Toute cette chaîne de montagne qui va de l’eft
à l’oueft , le Derkin & l’Atbara au fud, & où commencent
les contrées montueufcs de l’Àbyfîinie
eft habitée parle nègre Cnshite , aux cheveux laineux
, que l’on nomme Shangala, qui loge, comme
fes premiers pères , dans des' cavernes, & qui,
après avoir été le peuple le mieux cultive 8c le
plus favant de f univers , eft tombe , par un revers
étrange , dans une ignorance brutale. 31 le
voit maintenant chafle par' fes voifins , comme
une bête fauvage dans ces mêmes forêts ou il
vivoit jadis au fein de la liberté , de la magnificence
8c du luxe.
Mais les plus nobles les plus belliqueux de fous
les pafteurs font, fans contredit, ceux qui habi-
toient jadis & qui habitent encore les montagnes
d’Habas ÿ dont la chaîne s’étend depuis les environs
de Mafi’ah juftju’à Suakem.
Dans l’ancienne langue de ce pays,- So oc Suah j
lignifient pafltUr 8c pafteurs. Quoique nous ne
connoiiïions aucune diftin&ion parmi eux , nous
pouvons'croire qtie ceux qu’on appelcit fimple-
ment pafteurs ; compofoient là dalle ordinaire qui
gardbit les troupeaux Quelques-uns fe défignoient
par le nom d’Uicfos , que l’on prononce dans le
pays -Agios, & qui lignifie pafieurs armés , ou pafteurs
qui portent le harnois. CeuX-la jétorent fans
douté les foldats ou les pafteurs qui fe dévouoient
à combattre pour leur nation.- r.
La troifième claiTe , dont où nous a conferve
le Touvenir, s’appeloit Ag-ag, que l’on croit être
les nobles, ou les chefs des pafteurs armés. C’eft
delà que vint leur titre de roi des rois : tel étoit
le nom d’Amalec, roi pafteur, mis fi cruellement
à mort par Samuel. Le plurier de ce mot eft Agagi,
que l’on écrit , félon l’orthographe éthiopienne,
Agaazî. . Jj Ÿ
Ce mot a beaucoup embarrafte Scalfger & Lu-
dolf. Car voyant dans les livres Abyflmiens que
ce peuple s’appeloit^gv&z^’ , ils fe tourmentent eux-
mêmes pour en trouver l'étymologie-Ils imaginent
que les Agaazt étoienf les Arabes des environs de
la mer Rouge, & M. Ltidolf penle que ce mot
veut dire hommes bannis. Scaîiger forme des- con-
jeéhires à-pett-près- aufli puériles > & qui font toutes
fans aucun fondement.- .
Mais le peuple qui prend encore de nos jours le
nom d’A gaazi, eft une race de pafteurs qui habitent
les montagnes d’Habab , oc qui fe font répandus
peu à peu dans toute la province du Tigre
(entré les 15e & 15e degré de latitude 8c les
manquer d’un' point de jufteffe- qui rfte fait foupeonn^'r
qu’il y a erreur dans la copie originale, ou dans la
traduttion. Je tâcherai de Voir le texte -, car la contrée
©u diftriâ qui'a le tropique au nord , & le Nil au
fud , & la forme d’un bouclier,. peut très-bien être
Je pays où pénétra Cambyfe *, & je le crois de même %
mais c’eft à cinq degrés plus au fud que fe trouve l’A-tbara
décrit enfuite & qui doit être la Merci des anciens.
38 & 40e de longitude ) , dont la capitale eft?
Axum , nom formé d'A g 8c de S u a h , ce qui''
fignifie métropole ou principale ville des pafteurs*
armés. *
Rien n’étoit plus diamétralement oppofé que-'
les moeurs & la manière de vivre du Cushite , 8c
celles du pafteur fon meffager.
Le premier , quoiqu’il' eût abandonné fes caver-
nés 8c qu’il vécût dans les cités qu’il avoit bâties,
reftoit néceflairement confiné chez lui , ramaflant
de l’or arrangeant les envois de fes épiceries
& châflant,- pour fe procurer de l’ivoire , & de
quoi manger pendant l’hiver. Les montagnes &
les villes qu’il fonda , étoienî placées fur une terie'
noire & graffe ,- de forte- que dès que les pluies-
du tropique commençoient à tomber , un phénomène
étonnant le privoit de fes beftiaux.-Ce fléau'
rendoit le Cushite abfolument dépendant du pasteur
; mais ce pafteur étoit aufli quelquefois in-"
commode par ce fléau.
