
Scythes. Une génération avant l’expédition de.
Darius, Us furent forcés de ïortir de leur pays,
à caufe d’une multitude de ferpens qn’il produifit,
& parce qu’il en vint un'plus grand nombre des
déferts qui font au —rleiTus deux. Ils en furent
tellement infeéiés, qu’ils s’expatrièrent & fe reti-
rèrent chez les Badins.
Il paroît., ajoute l’hiftorien, que ces gens font
des enchanteurs. En eftet, s’il faut en croire
les Scythes & les Grecs établis en Scythie, chaque
Neure fe change, une fois lan , en loup pour
quelques jours , & reprend enfuite fa première
forme ( i) . Ce conte eft ridicule , fans doute p mais
pour l’honneur d’Hérodote, je dois faire obferver
qu’il ajoute aiiiu-tôt : « Les Scythes ont beau dire,
» ils ne me feront pas croire de pareils contes ;
»ce n’eft pas qu’ils ne les foutiennent, & même
» avec ferment (2) ». " V . ■ .
Il n’eft point d’hommes qui aient les moeurs
»lus fauvages que les Androphages ( ou Antropo-
'phases). Us ne connoiffent ni les loix, ni la juf-
tice°: ils font Nomades ; leurs habits reffemblent
à ceux des Scythes, mais ils ont une langue particulière.
De tous les peuples dont je viens dp
parler , ce font les feuls qui mangentde la chair
humaine. , .
Lf»s Mélanchlènes portent tous des habits noirs ;
de-là leur vient leur nom. Ils fiuiventies coutumes
& les ufages des Scytlies. , ,
Les Budins foraient une grande & nombreiue
nation. Ils fe peignent le corps entier en Heu &
en rouge. Il y a , dans leur pays, une ville entièrement
bâtie en bois: elle s appelle Gdonus.
Les murailles font \ aufti toutes de bois: elles font
hautes, & ont, a chaque fece, trente ftades de
longueur. Leurs maifons & leurs temples fontaufli
de bois. Il y a , en effet, dans ce pays, des temples
cdnfierés aux dieux des Grecs, & ornes de (lames ,
d’autels , & de chapelles de bois. De trois en trots
ans ils célèbrent des fêtes en l’honneur de Bacchns.
p ufli les Gélor.5 font-ils d’origine grecque ; ayant
été chaffés'des villes de commerce ( 3 ), ils s’établirent
dans le pays des Budins. Leur langue eft
un mélange de grec & de fcythe.
( i l Quelques auteurs ont jenfe que çe qui avoit
donné naiffance à ce conte abfurde. c .« q"J
neup'es. a caufe du froid, fe Couvraient de peaux d an.-
, n’auroit pas été Amplement pour quel-
™ ux:i oênfe qù’à caufe de la rigueur du climat,
- ced e vo h 'être leur vêtement une bonne partie1 de
Vannée M Larcher préfume que c’etoit une pure fable
qu ayoit cours dans le pays , comme dans nos cam-
oaenes les coptes des loup-garou.
P f “) t a r e mille exemples de peuples qm racontent
ainû clés abfurdité-s de leurs voifin», je puis citer ce
qu* * l’on a long-temps débité en Efoagne des habitans
2“ la vallée de°Batuécas. J’en ai parle, d apres le vcaggc
de Ivî. Ponce, dans ma géographie phyûque de U f-
Paf t T k Larcher fait obferver que ce font les villes
fuc% Pont-Euxin, & la ville de Boryftnenes.
Lés Budins n’ont ni la même langue, ni la meme
manière de vivre que les Gélons. Ils font An-
tochthones, Nomades, & les feuls de cette contrée
qui mangent de la vermine (4). Les Gélons, au
contraire, cultivent la terre, vivent de bled, ont
des jardins, & ne reffemblent aux Budins , ni par
l’air idu vifage, ni par la couleur. Les Grecs les
confondent, & comprennent les Budins fous le
nom de Gélons ; mais ils fe trompent.
Leur pays entier eft couvert d’arbres de toute
efpèce; & dans le canton 011 il y en a le plus ,
on trouve un lac grand . & fpacieux, & un marais
bordé de rofeaux. Ôn prend dans ce lac des loutres ,
des caftors, & d’autres animaux qui ont le mu-
leau carré. Leurs peaux fervent à faire des bordures
aux habits , oc leurs tefticules font exceilens
pour les maux de mère.
