voyèrent des ambaffadeurs dans la Grèce , à
Athènes & à Lacédémone , pour prier ces deux
villes de favorifer leur retour dans leur patrie , &
de groffir même par une colonie Grecque, le nombre
de leurs concitoyens. Les Spartiates n’acceptèrent
pas cette proprofition. Mais les Athéniens s’y
prêtèrent, & envoyèrent aux Sybarites dix vaif-
jfeaux remplis d’hommes , à la tête defquels étaient
Lampon & Zénocrite. Ils firent publier en même
temps dans tout le Pélôponèfe , qu’ils protége-
rôient cette colonie , & qu’ils favoriferoient tous -
Ceux qui vcuo’roient s’y joindre* Plufieurs fe laif-
fèrent gagner par ces offres ; & ayant confulté
l’oracle d’Apollon avant leur départ , il leur fut
répondu qu’ils dévoient bâtir une ville dans un
endroit où ils ne trouveraient qu’une médiocre
quantité d’eau, mais où ils verroient une grande
abondance de pain, #
• .Ils voguèrent donc du côté de l’Italie , & étant
arrivés à Sybaris , ils cherchèrent le lieu qui leur
étoit indiqué par l’oracle. Ils trouvèrent non loin
de Sybaris, une fontaine appelée Thurie , qui ren-
doit l’eau par un tuyau d’airain , que- les habi-
tans des environs nommoient Tonne. Jugeant que
ç’Stoit-là le lieu que l’oracle leur avoir indiqué,
ils firent une enceinte de mur, au-dedans de laquelle
ils tracèrent le plan d’une ville, dont le
terrein deveit avoir dans le fens de la longueur,
quatre* quartiers ; le premier porteront 1er nom
à’Hercule, le fécond celui de Vénus , le treifième
celui tfOlympie , & le quatrième celui de Bacchus.
Ils en deffinèrem trois autres dans le fens de la
largeur , dont l’un s'appellerait le Héros , l’autre
Thurie, & le dernier Thurin : les ayant tous divi-
fés par des rues bordées de belles maifons , la
ville parut fort bien conôruite. Mais les citoyens
ne vécurent de bonne intelligence entre eux que
peu de temps; & ils tombèrent en difeuffion pour
un fujet affez confid érable.
' Les plus anciens habitans de Sybaris s’approprièrent
toutes les charges de quelque diftinâion,
& ne. tarifèrent aux nouveaux .que les moins importantes.
Ils voulurent de même que ce fuffent
leurs femmes qui facrifiaffent les premières aux
dieux, & que celles des autres ne fuffent admifes
qu’a près elles à cette fonéfiôn. Outre cela , ils prirent
pour eux dans la diftribution des terres, celles
■ qui fe trouvoient les plus proches de là ville ,
en abandonnant les plus éloignées à ceux qu’ils
appeloient les étrangers , ou fe derniers venus.
L’animcfité de ceux - ci alla fi loin, .qu’étant en
bien plus grand nombre, & ayant bien plus de
valeur que les anciens, ils les tuèrent prefque tous ,
& demeurèrent feuls poffeffeurs d’une grande enceinte
de murailles.
Cependant, comme la campagne des environs
étoit auffi fort étendue , ils firent venir de la
Grèce un grand nombre de familles , ayec'lesquelles
ils partagèrent & les maifons de la ville
& la campagne qui l’environnoit. Les uns & les
autres devinrent bientôt très - opufens ; & ayaffe
fait alliance avec les Cfotoniates , ils fe con d u it
rent en tout d’une manière qui feur acquit de la
réputation. Ils établirent parmi eux le gouvernement
démocratique & partagèrent tous les- citoyens
en dix tribus ,■ auxquelles ils donnèrent le
nom des nations dont ils ferraient. Ils- nommée
rent, par exemple, Arcadique, Achaique &- Eléenne
les trois tribus formées de ceux qui venorent de;
ces trois provinces du Péloponèfe , & Béotienne ÿ
Amphittionique & Dorique , trois- autres tribus*
tirées des provinces voffsnes qui portoient ce
nom.
Les quatre'dernières s’appelèrent Jades , Atlic*
unique, Cuboïque & N e jîo tis par une raifon fem-
btable.
