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dation de l’Arabie. On le vendait toujonrs très-
cher & le prix s’en eft foutenu dans l’Orient
iniques aux derniers fiècles. Quand les Vénitiens
faifoient le commerce des Indes par la vote d’A lexandrie
, le baume valait encore fon poids dor.
Il croît toujours dans le meme lieu , & , je pente ,
dans la même quantité qu’il croiiioit jadis ; mais ,
parce que depuis, la découverte de l’Amérique ,
on a obtenu des produflions à-peu-près pareilles,
il eft aâuellement fort baiffé de prix;
C’eft donc les mains de la Providence , qui,
dès le commencement des fiècles, polèieut la baie
du commerce & des rapports que ces deux contrées
dévoient avoir entre elles. Les befoins de lune
étoient remplis , par ce que lui fourniffoit l’autre.
Elles n’auroient pas eu un très - long chemin a
faire , fi elles avoient pu fe communiquer par mer ,
mais des vents violens , opiniâtres . indomptables,
fembloient rendre le paffage de-l’Ocean împollible,
& nous ne devons pas douter que ce ne. rut, pendant
très-Iong-temps, la caufe par laquelle le commerce
des Indes f i feifant par terre leulement,
fe répandit dans le Continent & devint la fource
des richeffes de Sémiramis.
Cependant les produflions de 1 Arabie, toutes
précieufes qu’elles étoient , ne pouvoient ni par
k quantité, ni par la qualité, balancer celles que
lui envoyoit l’Inde. Peut-être pouvoient-elles fou-
iement payer ce qu'elle confommoit elle-meme.
Mais par-derrière fa péninfule etoit un vatte Continent
portant le nom d’Afrique ^capable d’acheter
plufieurs centaines de fois autant de marchand!!
« que l'Arabie. Placée fous la meme^one
que l’Inde , & même en partie, plus au fud, les
maladies occafionnées par le climat, & lesbêfoms
de fes nombreux habitans , étoient les memes que
dans l’Inde & en Arable. En outre , elle avoit
la mer Rouge, & diverfes communications ouvertes
au nord. , . . , ,.
Mais dans ces contrées diverfes, ni les objets
de première néceflité , ni les objets de luxe , né-
toient les mêmes que ceux de l’Europe. Et certes ,
dans les temps dont nous parlons, l’Europe n e-
toit peuplée que de bergers , de chaffeurs & de
pêcheurs, qui ne connoifibient aucune efpèce de
Inxe, ni n’avoient rien qui pût égaler te s productions
de l’Inde. Vivant-dans les bois & dans les
«narais, ils ne s’occupoient que des animaux qui
fervoient à les vêtir & à les nourrir.
Les habitans du vafte continent de 1 Afrique
avoient donc le foin de fe procurer des chofes
de néceflité & de fantaifie. Mais ils ne poffedoient
ni celles dont l’Arabie avoit befoin, ni celles que
demandoit l’Inde. Ceft du moins ce qu’ils crurent
pendant long-temps, & ce qui les empêcha alors de
s’adonner au commerce, .
Les Abyfliniens confervent une tradition quils
difent avoir eue de temps immémorial, & qui eft
également reçue parmi les juifs & parmi les chrétiens
: c’eft que, peu de temps apres le deluge ,
Cush, petit - fils de Noé par Cham , pafia avec
fa famille par la baffe Egypte , alors inhabitée,
traverfa l’Atbara ( contrée aôluelle deFAbyffimie,
au fud dé l’Egypte) , & vint jufqu’aùx terres élevées
qui féparent le pays enfoncé d’Atbara , de«
hautes montagnes d’Abylfmie.
En jetant les yeux fur une bonne carte , on
peut voir une chaîne de montagnes qui commence
à i’ifthme de Suez , fe prolonge comme une muraille
à environ quarante milles de la mer Rouge ,
jufqu’à ce qu’arrivant par le 13 e degré de latitude
, il fe divife en deux branches. L’une fuit
les frontières du nord de l’AbylEnie, traverfe le
Nil , & s’étend, en traverlant l’Afrique, jufqu’aùx
bords de l'Océan Atlantique. L’aiure va du côté
du fud , & tourne à l’eft , confervant une direction
parallèle au golfe Arabique. Enfui te 'elle s’avance
encore au fud tout le long de l’Océan
Indien , de la même manière qu’elle a fuivi la
mer Rouge.