Quant aux Sauromates, voici ce que l’on en
dit. Lorfque les Grecs eurent combattu contre les
Amazones, que les Scythes appellent Aiorpata ,
nom que les Grecs rendent -.n leur langue par
celui d\mdroclones (5); car aior, en fcythe, lignifie
homme ; 8c pata veut dire tuer. Quand ils eurent,
dis-je , combattu contre elles, 8c qu’ils eurent
remporté la victoire fur les bords du Thermodon ,
on raconte qu’ils amenèrent avec eux, dans trois
vaiffeaux , toutes celles qu’ils avoient pu faire
prifonnières. Lorfque l’on fut en pleine mer, elles
attaquèrent leurs vainqueurs , & les taillèrent^ en
pièces. Mais comme elles n’entendoient rien a la
navigation, & qu’elles ne favoient pas faire ufage
du gouvernail, des voiles & des rames, elles fe
laifferent aller au gré des flots & des vents, 8c
abordèrent à Cremnes, fur le Palus-Meoris. Crem-
nes eft du pays des Scythes libres : les Amazones ,
étant defeendues de leurs vaiffeaux en cet endroit,
; avancèrent par le milieu des terres habitées ; 8c,
s’étant emparées du premier’ haras qu'elles rencontrèrent
fur leur route , elles montèrent à cheval,
& pillèrent les terres des Scythes.
Les Scythes ne pouvoient deviner quels étoient
ces ennemis dont ils ne coimoiffoienî ni le langage,
ni l’habit. Ils ignoroient aufti de quelle nation ils
étoient ; & , dans leur furprife , ils n’imaginoient
pas d’où ils venoient. Ils les prirent d’abord pour
des hommes de même âge ; 8c, dans cette idee,
ils leur livrèrent bataille. Mais ils reconnurent,' par
les morts reftéFfur la place après le combat, que
ccs ennemis étoient des femmes. Ils refolurent dans
un confeil tenu à ce fujet, de n’en plus tuer aucune
; mais de leur envoyer les plus jeunes d’entre
eux, en aufti grand nombre qu’ils conjeâuroient
qu’elles pouvoient être, avec ordre d’affeoir leur
camp près de celui des Amazones ; de faire les
(4) On les défignoit par le nom grec Phihirophagts.
D’autres peuples l’ont aufii mérité. Voyt\ Strabon,
| | x i , p. 7ï 4' .
BU Oui tuent des hommes.
• memes
S C Y
mêmes chofes qu’ils leur verraient faire ; de ne
pas les combattre, quand même elles les attaque-
roient ; mais de prendre la fuite, 8c de s’approcher
& de camper près d’elles, lorfqu’elles; cefte-
roient de les pourfuivre., Les Scythes prirent cejte
réfolution, parce qu’ils vouloient avoir des enfans
de ces femmes belliqucufes.
Les jeunes gens fuivirent ces ordres. Les Amazones
ayant reconnu qu’ils n’étoiènt pas venus
pour leur faire du mal , les laiffèrent tranquilles.
Cependant' les deux camps s’âpprochoient tous lés
jours de plus en plus : les jeunes Scythes n’avoient,
comme lés Amazones, que leurs armes.& leurs
chevaux, & vivoient, comme elles, de leur
chaffé 8c du butin qu’ils pouvoient enlever.
Vers l’heure de midi, les Amazones s’éloignèrent
du camp feules , ou deux à deux, pour fa-
t'isfaire aux befoins de la nature. Les Scythes s’en
étant apperçus , firent la même chofe.’ Un d’entre
eux s’approcha d’une Amazone, 8c celle-ci, loin
de le repouffèr, lui accorda ce qu’il ofa lui demander.
Comme elle ne pouvoit lui parler, parce
qu’ils ne s’entendoient pas, elle lui dit, par Agnes,
"de revenir le lendemain au même endroit avec un
de fes compagnons , 8c qu’elle amènerait aufti une
de fes compagnes. Le jeune Schyte, de retour au
camp, y raconta fon aventure , & le jour fuivant
il revint, avec un autre Scythe, au même endroit,
où il trouva l’Amazone qui l’attendoit. avec une
de fes compagnes.
Les autres jeunes gens , inftruits de cette aventure,
apprivoifèrent aufti le réfte des Amazones;
& ayant enfùite .réuni les deux camps, ils demeurèrent
enfemble, 8c chacun prit pour femme celle
dont il avoit d’abord éprouvé la tendreffe. Ces
jeunes gens rie pouvoient apprendre la langue de
leurs compagnes ; mais les femmes apprirent celle
de leurs maris ; & , lorsqu'ils commencèrent à l’entendre
, les Scythes leur parlèrent ainft : « Nous
»avons des parens , nous avons des hiers ; me-
»nons une autre, vie , réuniffons-nous au refte des
»Scythes , 8c vivons avec eux, nous n’aurons
» jamais d’autres1 femmes que vous.