Cet infe&e, qu’aucun nàturalifte n’a encore dé-'
crit, s’appelle en arabe Z im b , ou mouche, comme"
on l’a vu plus haut (1). Auffi-tôt que cette mouche
paroît,- 8c que l’on entend fon bourdonnement
tous les beftiaux- Ceflenf dé paître' , & Courent'
égarés, dans la plaine f jufqu’à ce qu’ils tombent-
morts de terreur ,• de fatigue & de faim. On ne'
peut remédier à ce fléau , qu’en- fe hâtant d’abandonner
Ja terre noire, & de conduire les trou»'
peaux dans les fables de l’Atbara, où on les laifle'
pendant tout le temps de la pluie. Leur cruel en»;
nemin’ofe jamais les pouffuivré jufqùes-là.
Ce qui rend le pafteur capable de faire fes longs-
& pénibles voyages à- travers l’Afrique,- c’eft le
chameau que les Arabes nomment pompeufement-
le na vire d u défezt.- Il femble avoir été crée exprès-
pour ce commerce ,-8c doué dé toutes les- qualités-
: néceflaires pour fe travail auquel-,on l’emploie. Le
chardon le plus fec le buiflon le plus dépouillé'’
de feuilles y fuffit pour nourrir cet utile quadrupè-"
de ; & il ne les mange même , pour ne pas perdre-
de temps, qu’en- avançant dans fa route, fans*s’ar-*
rêter, fans occafionner un feul inftânt de retard*-
Comme il a befoin de traverfer des déferts im-
menfes où l’on ne trouve pas d’eau,- & où la terre-
n’eft jamais humeâée par les rofées du ciel , il aria
faculté, quand il arrive à une fource ,- de pou-;
(1) II eft utî péu‘ plus gros qu’une abeille ,• & d’une-
forme moins alongée. Ses ailes, plus longues queles:
ailes de l’abeille,. ôe féparées- comme celles d’une-'
mouche ordinaire, font d’une membrane qui-reffemble'
à de la gaze,- fans aucune tache ni variété de couleur^
11 a- la tête groffe, la partie fupérieure de fa bouche-'
eft tranchante & fe termine par un poil très- fort &•
pointu,, d’environ uri- quart de pouce de longueur.-
La partie inférieure eft auffi armée de' deux poils fem-'
blables -, & ces trois poils, joints enfemble, réfiftentS
prefqu’autant au doigt qu’une forte foie de cochon t
fes jambes font inclinées en dedans, entièrement verf
lues,, & d’une couleur- brimer
fvôir prendre une provifion d’eau qui le défaltèrê
pendant trente jours de fuite. Pour qu’il puiffe contenir
cette grande quantité de- fluide , la nature
a formé , au - dedans de lui , de larges citernes
qu’il remplit , & dont il tire enfuite ce qu’il veut,
pour le verfer dans fon eftomac , de la même
manière que s’il- le tiroit d’une fource. Par ce
moyen , il marche tout le.long du jour, avec patience
, avec vigueur, portant des fardeaux prodigieux
dans ces contrées défolées par dés vents en-
poifonnés , & couvertes d’un fable toujours brû-
|ans.
. Mais y quoique le chameau foit d’unë grande
taille & d’une force étonnante , quoique fa peau
•foit très-épaifte, & défendue par un poil dur &
ferré, il lui eft impoflible d’endurer les violentes
piquures de la mouche zimb ; & dès qu’elle paroît,
il ne faiit pas perdre de temps pour le mener aux
fables de PAtbara ; car , s’il a été attaqué par elle,
fon corps, fa tête , fes jambes , fe couvrent de
grofîes tumeurs, qui s’excorient, fe putréfient _&
font périr le malheureux chameau,
- L’éléphant & le rhinocéros qui , en-raifon de
leur mafle énorme ^ ont befoin , chaque jour, d’une
grande quantité de pâture & d’eau, ne peuvent
pas fe fa uver dans le défêrt & dans les endro.ts
arides , quand la faifon le; requiert : mais ils fe
■ roulent daiis-la vafëou dans la boüe , qui, enfuite
deflechée fur eux, forme une efpèce de cuiraffe ,
& les rend capables de réfifter à leur ennemi aîlé.
Cependant j’ai trouvé quelques tubercules fur la
peau de prefque tous lès éléphans & les rhinocéros
que j’ai vus; & je ne puis, dit M. Bruce, les
attribuer qu’à la piquure du zimb.
