
3 U C A L
5°. Ce lavant allégué celles des Pilotes qui vont
des Philippines au Mexique. Je ferois curieux de
les voir ; leur inftruâion porte expreffément de ne
pas aller au-delà du trente-quatrième degré ; & fi
Gemelli Carreri a paffé jufqu au trente-huitième
degré, c’étoit quelque chofe d’extraordinaire ; ce
vaiffeau y a pourtant cbfervé des lignes de proximité
de la terre. Le port de Drake étoit auffi à
trente-huit degrés.
On trouvera dans mes Mémoires & observations
géographiques & critiques , &c. beaucoup d’autres
raifons en faveur des anciennes relations.
Il faut convenir pourtant qu’il y a une objection
un peu confidérable contre le gifement des pays à
l ’oueft de la Californie, tels que les anciens les ont
repréfentés.
On dit j depuis l’extrémité de la prefqu’île , on a
fait courir la côte, la plupart oueft-nord-oueft, à
trente-huit, quarantequarante-deux degrés.
Or , Tchirikou a été jufqu’au cinquante-lix à cin-
quante:feptième degré ; Beering jufqu’au cinquante
neuvième. On marque même fur les cartes une
baie de ce côté, jufqu’à près de foixante-deux degrés
, & ce au milieu de cette longue côte des anciens;
cette différence fi grande, vérifiée récemment
par les Ruffes, doit faire difparoître cette
fuppofition des anciens, & prouver qu’ils n’ont
connu cette prefqu’île de Californie, que telle
quelle eft repréfentée furies cartespofférieures &
les nouvelles.
Voici ce que je réponds.
11 eft toujours sûr, comme M. Buache l’avoue ,
que l’extrémité de l’Amérique s’étend jufqu’à la fin
des côtes les plus feptentrionales , vis-à-vis les
Tzchutzki, à environ dix-fept cents lieues, depuis
le cap Saim-Lucar ; que le détroit a été trouvé le
moins large, à l’endroit même, que les anciennes
cartes l’ont repréfenté tel ; que Drake a affuré à la
reineElifabeth (à laquelle il n’auroit pas ofé en im-
pofer, fon équipage ayant pu dépofer contre lu i,
& lui faire perdre les bonnes grâces de la reine
qu’il a confervées au plus haut degré jufqu’à la fin
de fa v ie , \ que le 5 juin 1579, il s’eft trouvé à l’entrée
du détroit à quarante-deux degrés , & qu’à
caufe du froid il-s'eft rendu au trente-huitième degré
; o r , s’il n’avoit été que dans la prefqu’île ,
cela proirveroit, vu le détroit à quarante-deux degrés,
que la Californie eft une île , & pourtant on
avoue le contraire.
. Voici donc deux points , partie faits, partie probabilité,
qui me paroiffent pouvoir réfoudre ce
problème.
i°. Que la latitude des lieux que Beering doit
avoir reconnue, eft doublement erronée dans la
relation même. Selon fa carte il eft parvenu à environ
cinquante-huit degrés & demi ; ,& pourtant
il a pu reconnoître qu’une haie s’étend jufqu’à foi-
xante-un degrés & demi, par conféquent à foixante
lieues au-delà de L’endroit où il s’eft trouve. Je ne
dirai pas qu’on s’eft trompé de dix à douze degrés ;
C A L
je n’appuyepas mon fyftême par des abfurditésy
mais fi l’erreur étoit dans l ’un & l’autre pris enfem-
ble de cinq degrés & plus, en joignant ce fait à la
conjeélure fuivante, celle-ci en deviendroit plus
probable.
2,0. D ’A cofta, en parlant du chemin que les fol-
dats de Vafquez Cornero firent dans les quartiers
de Cicuic , vers l’oueft , jufqu’à Quivira , pour
trouver ce roi Tataraxus, furies richeffes duquel
on leur en avoit fi fort impofé , dit : « tout le
» chemin eft couvert de fable, & le pays maudit
» par fa ftérilité ; fouvent pendant cent lieues ori
» ne trouve pas une feule pierre , ni une herbe , ni
» un arbre ». Quoi de plus naturel que de croire
q u e , depuis deux cents ans , (ce voyage s’étant fait
en 1 5 4 0 ) , la mer ait pu gagner fur ces plaines fa-
blonneufes, fans pierres , fans montagnes quelconques
? Quelle merveille , fi, dis-je, deux cents-
ans après , la terre ferme fe trouvoit reculée du huitième
au dixième degré ?
Le voyage de Moucacht-Apé le confirme. M. le
Page du Praz dit: « qu’un homme Yafou de nation,
»avoit affuré, qu’étant jeune, il avoit connu un
» homme très-vieux qui avoit vu cette terre avant
» que la grande eau l’eût mangée , qui alloit bien
»loin ; & que dans le rems que la grande eau eft-
» baffe , il paroît dans l’eau des rochers à la place
» oil étoit cette terre ».