»Nous ne pourrions pas, répondirent les Ama-
» zones , demeurer avec les femmes de votre pays;
» leurs coutumes ne reffemblent en rien aux nôtres ;
»nous tirons de l’arc, nous lançons le javelot,
» nous montons . à cheval, & nous n’avons pas
» appris les ouvrages propres à notre fexe. Vos
» femmes ne font rien de ce que nous venons de
»dire, 8c ne s’occupent qu’à des ouvragés de
» femmes ; elles ne quittent pas leurs chariots, 8c
» ne vont point à la chaffe, ni même nulle part
» ailleurs ; nous ne pourrions par coriféquent jamàis
» nous accorder enfemble ; mais fi vous voulez nous
»avoir pour femmes, 8c montrer de la juftice,
» allez trouver vos pères, demandez-leur la partie
’’ .de leurs bieris qui vous appartient, revenez après
» l’avoir reçue, & nous vivrons en notre parti-
» culter ».
• Géographie ancienne. Tome III.
S C Y Si
-, Les Scythes perfuadés, firent ce que fouhaitoierit
• ces femmes, & lorfqu’ils eurent recueilli la portion
de leur patrimoine qui -hrur revenoit, ils les
rejoignirent. Alors elles leur parlèrent ainfi: «Après
» vous avoir privés de vos pères., 8c après les
» dégâts que nous avons faits fur vos terres-, nous
» en craindrions lès fuites, s’il nousfalloit demeurer
»dans ce pàys ; mais puifque vous voulez bien
» nous prendre, pour femmes, fortons tous d’un
» commun accord , & allons, nous établir au-delà
» du Tanaïs ».
Les jeunes Scythes y confentirent. Ils paffèrentle
Tanaïs; & après avoir marché trois jours à l’eft,
8c autant depuis le Palus Meotis vers le nord, ils
arrivèrent dans lé pays qu’ils habitent encore maintenant,,
'& où ils fixèrent leur demeure. De-là vient
que les femmes dès Sauromates ont confervé leurs
anciennes coutumes ; -elles riiontent à cheval & vont
à la chaffe, 8c tantôt feules, tantôt avec leurs maris.
Elles les accompagnent aufti à la guerre, portent
lès mêmes habits , qu’eux.
Les Sauromates font ufage de la langue7 fcythe;
mais depuis leur origine , ils ne l’ont jamais parlée
avec pureté, parce que les Amazones ne la favoient
qu’imparfaitement. Quant aux mariages, ils ont
réglé qu’une fille ne pourrait fe marier qu’elle n’eût
tue un ennemi. Aufti y en a-t-il qui, né pouvant
accomplir , la lo i, meurent dans un grand âge,
fans avoir jamais’été mariées.
Les ambaffadeurs des Scythes expofèrent, dans
l’aftemblée des chefs de ces différens peuples, lès
dangers de ne fe pas réunir contre l’ennemi commun.
Après avoir délibéré fur cet objet, les rois des
Gélons , des Budins & des Sauromates , promirent
unanimement du fecoûrs aux Scythes ; mais ceux
des Agathyrfës, des Neures, des Androphages,
des Mélanchlènes & des Taures, leur firent cette
réponfe : «Si vous n’aviez pas les premiers fait une
» guerre injufte aux Perfes, vos demandes nous
» paroîtroient équitables ; & , pleins de déférence
» pour vous, nous nous armerions pour vos intérêts ;
» mais vous avez envahi leurs pays fans notre
» participation ; vous l’ayez tenu fous le . joug aufti
. »long-temps que Dieu'Fa permis. Et aujourd’hui
» què le même Dieu fufeite les Perfes contre vous,
» ils vous fendent la, pareille. Pour nous,'noûs ne
»les oftènfâmés pas’ alors, & nous ne ferons pas
)> aujourd’hui les premiers agreffeurs. Si cependant
» ils viennent aufti attaquer notre pays , s’ils com-
» mencent des hoftilités contre nous , nous faurons
» les repouffer ; mais jufqu’à ce moment nous ref-
» ferons tranquilles : car il nous paroît que les Perfes
»n’en veulent qu’à ceux qui les ont attaqués les
»premiers».
Les Scythes ayant appris ,'par leurs ambafta-
déurs ,. qu’ils ne dévoient pas coiripter fur le fe-
coiirs des princes Ieiifs. ;voifins, rêfolurent de nè
pas préfenter la bataille , & de. ne pas faire de guerre
ouverte ; mais de céder à l’ennemi, de fe retirer