytique.
Cependant, entre les anciens, il y en a qui
reculent les Troglodytes au-delà du tropique du
cancer, & qui les mettent au nombre des peuples
Amphifciens, ou qui ont-leurs ombres tantôt d’un
côté, tantôt de l’autre ; car, félon Pline ( Z. n ,
c. 7 4 ) , Eratofthène dit que dans toute la Troglodytique
, les peuples ont trois mois de l’année
leur ombre contraire à ce qu’ils ont coutume de
l’avoir dans le re-fte du temps ; ce qui devoit en
en effet arriver, s’ils étoient placés un peu au-
delà du tropique. Une ancienne carte , dreflee
d’après les latitudes & les' longitudes de Ptolemée,
étend la Troglodytique depuis le tropique jufqu’au
golfe Avalite & au-delà.
Pour accorder ces auteurs, il faut convenir que
dans un fens étendu, le pays des Troglodytes
comprenoit toute la côte occidentale dit golfe
Arabique ; & que, dans un fens plus rigoureufe-
ment précis, il ne comprenoit que la partie de
cette même côte qui s’étend depuis la ville de
Bérénice, que Pline (Z'. 7 7 ,7 3 ) , appelle ville
des Troglodytes, ou depuis le tropique jufqu’au
golfe Avalite.
L’écriture fainte ne parle des Troglodytes qu'au
fécond livre des Paralypomènes ( c. 12 , v. 3 ).
Lybies & Troglodyte. & Æt/iiopes ; & félon l’hébreu,
les Lubims, les Suchims & les Chushims. La plupart
des interprètes, dit dont Calmet, font perfuadés
que par S u ch im il faut entendre les Troglodytes.
»•
On peut voir à ce fujet Bochart (Z. i v , c . 29 \
P h a l e g ) . Il y montre qu’en hébreu fu c h a lignifie
un antre, une caverne, & que Pline place la ville
de S u ch a fur le bord de la nier Rouge, dans le
pays des Troglodytes.
Grotius, & quelques autres favans, penfent que
par le nom des S u c h im , dont parlent les Paralypomènes,
6c qui étoient dans l’armée de Séfae ,
roi d’Egypte , on doit entendre des peuples qui
demeurent fous des tentes, comme les Arabes
Séenites. 11 y avoit beaucoup de ces Arabes dans-
l’Arabie pétrée, & aux environs de l’Egypte. Ils
ne prenoient pas la peine de cultiver les terres,
ni de bâtir des maifons.
Les Troglodytes , félon Strabon (Z. x v i ) ,
s’appliquèrent à élever du bétail. Ils avoient plufieurs
tyrans parmi eux : leurs femmes & leurs-
enfans étoient en commun, fi ce n’eftles femmes
des tvrans ; & celui qui en corrompoh une, étoit
à l’amende d’une brebis. Les Troglodytes com-
battoient fouvent pour les pâturages. Ils conimen-
çoient d’abord le combat avec les mains ; ils en
venoient enfuite aux pierres. Lorfqu’il y avoit
quelqu’un de blefle, ils avoient recours aux flèches
& aux épées. Les femmes alors s’avançoient au
milieu d’eux, & , par leurs prières-, les engageoient
à faire la paix. Ils fe nourriflbient de chair, qu’ils
piloient avec les os, enveloppant le tout dans
une peau, &, le faifant rôtir.
Ils vivoient aufîi de fang & de lait mêlé en-
femble. Pline dit qu’ils fe nourriflbient aufîi de
ferpens ; qu’ils alloient tout nuds, portant feulement
une peau qui leur couvroit le milieu du corps ,
& qu’ils pratiquoienr la circoncifion comme les
Egyptiens. Quelques-uns d’entre eux enterroienc
leurs morts, & les enfevelifloient d’une manière
aflez particulière. Ils lioient la tête du cadavre
avec fes pieds, & joyeux & rians le portoient,
ainfi ramaffé, fur quelques collines, où chacun
lui jettoit des pieries jufqu’à ce qu’ils renflent
abfolument couvert. On mettoit Amplement une
corne de chèvre fur cette efpèce de tertre, &
l’on s’éloignoit.
