
Bah-el-Mandeb, & fe rendoient à Moka , du moins
au lieu que ce port repréfente. Ils étoient confinés
par les'mouffons d’été , qui régnoient fur le golfe
d’Arabie, depuis Suez jufqu’à i’Iéroen. Là ils attendaient
que cette mcuflbn du nord changeât ;
& paflat au fud-eft, en oftofcre ou en novembre
, & alors ils faifoient aifément route pour le,
golfe d’Elan, où ils arrivoient vers le milieu où
à la fin de décembre de la troifième année. Ils
n’avoient pas befoin ae plus de temps pour compléter
leur voyage ; mais il etoir impofilble d’en
employer moins. En un mot, ils avoient change
fix fois de mouflon-, ce qui fait exa&ement trente-
foc mois, j ou trois ans. E t , autant que j en puis
juger ,, ajoute l t Bruce , il n’y a point d’autres
combinaifons de mouflon .fur toute l’étendue du
globe , qui pût être Suffi bien appliquée à ce
voyage.
Mais les jours profpères du commerce qui enrichit
le golfe d’Elan eu Elanite, s’étoient affoi-
blis par les troubles de l’AbySinie, & fur la fin
du régné de Salomon. Cependant après la révolte
des dix tribus, Edom demeurant à la famille de
David , on continua à faire quelque trafic fur
cette mer , malgré les. difficultés que l’on avoit à
y furmonter. Ces expéditions durèrent jufqu’à la
fin du règne de Jofaphat ; alors Joram fuccédant
à ce prince, les Edomites fe révoltèrent, fe choi-
firent un roi de leur nation , & ne furent plus
fournis aux rois de Juda, jufqu’au règne d’Ozias,
où , félon l’Hébreu Uzziach qui conquit Elath ,
le fortifia , & l’ayant peuplée d’une colonie de
juifs, y fit revivre l’ancien commerce. Les chofes
demeurèrent ainfi jufqu’au règne d’Aclias ou Ahaz,
quand Rezin , roi de Damas, s’empara d’Elath,
en chaffa les juifs, & établit à leur place une colonie
de Syriens.
Mais le vainqueur ne jouit pas long-temps de
fon triomphe. L’année fuivante , il fut vaincu lui-
même par Teglath-Phalafar ou Tiglath-Pilefer ;
& l’un des fruits de la victoire fut la prife d’Elath
, qui ne rentra pas depuis cette époque fous
la domination des Juifs , & ne leur fut d’aucun
avantage. t '
Les guerres continuelles qui dévoilèrent les villes
du golfe d’Elath, l’expùlfton de Edomites ou Idu-
méens , tous les grands événemens enfin qui fe
fuivirent immédiatement l’un l’autre , interrompirent"
le commerce de la mer Rouge , dont les
ports n’avoient plus aucune fureté, étant fans ceffe
fous des puffiances étrangères & remplis d’une fol-
datefque toujours ardente au pillage. Ce commerce
paifa donc dans un lieu qui étoit le centre d’un
grand empire , & où il devoit plutôt efpérer de
trouver on gouvernement doux &. policé , que
dans des villes toujours peu fûres & fur des frontières
continuellement expofées aux ravages.
Les marchands des Indes & ceux d’Afrique
convinrent de fe rendre en Aflyrie j comme ils
avoient fait ia temps de Sémirawjs. Les uns s’y
rendoient par le golfe Perfique & l’Euphrate, les
autres „en traverfant l'Arabie* L’Aflyrie devint donc
le principal marché'du commerce de l’orient.
Les conquêtes de Nabapolaflat & de fon fils Na-
bucliodonofor ou Nébuchadnezar , avoient répandu
une quantité prodigieufe d’or & d’argent
dans Babylone. Le premier de ces cortquérans
ayant non - feulement pillé T y r ,. mais encore
Je temple de Salomon , & tout l’or que le prince
Hiram avoit autrefois tiré d’Ophir , il avoit en
outre conquis & dévafté l’Egypte , & interrompu
la communication du commerce dans toutes
les villes , en exterminant la plus grande partie
de leurs habitans. Ainfi de toutes parts , il ‘acquit
des’ richefiês immenfes , heureufement pour les
perfônnes qui faifoientx le commerce. L’Aflyrie
avoit des loix' écrites , & cet avantage particulier
fauva les propriétés de la violence & de l ’in-,
juftiçe. ;
Je penfe que la phrafle de la Bible , « la Loi des
» Mèdes & des Perfes n’eft point altérée » (Dan.
cap. 6 , v. 8 ) , doit défiçner les loix | écrites
d’après lesquelles ce pays etoit gouverné , au
lieû de demeurer abandonnés au caprice;des juges,’
comme étoit le refie de l’Orient, & comme il l’effi
à préfent tout entier.
