
apparence la religion mahométane, mais en négligeant
tout-à-fait les préceptes. Il ajoute enfuite
que le fultan Mourad ou Amurath IV, obligea quelques
bandes de ces peuples de paffer en Europe ;
iil les mit en poffefîion des plaines fituées entre
les différentes montagnes de la chaîne du mont
Hoemus, que les Turcs nomment aujourd’hui
Tchenghe-Balkan, depuis la ville à'Actos .jufques à Philippopolis.
Les Athingans ou Tchinganès font en très-grand
nombre aujourd’hui dans tout l’empire Ottoman ;
mais ils font principalement répandus dans la Romélie
ou Turquie en Europe; on en trouve une
prodigieufe multitude dans toute la Thrace & la
Bulgarie, dans la Walachie & la Moldavie, la
Beffarabie 8c tous les états du khan des Tar-
tares. Ils habitent particuliérement au midi du Danube
, dans le Tchenghé-Balkan, où le fultan
Amurath IV les avoit confinés. Ils s’occupent à
la culture des terres 8c aux ouvrages de forge,
qui font un très-grand \objet de commerce dans
la Bulgarie. Leurs femmes & leurg filles s’appliquent
ordinairement à acquérir & perfectionner
les talens des courtifannes de Turquie, la mufique
vocale & inftrumentale, & la danfe lafcive ;
elles fe proftituent fouvent aux paffans; il y a
même dans toute la Romélie des lieux publics
remplis de femmes bohémiennes, parmi lefqueiles j
on en trouve quelquefois d’extrêmement féduiiantes. j
Dans la Walaquie la -forge eff l’unique occupation
des Bohémiens ; ils ont obtenu du vaivode , avec
privilège exclufif, la ferme de l’or que produit
la rivière de Bouçtw. Ils en retirent une affez
grande quantité, en grains 8c en paillettes,, qu’ils
trouvent dans le fable & le limon. qui forment ,1e
lit de cette rivière. En Moldavie ils font tous
. efclaves ; les feigneurs du pays les emploient à
la culture de leurs terres, 8c à toutes fortes de
fervices ; ils en trafiquent' même entre eux, & les
vendent à très - vil prix ; mais ils ne veulent pas
que les étrangers en achètent, & ils fe font une
peine de les laiffer fortir du pays. En paffant à Jafly,
capitale de la Moldavie , j’eus envie d’en, acheter
un qui étoit rempli de talens, 8c divertiffant à
l’excès ; on me Pauroit cédé par grâce fpéciale ;
mais un François qui fe trouvoit là , me diffuada
de m’en charger , & m’affura que ces fortes
d’efclaves ne font pas fufceptibles d’attachement
envers qui que ce foit ; que non-feulement ils
s’enfuient dès qu’ils en trouvent l’occafion , mais
qu’ils pouffent fouvent l’infidélité, jufques à voler
& affafiiner leurs maîtres.
Ces Athingans ou Bohémiens ne forment plus
dans l’empire Ottoman une fefte particulière, ils
embraffent la religion des peuples qui les fouffrent
chez eux y & avec lefquels ils vivent ; mais ils
mêlent à la religion qu’ils profeffent les infâmes
fuperftitions qu’ils^ ont reçues par la tradition de
leurs pères. Ils font chrétiens dans la Walaquie
& h Moldavie, 8t mahométans dans les états du
khan des Tartares, 8c dans toute la Romélïe*
Le mot de Romélie, en Turc Roumili, eft Te
nom que les Mahométans - Sarrafins donnoient
aux pays dépendans des Romains où des Grecs.
