
qu’il rie donne à aucune autre mer : il ne le confinerait
donc que comme le courant d’une rivière ;
& Hérodote qui examina l’Hélefpont avec la
éuriofit-e d’un voyageur, l’appelle aufli un fleuve.
La defcription que fait Homère du mont Ida,
répond à fon état aâuei. Ses fotnmets divers font
encore couverts de pins, & l’on y trouve beaucoup
de fontaines. Nous y avons fait un voyage
pendant la nuit ; les hurlemens perpétuels des jac-
kats , le mouvement des bêtes farouches, au milieu
des buiflons, l’agitation intarifiable des ruif-
feaux nous rappeloient d’une manière très-frappante
les rites de Cybèle ; car on célébrait lès
fêtes dans la même faifon , au milieu de la nuit
& de ces mêmes forêts élevées & fauvages dont
je viens- de parler.
Le mont Gargara , le Cotyle, le LcEhim, n’ont
changé que de nom , & ils ont un afpeét aufli
brillant qu’au temps de l’Iliade. Pline remarquoit
cependant déjà que les rivières dont parle Homère
ne font plus telles qu’autrefois, & l’on ne
doit-pas s’en étonner , car le pays eft très-fu jet
aux tremblemens de terre. C’eft dans ces montagnes
que l’on tirait le bois à brûler & les bois
de conflruâion. Paris & Enée y coupèrent celui
de leurs vai(féaux. Le héros de Virgile ne pou-
voit pas choifir un endroit plus commode pour
conflruire les liens , qu’Antandros , au pied du
mont Ida. Quand il fe rendit à ce chantier, il
dut s^échapper de Troye par une porte oppofée
à celle qui avoit fervi d’entrée à l’ennemi, lors de
la prife de la ville. Antandros étoit le lieu de
toute la côte, lé plus retiré & le plus à l’abri de
la flotte grecque. Du temps des Romains, ce
port a'pprovifionnoit de bois toute la province.
Ji commet pourtant deux erreurs quand il dit ;
.................Çlajjemque fub ipfo,
Antandro aç Phrygiæ molimtfr montibus ldee ,*
car Antandros n’étoit pas encore bâti , & la
Troade ne s’appeloit pas Phrygia.
Nous avons examiné avec foin , dit M. W o od ,
la fource du Scamandre’; il fort d’un rocher, &
il- fe répand au même inftant dans un baflin circulaire
de fept ou huit pieds de diamètre, à l’ombre
d’un platane. Il tombe' enfuite entre des bois &
des rochers très - rpittorefques , & il eft bientôt
joint par un autre ruilfeau, avant de prendre fa
direâion vçrs la mer. Il y a environ vingt-trois
milles en ligne droite de la fource à l’embouchure
du Scamandre ; mais la diftance eft plus
confidérable, ft l’on comprend les détours de la
rivière, qui, dans un petit efpace, arrofe bien
des cantons différens. De fa fource jufqu’àu-def-
fous de Chifflik , fon lit eft pierreux & efearpé,
& il faute par cafcades plutôt qu’il ne roule : de-là "
il ferpente dans une riche plaine jufqu’à Enée , le |
plus grand village de ce pays, où il y a un
ppnt de bois, Il reçoit le Sfinoïs dans les environs , I
• parmi des champs de bled entremêlés de jolis
mûriers.
Au-deffous de la jôn&ion de ces deux rivières,
on voit les ruines d’un ancien pont, & celles de
Bornabafchi ; il roule fès eaux à travers des montagnes
pleines de roches, cù l’on voit que’ques
-pins & d’autres arbres, & qui reffemblent beaucoup
aux Alpes.
La largeur des vallons qu’il parcourt eft irrégulière
: quand nous les vîmes, il occupoit une
petite partie de fon li t , qui n’eft rempli entièrement
qu’en hiver. Nous dreflames notre tente
dans la portion du canal qui étoit fèche, fur un
terrein graveleux & près dû courant, alors ft petit,
qu’une armée moindre que celle de Xerxès auroit
pu le mettre à fec. Dans cet état, d’épuifement,
nous trouvâmes cependant de très-bellés cafcades
; au-deffous de Chifflik. A Bornàbafchi il quitte la
- chaîne de collines dans laquelle il entre aux mines
du vieux pont, & il coule fans bruit jufqu’à la
nier parmi des bas marécageux, qui font extrêmement
fertiles, quand on les deffèche & qu’on les
cultive. Dès-lqrs on diftingue à peine fon courant.