La tradition Abyffinienne rapporte que Cush;
& fa famille , épouvantés par l’événement terrible
du déluge , toujours préfent à leur mémoire ,
. & appréhendant d’éprouver de nouveau un pareil
malheur , aimèrent mieux habiter des cavernes
dans le flanc des montagnes , que de s’établir dans
les plaines. Il eft plus que probable que, bientôt
après leur arrivée , témoins des pluies du tropique
, qui excèdent ordinairement en durée celles
qui occafionnèrent le déluge, ils obfervèrent qu’en
traverfant l’Atbara , c’eft-à-dire , cette partie de
la Nubie aéhielle fituée entre le Nil & FAfta'bo-
ras, & qu’on a depuis nommée Méroé, ils étoient
tombés d’un climat très-fec, qu’ils avoient rencontré
d’abord ; qu’ils étoient parvenus , dis-je , dans
un climat très pluvieux , & que les pluies augment
e n t même à mefttre qu’ils avançoient vers le
fud ; ce qui leur fit préférer de s’arrêter aux premières
montagnes , ou le pays étoit fertile &
agréable, plutôt que d’aller plus loin rifquer d’être
engloutis dans une terre fubmergée, qui pourroit
être auffi fatale à leur poftérké, que la terre habitée
par Noë l’avoit été à leurs pères.
Ce n’eft qu’une conjeâure probable que je me
permets d’expofer : car les motifs qui déterminèrent
la famille de Cush ne peuvent certainement
pas être connus. Mais ce qui eft indubitable, c’eft
que cette race d’hommes fe creufa , avec une
induftrie étonnante, & avec dés outils qui nous
fontabfolument inconnu« , des demeures non moins
commodes qu’admirables, dans le fein des montagnes
de marbre & de granit ; demeures qui
fe font cohfervées en grand nombre tout entières
jufqu’à ce jour, & qui femblent devoir refter de
même jufqu’à la fin des fiècles.
Ces maifons d’une fi fingulière ftruélure, s’étendirent
bientôt dans les montagnes voifmes. Les
defeendans de Cush s’y établirent à mefure qu’ils
fe multiplièrent, & ils portèrent leur induftrie &
1 leurs arts du côté de la mer occidentale , comme
du côté de la mer de l’orient. Mais, conteris de
leur premier choix , ils n’abandonnèrent jamais
leurs cavernes pour réfider dans les plaines.
Il eft bien fingulier que S. Jérôme n’ait pas fu
où il devoit chercher les defeendans de Cufch ,
quoique l’écriture en parle aufti fouvent & aufîi
clairement que d’aucun autre peuple de l’ancien
teftament. En décrivant le cara&ère particulier
de leur pays, qui n’a jamais varié , l’écriture indique
qu’ils étoient dans le lieu que je viens de leur
fixer. Ils ont demeuré depuis, & ils font encore
à préfent dans ces mêmes montagnes, dans ces
mêmes cavernes qui ont été creufées par leurs
premiers pères. Cependant Bochard , en traitant
ce fujet ( L . i v , ch, 5 ) , y répand encore plus
d’obfcurité que fur l’Egypte. Je laifle à ceux qui
voudront examiner fon ouvrage , le foin de juger
par eux-mêmes , plutôt que d’en citer ici des paf-
fages, 'qui répandroient la confufion de fes idées
fur cette narration.
Les Abyftiniens difent encore que les enfans
de Cufch bâtirent la ville d'Axum quelque temps
avant la n ai fiance d’Àbraham. Eientôt après ils
étendirent leur colonie jufqu’à l’Atbara , où nous
favons , d’après le témoignage d’Hérodote , qu’ils
cultivèrent les fciences très - anciennement , &
avec beaucoup de fuccès. C’eft parce qu’ils s’établirent
vers le pays d’Atbara que Jofeph appelle
les habitans Méroëtes, ou, habitans de File dé
Méroë.
Les prodigieux fragmens des ftatues coloflales
„de la contellation du chien, qu’on voit encore à
Axum,prouvent fuffifàmment combien ils.croyoient
cet objet digne de leur attention ; & Séir, qui ,
dans-le langage des Troglodytes & dans celui du
pays de Meroë , fignifie chien , nous apprend pourquoi
cette province portoit le nom de Siré , & le
grand fleure qui l’aborde , celui de S iris.