Quand ils étoient en marche la nuit, ils atta-
choient des fonnettes au cou de leurs animaux
mâles, afin d’épouvanter par ce bruit les animaux
carnaeiers ; & quand ils s’arrêtoient, ils allumoient
-de grands feux autour d’eux & de leurs troupeaux.
Cet expédient, indiqué par la néceflité & par la
nature, fe pratique encore par tous les voyageurs
expofés aux mêmes périls: feulement les Troglodytes
faifoient quelque chofe de plus, & que
; l’on a négligé, parce que cela n’a pas paru inclif-
penfable ; ils chantoient des chanfons à la mode
de leur pays.
Le peu que je viens de dire des Troglodytes
d’après les anciens, démontre aflez qu’ils n’avoient
pas fur ce peuple des idées bien précifes, Il en
e i de mèrné de prefque tous (es points d’ant.quité: on
voit même que les plus inftruits d’entre eux n’avoient
pas, dans leurs recherches., cet efpnt d’ana-
lyfe que nous portons dans les nôtres ; Sc de
plus ils avoient négligé l’étude des langues étrangères.
Je crois donc que l’on trouvera tres-bien
placées ici ‘les opinions de M. Bruce fur les
peuples qui, en général, peuplèrent la partie de
l’Afrique qui m’occupe aftuellement. H eut pu
n’en cas charger fon voyage d’Abyflînie, dont
les deux tiers font fuperflus ; mais puifqu’il en
a pris la peine, & que ce morceau eft d’autant
plus intéreffant, qu’il eft compofe par un homme
qui a une connoiflance profonde de 1 antiquité,
jointe à celle du local aétuel, on doit le voir ici
avec d’autant plus de plaifir, qu’il y efl: a fa véritable
place. Voye^ le premier volume du Voyare aux
(duras du N il, în-40. paoe 418.
Plus on remonte dans l'hiftoire des nations orientales
, plus on a lieu d’être étonné au récit de
leurs immenfes richefles & de leurs magnificences.
Les perfonnes qui lifent l’biftoire de l’Egypte,
font comme les voyageurs qui en parcourent les
villes antiques & défertes, „où tout efl palais ou
temples, & dans lefquelles il ne refle pas la trace
d’une demeure ordinaire. Ainfi tous les anciens
écrivains qui parlent de ces villes, aujourdhui
renverfées & écroulées, ne font mention que de
leur puiflance, de leur fplendeur, de leur opulence
& du luxe qui en étoit la fuite ordinaire, fans
nous laifler un fil au moyen duquel nous puiflions
remonter à la fource d’ou découloient ces étonnantes
richefles, fans nous mettre feulement à
portée d’arriver à une époque où les Egyptiens
étoient foibles & pauvres, où du moins dans un
état de médiocrité, tel qu’a été pendant longtemps
celui de toutes les nations de l’Europe.
L’Ecriture fainte, la plus ancienne & la plus
croyable de toutes les hiftoires, reprefente la Pa-
leftine , dont elle traite précifement, non-feulement
comme remplie , dans les premiers âges du
monde, de nations puilTantes 6c policées, mais
' aufîi comme poflèdant de l’or & de l’argent ( Exod.
