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.8c allèrent fe fixer dans la partie de la Dacie qu’on
appelle à préfent la Tranfylvanie , malgré les efforts
que firent lès Baflarnes, les Peucins 8c les Befîes
pour les en empêcher.
Cette ftation des Turcs dans la Tranfylvanie,
rapportée par les hiftoriens Hongrois, me paroît
la même époque que leur venue dans la. Beflâ-
rabie, la Walaquie 8c la Moldavie. Le témoignage
de Conftantin Porphyrogénète eft plus digne de
foi fur ce point qu’aucun autre, parce que ce prince
nous parle d’un événement arrivé , pour ainfi dire,
de fon temps & fur fes terres, & dont probablement
il a dû être mieux informé qu’aucun autre
hiftorien. Ce fut de cette nouvelle habitation que
les Turcs Hongrois paflerent dans la Moravie,
à la follicitation de l’empereur Amoul, qui les y
attira lui-même, pour l’aider à foumettre Sw ie to -
p o l k ou S e u to p lo c h u s, ou S u a th è s , duc de Moravie,
qui s’étoit révolté contre lui, & régnoit dans cette
contrée. Ces Barbares étoient diviles en fept corps
de 30,857 hommes chacun, qui formoient en-
femble une armée de 216,000 combattans, tirés de
cent huit tribus differentes. Ils avoient à leur tête
fept chefs, dont le premier étoit Arpad, fils d’Al-
mus ; les autres étoient Zabolch, Gycla , Lehel,
Chund, Verbuch & Urs'. Ils formèrent fept camps,
qu’ils fortifièrent de foffés très-profonds. Cet endroit
a été depuis appelé Sieb en b ou rg , ou les fept
. châteaux.
Les Turc? Hongrois, avant de faire des tentatives
pour pénétrer dans la Pannonie , envoyèrent
Cufid, fils de Chund, pour reconnoître le terrein.
Celui-ci partit, accompagné de peu de perfonnes ;
il pafla les monts C rapak s & le T i b i f c , & prenant
fa route par le pays des Jaziges Matanaffes, il s’avança
jufqu’au Danube, & fe rendit chez Seutoplo-
chus, à qui il expofa le motif de fa million. Ce duc
voyant fes fertiles pays dépeuplés, fut charmé de
l’arrivée de ces nouveaux colons, dont il fe flatta
dès-lors de tirer de grands avantages pour la guerre
& pour l’agriculture. Il promit de donner aux Turcs
des terres 8c des habitations, 8c renvoya leur émiff-
faire avec des marques de fa munificence. Cufid,
fatisfait du fuccès de fa légation, rapporta à fon
retour à Arpad r un peu de terre, d’herbe 8c d’eau
du Danube, pour lui donner une idée de la fertilité
du terrein. Arpad affembla tous les autres
chefs pour leur faire lavoir que tout avoit réuflî
fuivant leurs defirs. Il adrefîa enfuite une longue
prière à Mars & à Hercule, & fit une libation
avec l’eau du Danube. Après quoi les chefs envoyèrent
en reco’nnoiflance à Seutoplochus, par
le même Cufid, un cheval blanc magnifiquement
enharnaché. Mais lorfqu’ils jugèrent que le temps
étoit arrivé de s’emparer de la Pannonie, ils firent
leurs préparatifs, defeenditent par les monts Crap
a k s jufques aux bords du Danube, & envoyèrent
de-là un ambaffadeur à Seutoplochus, pour lui
lignifier de lafpart des fept chefs , qu’il eût à abandonner
au plutôt la terre qu’il leur avoit vendue,
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& dont le cheval avoit été le prix. Le duc alarmé
de fe voir intenter une auffi étrange querelle ,
par des hôtes auxquels il préparoit l’accueil le plus
favorable, fe mit en devoir de repoufler la violence
dont il étoit menacé. Il affembla une armée,
& paffa fur la rive feptentrionale du Danube. Après
plufieurs efçarmouches, il voulut tenter une bataille
dècifive, dont le fort lui fut funefte ; fes
troupes furent mifes en fuite, 8c lui-même pérît
en repaffant le fleuve avec le pliis grand nombre
de fes foldats. Ceux qui fe fauverent frirent enfuite
taillés en pièces par les ennemis, qui les pour-
fuivirenfr jufques fur l’autre bord. Une vi&oire
auffi complète mit les Turcs Hongrois en pof-
feffion de toute la Pannonie. Ils s’y confondirent
avec les anciens Huns, les Avares 8c les Sicules,
qui y étoient venus avant eux ; ils ne formèrent
plus qu’une même nation, & combattirent dès-
lors fous les mêmes drapeaux. Ces Barbares fe
trouvèrent par-là établis dans la grande Moravie ,
la Tranfylvanie , la Moldavie & la Walaquie.