Les Turcs appellent encore ces derniers Roums St
Ouroums, 8c la Turquie en Europe Roumili ; parce
que lorfqu’ils conquirent Conftantinople, Fempire
Romain étoit réduit pour tout domaine à une
fimple partie de cette région de l’Europe. Le nom
de Roumili s’étendoit en effet autrefois à l’Afie
mineure, lorfqu’elle appartenoit aux empereurs
Grecs; la ville à'Erçerom a tiré fon nom de Arç
Roum, qui fignifie le territoire ou le champ des
Romains, parce que cette ville étoit effeélivement
alors la plus avancée du domaine des Romains en
Afie, Les Mahométans ont toujours iconfervé aux
Grecs le nom de Romains, qu’ils, affe&oient de
fe donner eux-mêmes, pour relever Conftantinople
comme la nouvelle Rome. L’an 968., Luitprand,
évêque de Crémone, ayant été envoyé à Conftantinople
par l’empereur Othon, pour’ demander
à Nicéphore Phocas, une fille de l’empereur Ro-
main-le-Jéune, pour le jeune Othon, ce prélat
fe trouvoit un jour à table avec l’empereur Grec j
il fut piqué de ce que ce prince lui avoit reprodié
que fes compatriotes n’étoient pas des Romains,
mais des Lombards & des Barbares. Il répondit
à l’empereur : « Nous autres Lombards, Saxons
» & Francs, nous n’avons pas de plus grande in-
»jure à dire à un homme que de lrappèler R o -
S>i main ; ce nom fignifie parmi nous tout ce qu’on
?» peut imaginer de bafleffe, de lâcheté, d’avarice,
» d’impureté 8c de fourberie ». Dans la même année
le pape Jean X I I , ayant envoyé des nonces à
Conftantinople avec une lettre , dans laquelle il
qualifioit Othon d’empereur des Romains &
donnoit à Nicéphore le titre d’empereur des Grecs ,
les courtifans de celui-ci s’écrièrent : « Comment la
» mer a-t-elle pu fouffrir un tel blafphême fans
» engloutir le vaifféàu qui le portoit ? Le pape
» ignore apparemment, ajoutèrent-ils, que lorfque
» Conftantin tranfporta lé fiège de l’empire à
» Conftantinople, il y amena le fénat & là no-
»bleffe Romaine , & qu’il ne Iaiffa à Rome que
» de vils efclaves , des pêcheurs , des cuiftniers.,
» 8c une vile populace ».
Staurace, fils de Nicéphore* étant mort de la
bleffure qu’il avoit reçue dans, la màlheuréufe
expédition de fon père contre les Bulgares, Michel
Rhangabé lui fuçcéda. Celui-ci étoit gouverné
par Théocrite, maître d^s offices,; ce miniftfe lui
fit un fcrupule de repdrè''aux Bulgares paÿens les
prifonniers & les transfuges qui s’étoient convertis.
On pouvoir obtenir la. paix à ce prix : la guerre
continua, & les Bulgares prirent Mefcmbria , vil le
du Pont-Euxin* fur les confins de la Bulgarie & de
la Thrace.- Bânduri, dans fes notes fur Çonftahtin
Porphyrogénète, prétend que le mot fclavon .B/ia
fignifie une ; ville-,„& que c’eft p our "cela que. I’oiï
trouve tant de noms de lieux terminés de cette
façon “ comme Mefcmbria , Selitnbna, &c. Ceci
donne lieu à une obfervation. Ovide, dans fes
Triftes , fait mention de la ville de Mcfambria ;
il faut donc fuppofer que lés SclavonS ont fris ce
terme de quelque langue antérieure au temps des
empereurs, 8c cela autorife toujours ma conjecture
, que la langue fclavonne eft foitie de? celle
des anciens' BaftarnéS.1 , . , ,
La bataille que Michel Rhangabé perdif contré
les Bulgares auprès üAndnnople, l’engagea a abdiquer
Fempire. Léon l’Arménien ■ l’atceptà, 8ç ne
put empêcher la prife de cette ville, dont les
Bulgares s’emparèrent. Ils enleVerenf 'l’archevêque
Manuel, qui travailla le premier a leur conyèrfiôn
l’an 813. , ; . . /r-'L-'i i!
Léon périt par une conjuration de^ Michèl-le-
Bègue qui lui fucçéda, & qui fut remplace lui;
même en 82.9, pat fon fils Théophile. Sous le
règne de ce dernier, certains Barbares, conduits
par trois' chefs , ravagèoient ffes terres des .Romains:
ces Barbares devoieiit'etrê leâ Turcs Hongrois,
dont j’aurai bientôt occafion de parlér, &
qui coinmençoient à faire des mouyemens. Théophile
rèfolut de s'oppofer à leurs firogrès ; ’&'poiir
pénétrer , par une efpèce: de divination , quel feroit
le fiiccès deJ cette guerre, on dit qu’il efîaya dè
rompre les trois têtes d’une>figure de bronze d’un
ferpent qui étoit dans l’Hyppodrome. Cette figure
fubfifte ericore aujourd’hui dans lé même état,
dans cette place célèbre de Conftantinople. Ceft
au même* eàipereur qu’il faut attribuer : aufli la
porte Trajane , comme on peut le prouver par Finfi
cription que Fon y voit encore aujourd’hui. Il paroît
que fous le règne deThéOphile,les Chazares vivoient
en bonne intelligence avec les Romairfs. Lorfque
ces Barbares voulurent bâtir la ville de Sarcel,
fur la rite occidentale du Tanaïs, Pechus, cagan
des Chazares , envoya des ambaffadeurs Ji l’empereur,
pour le prier de là lui faire bâtir. Ce
prince lui accorda fa demande, & lui envoya
un candidat des Spathares, nommé Petronas, qui
paffa à Chcrfonc, pour s’y pourvoir des navires
& des ouvriers néceffaires, & s’avança de-là dans
le Tanaïs, jufques au lieu où l’on devoit jeter
les fondemens de la nouvelle ville. Petronas revint
à Conftantinople, après avoir exécuté fa com-
miflion, & confeilla à Théophile, s’il vouloit
contenir fous1 fon obéiffance la ville & le domaine
de Chèrfone, d’établir dans cette ville un préteur,
& de ne pas fe fier à leur protevon, qui gou-
vernoit, comme j’ai dit ci-devant, conjointement
avec une efpèce de fénat, compofé des vieillards
& des primats de la ville. L’empereur goûta ce
projet, oc après avoir revêtu Petronas de la dignité
de protofpathare, il l’envoya'lui-même à Cher font
en qualité de préteur , 8c ordonna au protevon
de lui obéir. Théophile mourut de chagrin de la
prife üAmmonium fa patrie, qui lui fut enlevee
par le kaliphe Moutafem : c’etoit une ville de
Phrygie, dans FAfie mineure.
