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& le pouvoir de l’Inde font bientôt communiquées
à des nations qu’un efpace immenfe de mer fépare
d’elle.
Mais revenons à l’Egypte. Quelque temps avant
l'époque dont nous venons de parler, Séfoftris
pafla, avec une flotte compofée de grands vaifleaux,
du golfe d’Arabie dans l’Océan Indien, & ouvrit
à l’Egypte le commerce de l’Inde par mer. Je ne
veux point croire tout ce qu’on raconte de la
quantité de vaifleaux & de la navigation des
anciens, ou du moins rien n’offre des difficultés &
des contradi&ions : d’ailleurs je n’ai befoin que
de parler de fon expédition, & non du nombre
de les vaifleaux. Il paroît que ce prince rcnou-
vella plutôt qu’il ne découvrit cette manière de
foire le commerce des Indes orientales ; commerce
qui, interrompu de temps en temps, peut-être même
oublié par les fouverains qui fe dilputoient l’empire
du continent d’Afle, n’étoit pourtant jamais
abandonné par les peuples eux-mêmes. Ils conti-
nuoient à partir des ports de l’Inde & de l’Afrique,
& du port d’Edom fur la mer Rouge.
Les pilotes de ces ports étoient feuls inflruits
d’un fecret, ignoré du refle des navigateurs, &
dont dépendoit le fuccès du voyage. C’étoit le
phénomène des vents alifés & des mouflons. Les
pilotes de Séfoftris en avoient aufli la connoiflance,
& Néarque femble en avoir en quelque idée dans
le voyage qu’il fit long-temps après Séfoffris, &
dont nous allons bientôt parler.
L’hiftoire rapporte que les Egyptiens regardoient
Séfoftris comme leur plus grand bienfaiteur, pour
leur avoir ouvert le commerce de l’Arabie & des
Indes, pour avoir renverfé l’empire des.rois pafteurs,
& enfin pour avoir rendu à chaque Egyptien
les terres qui leur avoient été ravies par la
violence des pafteurs Ethiopiens lors de Pinvafion
de ces princes en Egypte.
On dit qu’cn mémoire de ces événemens, Séfoftris
fit bâtir un vaiffeau de cèdre de cent vingt
verges de long, dont le dehors étoit tout couvert
de lames d’or, & le dedans de plaques d’argent,
& qu’il confocra ce magnifique ouvrage dans le
temple d’Ifis. Je ne veux point entreprendre de
défendre ce fait, ni prouver que Séfoftris eut
raifon de conftruire un vaiffeau de cette grandeur,
lorfqu’un beaucoup moindre auroit fuffi pour l’objet
auquel on le deftinoit. Ce vaiffeau n’étoit vrai-
femblablement qu’un monument hiéroglyphique
des aâionsi.de ce prince, auquel l’Egypte devoit
le commerce de l’or & de l’argent des mines
d’Ethiopie, & l’ufage de naviguer fur l’Océan dans
des vaifleaux conftruits avec du bois : il montroit
par-là que côtoient'les feuls que l’on dût employer
à cette navigation. Avant le règne .de
Séfoftris les vaifleaux Egyptiens étoient faits avec
cette efpece de rofeaü que fon nomme papyrus,
& recouverts de peaux d’animaux ou de cuir ;
conftruftion avec laquelle on n’ofoit fe hafarder
fur l’Océan.
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Leé hommes qui réfléchiffent, voient 1 par les''
changemens que fit Séfoftris, de quels avantagés les
Egyptiens lui furent redevables. Quand nous nous
faiions à l’efprit un tableau de tous ces avantages
ce qui eft très-aifé à tous ceux qui ont voyagé
en Egypte & en Arabie, où l’efprit des peuples-
a peu changé jufqu’à ce jour, on trouve bientôt
la folution d’un grand problème ; c’eft que c’étoit
le commerce qui, par degrés, pofa les fondemens
de la grandeur immenfe de l’Orient ; qui polit les
peuples ; qui les revêtit d’etoffes d’or & de foie y
& qui porta les arts & les fciences' parmi eux à
un point de perfe&ion qu’on n’a point encore
furpaffé ; & cela, avant que les nations de l’Europe
euffent d’autres habitations que leurs forêts natales,
d’autres vêtemens que des peaux de bêtes fouv âges
ou domeftiques , & d’autre gouvernement que
l’empire accordé par la nature au plus fort.
