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toujours en avant, de combler les puits & les
fontaines qu’ils trouveroient Jur leur route, de
détruire l’herbe, & pour cet effet de fe partager
en deux: corps. On convint auffi que les Sauro-
roateé fe rendraient dans les états de Scopafis ;
que fi les Perfes tournoient de ce côté , ils fe
retireraient peu à peu, droit au Tanaïs, le long
du Palus-Meotis, & que, lorfque l’ennemi retour-
neroit fur fes pas, ils fe mettroient alors à le pour-
fuivre. Tel étoit le plan de défenfe que devoit
Cuivre cette partie des Scythes royaux.
Quant aux deux autres parties de ces mêmes
‘Scythes, il avoit été décidé que la plus grande,
fur laquelle régnoit Idanthyrfe, fe joindrait à la
troifième, dont étoit roi Taxacis, & que toutes .
les deux réunies avec les Gélons & les Budins,
auraient auffi une journée d’avance fur les Perfes ;
qu’elles fe retireraient peu à peu, & en exécutant
les réfolutions prifes dans le confeil, & fur-tout
qu’elles attireraient l’ennemi dire&ement fur les
terres de ceux qui avoient refufé d’entrer dans leur
alliance, afin de dès forcer auffi à la guerre contre
les Perfes, & de leur faire prendre les armes malgré
eux, s’ils né'vouloient pas le faire de honne volonté.
Elles dévoient enfuite retourner dans leur
pay s , & même attaquer Fennemi, f i , après en
avoir délibéré, ce parti leur paroifîoit avantageux.
Cette réfolution prife, les Scythes allèrent au-
devant de Darius, & fe firent précéder par des
coureurs, l’élite de l’armée. Ils avoient fait prendre
le devant, à leurs chariots par le côté où ils dévoient
fuir, ainfi qu’à leurs femmes & à leurs
enfans, auxquels ces chariots tenoient lieu de
maifons. Ils leur avoient donné ordre d’avancer
toujours vers le nord. Ces chariots [étoient accompagnés
de leurs troupeaux, dont ils ne ne menoient
avec eux que ce qui leur étoit néceflaire pour
vivre.
Tandis que les chariots s’éloignoient, les coureurs
découvrirent les Perfes à trois journées de
lifte. Comme ils n’en étoient éloignés que d’une
journée, ils campèrent en -cet endroit, & détrui-
firent toutes les produirions- de la terre. Les Perfes
ne les eurent pas plutôt apperçus, qu’ils les pour-
fuivireht dans leur retraite. Ayant enfuite marché
dsoit à une ' partie des Scythes royaux, ils les
pourfuivirent à l’eft jufqu’au Tanaïs. Les Scythes
traversèrent le fleuve, & les Perfes l’ayant paffé
après eux V ne ceflerent de les pourfuivre, que
lorfqu’après avoir parcouru le pays des Sauromates,
ils furent arrivés dans celui des Budins.
Les Perfes ne purent caufer aucun dégât,, tout
le temps qu’ils furent eri Scythie & dans lé pays
des Sauromates, les haHians ayant détruit tout ce
qui étoit dans les campagnes ; mais quand ils eurent
pénétré dans(i) *il 1 celui des Budins , ils trouvèrent la
ville des Gélons, qui étoit bâtie en bois. Comme
elle étoit entièrement déferte , & que les habitans
en avoient tout emporté, ils y mirent le feu. Cela
s c v
fait, ils allèrent en avant, marchant fur les traces
de. l’ennemi. Enfin, après avoir parcouru tout le
pays des Budins, ils arrivèrent dans un défert au-
delà de ces peuples, où l’on ne rencontre pas un
feul homme.' Ce défert a fept journées de chemin.
On trouve au-deffus le pays des Thyffagètes,
d’où viennent quatre grandes rivières, le Lyans,
l’Oarus , le Tanaïs, & le Syrgis ( i ) , qui fe jettent
dans le Palus-Meotis, après avoir arrofé les terres
des Méotes. , .
Darius étant arrivé dans ce défert, s’arrêta
fur les bords de l’Oarus, où il campa avec fon
armée. Il fit eonftruire huit grands châteaux, à
foixante ftades ou environ l’un de l’autre, dont
les ruines, dit Hérodote , fubfiftent maintenant.
