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' On pourrait faire, il eft vrai, deux objeâions : en voici la réponfe.
La première porterait fur la latitude de Sera, que Ptolémée place à 40°, 55' ( 8c
non à 38°, 35', comme fes Tables aûuelles le' portent ) , quoique Seri-nagar ne foit
qu’à 3 10.
L ’erreur des anciens tient ici à deux caufes, d’abord fà l’opinion conftamment reçue
parmi eux, que la grande chaîne de l’Afie fe foutenoit à la hauteur du parallèle de R hodes,
vers le trente-lixième degré ; 8c que la Sérique devoit être placée plus au nord que cette
chaîne. Enfuite, au récit des voyageurs ; ceux-ci affirmoient que le climat de la Sérique
étoit fro id, qu’il étoit expofé à des hivers très-rudes, 8c à des vents impétueux ; d’où
l’on concluoit que le climat de la Sérique ne pouvoit pas être moins élevé que celui de
i ’Hélefpont, où les mêmes viciflitudes fe rencontraient.
Pour fe convaincre de la rigueur du froid que l’on éprouve dans la partie de l’Afie où
le citoyen Goffelin place la Sérique, il fuffit d’examiner la grande élévation du fol. Le
Seri-nagar en particulier, 8c le .Tibet en général, eft le point le plus élevé de l’Afie. C’eft-là
que 'i Indus, le Gange, le Gugra, le Brama-pontren, 8c d’autres fleuves confidérables
prennent leurs fources au milieu des rochers, dont la hauteur 6c l’afpeâ font frémir, du
moins à ce qu’en1 difènt les. voyageurs. *
Les P. P. Verbriefl 8c Gerbillon, en pénétrant dans la Tartarie, à la fuite de l’empereur
de la C h in e , obfervèrent qu’à mefure qu’ils s’éloignoient de Pékin, vers l’occident, le
terrein alloit toujours en s’élevant ; 8c qu’à trois cents milles feulement de cette capitale ,
le fol étoit déjà élevé de trois mille pas géométriques au-deffus du niveau de la mer:
cette hauteur eft plus confidérable que le fommet du Mont-Blanc, l’un des,points les plus
élevés de l’Europe.
Le froid eft fi violent dans le T ib e t, qu’à Chaemanning, ville fituee à 3 1°, 39; de latitude
, M. Bogie v it tomber beaucoup, de neige au milieu d Avril ; toutes les eaux dormantes
étoient gelées , 8c il trouva dans là chambre le thermomètre de Fahrenheit a 29°
1 au-deffous de la glace. 1
Les 19 degrés de cette graduation répondent à 12 degrés f de celle de Réaumur ; ainfi,
le froid que M. Bogie éprouvoit dans fa chambre, étoit égal, à 2® \ près, à celui que l ’on
- éprouvoit à Paris, en plein a ir , dans l’hiver rigoureux de 1776.
Ces exemples fufiifent, fans doute, pour faire voir que les intempéries, dans le Seri-
, nagar , font aulîi grandes que celles que les anciens difent avoir effuyées dans la Sérique.
Les faits que l’on vient de rapporter expliquent comment, en évaluant la latitude de la
Sérique, d’après le froid que l’on y éprouvoit, on a pu conclure fa hauteur beaucoup
plus feptentrionale qu’elle ne l*eft réellement.
La fécondé objeâion que l’on doit prévenir, porte fur la grande diftance que met
Ptolémée entre le méridien des fources du Gange 8c celui de Sera : diftance qu il évalué à
40 degrés de longitude, quoique le citoyen Goffelin foutienne que Sera ait été peu éloi—
. gnée du Gange.
Cette erreur tient auffi à deux caufes, i° , à une fauffe évaluation de la longueur de la
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route qui eonduifoit à Sera; 20. à la manière dont la Sérique étoit orientée dans les cartes
des anciens.
La route depuis la four de Pierre jufqu’à Sera, durait fept mois, 8c on l’évaluoit à
36,000 ftades. Suivant la graduation adoptée par Marin de Tyr , les voyageurs auraient
fait, fans nulle interruption , 8 lieues~8c \ par jour en ligne droite, oit moitié feulement,
d’après la réduâion que Ptolémée a cru devoir adôpter dans le calcul de Marin de Tyr.
Mais cette réduâion, quelque confidérable .qu’elle le paroiffe, s’éloigne encore beaucoup
de la marche des caravanes dans ces contrées. Il paraît, par plufieurs voyageurs,
8c par trois, entre autres, que l’on a employé 262 jours pour avancer feulement de 47
lieues en ligne droite : le terme moyen eft d’une lieue 8c{ par jour; 8c cette donnée,
appliquée à la diftance réelle, entre le pays de Sakita, où étoit la tour de Pierre, 8c Seri-
nagar , fait voir que les anciens ont pu employer fept mois à ce voyage.
Quant à l’emplaceînent de Sera, par rapport au Gange, on obferve que Ptolémée n’a
pu fe procurer des renfeignemens fur la Sérique , que par les voyageurs qui y pénétraient
du côté de la Badriane 8c de la Scythie ; ignorant d’ailleurs que le Gange eût fes fources
bien au-delà des montagnes où il les a placées , il n’a pu reconnoître dans le fleuve de la'
Sérique la partie fiipérieure du Gange, dont il n’avoit aucune connoiffance, 8c qu’il ne .
pouvoit pas même foupçonner ; cependant tout femble fe réunir pour prouver que le
fleuve Bautes de Ptolémée, n’eft autre çhofe que cette portion du Gange, comprife entre
le Gangotri 8c Hardonar.
D’abord, le cours du Bautes, tracé parallèlement à la grande .chaîne de l’Afie dans la
carte de Ptolémée, a néceffairement participé de l’erreur commife dans la direâion des
montagnes : j’ai fait voir, dit le citoyen Goffelin, que ces montagnes 8c la Serique de cet
auteur, péchoient par la manière dont elles font orientées , 8c qu’il aurait dû leur donner
une forte inclinaifon au midi. En jetant les yeux fur les cartes , dreffées par ce citoyen,
on fe convaincra que .cette inclinaifon rendrait au cours du Bautes la même direâion
què la partie du Gange à laquelle il la rapporte.
Secondement, fi l’on remarque que, dans Ptolémée, le cours du Bautes eft interrompu
au point où il pénètre la chaîne d’Afie, nommée en cet endroit Serici-montes ; 8c que.cette
partie de la grande chaîne que le Gange traverfe, eft encore nommée'aujourd’hui Sera-lick;
on y reconnoîtra une identité de nom 8c de circonftance à laquelle il fera difficile de fe
refufer.
Troifièmement, la pofition de Sera, à une petite diftance du Bautes 8c du lieu où il fe
perd dans les montagnes, fe rapporte parfaitement à la fituation de Seri-nagar,-relativement
au Gange 8c aux défilés qu’il traverfe pour arriver à Hardonar.
Quatrièmement enfin, Ammien-Marcellin a été inftruit que le Gange couloit dans la
Sérique, puifqu’il a dit que les Seres s’étendoient jufqu’à l’Inde 8c jufqu-au Gange : A d
ufque lndiam porreclus & Gangem : aâuellement, fi l’on recherche quels étoient les objets
de commetce qui attiraient les anciens dans le Seri-nagar, fur les frontières du Tibet,
on trouvera ;
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