
Les Serviens s’étant de nouveau foulevés éti
1154, Manuel Cômnène ne différa pas de fe
«lettre en campagne, & de les attaquer ; mais
ceux-ci firent une vigoureufe réfiftance, avec
les puiffans fecours qu’ils avoient obtenus de
Geyza I I , roi de Hongrie. Jean Cantacuzène
commença l’adion, & perdit les doigts dans le
combat. L’empereur fe battit corps pour corps
avec l’Archi-Jupan Bacchin, homme d’une taille
gigantefque ; il fut d’abord bleffé au vifage, mais
ayant affoibli le barbare, par un coup qu’il lui
porta fur la main, il le prit vivant. Cette viâoire
ranima les troupes, dont le courage commençoit
à fe ralentir ; les Serviens furent défaits, & entièrement
difperfés. Manuel voulut aufli fe venger
des Hongrois, & crut devoir profiter pour cela
de l’apfence de leur roi, qui étoit alors occupé à
une expédition contre les Ruffes. D’abord après
la défaite des Serviens, il ne laiffa, pas refroidir
la bonne volonté de fes troupes ; il paffa la Save
le jeta fur Frangochorio, & mit à feu & à fang
l’étendue de pays qui eft entre le Danube & la
Save, ou font les villes de Zeugjnin & de Sirmich.
Un hongrois ofa préfenter à l’empereur le combat
fingulier, mais ce prince le fit tomber mort d’un
coup de fabre entre les deux yeux. Manuel,
«près cette glorieufe expédition, retourna à Conf-
tantinople avec un butin immenfe ; ‘ il y fit une
entrée pompeufe, & orna fon triomphe d’une
multitude innombrable de captifs.
Dans le même temps que les Scythes paffèrent
le Danube & ravagèrent plufieurs places qui bor-
doient ce fleuve, l’empereur envoya contre eux
le général Çoloman , qui s’acquitta très-mal de fa
commifiion ; il fut mis en deroiite, & perdit la
vie dans le combat. Les Scythes continuèrent
tranquillement leurs déprédations, repaffèrent en-
fuite le Danube, & emportèrent chez eux de
riches dépouilles. _
Je ne fais pas fi l’on peut déterminer précifé-
ment quels pouvoient être- les. Scythes' auxquels
iNicétas attribue cette incurfion. Les Patzinacites
occupoient encore alors les bords occidentaux du
Pont-Euxin ; les Chuns, confondus avec les "VVa-
laquès, habitoient la Moldavie & la Walaquie,
Sc les Comains commençoient de fe montrer dans
les provinces Tranfiftriennes. Ils vinrent dans la
fuite en-deçà du Danube faire plufieurs courfes ,
dont je parlerai ci - après. Ces derniers peuples
étoient des Tartares venus de la Comanie, pays
fitué à l’occident de la mer Cafpienne, au-deffus
de la Géorgie. C’eff-là que fe trouvent aéhiellement
les Calmouks, qui font la même nation ,~&>ont
les mêmes moeurs que les Ncgaïs d’aujourd’hui/
Les Scythes dont parle Nicétas refTernblent fi
fort à, ces Tartares dans la defcription que cet
auteur donné dç leur manière de faire la guerre,
qu’il n’y a pas lieu de douter qu’il a voulu désigner
les Comains. Mais comme ces derniers
étoient vraifemblablement joints aux Patzinacites.,
aux Chuns & aux Walaques., il les a compris
fous le nom général de Scythes , qui appartient
également à toutes ces nations. Le pays des Calmouks
, ou des anciens Comains , eft borné à
l’orient par la mer Cafpienne , à l’occident par la
Géorgie, au feptentrion par le Cabarta, & au
midi par le pays des Lefquis, ou le Dagueftan*
Il y a lieu de croire que cette contrée avoit tiré
le nom de Comanie, de l’ancienne forterefle de
Cumania ou Comania, dont Pline fait mention. Ce
géographe la place fur une roche élevée auprès
des Portes Caucafiennes, & dit qu’elle étoit munie
d’une bonne garnifon pour defendre le paffage à
une infinité de Barbares qui habitoient au-delà du
Caucafe. Cette forterefle devoir être la même que
les Turcs & les Tartares appellent aujourd’hui Ki^larr
KalcJJi, ou le château du fleuve Kizlar. Les Portes
Caucafiennes font incontefiablement celles, qui fe
trouvent encore à l’extrémité orientale du mont
Caucafe, & que les Tartares nomment a&uelle-
mènt Dcmir-Kapi, ou la Porte de Fer, nom qui
répond parfaitement à la defcription de Pline.