Tandis qu’il s’occupoit de ces ouvrages, les Scythes
qu’il avoit pourfuivis , firent le tour par le
haut du pays, & retournèrent en Scythie. Comme
ils avoient entièrement difpara, & qu’ils ne fe
montraient plus, il lai fia ces châteaux à demi-faits,
& dirigea fa marche à l’occident, perfuadé que
ces Scythes formoient toute la nation, & qu’ils
s’étoient fauvés de ce côté. Comme il marchoit à
grandes journées, il arriva en Scythie, où il rencontra
les deux corps d’armée des Scythes. Il ne
les eut pas plutôt trouvés, qu’il fe mit à les pour-
.fuivre' ; mais ils avoient foin de fe tenir toujours
à une journée de lui.
Ils s’enfuyoient, fuivant les conventions faites
• entre eux, chez les peuples qui avoient refufé leur
alliance, & Darius les fuivoit fans relâche. Ils fe
jetèrent premièrement fur les terres des Mélan-
chlênes , qui furent 'alarmés à leur vue & à celle
des Perfes. De-là ils attirèrent les Perfes chez les
Androphages, où , ayant femé lé trouble & l’épouvante,
ils les conduifirent chez-les Neures,
qui furent également effrayés. Enfin ils fe fau-
vèrent chez les Agathyrfes, mais ceux-ci voyant
leurs voifins alarmés prendre la fuite, envoyèrent
aux Scythes.un héraut,avant qu’ils euffent mis le
pied dans leur pays, afin de leur en interdire
l’entrée, les menaçant de leur livrer bataille en
cas qu’ils y vinfient. Après ces menaces , les Agathyrfes
portèrent leurs forces vers les frontières,
pour les en écarter.
Les Mélanchlènes, les Androphages & les
Neures, voyant les Scythes fe jeter, avec les
Perfes , fur leurs terres, ne fe mirent pas en
devoir de les repouffer. Saifis de crainte à cette
vue , ils oublièrent leurs menaces, & s’enfuirent
dans les déferts, Vers le nord. Quant aux Agathyrfes
, comme ils refufèrent aux Scythes l’entrée
de leur pays, ceux-ci ne cherchèrent plus à y
(i) M. Larcher fait obferver que c’eft le même que
YHyrgis dont il à ëté^parlé, & appuie fon opinion, qui
fuppofe que les Grecs mettoient indifféremment-au
commencement des mots l’S ou l’afpiration H , pour
le nom de la ville de Salmydejfus, appelée auffi ■ ■ Hat»
my deffus.
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cénêtr» ; mais au fortir de la Neuride, ils rentrèrent
dans leur patrie, où les Scythes les fuivirent.
Darius s’étant apperçu que les Scythes ne tai-
foient que paffer d’un pays à un autre, enydya
un cavalier à Idanthyrfe, leur ro i, pour lui reprocher
cette fuite continuelle ( i ) , & lengager
à fe reconnoître dans là dépendance. _
Idanthyrfe lui répondit ; que n’ayant pas dha-
bitations hjoes, les Scythes n’ayoient pas de raiion
de défendre le pays, &c. Pendant ce temps on
fit partir lés Scythes fur lefquels régnoit Scopafis,
avec les Sauromates qui fer voient avec eux, pour
aller conférer avec les Ioniens, auxquels on avoit
confié la garde du pont confinât fur lifter.
Quant aux Scythes qui refioient dans le pays ,
ils réfolurent de ne plus forcer les Perfes à
courir de côté & d’autre \ mais de les attaquer
toutes les fois qu’ifs prendraient leur repos. En
conféquenee ils fe mirent à obferver le temps ou
ils le prenoient, & alors ils executerént ce qui
avoit- été concerté entre eux. Dans ces attaques,
la cavalerie des Scythes mettoit toujours en fuite
celle des Perfes ; mais celle-ci, en fuyant, fe
replioit fur l’infanterie, qui ne manquoit pas de
la foutenir. Ainfi, lorfque les Scythes avoient fait
fuir la cavalerie ennemie, la crainte des gens de
pied la forçoit auffi-tôt de fe retirer. Ils ne laifloient
pas néanmoins de recommencer de pareilles attaques
pendant la nuit. #
Ce qui eft bien étonnant, ajoute l’hifiorien grec ,
c’eft que le cri des ânes & la figure des mulets
favorifoient les /Perfes, & étoient défavantageüx
aux Scythes, quand ils attaquoient le camp de
Darius. Il ne naît, en effet, en Scythie, ni âne
ni mulet, & même on n’en voit pas un feul dans
tout le pays, à caufe du froid. Les ânes jetoient,
par leurs cris, l'épouvante parmi la cavalerie des
Scythes. Il arrivoit fouvent que celle-ci alloit a la
charge ; mais fi , fur ces entre faites, les chevaux
les entendoient, -ils dreffoient les oreilles d’étonnement,
& reculoient troublés, parce qu’ils n’étoient
accoutumés ni aux cris ni a la figure de ces
animaux : mais c’étoit un futile avantage.
