
il les aglutine fi bien & avec tant de force, qu’il
en forme cette efpèce de pierre que l’on appelle
poulding. Elle eft fi dure, qu'il eft très*-difficile de
la tailler ; & quand on veut la polir, ce gluten
rélifte bien davantage que les cailloux.
Mais puifque je donne en partie l’état phyfique
du port de Meffine, je me crois autorifé à »parler
du phénomène appelé actuellement la Fata Morgana
©u Fée Morgane. Je fais bien que les anciens n’ont pas
parlé de ce phénomène. Ce n’eft pas, je le fens bien,
une raifon de croire qu’il n’avbit pas lieu , ou qu’il
avoit échappé à leurs obfervations ; cependant c’eft
une probabilité allez plaufible. Le P. Kirker a
expliqué ce fait, d’après les principes, de la catop-
trique ; & ces loix étant ' immuables, on feroit
tenté de croire que la Fata Morgana a dû être
connue des anciens. M. Swinburn, dans fon
excellent voyage au royaume des Deux-Siciles,
. expofe feulement ce qui a été vu de Reggio par
un religieux, & s’en tient à l’explication du
P. Kirker. Enfin, M. Hoüel, dans fon -admirable
voyage fur la Sicile, ayant obfervé ce même
phénomène de la ville de Meffine, en a donné une
explication très - ingénieufe, & qui peut très-bien
fervir à nous perfuader que les anciens ne l’ont pas
connue. J’obferverai en paflamt, que M. Swinburn
n’en parle que comme ne devant être apperçue que
de Reggio. Voici la defcription qu’il en donne
d’après le P. Angelucci.
«L e 15 d’âoût 16433 étant à ma fenêtre, je
» fus furpris par une vifion fort étonnante & fort
» agréable. La mer qui baigne les côtes de la Sicile
» s’enfla tout-à-coup, & parut, dans une étendue
» de dix milles, fèmblable à une ohaîne de mon1-
» tagnes obfcures, tandis que les eaiix du rivage
» de la Calabre relièrent tout-à-fait unies, & me
» paroiffoient' comme un miroir parfaitement poli,
» appuyé contre ce rideau de collines. Sur cette
» glace on voyoit fe peindre, en clair-obfcur,. un
» cordon de plufieurs mille pilaftres tous égaux en
»hauteur, en diftance, en degré de lumière &
» d’ombre ; dans un moment ils perdirent la moitié
»de leur hauteur, & fe transformèrent en caf-
» cades, femblables aux aqueducs romains. On
« voyoit régner une longue corniche au fommet,
» & au-deflus il s’élevoit des châteaux innom-
»brables, tous parfaitement pareils. Ils prirent
» bientôt la forme de fimples tours : celles-ci de-
» vinrent des colonnes, enfuite des fenêtres, puis
» enfin des pins, des cyprès & d’autres arbres,
»tous égaux & femblables. Telle eft, ajoute le
» P. 'Angelucci, la Fata Morgana, que depuis vingt-
» fix ans je regardois comme une fable ».
M. Swinburn ajoute enfuite qu’entre autres
çaufes, le fpeâateur doit tourner le dos à l’eft ;
mais en ne difant pas que cette condition ne regarde
que ceux qui font en Calabre, cela feroit
croire que l’on ne peut l’appercevoir de la Sicile :
cependant il s’apperçoit également de ce côté. Voici
ce qu’en dit M. Hoüel, & l’explication ingénieufe
qu’il .en donne :
« Ce phénomène , dit M. Hoüel, s’obferve
».du port de Meffine j & dans fes environs, à une
» certaine hauteur. Il fe reproduit dans des efpaces
» de temps irréguliers : il dépend du concours de
» différentes circonftances , fur-tout de la chaleur
» & de la tranquillité de l’atmofphère ».
• Beaucoup de voyageurs en ont parlé: voici le fait.
« Dans les beaux jours d’é té, lorfque, le temps
» eft calme , il s’élève au-deffus du grand courant
»une vapeur qui fe combine avec l ’atmofphère,
» & qui acquiert une certaine denfité ; de forte
» qu’elle parvient à y former des prifmes horizon-
» taux, dont les faces font tellement difpofées,
» que lorfqu’elles font arrivées à leur degré de
» perfeûion , elles réfléchiffent/& repréfentent fuc-
» ceffivement, pendant quelque temps , comme un
» miroir mobile , les objets qui font fur le rivage,
» ou dans les campagnes. On y voit tour-à-toùr
» la v ille, les fauxbourgs,. les arbres, les animaux,
» les hommes, les montagnes : ce font de véritables
» tableaux aériens & mouvans.