Ingens nature, opus, montibus interruptis repente, uki
fores obditee ferratis trabibns , fubter médias amne dire
odoris fluente, citraque in rupe Cajlella, quod vocatur
Cumania 3 communito ad arcendas tranfitu gentes in*
numéros. « Ouvrage immenfe de la.nature, dit-il,
» formé par l’interruption naturelle des montagnes.,
».revêtues & renforcées de barres de fer; fous
» celle du milieu il paffe un fleuve qui répand une
» très-mauvaife odeur ; & fur une roche aii-deçà
» on voit le château appelé Cumania, &c. » Le
fleuve dont parle Pline dans ce paffage , eft vrai-
femblablement la rivière de Kizlar, qui eft effectivement
très-bourbeufe ,& bordée de marécages ;
& l’ancien château de Cumania doit être,. comme
je l’ai déjà dit, le fort de Kizlar, qui fe trouve dans
la même pofltion, & paroît avoir été bâti pour
la même“ fin. Pline s’élève avec raifon contre
l’erreur infigne de ceux qui ont appelé ces portes y
les Portes Cafjpiennes. Corrigendus ejî error in hoc
loco, multorumy eorum etiam qui in Armeniâ tes
proximè cum Corbulone gcjfere. Nam hi Cafpias portas
adpellavere Ibcri, quas Caucafias diximus vocari. a II
» Faut y dit-il, corriger ici l’erreur de plufieurs, &
» même de ceux qui ont en dernier lieu fait les
» campagnes d’Arménie avec Corbulon ; ils ap~
» pellent Cafpiennes, les Portes d’Ibérie, que j’ai'déjà
» dit devoir être nommées Portes Caucafiennes »„
Procope, dans fon hiftoire de la guerre de Perfe,
a fait la même faute. Voici à-peu-près le précis
de fa relation. Le mont Taurùs de la Cilicie s’étend
dans1 la Cappàdoce, l’Arménie, la Perfarménie.,
l’Albanie, Plbérie, & d’autres pays habités par
des peuples libres & par d’autres fournis à l’obéifi-
fance des Perfes. Quand on a paffé les frontières
de Plbérie , on trouve un chemin fort étroit, long
de 50 ftades, & fe terminant à une montagne
efearpée & inacceflible, où il n’y a d’autre iffue
qu’une porte faite par les mains de la nature, que:
V<jn appelle de toute antiquité la Porté Cafpienne.
On 'découvre au-delà une large campagne où il
y a de l’eau en abondance , & qui eft fort propre
à nourrir des chevaux ; c’eft un endroit que les
Huns habitent, & ils s’étendent de-là jufqües au
Palus-Moeotides. Procope parle ici des Huns du
'Cabarta, qui habitoient au nord des Portes Cau-
çafiennes. Un autre paffage prouve inconteftable- <
ment qu’il a confondu ces deux portes. Il dit
dans la. fuite, que les Ibériens habitent dans l’Afie .
auprès, des Portes Cafpiennes, dont ils font bornés
au feptentrion; & il eft manifefte que ce font
celles du Caucafe, qui fe trouvent au nord de
Plbérie. Il attribue aufli à ces dernières ce qui appartient
aux Portes Cafpiennes ; car il dit dans un
autre endroit qu’Alexandre ayant confidéré l’afliette
de ce lieu, y bâtit des portes & une citadelle,
qui, après avoir été poffédées par divers maîtres,
ont, enfin appartenu à Ambaface , Hun de nation y
intime ami des Romains, & il offrit ces portes à
l’empereur Anàftafe , qui les refufa. Ce qu’il dit
d’Alexandre regarde indubitablement les Portes
Cafpiennes, qui fe trouvoient dans le mont Cafpius,
entre l’Arménie & la Médie. Ce -font celles qui
furent bâties par Alexandre - le - Grand f dans fori
expédition. Mais l’affaire du Hun Ambaface a rapport
aux Portes Caucafiennes. Ce Hun étoit certainement
. quelque Beg de la tribu Circaflienne ,
appelée Abfache 9 qui fubfifte encore aujourd’hui.
Cet ami des Romains étoit plus vraifemblablement
en poffeflion des Portes du Caucafe, qui étoient
dans fon voifinag-e , que des Portes Cafpiennes ,
fort éloignées de chez lui. Procope, dans fon
ouvrage de la guerre des Goths, paroît être un
peu revenu de fon erreur,-& .diftingüe deux'différentes
portes. Il dit, dans le troifième chapitre du
quatrième livre, que la partie orientale du Caucafe
aboutit à des portes, par lefquelles les Huns
s’introduifent dans les provinces des Perfes & des
Romains. Il ajoute que l’une s’appelle T^ur, & que
l’autre a confervé fon ancien nom de Porte Cafpienne.