Bornabafchi fignifie la fource. Il y a un joli
ruilfeau qui donne ce nom au village, compofé
d’une demi-douzaine de cabanes. L ’eai* qui fe précipite
ici du rocher, forme tout-à-coup un courant
plus confidérable que celui que nous avons
trouvé dans le canal du Scamandre; mais ces eaux
ne fe joignent pas au fleuve, elles reftent ftagnantes
parmi les rofeaux des marais, quoiqu’un gouverneur
turc ait fait un deflèchement pour les con-
. duire à la mer Egée. Les plaines à l’embouchure
de Cayfter & du Méandre ( qui font plus au fud ) ,
& des autres rivières de l’Afie mineure, font exactement
les mêmes que cçlles-ci. Toutes ces rivières
gagnent du terrein fur la mer ; car elles
fe trouvent engorgées & croupiffantes au milieu
des décombres qu’elles y amènent pendant l’hiver.
Le Scamandre étoit au degré le plus bas, quand
M. Wood l’a vifité, & il n’avoit pas affez d’eau
pour entretenir un courant de fa fource à la mer.
Il formoit un amas de plufieurs petits ruifleaux de
différentes origines, & qui fe perdoient dans un
Ut graveleux, après une petite courfe languiffante
& fbible.
Mais on vo it, par la longueur de fon lit & la
longueur des trais ponts, qu’il eft bien plus gros
en hiver ; & quoique les habitans n’aient pas
alors parlé à M. Wood des ravages que produi-
fent les inondations de l’équinoxe & de l’h iver,
il avoit fous les yeux des pierres énormes amenées
du haut de la montagne , des buiffons, des arbres
déracinés, mêlés & confondus avec du limon &
des décombres de différentes efpèces : on décc u~
vroit dés lambeaux de gazons fufpendus à des
arbres, à douze ou treize, pieds de terre, par les
inondations de la faifon pluvieufe. On en trouva
fur-tout en*re les ruines du vieux pont de Bor*
mbafehi, car le lit eft ici refferré, & les eaux riè
peuvent groffir fans fe répandre.
On voit dans l’Iliade que cette rivière eft tantôt
paiftble & tantôt turbulente. Homère parle d’un
arbre tombé qui rempliffoit l’intervalle d’un bord
à l’autre,' & rien ne peint mieux l’état d’épuife-
ment où M. Wood l’a trouvé. D’un autre côté,
dans fon état de fureur & de violence, elle a pu
, démolir de fond en- comble les retranchemens des
Grecs', comme le dit Homère, & peut-être que
l’impétuofité & les dévaluations fubites du ' Scamandre
lui ont fourni l’idée de cette belle fi&ion.
Homère fait de la Troade une defcription différente
de celle qu’on trouve fur la carte de M. Wood.
T raye n’eft plus à la même diftance de la mer,
qui , depuis cette époque , s’eft un peu retirée de la
côte. La nouvelle Troye eft ft tuée fur Tes bords
de la mer; mais ce n’eft pas la Troye du poète
. Grec. Celle-ci étoit un peu plus haut fur l’Hélef-
pont, & non fur la mer Egée. M. Wood eft très-
fur que la pofitioa du Scamandre a aufli beaucoup
changé ; car la ‘ fource chaude étoit, fuivant le
poète , une des fources de cette rivière ; mais elle
eft maintenant fort au-deffous de la fource actuelle
, & elle n’a point de communication avec
le Scamandre: fes fources, fuivant Homère, étoient
près . des murailles de la ville ; mais le terrein
aux environs de la fource qui s~y voit actuellement
eft trop efearpé & trop inégal pour la po-
fition d’une ville. Cette fituation eft contraire
d’ailleurs à la marche d’Heâor & à plufieurs autres
incidens du poème. La diftance de cette fource à
l’Hélefpont eft aufli trop grande , pour qu’il foit
arrivé tout ce qu’on raconte de cette journée. La
ville ne devoir pas'être éloignée de la mer, autrement
là flotte n’aurpit pas pu voir le camp des
Grecs. Virgile a peut-être eu tort de fuppofer
qu’on découvrait la ville du haut d’une tour, car
il auroit été inutile d’envoyer Polytes à la tombe
d’Aftètes pour * reconnoître l’ennemi. D’après le
plan que le poète Romain donne de T ro y e , il eft
probable que pendant fon féjour en Grècè, il
n’a pas vifité la Troade.