L’empire des Aflyriçns fle trouvoit dans la fitua<
tion que je viens d’expôfer , lorfque Gyrus parut.
Ce prince ayant jconquis Babylone & fait égorger
Balthazar ou Betshazzer , qui en étoit ro i,
devint maître du commerce & de tomes, les ri-
..chefîes de l’Orient. Quelque foit le caraétère que
les hiftoriens attribuent à ce conquérant célèbre ,
la conduite qu’il tint par rapport au commerce
. de l’Orient, décèle une grande foibleflq.
Non content de l'étonnante profpérite qui avoit
élevé fon empire fur les ruines des autres états ,
& qui peut-être aufîi étoit due à la fidélité gardée
aux marchands étrangers , par fon peuple que
des loix écrites rendoient circonfpeâ:, Cyrus forma
le plus abfurde ' le plus défafireux de tous les
projets celui de tourmenter les commerçans &
d’envahir l’Inde entière, afin de ravir d’un feui
coup toutes les richefles qu’elle pofîedoit. Il exécuta
ce pfen d’une manière aufîi folle qu’il i l’avoir
conçu. Il fa voit que de grandes caravanes'
de marchands venoient des Indes en Perfe & en
Aflyrie , en traverfant Y Arlena, c’eft-à-dire -, la
côte déferte qui s’étend tout le long de l’Océa-n Indien
, jufqu’au golfe Perfique qui eft prefqu’en-
tiérement dépourvue d’eau & d’autres provisions ,
dont les caravanes ont toujours foin de fe pourvoir.
Il tenta de fuivre la même route pour entrer
dans l’Inde avec une grande armée.
Treize cens ans auparavant Sémiramis avoit
voulu exécuter un pareil de fie in ; mais fon armée
périt dans le défert ; & celle de Cyrus périt de
même , fans qu’il fut pcflible d’enlever un feui
çornet-de poivre dans aucune partie de l’Inde.
La même deftinée attendoit Cambyfe , fon fils
> 8o
& fon fuccefîeur. Cambyfe, voyant la prodigieufe
quantité d’or qui pafloit de l’Ethiopie dans l ’Egypte
, réfolut de marcher à la fource, & d’enlever
en un feui jour ces tréfors , que félon
lu i, lé commerce amenoit trop lentement.
L’expédition que fit Cambyfe en Afrique eft
trop bien connue pour qu’il foit befoin que je
m’arrête à la décrire. Elle eft devenue fameufe
par l’extravagance qui l’avoit fait concevoir , par
les défaftres & l’énormité des pertes qu’elle entraîna
, & par le châtiment terrible & mérité qui
en fut le prix.
Ce fut enfin l’une de ces monflrueufes folies
qui ont rendu célèbre la vie d’un des princes
infenfés qui ont déshonoré les annales du monde.
Le caraélère le plus lâche eft peut - être le plus
enclin à l’avarice ; mais quand une fois cette pafl
■ fion s’empare du coeur humain , . elle eft aflez
forte pour l’exciter à des entreprises aufli hardies
que celles qui font diéîées par les plus nobles
vertus.
Tandis que Cambyfe envahifloit l’Egypte, & s’y
abandonnoit aux plus horribles excès , il apprit
que du midi de ce pays , il venoit beaucoup
d’or pur, indépendamment de celui qui arrivoit du
haut du golfe d’Arabie, & qui étoit alors transporté
en Aflyrie , où il circuloit dans le commerce.
Ce renfort d’or appartenoit en propre
& exclufivement à l’Egypte, & , par ce moyen ,
elle faifoit avec l’Inde un commerce fort lucratif,
quoique peu étendu* Cambyfe apprit aufli que
les gens qui étoient les maîtres de ces tréfors ,
étoient Macrobii , c’eft - à - dire , qu’ils vivoient
long-temps, & qu’ils pqflèdoient un pays féparé
de lui par des lacs , des montagnes & des déferts.
Mais ce qui le frappa davantage, c’eft que dans
le chemin par où il falloit paüer pour les attaquer
, il y avoit des multitudes de ces belliqueux
pafteurs , dont j’ai déjà aflez parlé pour qu’on les
connoifle fuflifamment.
