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rêta, fe trouva feulement à une journée de la
grande e au, ou d'une mer. On peut bien mettre
vingt degrés & plus pour ce dernier voyage. Alors
on trouvera notre voyageur au 230e degré. Il fe
joignit à des hommes qui habitoient plus avant fur
cette côté vers le couchant, & ils fui virent à-peu-
près la côte entre le couchant & le nord. Etant arrivé
chez la nation de fes camarades, il y trouva
les' jours beaucoup phis longsique chez lui;, & les
nuits très-courtes. Les*vieillards le diffuadèrent de
paffer outre, difant que la cote s’étendoit encore
beaucoup entre le froid &r lé couchant ; qu’elle
tournoit enluite tout-à-coup au couchant, &c.
Si on ajoute' donc ce: nouveau v o y a g e , & les
côtes qui s’étendent encore beaucoup, on verra que
cela' approchera des: 200 degrés de longitude ou
des' 190 , où je place le commencement de TÀmé-
rique , d’après les anciennes cartes Efpagnoles. -M.
le Page du Praz fait un autre calcul, qui pouffe-cette
diftance plus loin que m o i, 8c on ne fauroit pourtant
fe plaindre qu’il exagère dans fon calcul.
Il part d’après le principe que voici : Moncacht-
Apé a été abfeUt cinq ans. Il dit que pendant ce
tems il à marché, en réduifant le tout en-journées
de terre, en trente-fix lunes, dont il falloit, dit
l ’auteur, rabattre la moitié pour fon retour. A fept
lieues par jour feulement, cela feroit trois mille
fept cent quatre-vingt lieues : il en rabat encore la
moitié pour les détours ; ce fe ra , ce me femble,
bîen afféz ; reftent mille huit cent quatre-vingt-dix
Ireües. Quand même on compterait les vingt lieues
par degré, elles en feront 94 & demi, & alors il
aura été au 194e degré. De quelque manière que
l ’-on compte, on verra que le continent ne peut
s’étendre moins que je ne le marque.
Les circonftances dévoient mettre hors de doute
Ja vérité de cette relation.
M, le Page du Praz, dans lonhiftoire de la Loui-
fiane, rapportant la relation du voyage de Moncacht
Apél 'dit « qu’ün homme , Yafon de hation
3? qu’il à vifité, lui avoit affüré qu’étant jeune, il
33 avoit connu un homme très-vieux qui avoit vu
33 cetté-tefreV avant que la grande eau l’eût man-
3> g é e , qui alloit bien loin ;• 8ç que dans le tems
33 que la grande eau étoit baffe , il paroiffoit dans
33 l’eau des rochers à la place où étoit cette terre 33,
Si quelqu’un révoquoit en doute cette relation,
je ne (aurais la certifier : cependant deux réflexions
me la font regarder comme n’étant point de l’in-
yention de M. le Page,
i° . M. Dumont , qui a donné une autre relation
de la Louifiane, dans laquelle lu i, ou du ,moins
fon éditeur, eft fouvent d’un avis contraire à celui
dé M. le P a ge, bien loin de contredire çe voyage
de .Moncacht - Apé , -en a donné un extrait dans
fon ouvrage. O r , M. Dumont a , dit-on, demeuré
vingt-deux ans dans ce pays ; il n’auroit donc pas
planqué de reprendra M. le Page| fi ççlwi-çi tfavoit
çpnté qu’une fable.
J’pbferve en fécond lieu <jue 3 fi elle a. çté
fabriquée par un Européen, il faut avouer qii u
s’eft uirpaffé foi-même. On ne fauroit imiter mieux
la fimplicité du récit d’un homme rouge, une narration
aufli conforme à fon génie, & des circonftances
mieux adaptées à la narration ; circonftances
peu convenables pour un récit d’Européen , & qui
le font parfaitement à un de ces hommes fenfés »
que nous nommons Sauvages. Enfin , tout femble
convaincre un leéfeur non prévenu que c ’eft Mon-
cacht-Apé lui-même qui en eft l’auteur , & que M.
le Page n’a pas cherché à en impofer au public.
3°.. 'M. le Page affure, que ce fauvage étoit
connu chez ces nations fous le nom de Moncacht-
Apé , qui lignifie un homme qui tue La peine , ou là
fatigue, parce qu’il étoit infatigable pour les voyages
, ceux mêmes de plufieurs années. Les François
avoient un pofte chez les Matchez, & cet homme
n’en demeuroit qu’à quarante lieues. Si donc ce récit
•étoit controuvé, il eft impoflible que perfonne
n’en eût découvert la fauflèté. Ce jfe ft pas que je
l’adopte en entier, faute de favoir les longitudes
& les latitudes ; aufli c’eft uniquement par conjecture
que j’ai déterminé fa route fur ma carte. Voye£
les cartes géographiques.