Les Moraves 8c les Sclavons chaffés de leur pays
fe difperfèrent de tous côtés, & fe répandirent
chez les Serviens, les Croates, & principalement
chez les Bulgares, auxquels ils rendirent la langue
fclavonne encore plus familière.
Cette incurfion des Turcs, fuivie de celle des
Patzinacites, effraya fi fort l’Occident, qu’à cette
oççafion on agita le problème, fi ces nouveaux
Scythes n’étoient point le peuple ennemi de Dieu,
dont il eft parlé dans les prophètes fous le nom
de G o h & de M a g o g . On voit par une differtation
qui parut dans ce temps-là, qu’on les appeloit
Hongrois, fans favoir pourtant quelle nation ce
pouvoit être, ce nom ayant été inconnu jufques
alors.
Les Turcs établis dans ce nouveau pays, qui
fut depuis appelé la H o n g r ie , y étoient divifés,
fuivant les hiftoriens Hongrois, en fept diftriéls ;
& au rapport d^Conffantin Porphyrogénète, en
huit familles confédérées, qui avoient chacune
leur chef, 8c étoient cependant toutes foumifes à
un général ou vaivode. Il paroît que cette dignité
fut héréditaire dans la* poftérité d’Arpad , dont le
fils 8c le fucceffeur fut Zoltan ou Sultan ; celui-ci
eut Toxus, duquel naquit Geyfa, père de S. Etienne^
qui fut le premier roi de Hongrie. Au rèfte, le
pays que les Turcs Hongrois envahirent dans
cette tranfmigration, eft aéfigné par Conftantin
Porphyrogenete d’une manière à ne pas s’y méprendre
, par les ruines du p o n t de T r a ja n , la vHle
de B e lg ra d e , éloignée de deux journées de Sirm ium
ou S i rm i c h , & par les rivières de T em e fe s, de
M a r e f e , & de T i t ç a , qui arrofoient cette contrée ,
& qui font la T a m i f c h , la M a r r iça 8c la ThaiJJe
d’aujourd’hui. Le territoire des Turcs, fuivant le
même auteur, étoit borné à l’orient par les Bulgares
Pontiquçs, qui en étoient féparés par le
Danube ; au midi par les Croates 8c les Serviens ;
au couchait par les Francs ou Saxons ; & au
feptentrioq
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feptentrion par les Patzinacites. Cette defeription
11’eft cependant pas tput-à-fait exaéte, puifque par
la fituation oblique du terrein , les Patzinacites ,
qui fe trouvoient alors fur les côtes de la mer
Noire, étoient plutôt à l’orient qu’au feprentrion.
• Examinons à préfent quelle devott être la langue
des Turcs Hongrois.. J’ai déjà dit plus haut, que
les Cabares, & d’autres tribus de Chazares, qui
fè joignirent aux Turcs, lorfqu’ils habitoient encore
aux environs du Tanaïs , leur avoient donné
leur langue , c’eft-à - dire , celle des Chazares,
qui leur devint commune, & qu’ils fe rendirent:
encore plus familière, par le commerce 8c l’union
qu’ils entretinrent avec eux pendant plufieurs
années. Lorfque Conftantin, apôtre des Sclavons,
fut envoyé par l’empereur Michel chez les Chazares
, pour les inftruire * dans la foi, il s’arrêta
quelque temps à Cherfone, pour y apprendre leur
langue. On a douté fi cette langue des Chazares
étoit la fclavonne. Mais ce doute eft décidé par
l’obfervation qui précède, puifqu’il eft. démontré
que cette langue des Chazares étoit la même que
celle des Turcs Hongrois; que la langue de ces
Turcs, qui fubfifte encore dans la Hongrie, n’a
aucun rapport avec le fclavon , ni aucun autre
langage connu en Europe. Il eft vrai que Conftantin
étudia auffi le fclavon à Cherfone, où il
étoit- bien à même, de l’apprendre par le concours
des Rufîes 8c des autres peuples fclavons qui
commerçofent avec les Cherfonites ; mais cela ne
prouve pas que cette langue fut .celle des Chazares
, & l’on pourroit plus raifonnablement conclure
qu’il apprit l’une 8c l’autre dans ce voyage.
