
de Lyon. IL.-faut donc examiner quelle peut être
l’autorité de Ptolemée dans la détermination qu’il
donne aux peuples & aux villes de la Gaule.
III. Ptolemée floriffoit dans la ville d’Alexandrie,
fous les règnes d’Adrien & d’Antonin-Pie :
c’étoit un célèbre aftronome & .un favant géographe.
Il a recueilli, dans fon Almaj’ efte, un grand nombre
d’obfervations importantes : fes huit livres de géographie
font un monument précieux ; nous lui devons
la connoiffance des anciens noms de plufieurs
capitales des peuples de la Gaule , que nous ignorerions
; la plupart de ces villes ayant quitté leur
nom primitif pour prendre le nom du peuple. Ce
géographe paroît avoir eu fous les yeux une notice
exa&e des provinces de la Gaule, des peuples &
des villes qui la compofoient ; mais il ne paroît
pas avoir eu une connoiffance aufii précife de la
pofition refpeôive des peuples & des villes; il les
a fouvent & étrangement déplacés. Ptokm.ce.us, dit
Bertius , dans la préface de fon édittion, Alexandrie
çum fcriberet & tabularum ab aliis fcriptarum
fidcm lequeretur, non ejl mirum, f i loca quccdam aliter
defcripferit, quàm révéra fitd fint. Nufquam enimfaci-
l in s quàm in hac parte erratur. En effet, un géographe
qui n’a pas voyagé, quelque habile qu’il foit,
ne peut employer, dans fon cabinet, que les cartes,
les defcriptions , les mémoires, les ©bfervations
qu’il_.a pu raffembler , ou qu’on lui communique.
M. l’abbé de, Longuerue, dans fa defcription de la
France, dit avec raifon : « Ptolemée, qui.demeuroit
dan„ Alexandrie , en Egypte , n’avoit pas une con-
noiffance fort exaôe des Gaules , fi éloignées de
fon pays , & s’eft trompé en beaucoup d’endroits.
Si l’on jette les yeux fur Y index de la notice des
Gaules de M. de Valois, on voit que ce favant
a fouvent corrigé, repris & expliqué ce' géographe.
Ptolemée lui-même avoue ^ ( L. i. c. 18.) dans
le premier livre de la géographie, qu’il ,eft très-
facile de fe tromper fur la pofition des villes, fur
lefquelles on n’a pas des obfervctipns exaéles, &
que l’on n’en a que fur un petit nombre ; que
d’ailleurs, il eff difficile de concilier les différens
fentimens des auteurs qui ne font pas d’accord fur
fa longitude ou fur la latitude d’un lieu. La méthode
qu’a ffiivie Ptolemée, facilite encore la multiplicité
des erreurs : il afligne à chaque lieu la lçjn-
gitude 8f la latitude qu’il croit lui convenir.; \ il
Texprime par un nombre de degrés & par des portions
de degré, & il eft facile de fe tromper, *
foit dans cçs nombres , foit dans çes portions de
degré. Ces erreurs peuvent s’étendre à un grand
nombre de lieues. D ’ailleurs, en fuppofant que Ptolemée
ne s’eft pas trompé en marquant ces nombres,
on ne peut affurer que les copiftes de-fon
texte, ou les traduâeurs , n’y ont pas fait de çhan-
gemens. Une preuve évidente qu’ils en ont fait,
c’eft qu’on remarque fouvqnt des différences de :
nombre de degrés ou de portions de degré, foit
dans les manuscrits, foit dans les traduirions.
J1 ne faut dpnç pas'être étonné f* l’on trouve ,
dans Ptolemée, des déplacemens confidérables darts
la Gaule. M. l’abbé Belley a remarqué ailleurs que
ce géographe place les Abrincatui, Avranches ,
fur la Seine ; les Eburovices, Evreux , fur la Loire
d’un côté , & fur la Seine de l’autre : il repréfente
les Atrebates , comme peuples maritimes & voifins
de la Seine; les peuples Rcmi, de Reims, fur
la même rivière.
A ces déplacemens i qui font frappans,on peut
en ajouter plufieurs autres. Ptolemée place les Redones,,
ceux de Rennes, fur la Loire, près des
Senones , & dans le voifinage des peuples Cadurci,
du Quercy ; : les peuples Ruteni, du Rouergue ,
& leur capitale Segodunum , Rhodès, au-delà de
la Garonne & d’Auch, vers la rivière d’Adour,
au pied des Pyrénées; les peuples Tricafiini, de
Saint-Paul-trois-Çhâteaux, fur le lac de Genève;
& pour abréger l’énumération des fautes de Ptolemée
fur la Gaule, il fuffit de renvoyer à la Carte
defiinée par Gérard Mercator, d’après ce géographe
; on y voit de fréquens déplacemens lans
aucun rapport des pofitiôns des villes, foit entre
elles, foit avec les côtes maritimes.