Son fils Michel III régna après lui fous la tu-
tèle de Théodora fa mère, & lé confeil de l’eu-
niique Théoâifte, de Bardas, frère de l’impératrice,
8c de fon oncle Manuel. Ceft de ce Michel dont
if eft; parlé dans Finfçription qui fe trouve fur la
principale porte de la ville de Sélivree. L’impera-
trice Théodora renoüvella lé traité de paix avec
Bogoris, roi dés Bulgares, Si lui rendit fa foeur
qui étoit càpfive. Cêtté princeffé , pendant fa cartivïte
ÿ avoit embrafféléçhriftiariifme ; à fon retour
elle jeta dans ’ le coeur de fon frère les premières
femences de là religion. L’an 865 , ce prince ,
aToccafion d’une grande fâminé dont fon paÿs étoit
affiigé, fongéa à avoir recours au Dieu des chrétiens,
dont fà, foeur lui .racontoit les merveilles;
La famine ceffa ; Bogoris reçût' le baptême^ avec
fe nom dè M ic h e l8 c l’année, d’après, il écrivit
à Louis-leTGermanique pour lui demander un
èvêqüè ,8c des prêtres. Ce prince lui en envoya,
8c ils furent; même précédés par des ' légats expédiés
de là part du pape, pour aller refoüdre
certaines! queftions dont les, Bulgares avoient demandé
la folution. Elles roulôient fur quelques feru-
pùleà qui'leur avoient été infpirés par les Grecs,
defquels ils ayoient reçu les premières inftruéfions.
Parmi Ûes doutes affez férieux, ils demàndoient
j entre autres fi les femmes pouvoient porter des
caleçons , 8c s’il étoit abfolument néceffaire de
prier les mains jointes. Le crédit que les légats
du pape acquirent chez les Bulgares fut un puiffant
motif de jàloufie pour le patriarche Photiüs, &
l’un des plus grands intérêts du fchifme des Grecs,
parce que les patriarches vouloient disputer aux
papes la jurifdiftion fur ces nouveaux profélytes.
Les ambaffadeurs du roi des Bulgares, qui afiif-
tèrent en 870 au concile de Conftantinople, de-
maridoiént f i , pour la jurifdi&ion fpirituelle, ils Revoient
être fournis au pape ou au patriarche de
Conftantinople ? Les légats d’Orient décidoient en
faveur du patriarche, le fondant fur ce que les
Bulgares avoient conquis leurs pays fur les Grecs ,
8c y avoient trouvé des prêtres Grecs, defquels
ils avoient reçu lés premières lumières de la religion.
Les légats d’Occidënt oppofoient à cela que cette
différence ne concluoit rien, 8c que lé pape, quoique
latin, établiffoit en plufieurs endroits des évêques
grecs que la divifion des empires n’entraînoit point
celle des fièges ; 8c j j p le pape, par fon légat
à Thejfalonique , avoit de tout temps gouverné
l’Epiré, la Macédoine, la Theffalie 8c la Dardanie ,
qui faifoient partie du pays des Bulgares ; &
qu’ayant perdu ce pays par l’invafion des Bulgares
payens , ils venoient de le . recouvrer par leur
converfion, d’autant mieux qu’elle avoit été volon-
taire. Les arbitres de ce différend décidèrent cependant
que les Bulgares fubiroient la jurifdiâion
du patriache de Conftantinople; 8c les légats du
pape fe retirèrent, après avoir prôtefté contre ce
jugement. Il eft dit que ni les Romains, ni eux
n’entendoient les Orientaux , qui vraifemblable-
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