Voulant alors flatter ces pafteurs 8c confer-ver la
paix avec eux , Cambyfe tomba avec fureur fur les
dieux & les temples de l’Egypte. Il égorgea le
boeuf Apis j détruifit Memphis & tous les édifices
qu’il rencontra fur fon paffage. Cette conduite ne
pouvoit que plaire aux pafteurs, également ennemis
de ceux qui rendoient un culte aux animaux,
& de ceux qui bâtifloient des villes. Aufîi, après
ces fanglans préliminaires , Cambyfe conclut avec
eux une paix folemnelle , chaque nation jurant
l’une à l’autre une éternelle amitié. Malgré cela,
il ne fut pas plutôt rendu à Tlièbes , dans la haute
Egypte , qu’il envoya une grande partie de fon
armée piller le temple de Jupiter Hammon , l’un
des plus grands objets d„ la vénération des pafteurs
; mais ce détachement de fon armée périt,
fans qu’il en reftât un feui homme. J’imagine que
tout fut enveloppé par quelques-uns des épais
nuages de fable que le vent charrie fouvent dans
les déferts. Cambyfe marcha alors contre les Muséographie
ancienne, Tome III.
crobît■ , d i remontant le long des bords du Nil. Là'
le pays trop élevé pour pouvoir être fertilifé par
les débordemens du fleuve, reftoit fans culture.’
Un grand nombre de Perfes & d’Aflyriens y pé-
rirenf faute de fubfiftance.
Un détachement de l’armée fe rendit dans le
pays des pafteurs, qui lui fournirent des vivres :
mais indignés du facrilège dont ces Perfes s’étoient
rendus'coupables envers Jupiter Ammon,
ils conduifirent ces troupes dans des endroits où
elles ne purent fe procurer de l’eau. Cambyfe
avoit déjà fouffert toutes ces pertes, & il n’étoit
pas encore arrivé au-delà du 24e degré de latitude
, qui eft: le parallèle défigné.
Delà il dépêcha des ambafladeurs ou des efpions
pour reconnoître les contrées qui étoient devant
lui', parce qu’il fentit bien qu’il ne pouvoir plus
compter fur le fecours des pafteurs. Ces efpions
trouvèrent un pays rempli de nègres guerriers,
d’une haute ftature & d’une force de corps prodigieufe,
qui s’exerçoient continuellement à la chafle
des lions , des èlephans & des autres animaux de
ces forêts.
Cës peuples' pofledoient une fi grande quantité
d’or , que leurs inftrumens & leurs uftenfiles les
plus communs, étoient faits de ce métal ; mais ,
en même temps, ils ne comioifloient pas le pain ,
& leur pays étoit de nature à ne produire aucune
efpèce de grain dont on pût en faire. Ils ne
fe nourrifloiènt que1 de chair crue féchée au fo-
leil , & principalement de celle des giraffes , des
rhinocéros & des éléphans , qu’ils tuoient à la
chafle. C’eft avec de tels alimens qu’ils vécurent
toujours & qu’ils vivent encore ; & c’eft ainfi que
j’ai vécu moi-même, dit M. Bruce , tous le temps
que j’ai demeuré parmi eux.
-A l’arrivée des envoyés de Cambyfe , ils ne
furent pas alarmés; au contraire , ils les regardèrent
comme des hommes d’une efpèce inférieure.
Ils leur demandèrent de quoi ils fe nourrifloiènt ;
& , en apprenant qu’ils mangeoient du pain , ils
appeUèrent cet aliment de la fiente ( flercus ). Ceux
à qui ces ambafladeurs s’étoient adrefles 11e virent
qu’un trait de clémence dans^ la demande que faifoit
Cambyfe de fe foumettre à lui , & comme
une folie complète , l'imprudence d’avoir conduit
une armée fi près de chez eux.
Ils pailèrent avec ironie de Tefpérance qu’a voit
ce prince de les conquérir ; & en fuppofanr même
qu’il eût furmonté tous les obftacles que lui of-
froit le paflage du défert , & que fon armée fût
prête à entrer dans leur pays, ils lui cônfeillè-
rert de retourner fur fes pas , pëndant qu’il le
pouvoit encore , au moins pour un certain temps,
c’eft - à - dire , jufqu’à ce qu’il pût produire un
homme de fon armée qui bandât Tare qu’ils lui
envoyoient , ajoutant qu’alors ils pourroient continuer
à s’avancer, & former des efpérances de
conquêtes.
On verra bientôt la raifon qui les engageoit à