
féaux & les galères. A en jugerpar ces colonnes,
Spon croit que le port peut avoir eu un mille 8c
demi de circonférence^
En attendant que M. de Choifeul-Gouffier nous
donne dans fon fuperbe & excellent ouvrage , un
état des lieux a&uels, ce qu’on a le droit d’attendre
de fes lumières & de fon g oû t, je crois y fup-
plé'er, quoiqu’imparfaitement en rapprochant de
ce que difent Bellonius ,. le Brun & Spon , ce
qu'en rapporte M. Wood dans fon excellent ou-
yrage fur Homère ( an EJfay on Jîomery ).
Il commence par ces vers de l’Enéide , L. 11 :
Juvàt ire 6* Dorica caftra ,
Defertofque videre locos , litiufque rtïiElum *
Hic Dolopurti manns , hic Soevus Achilhs
Clajfbus hîcïocus, hic acies certare folebat.
ce qui jette un nouvel intérêt fur les parties qu’il
va décrire. Les perfonnes auxquelles cette def- :
cription ne fuffira pas , feront obligées derecourir
à l’ouvrage même de M: W c o d , où fe trouve
une carte reprél'entant l’état des lieux tels qu’il
les a vus en 1750.
Si l’on .compare , dit - i l , en-même temps fa"
carte avec les defcriptions d’Homère, ou apper-
cevra les changemens furvenus depuis que le
poète a écrit. La fource du Scamandre eft maintenant
beaucoup plus éloignée de la mer qu’elle
ne femble l’avoir été quand le poète Grec la vif.
Je crois que l’afpeâ du pays eft conftdérablement
changé: j’expoferài, ajoute-1-il, les caufes qui
paroiffent avoir contribué à cette révolution. Les
régions de l’Aile mineure font très - fujettes aux
trembiemens de terre ; j’ai vu plusieurs parties de
l’Ida & du Tmolus, que l’un de ces trembiemens
a évidemment détachées des deux montagnes ; &
il y a fur les plaines du Scamandre des blocs de
rocher maflïf qui ont eu. originairement une autre
fitnation. Il eft fûr que la fource du Scamandre
n’eft plus aujourd’hui la même.
En allant de Conftantinople, dit M. Wood , '
aux îles de la Grèce , nous mouillâmes le 25
juillet 1750 au-deflbus du promontoire de Sigee,
& débarquâmes à l’embouchure du Scamandre. Le
pays , fouvent infefté de bandits , étoit àlors ft
tranquille, que nous eûmes la facilité de remonter
, fans danger , jufqu’à la fource du fleuve. Après
avoir loué des chevaux & des guides , nous emmenâmes
notre tente , nos domefliqués 8i notre
équipage de campagne, & nous employâmes quinze
jours à parcourir ce petit pays.
- Avant de débarquer nous avions examiné toute
l’enceinte du royaume de Priant, & une autre
fois nous avions vu quelques parties de l’intérieur
(1). 1
(1) Voyez', s’il eft poflîble, la belle carte de l’Afie
mineure de M, d’Anville-, car celles qui fe trouvent
dans l'Atlas, de l’Encyclopédie font incomplètes fous
tous les rapports.
Une ligne droite tirée du Caïcus à l’Æfopus
formeroit à-peu-près la borne orientale & intérieure
des domaines de Priant. Selon cette, efti-
ntation, la circonférence en auroit été d’environ
cinq cens milles anglois , dont trois font une de nos
lieues. Il faut comprendre dans ce nombre, plus
de deux cents milles formant les côtes lavées par
la Propontide, l’Hélefpont, & la mer Egée. Il y
a peu de pays de cette étendue qui réunifient
autant d’avantages. Le climat eft tempéré & .faiii,
des bois couvrent par-tout les collines, & les plaines
fertiles , revêtues de blé & de pâturages, font bien
arrofées. Lés montagnes renferment des minés
qu’on n’a jamais 'allez fouillées. Il y a des eaux
minérales & des bains chauds que les naturels
du pays emploient utilen\ent dans plufieurs maladies.
La contrée p'roduit de l’huile, & quelques
cantons y étoient autrefois célèbres par la qualité
de leurs vins.
Les Grecs aflùrent que fi on y cultivoit la vigne
avec foin , elle donneroit un raifin auffi bon que
le mufcat de Ténédos.