; Les peuples du rivage de la mer , depuis Mé-
1inde au cap Gardefan , à Saba & le long de Ja
.côte du fud de la mer Rouge , font obligés- de
quitter leurs demeures dès que la faifon des pluies
commence, & de fe tranfporter dans les contrées
Ihblonneufes les plus voifinés, Pour prévenir la def-
truélion totale de leur bétail, ce n’eft point une
émigration de quelques perfoanes feulement, mais
les habitans de tout le pays qui s’étend du côté
du nord dçs montagnes'de l’Abyflinie aux bords
du Nil, & à l’Aftaboras, font obligés, une fois tous
les ans , de changer de féjour & de chercher un
afyle fûr dans les fables du Béja. Il n’y a point d’alternative.
Il ne leur reftè aucun moyen d’éviter
,ce voyage , quoi qu’une bande de voleurs foit
toujours dans leurs chemins, prêts à les dépouiller
de la moitié de leur fubfiftance. Ces brigands
font même aujourd’hui plus dangereux que jamais,
dans le royaume de Sennaar.
Entre tous ceux qui ont parlé de ces contrées,
le prophète Ifaïe eft le feul qui ait fait mention
du zimb, & de la manière dont il agit. «Et il ar-
3» rivera , dit-il , il arrivera en ce jour que le
» feignenr fera entendre fa voix & appellera la
» mouche qui fe tient fur les bords des rivières
v de l’Egypte ; 6c elles viendront, & elles fe tien-
»drônt toutes dans les vallées du défeft, & dans
»les trous des rochers , 8c furies herbes & , far
» les buiflbns : » c’eft-à-dire 5 qu’elles empêcheront
le bétail de fe retirer dans le défeft , fa retraite
accoutumée, parce qu’elles s’en empareront elles-
mêmes, 6c que ce bétail les rencontrera dans
les endroits qui lui fervent de refuge , quand il
veut les éviter.
Les montagnes dojit j’ai parlé 8c qui traverfent
le pays des pafteurs , divifent les faifons fi exactement
^ par une ligne tirée tout le long de leur
fommet , que tandis que le côté de l’eft, faifant
face.à la mer, eft inondé de pluie pendant les
fix mois qui font "notre hiver en Europe , le
côté de l’ouefi jouit d’un foleil toujours pur , &
d’une végétation aétive. Enfuite, pendant les fix
mois qui font nôtre été d’Europe , l’Atbara , ou
le côté de l’oueft de ces montagnes, eft fans cefle
couvert de nuages 6c d’ondées. Le pafteur de l’eft ,
vers la mer Rouge , fait paître fes troupeaux dans
de grands pâturages , dans des prairies couvertes
de la plus riche verdure , où il jouit d’un ciel
toujours ferein , fans craindre le zimb , ni aucun
autre ennemi de cette efpèce. Défi grands avantages
ont naturellement engagé le pafteur à- choifir
fa réfidence dans le Béja 6c l’Atbara, 6c l’ont fournis
en même temps à la nécefllté de changer fou-
vent de place. Cependant cet inconvénient eft fi
peu de chofe , ce voyage fi court , qu’en fuyant
les pluies qui tombent à l’oueft des montagnes,
un homme peut, dans quatre heures de temps ,
jouir d’une autre faifon, 6c trouver un foleil brûlant
du côté de l’eft.
Lorfque Carthage fut bâtie , les charrois de
cette ville commerçante, furent confiés aux L e h a -
bim ou L u b im , peuples dont on a fait le nom de
Libye, 6c quf-habitoient le pays que les Grecs
défignoient par ce nom. Cela augmenta bèauconp
les occupations, la puiftance 6c le nombre des
pafteurs. Dans les pays où les vaifleaux ne pou-
voient pas aller, on fuppléa à la navigation par
des multitudes innombrables de chameaux , 8c
nous voyons que , dès les premiers âges , cette
manière de faire le commerce étoit du côté de
l’Arabie, entre les mains des Ifmaélitès, qui, de
la pointe de fud de la péninfule , fe rendoient
avec des chameaux en Paleftine 6c en Syrie. La
Genèfe nous apprend même qu’ils portoient de là
myrrhe & des épiceries, ou du poivre, qu’ils tfo»
quoient contre de l’argent. Ils avoient aufli du
baume ; mais il femble que dans ce temps-là, ils
tiroient ce baume de Giléad.
Nous fournies fâchés , en recueillant .un fait
fi curieux, confervé par l’écriture, de trouver en
même temps, que dès les premiers fiècles du
commerce de l’Inde , on y avoit joint étroitement
un autre commerce, que la philanthropie, ou pour
parier françois , le refpeâ 8c l’amour cle l’humanité
auroient du faire regarder de tout temps comme
un opprobre, 6c l’un des fléaux qui affligent i’hu*
Wd î j