Cherchons à préfent qu,els furent les rapports
que Séfoftris établit entre l’Egypte .& les Indes y
quel frit ce commerce de l’Ethiopie & de F Arabie
par lequel il enrichit l’Egypte, & quelles relations
la péninfule des Indes avoit avèc ces autres contrées.
Rappelons aufli ces rois qui exercèrent en même-
temps deux métiers fi oppofés, celui de conquérant
& celui de pafteur ; & voyons ce qu’étoient
ces pafteurs, affez voifins de l’Egypte, & affez puif-
fons pour ravir les terres de quatre millions d’ha—
bitans.
Je prie le leéteur de rapprocher ce qui va fuivre
fur ces anciens peuples pafteurs, de ce que j’a i
dit du peuple, regardé comme étant le même r
d’après M. l’abbé Mignot & d’autres favans. C et
article fe trouve au mot Phoenices.
Des pafteurs qui s’emparèrent de l’Egypte ( i) .
Pour bien entendre ce que M. Bruce fe pro-
pofe d’expofer fur les peuples pafteurs qui s’em—•
parèrent de l’Egypte, il faut, félon lui, entrer, dans-
quelques détails préliminaires. Ces détails jettent
un grand jour fur l’hiftoire ancienne de cette partie?
du monde, & même fur celle de tout F ancien continent.
Ce n’eft qu’à l’aide de ces recherches que
l’on peut en avoir une idée précife , aufli-bien-
que des différentes nations qui habitent la pénin-
fule de l’Inde. On. voit que l’unique four ce des
richeffes de l’Orient étoit le commerce très-ancien
mais très-bien établi entre l’Inde 8c l’Afrique. Ce
qui rend ces cliofes plus faciles à expliquer, pour;
un homme qui â été fur les lieux, c’eft ; que les?
travaux & les occupations de ces peuples étoient,
, dès les premiers âges, ce qu’ils font encore au-?
' jourd’hui. Les peuples eux-mêmes ont été , à la
vérité , un peu altérés par les colonies étrange-
(i) Cet article, dans la Vocabulaire généra!, doit
être rapproché de ce que j’ai dit des pafteurs à ^article
Phoenices , & a aufli rapport à l’article ÆthiC>j?es*
Ves, qil’on â introduites parmi, eux ; mais leurs
moeurs, leurs ufages font les mêmes qu’ils étoient
dans l’origine. Mais il ne faut rapporter ici que
ce qui a rapport à leur ancienne hiftoire.
La Providence a placé les habitans de la péninfule
de l’Inde dans un climat qui a de grands irî-
convéniens. La partie où l’air eft pur & falubre
eft couverte de montagnes ftériles & efearpées , &
en certains temps de l’année, il y tombe des tor-
rens de pluie qui viennent inondet les plaines,
fertiles qui font au-deffous. A peine les pluies ont-
elles ceffé, qu’un foleil brûlant leur fuccède , &
fes effets font tels que les hommes de ces contrées
en deviennent foibles, énervés, & incapables
des travaux qu’exige l’agriculture. Ces plaines
unies, font traverfées par de grands fleuves & des
rivières qui, n’ayant que peu de pente , coulent
lentement dans les prairies , dont le fol eft gras &
noir, y laiffent des eaux ftagnantes en beaucoup
d’endroits , charrient confidèrablement de débris
d’arbres & de plantes , & remploient l’air d’exha-
laifons putrides. Le riz même , la nourriture ordinaire
des habitans de ces contrées, leur aliment
le plus fûr & le plus chéri, ne peut croître que
lorfqu’on a inondé le champ où on l’a ferné, & ,
par ce moyen, il les rend pendant plufteurs mois
inhabitables. La Providence a ainfi ordonné les
chofes. Mais toujours infaillible dans fa fageffe,
elle a amplement dédommagé les peuples de
l’Inde.