Z. X X X V I I I , c. 32 ) , en bien plus grande proportion
que l’on n’en pourroit trouver de nos jours
dans aucun état de l’Europe, quoique l’Europe
foit maîtrefle des contrées fi< riches de ce nouveau
monde, qui fournit abondamment de l’argent &
de l’or à l’ancien. Cependant la Paleftine réduite
aux produirions de fon fol & à fes propres ref-
fources, n’eft qu’une contrée fort pauvre, & elle
auroit toujours été de même, fans quelques liai—
ions extraordinaires avec d’autres pays. Il n’y a
jamais eu dans fon territoire de mines d’or ni
d’argent ; & qiioiqu’à certaines époques, il paroifîe
que la population en ait été diminuée, les récoltes
n’y ont jamais fulfi pour en nourrir les habitans ,
quelque -peu nombreux qu’ils fuflent.
i Monteiquieu, en parlant des tréfors de Sémi-
fanris, penfe que les richefles de l’empire étoient
le fruit du pillage exercé fur quelquô nation ancienne
& opulente que cette reine avoit vaincue, &
que les Aflyriens détruifirenf, comme ils furent
détruits à leur tour, par un ennemi plus pauvre
& plus vaillant qu’eux. Cependant, quelque vrai
que pût être ce fait, il ne réfoudroit pas certainement
la difficulté : elle fe renouvelleroit relativement
à l’opulence de cette autre nation fubju-
guée par les Aflyriens , & à laquelle ceux-ci
durent leur fplendeur. Je crois-qu’il y a peu d’exeir.-
ples qu’1111 grand royaume.fe foit enrichi par la
guerre. Alexandre conquit prefque toute l’Afie connue
alors, une partie de l’Afrique, 6 c beaucoup de
pays en Europe. Il enleva les tréfors des fuccefleurs
de Sémiramis & de tous les rois quelle avoit rendu
tributaires. Il pénétra dans les Indes, bien plus
avant que Sémiramis elle-même n’avoit pénétré ,
quoique fon empire s’étendit jufqu’aux rives de
Y In d u s . Malgré cela, la Macédoine, ni aucune des'
provinces de la Grèce, ne purent jamais être
comparées pour l’opulence aux petits diftri&s de
Tyr 6 c de .S-idon.
■ La guerre diflïpe les richefîes dans le moment
même qu’elle les acquiert ; mais le commerce bien
entendu , foutenu avec confiance & avec droiture ,
exercé avec exaéfitude & économie, efl le feul
moyen qui puifle toujours enrichir un grand
état ; & cent mains occupées à manier la navette
de tifferand, feront d’un plus grand avantage'
pour leur pays, que fix mille autres qui ne
fauront que porter la lance & le bouclier. Ndus>
n’avons pas befoin d’aller chercher bien loin pour
donner une preuve de cette vérité.
Les fujets de Sémiramis & les peuples qui vi-
voierrtvdans fon voifinage, faifoient venir par terre
les épiceries dans le royaume d’Afîyrie. Les Ifraé-
lites & les Madianites partoient de l’Ethiopie,
& plus direâement de la Paleftine dans les états
de cette reine ; & ce fut pendant quelque temps
la feule route que fuivit le commerce des Indes.,
Mais en éxécutant le projet infenfé d’envoyer
une armée dans l’Inde pour s’enrichir tout d’un
coup , Sémiramis fit ceffer le commerce & ruina
fon empire, qui fut bientôt après anéanti.
Quiconque parcourt l’hiftoire des plus anciennes
nations /voit que les richefles & le pouvoir ont
pris naiffance dans l’orient; que de-là elles ont.
fait des progrès infenfibles vers l’occident, en s’étendant
tout à la fois au feptentrion & au midi:
on verra en même temps que les richefles 6 c la
population des peuples ont toujours diminué en
raifon de l’abandon du commerce. Ces obfervations
doivent rappeler à tous les efprits judicieux une
vérité conftamment prouvée dans l’arrangement de
tout ce qui compofe l’univers : c’eft que Dieu fe fert
des moindres caufes & des plus petits moyens pour
opérer les plus grands effets.Dans fes mains, un grain
de poivre efl le fondement du pouvoir, de la gloire &
de l’opulence de l’Indé. Il fait naître un gland, & pan.
le moyen du chêne qui en provient, les richefles'
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