Les révolutions qu’a éprouvées la fource du
Scamandre ont dû arriver au temps de Strabon ,
qui femble avoir trouvé le pays dans l’état où il
eft actuellement. Il le compare avec la defcription
d’Homère , & il en conclut qu’il eft arrivé du
changement depuis ce poète. Je hafarderai, dit
M. Wood, de fixer l’ancienne fource de la rivière
& la fituation de la ville au-deflous de la fource
aCtuelle du Scamandre, mais plus haut que la
plaine : cette pofition approche plus de celle
d’Homère.
• a lieu de remarquer. que le Simoïs & le
Scamandre ont toujours été réunis avant de parvenir
à l’ancien pont ; mais on peut d’ailleurs fixer
le lit de leur réunion à l’endroit qui convient le
mieux à l’ aCtion du poème ; car les torrens changent
fréquefament de li t , & l’on en voit par-tout
des traces.
Homère ne parle jamais de la route du Scamandre
du vieux pont à Bornabafchi ; fi l’on en
juge par la fituation du terrein , c’eft le fcul canton
°ù f on puiffe affurer avec quelque certitude, que
la rivière conferve fon ancien lit..
La plaine qui aboutit à l’Hélefporit comme à
Bornabafchi, l’hîftoire, ainfi que l’afpeCt des lieux,
depofent qu’une partie de cette plaine a été créée
depuis Homère. Le fol qui vient fe placer à l’embouchure
du Scamandre accroît cette terre, ainfi
que l’Egypte a été agrandie par lé Nil. La côte
d’Afie lur-tout, & en particulier aux environs du
Méandre ( i) , l’île de Ludé , n’étoit pas éloignée
de la côte, & Strabon & Paufanias la placent
vis-à-vis de Milet ; mais aujourd’hui elle fait partie
du continent.
Ayant ainfi réduit la diftance entre les fources
du Scamandre & l’Helefpont, M. W^ood fuppofe
que le camp dés Grecs occupoit toute la côte de
la iner devant la ville. Pour prouver que toute
cette étendue étoit néceffaire, il eft à propos de
confidérer leurs forces & leur manière de camper.
Il paraît qu’il y avoit cent riiiüe foldats ; mais leur
fuite n’étoit pas ernbarraffante comme celle de nos
armées ; on ne connoifloit point alors le train cîe
l'artillerie, & la fiinplicité des moeurs militaires
nexigeoit ni cuifiniers-, ni un nombreux domestique.
Je crois cependant, dit M. W o od , que
plus de femmes fuivoient les troupes qu’aujourd’hüi.
C ’étoit un ufage confiant parmi les officiers &
les foldats d’un certain rang , de laiffer les femmes
dans la maifon , & de n’emmener que là maîtrefle ;
& l’on voit que la gouvernante du vieux Neftor
fervoit tour - à - tour aux plaifirs du maître &
aux travaux du ménage. Les femmes formoient
alors une portion confidérable du butin des armées ;
Sc ce qui ruine fi fouvent un officier, compofoit fa
richefle. Si on y ajoute les enfans que produifirent
ces cent mille Grecs en dix ans, il eft.raifonnable de
fuppofer que leur camp pouvoit renfermer cent cinquante
mille perfonnes. Les chevaux & les charriots
occupoient un grand efpace, & un petit ne fuffifoit
pas aux vaiffeaux. Ces bâtimens étoient mis à
terre &_dépofés parmi les tentes. M. Pope n’a
pas fait attention à eette. circonftance, & il commet
de fréquentes erreurs , parce qu’il ne voit pas
que les tentes & les vaiffeaux étoient placés pêle-
mêle. Ces bâtimens n’étoient à la vérité que de
tranfport, que de petirs bateaux. Quant aux tentes,
il paraît, par celle d’Achile, que c’étoient des efpèces
de baraques eu de hutes qui mettoient à
l’abri de toute forte de temps.
Il y avoit en outre au front du camp , du côté
de Troye , un grand retranchement compofé d’un
rempart à tours & à créneaux, & défendu par un
(i) J’en ai parlé ailleurs, d’après le voyage intérçffant
de M. Choifeul-Goufiier.