Ils ne font point en état de fupporter les fatigues
du laboureur, ni leurs terreinsne font propres
à une culture ordinaire. Mais le pays produit une
grande quantité d’épiceries, & fur-tout une petite
graine qu’on nomme poivre , & que Fon regarde ,
avec raifon , comme celle qui eft la plus amie
dë la fanté des hommes. Le poivre croit fponta-
nément & peut être recueilli fans peine. C’étoit
autrefois un remède excellent pour les naturels
du pays, & un grand moyen de richefle , par
la vente que Fon en faifoit aux étrangers. Cette
efpèce cl’épicerie ne vient que dans l’Inde, quoi-
qu’èlle foit également utile dans toutes les régions
infalubres, & malheureufement fujettes aux mêmes
maladies. La nature n’a pas placé par tout, comme
dans l’Inde , le remède à côté, du mal ; mais én
forçant un homme à avoir befoin de l’autre, elle
a fagément préparé le bonheur du genre humain
en général. Dans l’Inde & dans les climats qui
y correlpondent, on n’emploie pas le poivre en
petite quantité , mais on le confomme prefque
comme du pain.
La nature n’a pas été moins favorable aux Indiens
, pour ce qui concerne le vêtement. Le ver à
foie, fans que les hommes le foignent beaucoup ,
fans prefque avoir befqin de leur fecours , leur j
•fournit un tiffu très-fin , dont on peut foire une I
étoffe qui eft tout-à-la-fois la plus douce , la plus I
légère , la plus brillante, & conféquemnient la plus I
aflortie aux climats chauds. Us ont aufli le coton , *
produ&ion végétale qui croît autotir d’eux en
abondance , fans exiger aucun travail, & qui peut
etre confie!érée comme égalant prefque la foie
à beaucoup d’égards , & lui étant fupérieure à quelques
autres. Le coton eft d’ailleurs moins cher &
d’un ufage plus général. Chaque arbre de l’Inde
produit fans culture des fruits excellens. Chaque
arbre donne un ombrage agréable , fous lequel,
avec une légère navette de rofeau à la main ,
chaque habitant peut paffer fa vie avec délices ,
occupé à jouir raifonnablement & paifiblement,
fabricant fes étoffes pour fon ufage perfonnel,
pour les befoins de fa famille, ou pour fa richefle
de fa patrie.
Cependant quelque abondante que fuffent les
épiceries, quelque quantité qu’ils en confommaf-
fent eux-mêmes, & quelque quantité d’étoffes que
lès Indiens employaflent pour eux', il leur en ref-
toit tant, qu’ils furent naturellement induits à chercher
des objets contre lefqueîs ils puffent troquer
leur fuperflu. Us voulurent l’employer à fe procurer
des choies que la nature leur avoit refùfées, &
dont par légèreté , par goût de luxe, ou du moins
fans beaucoup de néceffité, leur imagination leur
avoit créé le befoin.
Loin d’eux, & à l’occident de leur pays, mais
fur le même continent, étoit la péninfule d’Arabie ,
féparée par un long défert & une côte dange-
reufe. L’Arabie ne produifoit pôint d’épiceries,
quoique la nature fournît les habitans aux mêmes
maladies qui régnoient dans l’Inde. Mais ce climat
étoit abfoluinent femblable , & conféquem- ’
ment le grand ufage dé ces végétaux échauffés
étoit aufli néceffaire dans l’Arabie que dans l’Inde ,
où ils croiffent.
Il eft vrai aufli que l’Arabie n’étoit pas totalement
abandonnée à l’infolubrité de fon climat.
La nature y ' avoit placé la myrrhe & l’ençens,
qui , employés en parfums & en fumigations ,
font de puiffans anti - feptiques , , mais dont
on fe fert plutôt comme de préfervatifs , que-
comme de remèdes propres à combattre une maladie
qui a déjà foit quelques progrès. Ces produirions
étoient d’ailleurs montées à un prix qu’ai:-
jourd’hui nous ne pouvons concevoir, mais qui
pourtant ne diminuoient jamais , quelque chofe qui
arrivât dans le pays où on les- recueilloit.
La foie & le coton des Indes étoient naturel-.
lerhent blancs, fans aucune variété, & très-fujets
à fe felir; mais l’Arabie produifoit des gommes &
des teintures de plufteurs couleurs qui flattoient
finguliêrement le goût des Afiatiques. Nous voyons
que l’écriture parle des vêtemens de diverfes couleurs
, comme d’une marque d’honneur. Salomon ,
dans les Proverbes, dit aufli qu’il para fon lit avec
des tapis, d’Egypte. Mais l’Egypte n’avoit de ma-
nufaâures ni de foie , ni de coton , ni même de
laine. Les couvertures que Salomon en tiroit y
étoient venues des Indes.
Le baume , ou le balforn étoit aufli une pre