Manuel Comnène confervoit toujours fon ref-
fentiment contre les Hongrois ; dès que les affaires
de Sicile & de Calabre lui donnèrent le temps
de refpirer, il réfolut de porter la guerre chez ces
peuples. Il affembla les légions d’occident, &
vint avec une armée à Sardique en 1156. Mais
les Hongrois négocièrent la paix, & l’empereur
tourna fes armes contre l’Archi-Jupan de Servie.
L’ordre chronologique fernble indiquer que cet
Archi-Jupan étoit alors Primiflaw, fucceffeur dé
Rodoflaw III. Ce prince ,étoit demeuré pendant
■ quelque temps fournis à l’empereur; il ne tarda
pas de vouloir fe rendre indépendant, & fa dé-
/ région l’auroit fait dépouiller de fes états, s’il
n’avoit obtenu fon pardon par un aélede foumiffion.
En effet, la marche de Manuel lui ayant donné
l’alarme, il abandonna fur-le-ehamp le parti des
Hongrois, & fe remit fous les- joug dont il avoit
tenté de ^’affranchir. Mais il fe révolta de nouveau
peu de temps après, & l’empereur, pouffé
à bout, le deftitua , ot lui donna pour fucceffeur
fon frère Bêla. Manuel s’arrêta encore quelque
temps dans la Theffalie, renvoya line partie de
fes troupes, & rentra bientôt après dans Conftan-
tinople. Au commencement de l’hiver, il fe remit
en campagne, & vint dans la Pélagonie, province
fepteritrionale de la Macédoine. Geyza I I , roi
de Hongrie, ‘ qui régnoit encore, menaéoit de
vouloir recommencer la guerre. Andrdnic Comnène
s’étoit emparé des duchés de Branifob & de
Belgrade ou Biograde en Dalrnatie, & il entretenoit
une intelligence fecrète avec les Hongrois, par le fecours
defqtiels il voulôit détrôner Manuel, & ufurper
l’empire. La eonfpiration fut découverte, . & An-’
dronic fut convaincu d’avoir été l’auteur du complot.
Son emprifonnement ‘entraîna une rupture
formelle. Le roi de Hongrié mit le fiège devant
Branifob , êc ravagea une grande étendue de pays.
L’empereur de fon côté envoya contre lui Bafile
Zinziluce, qui attaqua les Hongrois, & les mit
en déroute. Mais ce général profita mal de fa
viâoire ; il pourfuivit les ennemis avec trop de
témérité ; ceux-ci fe rallièrent, lui firent face, &
fe dédommagèrent bien de l’échec qu’ils ven oient
d’effuyer. L’empereur, à la nouvelle de cette
défaite, fe mit en marche, dans l’èfpérance
que les Hongrois, au bruit feul de fa venue ,
abandonneroient ces provinces. La chofe arriva
comme il l’avoit prévue ; il conclut- avec eux"
une paix aufli avantageufe qu’il pouvoit l’efpérer
dans de pareilles' circonftances ; & après avoir
remis le bon ordre dans Branifob & dans Belgrade ,
il retourna à Conftantinople.
L’année 1163 , la dix-:huitième du régrie de ce
prince, fut marquée par la naiffance de Genghiz-
khan , fous lequel les Tartares commencèrent de
menacer l’occident, & dont les fucceffeurs s’avancèrent
enfuite jufques en Hongrie, en Pologne
& en Bohême. On fait que ce ne.fut pas là le premier'
Éom de ce prince magot, & que ce conquérant célèbre;
fut d’abord connu fous le nom deTémougirr, &
ferv.it long-temps fous les ordres du plus puiflânt
prince du Turqueftan, appelé Ungkhan , ou Jean ,
fils de David-, chrétien Neftorien, que l’on croit
être le même que le prince défigné par le nom de
prêtre Jean.
Les Syriens en effet avoient déjà pénétré dans
la Chine dès l’an 737 de notre è r e & y avoient
j porté, le, chriftianifme. On trouvoit déjà dans la
haute Tartane une infinité de Neftoriens inftruits
dans là. religion par les millionnaires de Mo foui &
de Bqjfora, qui s’étorent introduits dans cet empire
à fa fuite des caravanes de Samarcande, de
Bokhara, & des antres villes, voifmes.
Gènghizkhan ayant eu avis que Ungkhan vouloir
fe débarraffer de lu i, le fit périr lui-même , • & le
i fit proclamer empereur l’an 12.04. L’auteur de
| fhiftoire des Huns rapporte cet événement à l’année
1 2qC > & croit Gènghizkhan fils de Yeffoukaï ,