
joug des Scythes royaux, font venus s’établir eft
cette contrée.
Tout le pays dont je viens de parler * jufqu’à
celui de ces 'Scythes* eft plat, 8c les terres en font
excellentes & fortes ; mais au-delà il eft rude & 1 2
pierreux. « Lorfque Ton en a traverfé une grande
» partie , continue Hérodote * on trouve des
» peuples qui habitent au pied de hautes mon-
î» tagnes: on dit qu’ils font tous chauves de naif-
» fance, hommes & femmes ; qu’ils ont le nez
» applati & le menton alongé ( i ) ; ils ont une
» langue particulière ; mais ils font vêtus à la ma-
n nière des Scythes ; enfin ils vivent du fruit d’une
» efpèce d’arbre que l’on appellepontique (TrovriKov).
» Cet arbre* à-peu-près de la grandeur d’un figuier*
39 porte un fruit à noyau, de la groffeur d’une fève.
V Quand ce fruit eft mûr, ils 1e preffent dans un
9i morceau d’étoffe 8c en expriment une liqueur
» noire & épaiffe, qu’ils appellent Afchy ; ils fucent
» cette liqueur, & la boivent mêlée avec du lait. A
^ 9i l’égard du marc le plus épais, ils en font des maffes*
5) qui leur fervent de nourriture; car ils ont peu
. ii de bétail, faute de bons pâturages.
» Tls demeurent toute l’année, chacun fous un
5> arbre. L’hiver ils couvrent ces arbres d’une étoffe
V? de laine blanche, ferrée & foulée , qu’ils ont
’» foin d’Ôter pendant l’été. Comme elle n’étoit pas
ii tiffiie, c’étoit une efpèce de feutre». LesTartares
ont, ce me femble, des tentes de cette efpèce ;
& ce que décrit ici Hérodote, pourroit bien avoir
' été auffi des tentes de même forte.
Perfonne ne les infulte ; on les regarde en effet
comme facrés. Ils n’ont, avec leurs poffeffions,
aucune arme offenfive ; leurs voifrns les prennent
' pour arbitres dans leurs différends ; & quiconque
fe réfugie dans leur pays, y trouve ùn afyle inviolable,
où perfonne n’ofe l’attaquer. On les
appelle Argippéens.
On a une eonnoiffance exa&e detoutlepays, jufqu’à
celui qu’occupent les hommes chauves , & de toutes
les nations au-delà. Il n’eft pas difficile d’en favoir
des nouvelles* par lés Scythes qui vont chez eux,
par les Grecs de la ville de commerce fondée fur
fe Boryfthène, 8c des autres villes commerçantes*
fituées fur le Pont-Euxin. Ces peuples parlent fept
langues différentes ; auffi les Scythes qui voyagent
dans leur pays, ont - ils befoin de fept interprètes
pour y faire leurs affaires.
On connoît donc ce pays jufqu’à celui des
hommes chauves ( ibid. ch. 27) ; jmais on ne peut
rien dire de certain de celui qui eft au-deffiis ; des
montagnes élevées & inacceffibles* en interdifent
l’entrée. Les Argippéens racontent cependant qu’elles
font habitées par des Ægipoées, ou hommes aux
pieds de chèvres (2) ; mais cela ne me paroît mé-
( i) C’eft' affez le portrait des Calmoucs aftuëls.
(2.) On peut préfumer qu’on les appela aux pieds de
chèvres, parce qu’ils ceuroient fur les montagnes comme
ces animaux -, & que ce fut par ignorance que ce nom
fut pris au fens propre, qui répugne tant à la raifon.
. S C Y
rîter aucune croyance. On voit encore ici Hérodote
douter d’un fait qui fort des règles de la nature.
Ils ajoutent auffi que fi l’on avance plus loin,
on trouve d’autres peuples qui dorment fix mois de
l’année. Pour moi, je ne puis abfolument le croire.
Probablement on avoir d’abord conclu de l’augmentation
de l’inégalité des jours 8c des nuits, en
avançant vers le pôle arélique , qu’au point du
pôle même, il devoit, en hiver, y avoir fix mois
de nuit ; puis on aura d it, comme on l’a fait
quelquefois dans des ouvrages de Géographie : Ces
peuples ont fix mois de nuit en hiver, quoiqu’il n’y
ait pas de peuples aux pôles ; puis comme le temps
de la nuit eft auffi, généralement par-tout, le temps
du fommeil, on a dit que l’on y dormoit pendant
fix mois. Hérodote n’eft donc pas fi crédule, puisqu’il
affirme qu’il ne peut abfolument le croire.
Il continue, en clifant : « On fait que le pays
» des Argippéens eft occupé par les Iffédons ; mais
» celui qui eft au-deffus, du côté du nord * n’eft
» connu, ni des Argippéens, ni des Iffédonsqui
» n’en difent que ce que j’ai rapporté d’àprës
» eux ».