Les Scythes, pour parvenir à détruire plus complètement
les Perfes , & les tourmenter par l ’extrême,
difette de toutes chofes, ufèrent de l’artifice
fuivant. Ils leur abandonnèrent quelques-uns de
leurs troupeaux, avec ceux qui les gardoient, &
fe retirèrent dans un autre canton : les Perfes fe
jetèrent fur les troupeaux, & les enlevèrent.
Ce premier fuccès les encouragea, & fut fiiivi
de plufieurs autres. A la fin cependant Darius fe
trouva dans une extrême difette. Les rais des
Scythes en étant inftruits, lui envoyèrent un héraut
avec des préfens , qui confiftoient en un
(r) Je fupprime volontiers la harangue, que je foup-
çonne être de la façon de l’hiftorien grec. Au refte ,
il fuftu d’en avoir le feus.
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oifeau, lin rat, une grenouille & cinq flèches. Les
Perfes demandèrent à l’envoyé ce que.fignifioient
ces préfens. Il répondit qu’on l’avoit feulement
chargé de les offrir ; qu’il les exhortoit cependant
à . employer leur fagacité à en pénétrer le fens.
J’abrège ici l’hiftorien, pour dire feulement que.
la vanité de Darius lui fit trouver dans ce préfent
l’emblème d’une foumiffion entière de la part des
Scythes. On peut prefumer que les courrifans
applaudirent à fa pénétration, car Hérodote remarque
que le feul Gobryas fut d’un avis contraire.
« Perfes , dit-il, ces préfens fignifient, que fi vous
» ne vous envolez pas dans les airs, comme des
» oiféaux, ou fi vous ne vous cachez pas fous terre
» comme des rats, ou fi vous ne fautez pas comme
» les grenouilles , vous ne reverrez jamais votre
» patrie ».
La partie des Scyth,es à qui l’on avoit précédemment
confié la garde des environs du Palus-
Meotis, & qui venoit de recevoir l’ordre d’aller
fur les bords de l’Ifter, pour s’aboucher avec les
Ioniens, ne fut pas plutôt arrivée au pont.que
ceux-ci avoient jeté fur ce fleuve, qu’ils les engagèrent
à le rompre. Ils y étoient autorifés, fans
manquer à leur parole , puifque le délai demandé
par Darius, pour fon retour, étoit expiré. Les
Ioniens promirent en effet de le rompre (a).
Après l’envoi des préfens, le refte des Scythes
fe mit en bataille en préfence des Perfes, tant la
cavalerie que l’infanterie , comme s’ils avoient eu
intention d’en venir aux mains. Mais tandis qu’ils
étoient ainfi rangés en bataille , un lièvre fe lève
entre les deux armées. Ils ne l’eurent pas plutôt
apperçu, qu’ils jetèrent de grands cris, & le pourfuivirent.
Darius demanda quelle étoit la caufe de
ce défordre. On lui répondit que les Scythes avoient
quitté leurs rangs pour courir après un lièvre. Il
eut le bon efprit de voir, dans ce peu d’exaâitude
à conferver leurs rangs, le peu de crainte qu’ils
avoient de les rompre, & par fuite, le peu de
crainte qu’ils montraient aux Perfes, ofant ainfi fe
difperfer en leur préfence. Il demanda de nouveau
I confeil, & Gobryas lui confeilla de nouveau de
fe retirer.
Auffi, dès que la nuit fut venue, il laiffa dans
le camp les malades avec les corps des troupes
dont il fe foucioit le moins ; il y fit auffi attacher
les ânes, afin que leurs cris fe fiffent entendre.
Quant aux hommes, il les y laiffoit, feus prétexte
de garder le camp, tandis qu’avec l’élite de
fes troupes il irait attaquer l ’ennemi ; mais, en
effet, parce qu’ils étoient foibles ou malades. Ayant
perfuadé ces malheureux, il fit allumer des feux,
& marcha en grande diligence' vers l’Ifter. Les
(a) On fait qu’ils en furent détournés par Hiftrée, tyran
de Milet , qui facrifia ainfi l’intérêt de ia Grèce à la
Confiervatioh de fon pouvoir. Voye\ dans Hérodote , es
1 raifionspar lesquelles il appuie fon fentimeat.