» Il y a quelquefois deux prifmes également par-
» faits : ils reftent dans cet état pendant huit ou
» dix minutés. Alors on voit fur les faces du prifme
» des inégalités brillantes, qui confondent à l’oeil
»les objets qui'étoient fi bien repréfentés, & le
» tableau difparoît, La vapeur même fe combine
» autrement, & fe diffipe dans le vague de l’àir ».
Voici comment ce même auteur explique la caufe
phyfique de ce phénomène.
«Après avoir long-temps cherché l’origine de
» ce phénomène, je me fuis perfuadé qu’il doit
» fon exiftence aux parties les plus fubules de ce
» bitumequi forme les pouldings dont on a parlé
» précédemment; que ce bitume, en s’étendant fur
» la furface des eaux s’atténue, fe combine,. fe
» volatilife & s’évapore avec les globules ^aqueux
» que l’air enlève dans l’atmofphère ; & que, don-
» nant à la vapeur condenfée un peu plus de corps,
» fes faces liftes forment une efpèce dè cryftal
» aérien qui reçoit la lumière, qui la réfléchit à
» l’oeil, & qui lui rapporte tous les points lumineux
» qui colorent les objets, & qui les rendent fenfibles
» à la vue ». Il y a auffi une Fata Morgana au lac
bitumineux de Palica. ( Voye^ ci-après ).
L’intérieur de la Sicile eft hérifle de montagnes.
Les anciens nous ont fait connoître, en allant de
l’oueft à l’eft :
Le mont Eryx, près de la mer & de Drapanum ;
il étoit célèbre par un temple de Vénus.
Le mont Cratas , dans la partie feptentrionale,
& dans lequel fe trouvoient les fources du fleuve
Éleutherus & Himera, & même celles de l'Hipfa,
qui couloit au fud.
Les Gemelli colles, plus méridionales que la chaîne
du Cratas, & où fé trouvoient, entre autres fources,
celles du Camicus , qui tomboit dans la mer à
Heraclcea Minoa.
Les monts Ncbrodes forment une chaîne du fud
au nord, à l’eft des precedentes. . t
Le mont Maro, plus à l’eft, & bordant a 1 ouelt
une des branches qui forment VHimtra méridional.
Les monts Htrxi, du fud au nord, entre les
[ fources de l’Himera à l’oueft, Si celles deSimthus à
’ l’eft. 1
Enfin le célébré mont Etna, connu dans la
géographie moderne fous le nom de Gibel. Je ne
répéterai pas ce que tj’ai déjà dit, que les mythologues
en avoient fait la^ demeure des cydopes ;
mais je donnerai fa hauteur aétuelle, & les époques
de fes terribles éruptions. Ce relevé fera , je crois,
d’autant plus intéreflant, que dans la géographie
moderne de cet ouvrage, on ne parlé que de
qüélques-unes, & que l ’on ne donne pas la hauteur
de ce mont.
La hauteur de l’Etna, mefuré avec lé plus grand
foin, & donnée à M. Hoüel, eft de 1672 toifes
-au-defliis du niveau de la mer.
Quant à fes éruptions, elles doivent être fort
anciennes , puifque les méditations les plus profondes
fur èet objet^ 8£ l’examen le plus attentif
du local, déterminent à croire que cette montagne
terrible s’eft formée elle-même , & qu’elle eft fortie
de fon fein par les efforts du feu qui a fucceffi-
vement jeté fur terre 8c, autour des bouches du
cratère, toutés les matières qui s’étendent aéluel-
lement à une fi grande hauteur, & qui ont une
bafe fi étendue: mais voici l’indication de celles
qui font connues.
i°. La première éruptiori du mont Etna connue
dans l’hiftoire, eft celle dont parle Diodore , fans
en fixer l’époque. Cette éruption, dit-ilk^i força les
Sicaniens, habitans alors de la Sicile, à déferter
la partie orientale de Pile ,& à fe retirer dans la partie
occidentale. Long-tèmps après, les Siciles, peuples
d’Italie, pafîerent dans la Sicanie, & occupèrent
le territoire que les Sicaniens avoient abandonné.