On verra à l’article Californie , nos idées fur
les pays fitués à fon oueft, nord & nord -eft; la
relation de Moncacht-Apé ne doit fervir qu’à
prouver plus amplement mon affertion fur la largeur
immenfe de l’Amérique feptentrionale, tout
comme celle du P. Charlevoix, des deux femmes
du Canada rencontrées dans la Tartarie, qui aflii-
roient y avoir été conduites de nation en nation
par terre, à l’exception de quelques petits trajets
par mer.
On peut voir dans mes Mémoires & Obfervations
géographiques & critiques fur la Jïtuation des pays
feptentrionaux de V Afie & de VAmérique, imprimés
; à Laufane en 1765, in-40, des faits effentiels qui
viennent à l’appui de ce que j’établis ici. La nature
de cet ouvrage ne permet pas de nous étendre davantage.
Ajoutons quelques idées particulières fur
ce grand nombre de nations peu ou point connues.
On jugera facilement par ce que j’en ai déjà dit
en paffant, que je crois le vafte continent de VA-
mèrique feptentrionale habité par des peuples innombrables
, parmi lefquels plufieurs font très«
civilifés. Nous connoiffons quatre de ces peuples
très-diftinéls les -uns des autres, & il ne faut pas
douter qu’il ne s’y en trouve davantage. Quel-
quesruns affurent que fur le grand lac'des Mif-
taffïns au nord du fleuve Saint-Laurent, & à l’eft
. du fond de la baie d’H udfon, lac qui fe trouve
fur toutes les cartes , excepté fur les plus nou-
: velles, 'que* dis - j e , aux environs de ce lac & dans
les pays voifins, fe trouvent aufli des peuples plus
civilifés que leurs voifins.
Le baron de la Hontan dit qu’il avoit trouvé
les Eokoros fur la partie orientale du Mifliflipi,
& alliés des Outagamis, au côté oppofé, moins
fauvages que tops les autres qu’jl avoit vus ; que
A M E _ les Effanapés l’étoient encore moins.; que les Gnac-
fitares les furpaffoient en politeffe ; que les Mo-
zemleks regardoient ceux-ci comme barbares, &
«nie ceux-ci paroiffoient être furpaffés par les Ta-
huglanks. L’expérience de tous les fiècles & de tous
les lieux, prouve qu’il en eft toujours de même.
La barbarie augmente & diminue chez les peuples
de diftance en diftance. Nous voyons que
les Efquimaux, les Caraïbes, &c. qui font les plus
éloignés vers l’eft, font les plus barbares. On doit
donc juger que depuis les Tahuglanks vers les
bords de la mer, il y a beaucoup de nations qui
le font plus ou moins : la relation de Moncacht-
Apé le prouve; & fi on veut rejeter fon témoignage
& celui de la Hontan, on admettra pourtant
la relation qu’on a donnée des têtes pelées
& des hommes barbus, de même que de ceux
qui vendoient déjà du tems d’Efpejo aux habitans
du nord du nouveau Mexique, des marchandifes
inconnues aux fauvages. Et M. de Bourgmont, \
dont ©n ne peut révoquer en doute la relation
donnée par M. le Page du Praz, a aufli trouvé
les nations plus douces, plus polies, plus ingé-
riieufes, à mefure qu’il s’eft avancé vers l’oueft :
le P. Charlevoix, qui a parcouru tout le Canada,
& s’eft informé exaétement de ce qu’il n’a pas v u ,
a été fi. frappé de ce qu’il apprehoit de la manière
policée dont quelques nations vivoient , que,
ne pouvant pas le concilier avec l’idée qu’on fe
forme de ce qu’on nomme fauvages, il a été per-
fuadé qu’au nord du nouveau Mexique, il fe trou-
voit des colonies d’Efpagnols ou d'autres Européens,
à nous inconnues : tout ceci ne donne pas
peu de poids à la relation de la Hontan , dont
il n’étoit pourtant pas partifan.