Je crois entrevoir la raifôn pour laquelle , fans
abandonner leurs anciennes demeures dans les montagnes
, ils choifirent l’île de Méroë pour y bâtir
une ville (1). Il y a grande apparence qu’ils remarquèrent
qu’un défavantage pour Siré & pour
leurs cavernes qui étoient au - défions , réfui toit
de leur climat. Ils étoient au-delà des pluies du
tropique , & conféquemment gênés & interrompus
dans leurs obfervations des corps céleftes, &
dans les progrès de l’aftronomie , dont ils s’occupoient
avec tant d’ardeur. Ils durent fentir la
néceflité de bâtir Méroë peut-être plus loin d’eux
qu’ils n’auroient voulu, par la même raifb.11 qu’ils
avoient bâti A x u m dans les hautes contrées de
FAbyffine ; c’eft-à-dire , pour éviter la mouche
( appelée en abyftinien , TfaLtfalya , en arabe ,
Z im b . Mais ce mot fignifie feulement mouche,
& en grec C ynom ia , ou la mouche du chien :
(r) Les anciens ont nommé cette partie de la Nubie
î l e , parce qu’elle fe trouve entourée des eaux du Nil
à l’oueft ) & de celles de YAJiaboras à l’efi*
c e t t e mouche eft un fléau horrible dans la f-iifon
où elle paroît ) , qui les pourfuivoit par tout les
climats où les pluies du tropique tombent& oui
doit avoir réglé impérieufement, dans ces premiers
temps , les établiffemens des defeendans de Cush.
Ils partirent donc de leur pays jufques au feiziè-
rae degré de latitude , dans l’endroit où M. Bruce a
vu des ruines que Fon dit être celles de Méroë (2),
& des cavernes dans les montagnes qui font immédiatement
au-deflus, lefquelles ont indubitablement
fervi de demeures précaires aux fondateurs
de cette première école des fciences.
Il eft probable qu’après leurs premiers fuccès à
Méroë , ils ne perdirent pas de temps pour s’avancer
jufqu’à Thèbes, où,ii Fon veut, pour y revenir
; car cette ville étoit plus près de nous , au
nord du pays de Méroë. On n’eft pas fur s’ils
en venoient dire&ement ou non. Il doit s’être
écoulé très-peu de temps entre la fondation de
ces deux colonies ; car on trouve au-deffus de
Thèbes , comme au-deffus de Méroë , c’eft-à dire,
au fud de l’une & au nord de l’autre, un grand
nombre de cavernes que les nouveaux-arrivants
creufoient prefqu’au fommet de la montagne pour
leurs premières demeures, & qui font encore toutes
habitées jufqu’à ce jour. Déjà nous pouvons juger
que leurs premières craintes d’un déluge ne
les avoit pas quittés , tandis qu’ils voyoient que
toute l’Egypte pouvoit être inondée chaque année
, fans qu’il y tombât un goutte de pluie. Ils
ne fe confioient point abfolument, comme actuellement,
à la fiabilité des villes, telles que Siré
& Méroë , placées fur des colones , ou des pierres
les unes fur les autres. Ils trouvoient que leurs
excavations dans les montagnes fe faifoient avec
moins de peine , & qu’elles etoient bien plus commodes
que des maifons qu’il faut encore réparer ,
après avoir eu la peine de les; bâtir. Cependant
iis ne tardèrent pas à montrer plus de courage.
. Tandis que les defeendans de Cusch étendoient
leurs progrès d’une manière fi heureufe dans le
centre .& au nord de leur territoire , leurs frères,
placés dans le fud , ne reftoient point oififs.
Ils s’àvançoient au contraire dans les montagnes
qui fe prolongent parallèlement au golfe d’Arabie.
Ce pays fut, dans tous les temps, appelé S a b a
ou A ^ a b a , mots qui, l ’un & l’autre, fignifient le
fud. Il ne portoit pas ce nom, parce qu’il étoit,
comme l’ont dit quelques auteurs , .au fud.,de Jé-
rufalem 3 mais parce qu’il étoit fur la côte méridionale
du golfe d’Arabie , & qu’en partant d’Arabie
& d’Egypte, c’étoit la première terre au fud,
qui fervoit de frontière au continent d’Afrique,
plus riche alors , plus important & plus connu
que le refte du monde.
En s’êtablifiant dans ce pays , ce peuple acquit
la propriété de tous les parfums & les aromates
(2) Au lieu nommé Gerri.