Mercator dit qu’il a dreffé les tables de Ptolemée,
ad autoris mentem, d’après cinq verfions les
plus authentiques , foit manufcrites, foit imprimées:
il ne fe flatte pas d’y avoir réuffi. Après un long
& pénible travail, il à reconnu que le texte de
Ptolemée a été altéré par la négligence ou par
la hardieffe des copiftes ; enforte qu’on ne peut affurer
que de dix noms de lieu un feul foit dans fa vraie
pofition. Adco ut ne décima quidem pofi eorum, que
apud Ptolemoeum funtnominum , ho die fuis locis certà
& fine ojnni controvcrfia defignari queat. (Gérard.
Merc. praf. p. /. ) C’eft pourquoi il a donné un
grand nombre d’explications & de corrections fur
les cartes de Ptolemée.
Bertius les a revues, augmentées & corrigées :
cependant, malgré ce travail, il y a trouvé encore
un grand nombre de difficultés, & a remarqué que
les exemplaires de Ptolemée diffèrent beaucoup
entre eux, exemplararia Ptolamaica admodum inter
fie difjentire, & que les copiftes ont eu la hardieffe
de changer les lieux, les nombres & le difcours:
Tantumque .fibi vel fcribarum licentiam, vel aliorum
audacium fumpfife , ut & loca & numerus & orationem
immutarint. Il a prouvé fur-tout beaucoup de diver-
fité dans les nombres qui défignent les degrés de
longitude & de latitude. Il en donne pour exemple
une feule page, qui eft la 96e, dans laquelle il a
trouvé jufqu’à dix fautes ; & entr autres, une erreur
de treize degrés fur la longimde ; & il ajoute que
cet exemple doit fuffire entre mille : Atque hotc
in un(L piginâ. Infinitum effet reliqua rçcenfere : fujfi-
ciat pro mille correElïonibus una ifla obfervatio.
Àinfi parloient lés favans qui ont étudié & approfondi
la géographie de Ptolemée ; & pour fe
convaincre que l’on ne peut, compter fur la certitude
de la géographie de Ptolemée , c’eft qu’elle a
été donnée jufqu’à prêtent, ni fur les mefures en
longitude
longitude & en latitude, il- fuffit de lire avêc quelque5
attention les préfaces de Bertius & de Mercator
& Snellius , dans fon Eratofihenes Batavus.
Cependant, quoique la géographie de Ptolemée
ait été étrangement altérée par les copiftès & par
les traducteurs , elle eft encore un monument précieux
& utile ; & pour ne parler que de la Gaule
qui eft notre objet aCtuel , ce géographe donne
une bonne notice des provinces, des peuples &
des villes. Quant à la pofition des lieux, quoiqu’il
fe foit fouvent trompé , on peut tirer des
avantages de fa géographie en la comparant avec
les ànciens auteurs , avec les itinéraires, les notices
civiles & eccléfiaftiques, avec les aâes & les
écrivains du moyen âg e , & enfin avec la pofition
réelle & pofitive des lieux.
? Ceft ainfi qu’on peut rappeller à leur véritable
pofition les lieux que Ptolemée a déplacés. M. l’abbé
Belley donne quelques exemples de corrections que
l’on peut faire au texte de Ptolemée.
Cefar , dans fes commentaires , avoit nommé
les peuples Redones , au nombre, des peuples armo-
riques ou maritimes. Ptolemée les place dans l’intérieur
des terres , loin • de l’O céan, fur-la
Loire : 'rra.pà. rov Aiystpci qrordp.oy , dans le
voifinage des peuples Sénonois ; & , par les nombres
en longitude & latitude, il les fait voifins
des Cadurci, & leur donne pour capitale Condate.
Il a été facile de corriger cet étrange déplacement
de Ptolemée, en rappelant, d’après les pommen-
t taires, ces peuples vers les côtes de l’Océan. Suivant
les notices des provinces & des cités, ces
peuples étoient de la troifième Lyonnoife, dont
Tours étoit la métropole. Ils avoient un évêque
dès la fin dii quatrième fiècle. Leur capitale, fuivant
Ptolemée, étoit Condate, qui prit, comme tant
d’autres, ce nom de fon peuple Redones, & l’on a
connu, par les itinéraires, que la ville de Condate
eft Rennes' en Bretagne.