La forme péninfùlaire de la Troade & fon heu.?
reuTe fituation , fes havres très-commodes 8c tous
fes bois la rendent très-propre à la navigation &
au commerce.
Cependant, fi l’on peut juger d’un peuple fi ancien
, d’après quelques monmnens épars, il femble
que ce fut un principe de fa conftitution religieufe
& civile de décourager la navigation & d’exciter;
l’agriculture & l’induftrie domeftique. Un vieu»
proverbe qui fubfifte encore aujourd’hui , aver-
tifloit des dangers du commerce : les loix punifr
foiént févérement celui qui voloit un boeuf, une
charrue ou quelque inftrument d’agriculture. Quoique
ces maximes ne foient pas conformes à l’ef-
prit de commerce qui domine dans la politique
moderne, elles paroîtront fort. judicieufes , fi on
confidère le génie & les moeurs de ces anciens
temps. Lorfqu une contrée a reçu de la nature
tout ce qui eft néceffaire aux befoiiis. de la v ie ,
c’eft travailler au bonheur de fes habitans , que
de concentrer leur induftrie & leur attention dans
l’intéreur de leur patrie , 8c de prévenir tout Commerce
avec les étrangers. En un mot, quand les
mots navigation & pyraterie étoient prefque des
termes fynonymes , un peuple qui avoit des troupeaux
, du bled, du vin & de l’huile , devoit naturellement
fuir un commerce où il ne pouvoit
que gagner peu & perdre beaucoup : la loi des
nations, n’avoit pas encore établi ce fyftême de
fécurité & de confiance qui règne entre les peuples
civilifés ; & voilà pourquoi l’Egypte &/ les autres
pays riches déteftoient les étrangers.
Le fort de la Troade, en effet, a juftifté leurs
craintes ; car malgré toutes leurs précautions , ils
avoient été conquis & pillés trois fois avant le
temps d’Homère. On donna à ces invafions des
prétextes fi frivoles , que vraifemblablement elles
ne fer oient jamais arrivées , fi ces peuples n’a-
Voient pas été plus riches que leurs voifiris. Le .
même appât du butin occafionna probablement la
migration des Æoliens. L’hiftorien Grec a jugé à
propos de pallier fous ce terme l’injufte conquête •
qu’ils firent de ce pays. Le voyageur qui remonte
i ’Hélefpont concevra aifément que les premiers
habitans qui firent des émigrations dans cette partie
du monde , quittoient une contrée pauvre pour
en chercher une fertile : en ef fet la côte d’Afie
préfente un afpeft plus pittorefque & plùs riche
que celle d’Europe.
Homère, parlant du pays de Priam , l’appelle-
en général , Troye , & fes habitans Troyens.
Mais, quand il fait une énumération exafte des
fôldats commandés par les différens chefs, il donne
en particulier “le nom de Troyens aux habitans de
Troye ou Ilioil , la capitale.
Avant de parler cle fes découvertes dans l’intérieur
du pays , M. Wood , expofe les points
de vue qu’offrent les côtes, quand on les range
de près. Du cap de Boba ( a ne. LcElum. , au nord
cie Xesbos) , au cap Janiffari, ( anc. Sigeum pr&m.
à î’emb. fud de -l’Hélefpont ) , la côte court prefque
àireéiement au nord. Sur le premier de ce
cap, le cap Boba , il y a un château pour défendre
le_ pays contre les corfaires Maltois. Les
Turcs cralgftent fi fort leurs invafions , qu’on voit
peu de villages fur la côte , jufqu a ce qu’on approche
de l’Hélefpont.
La côte eft couverte d’arbres de Valonie , forte
de chêne dont l’écorce & le fruit font employés
dans les tanneries. Le pays a moins de montagnes
à mefure que l’on avance au nord jufques
"vis-à-vis l’île Ténédos, qui refte fur la gauche.
Oïl apperçoit là un charmant payfage, fur un
coteau penché , revêtu de bois , & les -navigateurs
jouiffent en même temps en plein de la vue
de la ville de Troye 8c des ruines vénérables qui
l’entourent. En continuant la route au nord, on
trouve la côte toujours plus efearpée, jufqu’à ce
qu’elle fe termine ‘ enfin à 'un rocher élevé fur
le cap Janiffari, qui fépare la mer Ægée,de l’Hélefpont
En tournant à l’eft , dans cette mer étroite ,
le même cap a une échancrure qui fe préfente
tout-à-coup au milieu d’une plaine couverte de
beaux arbres. C’eft ici que le Scamandre verfe
fes eaux, & le château dont on a parlé eft placé.