Tout cela confirme l’opinion que j’ai déjà mife
au jour, que la langue hongroife doit être
fille de la circaflienne ; cette dernière langue eft
très-ancienne: elle à toujours été en vigueur dans
les pays fitués entre le Pont-Euxin , le Cau-
cafe 8c la mer Cafpienne ; on ne peut pas douter
que les Chazares, les. Abafges, les Ziques, les
Cabares , les Uzes, & toutes les tribus qui fe
font mêlées avec les Turcs , ne fùflènt des nations
circafliennes. Il eft donc probable que le circaflien
étoit leur ’ langue , puifque les Chazares , les
Abafges, & les Cabartins d’aujourd’hui, qui font
leurs defeendans-, la parlent encore. On fait, par
le témoignage de tous les auteurs, que les Turcs
Hongrois adoptèrent la langue des Chazares. Si
donc ces peuples avoient eu une autre langue que
la circaffienne, on en trouveroit les veftigès dans
la hongroife, & il eft manifefte que cette dernière
n’a pas le plus léger rapport, ni la moindre affinité
avec aucun autre langage connu, fi ce n’eft
avec le çircaflien 8c le tartare. Il faut donc.nécef-
fairemént que le fond de la langue hongroife foit
le circaflien, 8c que les racines tartares que l’on
y retrouve foient les débris de la langue tartare,
qui, dans les premiers temps, devoit être commune
aux Turcs Hongrois, puifque leur première origine
remonte dans l'a grande Tartarie. L’uniformité
Géographie ancienne, Tome III,
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de quelques noms hongrois, illuftres dans l’hif-
toire, avec les noms circafliens, eft encore une
forte de preuve de ce que j’avance. Michel Ritius,
dans fon livre de Regibus Hungaria, dit quun des
chefs des Turcs .Hongrois, qu’il appelle Huns,
étoient un nommé Seita ; ce pouvoit être un beg
du Cabilé ou tribu circaflienne qui porte le nom
de Seitl Bonftnius, dans le neuvième livre de fa
première Décade, raconte, que Zabolch, l’un de
ces mêmes chefs, donna origine à la tribu des
Chaki ; 8c l’on trouve aujourd’hui la tribu de
Chaka dans/ la Circaflfie. Un autre chef, appelé
Gyla, ne peut-il pas avoir été quelque beg de la
tribu circaffienne de Gylo-Kouadje? On retrouve
des noms circafliens dans des temps bien plus
reculés : Procope nous dit que les Portes Caf—
piennes appartenoient à Ambajace, Hun de nation ,
& grand ami des Romains, qui offrit de céder
ces Portes à l’empereur Anaftafe. Cet Ambaface
étoit certainement un beg de la tribu üAbaface,
qui eft une des plus confidérables de la.Circaflie,
oc dont le nom a été un peu altéré par l’hiftorien.
grec. Je pourrois trouver encore beaucoup de-
noms auffi conformes ; mais je crois qu’il fuffit
d’en avoir cité quelques-uns. J’ai donné l’énumération
exaâe de toutes les tribus circafliennes
dans un ouvrage manuferit fur l'état préfent de la
petite Tartarie , que j'ai envoyé à la Cour en 1755.
Après avoir conduit les Turcs Hongrois jufques
dans la grande Moravie, il eft temps de dire ce
que devinrent les Patzinacites , qui les 'chaffoient
devant eux , 8c s’emparoient fucceflivement de
leurs habitations. Dans le temps dont parie Conftantin
Porphyrogénète, c’eft-à-dire, 50 ans avant
celui où il écrivoit, les Patzinacites s’emparèrent
des terres que les Turcs quittèrent pour palier
dans la Pannonie. On ne fait pas bien s’ils les en
avoient encore chaffés, ou s’ils en prirent feulement
poffeflion, parce qu’ils les virent abandonnées.
Il paroît en toute manière que les Patzinacites
occupoient dans ce temps-là, en-deçà du.Boryff-
thène, l’ancien pays des Gères, la Moldavie, le
long des rivières de Pruth 8c de Serez, la Beffa-
rabie, 8c ce que nous appelons aujourd’hui le
territoire d’Ok^akow, 8c qu’ils s’étendoient au-dt à
du Boryfthène jufques à la ville de Saicel, que
les Chazares avoient bâtie fous l’empereur Théophile.
On comptoit de cette ville au Danube
foixante journées de chemin.
Les Patzinacites étoient divifés en huit tribus
dont quatre appelées CuanfL^iir , . S y ru c a lp c e , B o r o -
tu lm at 8c B u la t ç o r p c n , étoient au-delà du Boryfthène
; il y en arvoit quatre autres en-deçà de ce
fleuve , celles de G ia f ic h o p o n vers' la Bulgarie,
celle de G y la du côté des Turcs, celle de
Charactz fur les frontières de Ruflîe, 8c celle de
J u b d iu t in , qui confinoit avec les U l t i n i , les B e r -
b le n in i , les L a n ç a n c n i, 8c d'autres peuples fclavons
tributaires des Ruffes..#On voyoit dans ces cantons
en-deçà du Boryfthène, des veftiges de quantité