Ils choifirent pour légiflateur Charondas, lTiom--
me de fon temps le plus eftimé dans la fcience-
des moeurs. Celui-ci , ayant examiné à fond les
loix de tous les pays ,- chôifit pour fa patrie les
plus fages & les plus convenables. Il en ajouta
d’autres tirées de fes propres méditations. Nous
rapporterons ici quelques-unes de celles où nous
croyons que .les le&eurs pourront trouver quel*?
qu’utilité. Diod^ Sicul. p. 295.
Loix de Charondas»
Charondas régla d’abord que ceux qui donner
roient une belle-mère à leurs enfàns , feraient
exclus de tout confeil public ; jugeant que les
hommes capables de rendre un fi mauvais fervice
à leur famille , feroient mal intentionnés pour leur
patrie. Car , difoit-il , fi leur premier mariage a
été heureux, ils dévoient s’en tenir là ; & fi au.
contraire , il a été malheureux , il faut qu’ils aient
été bien infenfés pour en rifquer un fécond.
Il ordonna enfuite que tous. ceux qui feroient
convaincus de calomnie, feroient conduits par les
rues, portant fur la tête une couronne de tamarin ,
comme pour faire voir à tout le monde qu’ils
étoient parvenus au premier rang de la méchanceté.
Quelques-uns de ceux qui avoient été condamnés
à cette fâcheufe efpèce de triomphe , fe
donnèrent la mort pour en prévenir l’ignominie.,
Ce genre de malfaiteur ayant été exterminé de
la ville, par ce moyen on y mena une vie tranquille
& heureufe.
Charondas en ce même temps , par une précaution
que les légiflateurs paroiffoient avoir négligée
, publia une loi contre la fréquentation des
méchants. II.étoit perfuadé que l’habitude & l’amitié
que les hommes nés les plus vertueux y
avoient contraéfées avec des gens de mauvaifes
moeurs, les avoient fouvent corrompus eux-mêmes 9
& que ce commerce contagieux faifoit infenfible-
ment un grand ravage parmi des citoyens. Car 9
enfin, difoit-il, la pente vers le mal eft très-grand ;
& plufieurs de ceux même qui avoient d’abord
aimé la vertu , fe font tarifés entraîner par l’ap->
pat des fédu&ions fecrètes jufqu’aux plus grands
vices. Le légiflateur voulant prévenir cette per-
verfion, défendit donc par fes loix toute liaifon
.avec les médians ; il fit des réglemens particuliers
à ce fujet , & menaça de grandes peines ceux
qui en rranfgrefferoient quelques articles. Il établit
une autre loi non moins importante, & oubliée
auffi par tous ceux qui l’ont précédé. Il ôrdonna
une tous les fils de famille apprendraient à lire &
à écrire fous des maîtres gagés par le public. Car
il jugeoit bien que fans cette condition , ceux
•dont les parens ne feroient pas en état de payer
les maîtres ^ feroient privés de cet avantage. Il
étoit perfuadé avec raifon que cette connoiffance
doit précéder toutes les autres. Car , c’eft par
l’écriture que' s’exécutent toutes les chofes les
plus utiles de la vie ; les ferutins pour les nominations
aux charges, les lettres miffives , les dif-
pofitions teffamentaires, l’inftitution des loix , &
tout ce qui entretient la fociété. En effet, qui pourrait
jamais raffembler dans un éloge complet toutes
les utilités de cet art ? C ’eft par lui feul que les
aérions des mohs illuftres ’demeurent dans la mémoire
des vivans ; que ceux qui font les plus fé-
parés les uns des autres, par ia diftance des lieux,
fe rendent préfens à leurs amis , & converfent
avec eux ; que les guerres les plus vives fe ter-
•jninent entre les rois & les nations , & fe changent
par la foi des traités & des fignatures mutuelles,
en une paix folide & durable ; que les
fentences & les maximes des fages, les réponfes
des dieux , les leçons de toute efpèce de philo-
fophie ,-paffent dans tous les pays, & font tranf-
■ mifes à la poftérité la plus éloignée. En un mot,
c’eft la nature qui nous a donné la vie. Mais ,
l’écriture feule nous a appris à bien vivre. Ce
font là les rjeheffes que Charondas voulut procurer
à fés citoyens ; & il crut qu’un foin fi important
étoit digne de l’attention & des dépenfes
même de la république. Il a par ce réglement
autant furpaffé les légiflateurs qui ©nt voulu que
les médecins fuffent payés par le public, que la
guérifon des âmes par l’inftruéfion eft fupérieure
à celle des corps par les remèdes. Nous fouhai-
•tons d’ailleurs de n’aVoir jamais befoin des médecins
, au lieu que nous cherchons continuellement
ceux qui peuvent nous inftruire.
