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ayoît lu la plupart des auteurs anciens ; qu’il en avait extrait tout ce cju il avoit jugé
propre à déterminer la fituation des lieux & l ’emplacement des v ille s , & que, combinant
enfuite ces matériaux avec les éclairciflémens qu’il pouvoit tirer des voyageurs & des
écrivains de fon temps, il avoit formé un corps complet de Géographie , dans lequel i
difcutoit les bafes des nouvelles cartes qu’il conftruifoit.
Il n’exifte plus, & depuis long-temps, aucun écrit de Marin de T y r ; ils ne font connus
aujourd’hui que par la critique que Ptolemee en a faite. On voit qu il reproche à Marin
d’avoir fouvent laiffé de l ’obfcurité dans fes difeuffions ; d’avoir mal cotûbin^ quelques
diftanees, & fur-tout de n’avoir pas mis affez d’ordre dans fes deferiptions. On croit
s’appercevoir, en e ffe t, que Marin de T y r a fuivi une méthode à-peu-près femblable à
celle de Strabon. Au lieu de rapprocher les indications de longitude & de latitude des
lieux , il n’a parlé des longitudes que dans le chapitre oh il a traite des intervalles horaires,
ou de la diftance des méridiens. Il n’a fait mention des latitudes que dans un chapitre féparé,
defhné à indiquer les parallèles & à fixer leur éloignement de l’équateur. Il falloit donc,
pour connoîtrela pofition d’une v ille , feuilleter une grande partie de l’ouvrage, au rifque
de fe tromper fur le réfultat des difeuffions qu’il préfenteroit.
C e reproche eft fondé ; & fi la méthode de Marin, en traitant de la Géographie Aftrono-
tnique, ne s’oppofoit pas au progrès de la fcience, il eft du moins évident qu’elle en gênoit
la marche par les difficultés dont elle l’enyironnoif.
En lifant, avec une attention foutenue, les prolégomènes de Ptolémée , on parvient à y
retrouver toutes les bafes de la carte que Marin de T y r avoit conftruite, il y a plus de dix-
fept cents ans. C ’eft de la réunion combinée de toutes ces bafes que le citoyen Goffelin a
formé une carte, que l’on trouve dans les mémoires de l’Académie des Belles-Lettres.
Il eft probable que Marin de T y r ignorait-la méthode des. projeûipns inventée par
Hipparque, pour repréfenter far une furfàce plane, la fphéricité du globe, puifqu’en fe plaignant
de la défeûuofité des projeûions plattes, il en a adopté une q u i, fans être Celle de Strabon
, préfentoit cependant des inconvéniens auffi graves que ceux qu’il cherchoit à éviter.
En traçant fes méridiens & fes parallèles en lignes droites , Marin de T y r ne pouvoit
pas ignorer que la forme des contmenS fe trouveroit altérée dans fa carte,: à mefure que
les contrées s’éloigneroient du parallèle oii les bafes de fa graduation feraient établies; il
pouvoit arbitrairement faire porter ces erreurs fur telle latitude qu’il jugeoit à propos, &
facrifier à l'exactitude qu’il vouloit donner à la pofition de certaines contrées, celles dont
i l lui paroiffoit le moins important de déterminer l’étendue ; comme la Méditerranée, les
parties de l’Europe , celles de l’Afrique & de l’A fie , qui s’écartent peu du trente-fixième
degré de latitude, étoient les plus connues & les plus fréquentées par les Grecs & par les
Romains, il penfa, fans doute, qu’il importoit à l’utilité de fes cartes, que la graduation
du parallèle de Rhodes fut conforme aux diftanees que l’on difoit avoir été mefurees, ou,
pour mieux dire, aux diftanees que l’opinion avoit accréditées.