Les peuples Abfincatui, fuivant Pline , étoient
dans la Lyonnoife. Ptolemée les fait voifins de la
Seine, [J.é%pi tb ^MctvcL'Tro'ra.p.di K^piyruirovoi,
& leur donne pour capitale, la ville à'Ingena. La
notice des provinces & des villes, place les peuples
Abfencatæ, dans la fécondé Lyonnoife, fous la
métropole de Rouen. Ces peuples eurent un évêque
dès la fin du v i c fiècle. On fait, par une tradition
confiante, que les évêques de ces peuples ont
réfidé dans leur capitale, qui prit le nom du peuple
Abfincatce ou Abfincates, & dans la fuite Abrincce,
Avranches. Par-là on rétablit ces peuples fur la
côte de l’Océan, dans leur vraie pofition, bien
loin des rives de la Seine.
Ptolemée, par un déplacement aufii étrange,
avoit tranfporté les Turones, les Meldi, les Vadi-
cajfes, dans l’intérieur de la Gaule Lyonnoife ,
dans le voifinage des Segufiani, du Forez : il a été
facile de corriger ces erreurs de Ptolemée. Céfar,
Pline & Tacite ont parlé des Turones ou Toroni :
Ptolenjée leur donne pour capitale Cefarodunum,
Géographie ancienne. Tome 1JJB
qui a pris le nom du peuple Turones. La notice
lés place dans, la troifième Lyonnoife. Ils ont eu
des évêques dès le i v c fiècle, qui ont porté le nom
de cette ville , & l’on a connu par la réunion de
cinq voies romainesque Cotfarodunum efi la ville
de Tours.
Céfar fait mention des Meldi, qui dévoient être
fitués fur une grande rivière, puilque l’on conduis
i t de-là, fur l’Océan, des vaiiïc-aux ou navires
que l’on y fabriquoit. Strabon & Pline parlent
de ces peuples. Ptolemée leur donne pour capitale „
la ville d'Iatinum, qui prit le nom du peuple
Meldi. La notice des provinces les place dans la
quatrième Lyonnoife, fous la métropole de Sens:
elle a eu , dès la fin du quatrième fiècle, des évêques
qui y ont toujours fait leur réfidence. La table de
Peutinger, décrit une voie romaine qui paffoit
par cette v ille, à feize lieues gauloifes d'Augus*
tomagus , Senlis. Toutes ces circonftances combinées
, ontfervi à corriger fûrement l’erreur de Ptolemée
, en plaçant les Meldi à Meaux, à environ
foixante-dix lieues de la pofition que Ptolemée
leur avoit aflignée.
Quant aux Vadicaffes , qui font l’objet principal
de cet article, Ptolemée les place après les Meldi,
vers la Belgique : Trpos th Behyix.n 3 & leur donne
pour capitale Nceomagus. Nous avons vu dans le
fécond article, que Pline place aufii dans la Lyonnoife
les peuples Bodiocajfes , ou , fuivant d’autres
variantes , Bodiçajfes &' Vadiocajfes ; que ces peuples
de Pline ont le même* nom que les Vadicaffes de
Ptolemée. O r , on- réconnoît aujourd’hui que les
peuples nommés par Pline font ceux de Bayeux;
on doit reconnoître par conféquent que les peuples
nommés par Ptolemée font les peuples de Bayeux.
Et ce qui prouve que ces deux noms défignent
le même peuple, c’eft que jufqu’à préfent on n’a
pu afiigncr, dans toute l’étendue de la Lyonnoife,
aucun autre lieu où l’on puiffe placer les Vadicaffes
de Ptolemée. M. l’abbé Belley ne parle pas de
fix ou fept opinions différentes appuyées fur l’autorité
de Ptolemée, qui ont placé en différens lieux
les Vadicaffes ; opinions difcutées ailleurs : il examine
ici feulement l’opinion de trois auteurs, qui ,
en s’attachant àTexpreflion nrpoc tjT Bshynt» , vers
la Belgique , ont fixé les Vindicajfes à Châlons-
fur-Marne, ou à Château -Thié ry, ou dans le
Valois.
On répond à ces auteurs, que, fuivant Ptolemée
, les peuples dont il s’agit faifoient partie
de la Lyonnoife, & que Cnâlons , Château-
Thiéry & le Valois, ont toujours été de la Belgique
même.
De ces trois pofitions, îa plus difficile à fou-
tenir eft la pofition dans le Valois , aux environs
du château de Vé.
i°. Le nom de V é , que l’on croit abrégé des
Vindicajfes, vient du mot Vadum, comme on le
voit par un très-ancien aâe du Xe fiècle: Vadum t
■ ex cujus vQçahdo camitatus appellan confuevit Va*
O o o