à l'embouchure , afin de défendre l’entrée du détroit.
O11 en a conftruit un autre fur la rive op-
pofée pour le même objet. Du cap Janiffari, la
côte plate & marécageufe fe retire, formant une
courbe bornée à l’eft, par le cap Barbiéri, ( anc.
Piom. Rhetoeum ) : il eft plus bas 8c moins .efearpé
que le cap Janiffari. Dardanum étoit, fans doute,
dans les environs , comme on peut en juger par
le détroit qui conferve le nom des Dardanelles,.
Les châteaux conftruits pour la fureté de ce paf-
fage à Conftantinople , répondent aux châteaux
anciens nommés- Seftos 8c Abydos.
-. En examinant ce que dit l’Iliade de ces côtes 8c
de ces mers \ on y trouve ce qu’Hofnère diftingue
très-bien, entre la mer Ægée 8c l’Hélefpont. Ce
poète n’en parle jamais qi^avfec les,épithètes 8c
les circonftances qui conviennent à l’une & à
l’autre.
Au commencement'du premier livre ,le prêtre
Çhryfès , qui a réclamé en vain fa fille , s’en retourne
filencieux & trifte le long du rivage de
la mer turbulente ou furieufe (1). La fituation de
la ville de Chryfa , à l’oueft, fur la cô te , montre
qu’il eftqueftion de-la mer Ægée dans ce paffage.
L’épithète turbulente ou furieufe , le démontre /encore
ailleurs ; car l’Hélefpont & le canal n’ont pas
affez de largeur pour que les flots y foient furieux.
Je dois remarquer que le terme infaniens
qu’Horace applique au Bofphore (2), ne lignifie
pas turbulent ; mais que rien n’exprime mieux la.
contrariété des courans dont ce détroit eft rempli.
Dans.Je même livre de l’Iliade ( v. 350 ) , Achille
fe retire fur la grave écumeufe pour fe livrer aux
tranfports de fa colère , & de-là il regarde la
ruer J'ombre ; les vagues fe briffent fur la côte avec
violence ; & le tableau au total ne reffemble qu’à
la mer Ægée. On fait en effet qu’Achille étoit là
campé : dès qu’il eft queftion de l’Hélefpont, on
le dépeint par d’autres circonftances qui font également
précifes.
On eft d’abord furpris qu’Homère donne plu-
fxeurs fois l’épithète de large à i’Hélefpont, qui
eft moins large que beaucoup de rivières. Orphée
parle aufli du large Hélefpont. Euftathe & d’autres
commentateurs ont tâché d’expliquer ce terme ;
mais leurs conjectures ne font pas fatisfaifantes :
en voici une, dit M. Wood , qui s’eft préfentée
à mon efprit, tandis que j’étois fur les lieux. ■
En navigeant de la mer Ægée dans l’Hélefpont
nous fûmes obligés d'affronter un courant perpétuel
, très-vif, qui fait faire communément trois noeuds
par heureyjàns le fecours du vent de nord. Nous
étions en même temps enfermés dé tous côtés par les
terres ; nous ne voyions que la campagne , &
chaque objet faifoit naître l’idée d’un beau fleuve
qui tràverfe l’intérieur d’une contrée. J’avois peine
alors à croire que j’étois en mer. Nous parlions
de fa largeur, de fon embouchure , de la beauté
de fon lit, de fes rives couvertes de bois , 8c enfin
de plufieurs antres circonflanees qui n’appartiennent
qu’aux rivières. Le poète" ( Ili. Mi 30,
B. v. 84? ) , lui applique l’épithète de rapide ,
, (1) M. Wood ajoute'& trifte^ ce qui étoit vrai, mais
qui n’eft pas exprimé dans la ce beau vers, que je ne
puis m’empêcher de citer ici •, c’eft un des plus connus
comme poélie imitative , par la belle épithète de -la-
mer , & le bel effet que produit à l’oreille le nom même
de mer , & enfuite les voyelles qui entrent dans fon épi—
ftiète.
B»<f’ c?X£®v 'irctpct^iivct rffo'kvty'hcHrCcto 5r&kêt(r<nis.
(2) Infanientem nayite Bofphorum tentabo. L.III, Od. 4.