Nous favons encore que les Chichiraecas, fauvages
des plus barbares, étoient les habitans originaires
du Mexique ; ils ont été chafles par les
Navatlacas, fortis du nouveau Mexique, qui étoient
moins barbares. Usïaifoient fept nations, & vinrent
apparemment de l’endroit au nord du nouveau
Mexique, où les anciennes cartes placent un lac ,
& ce qu’ils nomment feptem civitatum patria, où
les cartes fuivantes ont placé à-peu-près les Mo-
qui. Six nations vinrent les unes après les autres,
la première environ l’an 800 de Fère chrétienne ;
trois cent & vingt ans après la fortie des fix nations
, vinrent les Mexicains. Toutes ont refté
longues années en chemin , & venoient, félon
quelques-uns, du nord-oueft du nouveau Mexique.
Les Mexicains étant encore plus policés que
les fix premières nations, dévoient donc fortir d’un
peuple qui ne l’étoit pas moins. Il y a toute apparence
que la grande fécondité y a fouvent expnlfé
des eflaims de peuples, comme ailleurs. On fait
que ceci eft arrivé entr’autres chez les peuples fep-
tentriOnaux de l’Afie & de l’Europe, avant & après
Fère chrétienne ; ou bien ils ont été pouffés par
des nations plus puiffantes qui les ont obligés à
pe rch e r de nouvelles demeures. Peut-être que
Géographie, Lomé h
l’une 8c l’autre caufe y a eu part."
Q u’on ne dife pas que l ’Amérique eft peuplée
de barbares, & que par conféqiient les peuples .
civilifés font venus d’ailleurs. Ne fortons - nous
pas tous de la même fouche ? La raifon, le génie
ne font-ils pas le partage de tous les hommes,
du plus au moins ? Il ne s’agit que de la culture,
comme de celle des terres. Nous voyons même
par les hiftoires anciennes, que les terres les plus •
fertiles font devenues ftériles faute de culture, &
qu’une bonne culture a donné de la fertilité au
fol le plus ingrat. Les Chinois-qui font fi ingénieux
& fi laborieux , ne font pas une colonie
étrangère : ils ont eu plufieurs inventions, comme
celles de la poudre à canon, de l’imprimerie, & c . ,
avant les Européens. Les Péruviens, avant l’arrivée
des Incas, étoient aufli bruts que les Troglo-
dites : cependant on voyoit dans leur pays d’an-,
ciens édifices qui valoient bien tout ce qui faifoit
l’admiration de l’antiquité en ce genre, fans pouvoir
en découvrir les auteurs. On fera donc convaincu
que des peuples entiers, par des révolutions
inconnues, font retombés dans la barbarie, de civilifés
qu’ils étoient, -& que d’autres en font fortis
ont confervé leurs moeurs, & avancé dans les arts.
Pourquoi les Américains euffent-ils été feuls privés
de ces avantages de la nature ?
M. de Guignes voudroit înfinuer que les Mexicains
font d’origine chinoife, de même que les
derniers Péruviens; Q u’il me permette de n’être
pas de ion avis. Il eft vrai que ces derniers ref-
femblent en bien des points aux Chinois ; mais
comment peut-on croire un moment qu’ils aient
fait le trajet immmenfe par mer depuis là Chine
au Pérou ? Bien plus, on voit que la mer du Sud
a été long-tems inconnue aux Incas qui étoient v eT
nus de l’intérieur du continent , & qui ne font
arrivés fur ces bords qu’après l’an 1200. M. dé
Guignes ne trouve rien du voyage des Chinois
après le cinquième fiècle. D ’où leroient-ils donc
venus ? Il avoue même qu’ils alloient terre àterre,
de la Chine au Japon, de-là auJeffo, enfuite au
Kamtschatka & enfin à l’Amérique, & par-tout
ils employèrent quatre ou fix fois plus dç tems
qu’il n’en faudrojt à des mariniers Européens.
Comment auroient - ils donc traverfé cette mer ?
Encore patience s’ils étoient venus du Pérou à la
C h in e , ils fe feroient rafraîchis dans les îles %
puifque les vents alifés les auroient favorifés : mais
qu’ils foient venus de la Chine ;au Pérou, lorf-
que les Européens ne fe hazardent qu’en tremblant
à faire le trajet des Philippines aux Marianes, Sc
de là à Acapulco, & y emploient.des fix à fept
mois, qui pourrpit penfer un moment que les Chinois
euffent fait ce voyag e, non - feulement au
Mexique, mais paffé la ligne, pour chercher le
Pérou dont ils n’avoient pas la moindre idee ?
Credat Judceus Apella.
Si l’on difoit qu’ils ont côtoyé le Mexique &
tous les pays fitue? au-delà jufqu’au Pérou, je de