20. La fécondé éruption connue, eft la première
des trois dont parle Thucydide, fans en fixer les époques.
Il fe contente de dire que c’eft depuis l’arrivée
des colonies grecques en Sicile, où elles vinrent
s’établir dans la onzième olympiade ( qui répond
à l’an 734 avant l’ère vulgaire) , jufqu’à la quatre-
vingt-huitième, c’eft-à-dire, à l’an 425 de notre
ère. Cette fécondé éruption arriva, félon Eufèbe,
au temps de Phalaris, l’an '565 avant notre ère.
Cette epoque eft confirmée par une lettre de ce
tyran aux habitans de Catane,, & par la réponfe
de ces derniers. Ces deux pièces font rapportées
par Diodore. ,
30. La troifième^ qui eft la fécondé des trois
rapportées par Thucydide , arriva dans la foixante-
quinzième olympiade, ou l’an 477 avant noire
•ère; Xantippe étoit archonte d’Athènes. Ce fut
i auffi cette même année que les Athéniens remportèrent
une grande viélolre auprès de Platée ,
fur Mardonius, général des troupes de Xerxès,
Gi de Ptrfe. Une médaille antique fut gravée &
frappée en mémoire d’un fait qui ne nous paroît
cependant que bien naturel, & qui apparemment
fut alors un objet d’admiration. Deux jeunes gens
enlevèrent du milieu des flammes les auteurs
de leurs jours : ils fe nommoient Amphinomus &
Anapius. On leur .éleva à Catane un temple, &
ils y reçurent les honneurs divins. Plufieurs anciens
ont parlé de ce fait, confacré auffi par les vers
de Cornélius Severus.
Amphinomus, fraterque , pari fub munere fortes,
Cum jam vicinis Jlreperent incendia te£lis,
Accipiunt pigrumque patrem, matrtmqut ftniltm.
40. La quatrième, qui eft la troifième & la dernière
de celles dont parle Thucydide, fit fentir fes
ravages dans la quatre-vingt-huitième olympiade,
ou l’an 41Ç de notre ère. Cette éruption dévafta
le territoire.de Catane.
50. La cinquième eft celle dont parlent Julius
Obfequens & Orofe, qui la place fous le confulat
de Sergius Fluvius Flaccus , & Q . Calp. Pifo ,
l’an 133 avant l’ère chrétienne. Cette éruption fut
confidérable, & n’eut rien de plus particulier que
les autres.
6®. Sous le confulat de L. Æmil. Lepidus &
L. Auf. Qreftes, ou l’an du monde 125 avant
notre ère, la Sicile éprouva un violent tremble-'
ment de terre. L’Etna vomit un fi grand déluge
de feu, que la mer voifine en fut échauffée. Orofe
dit qu’une quantité prodigieufe de poiflons périrent.
Julius Obfequens rapporte qu’à cette époque la
pefte infefta les îles de Lipari, parce que les habitans
avoient mangé une trop grande quantité de
ces poiflons jetés morts fur leurs côtes.
7°. Quatre ans après, une autre éruption , non
moins violente, exerça fes foreurs fur la ville de
Catane. On. lit dans. Orofe que les toits des
maifons de cette ville s’affaiffoient fous le poids
des cendres brûlantes qui les couvroient. Elle
éprouva les plus grands ravages ; & pour la réparer,
les Romains accordèrent aux habitans de cette
v ille , qui dépendoit alors de la république, une
exemption d’impôts pour dix ans.
8°. Peu de temps avant la mort de Céfar, l’an
43 avant J. C ., il fe fit éruption de l’Etna. Tite-
Live en parle. Elle n’eut rien de particulier ; &
les fots de ce temps, la regardèrent comme un
figne qui avoit annoncé la mort de Céfar.
9°. Suétone parle, dans la vie de Caligula, d’une
éruption de l’Etna, qui arriva vers l’an 40 de l’ère
chrétienne. Pendant la nuit, l’empereur s’enfuit de
Meffine, où il étoit alors.
io°. Carrera dit qu’il y eut, l’an 253 , une
éruption de l’Etna. .
1 1°. En 1169, le 4 février , à la pointe du jour, il
y eut dans la Sicile un. tremblement de terre qui
le fit fentir jufqu’à Reggio, de l’autre côté du détroit.
Catane fut renverlée ; plus de quinze mille perfonnes
y périrent. L’évêque fut enfeveli avec quarante-
O z