Voici les ufages qui s’obfervent, à ce qu’on dit,
chez les Iffédons : Quand un Iffédon a perdu fon
père* tous fes parens lui amènent du bétail; ils
l’égorgent, 8c l’ayant coupé par morceaux, ils
coupent de même le cadavre du père de celui qui
les reçoit dans fa maifon* 8c* mêlant toutes ces
chairs enfemble, ils en font un feftin.. Quant à la
tête, ils en ôtent là barbe 8c les cheveux* & * après
l'avoir parfaitement nettoyée , ils la dorent, & s’en
fervent comme d’un vafe précieux * dans les facri-
fices folemnels qu’ils offrent tous les ans (3). Telles
font leurs cérémonies funèbres ; car ils en obfervent,
en l’honneur de leurs pères* ainfi que les Grecs
célèbrent l’anniverfaire de la mort des leurs. Au
refte * ils paffent auffi pour aimer la juftice ; & *
chez eux , les femmes ont autant d’autorité que
les hom'mes.
On connoît donc auffi ces peuples ( ibid. ch. 27 } ;
mais pour le pays qui eft au-deffus, on fait, par
le témoignage des Iffédons * qu’il eft habité par des
hommes qui n’ont qu’un oeil, 8c par des Griphons
qui gardent l’or. Les Scythes l’ont appris des Iffé-
dons, 8c nous des Scythes. Nous les appelons
Arimafpes: en langue Scythe ,Arimafignifie un en
. cette langue, & Spon * oeil.
Dans tous les pays dont je viens de parler
l’hiver eft fi rude * 8c , le froid fi insupportable
pendant huit mois entiers* qu’en y.répandant de
l’eau fur la terre* on n’y fait pas de boue; mais
c’eft en y allumant du feu. La mer même fe glace
(3) Quelques autres peuples en ont ufé de même a
l’égar;d.des têtes de leurs ennemis: voyez l’hiftoire de
Rofemonde, fille du roi des Gépides, appelé K uni'
mond, dont Alboin, roi des Lombards, avoit. ainfi
fait dorer le crâne, ou du moins il en avoir fait uae
coupe garnie d’or.
dans cet affreux climat ; ainfi que tout le Bofphore
Cimmérien; & les Scythes de la Cherfonèfe paffent
en corps d’armée fur cette glace, & y concluifent
leurs charriots pour aller dans le pays des Smdes. ■
L’hiver continue de la forte huit mois entiers ; les
quatre autres mois * il fait encore froid. L’hiver *
dans ces contrées, eft bien différent de celui des
autres pays ; il y pleut fi peu, en cette faifon *
que ce n’eft pas la peine d’en parler; & l’été*
il ne ceffe d’y pleuvoir. Il n’y tonne point dans
; le temps qu’il tonne ailleurs; mais le tonnerre eft
. très-fréquent en été; s’il s’y fait entendre en hiver,
on le regarde comme un prodige. Il en eft de
même des tremblemens de terre; s’il en arrive en
Scythie * foit en été, foit en hiver, c’eft un prodige
qui répand la terreur. Les chevaux y foutiennent
le froid; mais les mulets & les .ânes ne le peuvent
abfolument, quoiqu’ailleurs les chevaux expofés à
la gelée * dépériffent, 8c que les ânes & les mulets
.y réfiftent fans peine.
Je penfe que la rigueur dii froid ( ibid. ch. 2p),
empêche lés boeufs d’y avoir des cornes. Homère,
' dit Hérodote , rend témoignage à mon opinion.
dans FOdyflee, lorfqu’il dit : « Et la Libye, où les '
» cornes viennent promptement aux agneaux ».
Cela me paroît d’autant plus jufte , que dans les
pays chauds, les cornes pouffent de bonne heure
aux animaux * & que dans ceux où il fait un froid
violent * ils n’en ont point du tout, ou fi elles
pouffent* ce n’eft qu’avec peine (1).
Quant aux plumes dont les Scythes ( ibid. ch. y/ ),
difent que l’air eft tellement rempli, qu’ils n’y peuvent
\ voir ce qui eft au - delà, ni pénétrer plus avant*
voici l’opinion que j’en ai : Il neige toujours dans
les régions fituees au-deffus de la Scythie; mais
vraifemblàblement moins en été qu’en hiver. Quiconque
à vu de près la neige tomber à gros flocons *
comprend facilement ce que je dis : elle reffemble
en effet à des plumes. « Je penfe donc* dit Hé-
| » rodote* que cette partie du continent, qui eft
» au nord, eft inhabitable , à caufe des grands
I » froids ; & que lorfque les Scythes & leurs voifins
1 » parlent de plumes* ils ne le font que par com-
‘ 11 pàraifon avec la neige ». Voilà ce que l’on dit
fur ces pays fi éloignés.