Marin de T y r établit donc les bafes de fa graduation, en longitude, fur le parallèle de
Rhodes, en y réduifant le degré comparé à celui du grand cercle de la terre , dans la proportion
de quatre-vingt-treize à cent quinze. Alors les méridiens fe trouvoient plus rapprochés
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prochées entre eux fur la carte, que ne l’étoient les parallèles. Cette methode eut été bonne
pour décrire une zone qui fe feroit peu écartée du trërite-fixieme degre de latitude.
Mais, comme Marin l’employoit dans une largeur de cjuatre-vingt-fept degres, on conçoit
qu’il n’a fait que changer la place oit les erreurs fe commettoient dans les projeûions
plattes, & que la fcience n’y a rien gagné du côté de l’exaûitude.
Quelques mots donneront une idée du fyftême de Marin de T y r , confidéré fous les
rapports aftronomiques.
La longueur de la Méditerranée , prife depuis le détroit jufqu’à Iffus, eft de 62 degres
dans la carte de Marin, tandis que d’après lesobfervations modernes, l’intervalle, entre
ces deux points, n’eft que de 4 10, 30'.
La diftance, depuis le cap Sacrum jufqu’au promontoire Comaria, dans l’Inde , eft donnée
par Marin, pour être de 1 190, 1 f ' , quoiqu’elle ne foit que de 85°, 3 5'.
L’intervalle, entre le cap Sacrum & l’embouchure orientale du Gange, y eft fixé à
1680, io ', quoiqu’il ne foit que de 990, 23', 48".
La longitude de Thïncc y eft indiquée à 225° , 40', quoique cette v ille , la meme que
Tanaferim , ne foit pas à plus de 1060, 2 7 ' du cap Sacrum,
Il réfulte que, d’après les obfervations & la manière de compter des modernes , Marin de
T y r s’eft trompé de plus de 410 lieues fur la Méditerranée; de plus de 800 en ligne
droite, fur la diftance de l’Efpagne au Gange; de près de 3000 lieues, ou du tiers de la
circonférence du globe , fur la diftance de Thinoe ; & que tous les points intermédiaires de fa
carte auroient fubi une altération proportionnelle dans leurs pofitions.
Aucun monument géographique ne préfente une maffe d’erreurs fi énorme ; & , en les
comparant à celles qu’Eratofthènes avoit commifes , dans un temps où les Grecs commen-
çoient à peine à cultiver les fciences , on feroit forcé de croire , qu’à l ’epoque où Marin de
T y r écrivoit, l’ouvrage d’Eratofthènes & les anciens matériaux qu’il avoit employés,
étoient entièrement perdus.
Cependant, la Géographie d’Eratofthènes eft citée par des auteurs qui vivoient plus de
mille ans après Marin de T y r ; & l’on ne peut fe perfuader que ce Livre élémentaire ait
échappé aux recherches d’un homme que Ptolémée nous dit avoir lu i c extrait les auteurs
qui l’avoient précédé. Il eft donc de la plus t grande vraifemblance que Marin a connu &
confulté l’ouvrage d’Eratofthènes ; qu’il y avoit vu la prodigieufe différence qui exiftoit
entre les opinions de cet écrivain, & celles qu’il vouloit leur fubftituer. Pourquoi les
avoit-il rejetées ? fur quelles bafes étab!iffoit-il fon nouveau fyftême ? &: quelles font les
autorités qui l’ont entraîné ? C’eft ce que le citoyen Goffelin a expliqué dans un mémoire
fort étendu, dont on ne donne ici qu’un court extrait.
Marin dé T y r n’étoit point aftronome ; il étoit au-deffus de fes forces d’appliquer avec
fuccès le réfultat des obfervations à la conftruûion des cartes. D ’ailleurs, il exiftoit alors
peu d’obfervateurs ; & , de l ’aveu de Ptolémée, on n avoit encore que des approximations
très-incertaines pour déterminer les diftanees dans le fens des longitudes. Les recherches
, les travaux d’Hipparque , l’obfervation d’un petit nombre d’éçlipfes de lune, ont pu
Géographie ancienne. Terne III, O 000