Au refte, plufieurs poètes ont célébré dans leurs
vers les deux premières d’entre les loix que nous
venons de rapporter ; nous, avons encore ceux-ci
a,u fujet de la fréquentation des médians.
Je m’épargne le foin d’éprouver par lui-même
Celui qui s’affocie aux hommes vicieux -,
Quand il feroit bien né, ce choix pernicieux
Le rendra tel que ceux qu’il aime.
En voici d’autres, où l’on fait parler ainfi ce
légiflateur contre les féconds mariages , ou l’intro-
'duérion des belles-mères*
Quiconque à fes enfans préfente une marâtre,
D ’aucun emploi public n’illuftrera fon nom ;
Il feroit dé fa ville un tragique théâtre,
Comme il le fait de fa maifon.
Si ton premier hymen féconda ton. envie,
C’étoit affez pour toi-*, mais s’il fut malheureux,
Infenfé“, falloir—il dans le cours d’une vie
Tenter deux fois un fort affreux ?
Charondas établit une autre loi pour l’éducation
des orphelins. Sur la fimple expofition, on
n’en apperçoit pas bien le motif; mais à la confidérer
attentivement, elle marque une grande prévoyance
dans fon auteur , & mérite beaucoup d’éloges ;
elle ordonne que les biens des orphelins feront
admiaiftrés par les parens les plus proches du côté
du père , & que les orphelins eux-mêmes foient
élevés par les parens. les plus proches du côté de
la mère. On ne voit pas d’abord le fondement
de cette diftinérion. Mais, en cherchant attentivement
pourquoi lé légiflateur veut que les biens
foient gouvernes par les uns , & les enfàns même
par les autres, on en découvre une raifon , qui
fuppofe une grande connoiffance du çgeur de
L’homme. Car les parens de la mère n’ayant rien
•à. efpérer de la fucceffion des enfans , n’auront
aucun intérêt à rien entreprendre contre leur vie ;
& les parens du père , n’ayant point ces enfans
chez eux, ne feront pas à portée de rien attenter
quand ils le voudraient, contre leurs perfonnés.
D’un autre côté , comme les parens paternels font
héritiers de ces enfans, en cas que la maladie ,ou
d’autres accidens lès enlèvent dans leur jêuneffe,
ils veilleront avec plus de foin à la confervation
des biens qui peuvent un jour leur revenir.
Une autre îoî de Charondas eft portée contre
ceux qui quittent leur rang à l’armée, ou qui re-
fufent de prendre, les armes pour le fervice de la
patrie.
Au lieu que les autres légiflateurs ont décerné
la peine de mort contre cette lâcheté ; celui-ci
condamne les coupables à être expofés trois jours
de fuite dans la place publique , en habits de femme.
Outre qu’il y a quelque chofe de moins
cruel dans cette punition, elle infpire peu à peu du
courage par la crainte d’une ignominie, qui a quelque
chofe de plus fâcheux que la mort même. D’ailleurs,
cette loi couferve des citoyens, qui peuvent
être encore utiles , même pour la guerre , par
l’empreffement qu’ils auront d’effacer leur honte
par des aérions extraordinaires.
Au refte ,• Charondas jugeoit que la rigueur étoit
le maintien des loix ; ainfi il ordonna que les
fiennes fuffent obfervées ; quand même on les
trouverait mal portées ; laiffant néanmoins le droit,
de les corriger , fous certaines conditions que nous
indiquerons plus bas. Mais il partoit de ce principe
, qu’il étoit auffi avantageux de fe foumettre
à la lo i, qu’il eft dangereux de la foumettre elle