Ni les Scythes* ni aucun autre peuple de ces
' régions lointaines * ne font pas - des Hyperbo-
1 réens (a), fi ce n’eft peut-être les Iffédons; oc ceux-là
(1) Ici Hérodote fait une petite digreffion fur la caufe
I vraie ou foupçonnée d’un fait qui n’eft pas trop prouvé
1 lui-même C’eft que les mules n’engendroient pas dans ;
■ l ’Elide. Hérodote , L. v i , c. 3.'
(2) J’ajouterai ic i, à ce que .j’ai dit ailleurs des Hy-,
| perboréens , la noté fuivantç, prife de M. Larcher, |
K tome n i , page jpd.,: ,
“ Il paroît, par le Scholiafte'de Pindare ; que les
I »JGrecs appeloient les Thraces, Boréens ; il y 3 par’confé-:
K » que rit grande apparence .qu’ils donnoient aux peuples!
I •* qui habitoient au-delà, le nom d'Hyperboréens ».
même, à ce'que je penfe , n’en difent rien; car
les Scythes, qui, fur le rapport des Iffédons, nous
parlent des peuples qui n’ ont qu’un oe il, nous di-
roient auffi quelque chofe des Hyperboréens. Cependant
Héfiode en fait menion , 8c Homère auffi,
dans les Epigones, en fuppofant dti moins qu’il
foit l’auteur de ce poëme (2).
Hérodote, interrompant fa narration, parle de
plufieurs autres peuples ; mais peu après il revient
aux Scythes. Comme ce qu’il a dit eft précédé de
chofes générales fur l’Europe. 8c que je ne l’ai.pas
placé à l’article Europe, jel/vais le mettre ici:
« Quant à l’Europe ( Hérod. L. i v , § 47), il
» ne paroît pas que perfonne, jufqu’ici, ait décou-
» vert fi elle eft environnée de mer, à l’eft 8c au
» nord. Mais on fait qu’eqTa longueur elle furpaffe
» les deux autres parties de la terre. Je ne puis
» conjecturer*pourquoi la terre étant une, on lui
» donne trois différens noms, qui font des noms
» de femme, 8c pourquoi on donne à l’Afie, pour
» bornes, le Nil, fleuve d’Egypte, 8c le Phafe,
» fleuve de Colchide........... » Quant à l’Europe,
perfonne ne fait fi elle eft environnée de la mer.
Il ne paroît pas non plus que l’on fâche d’où elle
a tiré fon nom , ni qui le lui a donné ; à moins
que nous ne difions qu’elle l’a pris d’Europe de
Tyr; car auparavant, ainfi que les deux autres
parties du monde, elle n’avoit pas de nom. Il eft
certain qu’Europe étoit Afiatique* 8c qu’elle n’eft
jamais venue dans ce pays , que les Grecs appellent
aétuellement Europe ; mais qu’elle paffa feulement
de Phénicie en Crète, 8c de Crète en Lycie....
Le Pont-Euxin ( §. 46 ) , que Darius attaqua ,
eft, de tous les pays, celui qui produit les nations
les plus ignorantes ; j’en excepte toutefois les
Scythes. Parmi celles, en effetf, qui habitent en-deçà
du Pont-Euxin, nous ne pouvons pas en citer une
feule qui ait donné des marques de prudence 8c
d’habileté, ni même qui ait fourni un homme
Conftantin Porphyrogénète paroît cbnfirmer cette
opinion, lorfqu’ilj dit qu’il y a plufieurs nations confidé-
rables jufqu’au Danube , dans ces pays hyperboréens.
La conjeéhire de M. Freret, qui place ces peuple*
( Mém. de 1' Acad, des B e l. Lettres, Hifi. page zoo ) , au-delà
du mont B o ra s , & qui veut que ce l'oit là la raifon qui
les a fait nommer Hyperboréens, ne rae paroît paspîaufible.
ïl s’appuie fur ce que cette montagne confinoit avec
l’IUyrie y mais fi cette montagne eût été fi prés de la
Grèce, comment les Grecs auroient-ils. débité tant de
fables fur la fituation" des pays d’au- delà cette montagne?
2°. II paroît que le nom de la montagne eft altéré
dans Tite-Live, & qu’il faut lire 5émus, comme on le
trouve dans Diodore de Sicile , tome 1/, page 644 , ou
plutôt Bermius, comme on le lit dans Hérodote , L . v u s ,
.ĥ (jf*' : . ,
Ces peuples paroiffent Grecs' d’origine : le culte d’A pollon
Délien , leurs rites , & les traces de leur langue
qui fë rencontrent dans leurs noms propres, tout, en
un mot , iëmble le donner à penfer.
(3) Ici Hérodote s’étend fur la marche des offrande*
des Hyperboréens, Voye\ cet article.