Quoi de plus fimple qu’un pareil évènement, foit
qu’un tremblement de terre en foit caufe , foit que
la mer y ait gagné peu-à-ptu ! Nous voyons de pareils
changemens, arrivés en grand nombre fur
notre globe ; ainfi celui-ci ne doit point paroître incroyable
, ni même fort furprenant.
Une annonce, datée de Pétersbourg, le 21 mars
1765, vient encore à l’appui de cette conjeélure»
» On a découvert que la mer qui fépare le Kamt-
» fchatka de l’Amérique eft remplie de petites îles &
» de bas-fonds, & que la pointe de cette prefqu’île
» n’eft éloignée de la côte de l’Amérique que de:
» deux degrés & demi ». --
Une autre relation confirme tout ceci. Le chevalier
de G. favant curieux , qui s’eft informé de plu-
fieurs particularités à Pétersbourg , m’a rapporté
que tous ceux qui ont été vers ces côtes , ont affuré-
qu’elles font prefque inabordables-; qu’il y a quantité
de rochers, de bas-fonds, pays noyés, Sic-
Tout ceci^coneourt admirablement pour fortifier
mes conjeéiures ; il n’y a que des recherches postérieures
& exaétes qui nous en puiffentdonner une-
entière- certitude»
Nous avons deux éditions originales du voyage
de Drake , l’une qui provient de lui - même , &.
l’autre imprimée à Paris, chez Goffelin , en 1613,
donnée par F. de Louvenconrt, fieur de ’Va.uçheL-
le s, dédiée au feigneur de Courtomer, parce que
c’eft d’un de,les v a ffau xqu i avoit été de ce voyage *
qu’il latenoit.
Les deux relations ne différent que dans des articles
de petite importance \ le point du départ
C A L
n’eft pas indiqué. Les Anglais avoiêrtt pillé la petite
ville Guatierca, dans le continent que je ne trouve
pas, non plus que Tîle de Canon, où ils font arrives
peu de jours après : voulant en partir, ils Virent un
vaiffeau, auquel ils donnèrent la chaffe , le prirent,
& y trouvèrent un gouverneur Efpagnol qui alloit
aux îles Philippines ; c’eft fur toutes ces circonf-
jances qu’on peut affeoir fes conjeéiures.
Les voilà éloignés de quelques jours de la Terre-
ferme , à une île hors du voifinage des Efpagnols ,
puifque Drake y fit radouber fon vaiffeau. Cette
rencontre du gouverneur des îles Philippines doit
faire conjeélurer quelle fe fit déjà affez avant dans
la mer.. Je ne trouve rien de reffemblant ail nom &
à la fituation de cette île , que, fuivant les cartes anciennes
, les Cazone», qu’un Français a bien pu
changer en Canon. Ces îles font placées vers le cap
d’Engano , au deux cent cinquante-deuxième degré
de longitude , & vingt-neuf de latitude.
Drake voulant alors entreprendre fon voyage du
•retour , affembla la flotte, pour délibérer fur la
Toute ; favoir , fi on la feroit par le détroit de Magellan
, ou .par la vafte mer du Sud, & en ce cas,
fi ce feroit vers les Moluques & le cap de Bonne-
Efpérance, ou bien le long du royaume de la Chine
& de la Tartarie, par le détroit d’Anian , pour
venir defcendre en Angleterre par la mer Glaciale ,
doublant le promontoire Tabin & les côtes de la
Norwège. Faifant réflexion que , par les deux
.premières routes , foit le long des côtes de l’Amérique
, de la domination Efpagnole , & par le détroit
de Magellan, foit depuis le cap de Bonne-Ef-
pérance, en côtoyant l’Efpagne , ils rifquoient de
perdre trop leur tréfors ; la relation Françaife dit de
Drake r« il a donc conclu qu’il falloit plutôt prendre
n la route du Japon & dH royaume de la Chine, &c.
v II a réfolu que nous retournerions par la fufdite
» mer du Nord. Cette opinion étant fuivie, le 16
9» d’avril 1579, nous avons mis à la voile , & nous
» avons cinglé & fillonné fur l’échine de cette mer,
n jufqu’à fix cents lieues de longitude ».
. Le 5 juin ils furent à quarante-deux degrés du
côté du pôle arélique , & trouvèrent l’air fi froid ,
qu’ils revinrent au trente - huitième degré de la
ligne, où ils trouvèrent un p ays, que Drake nomma
nouvelle Albion. Drake n’ofa pasfiiivre fon premier
deffein de paffer par le nord ; après avoir fuffifam-
ment lejourné en ce pays , eft-il d it, fans indiquer
combien de te ms , ils prirent la route vers la ligne,
& furent de retour après deux ans & onze mois.
La reine Elifabeth, dontle génie fupérieur, & la
pénétration ne font mis en doute par perfonne , &
qui avoit une eftime particulière pour Drake , eut
la curiofité de voir ce vaiffeau , qui avoit fait le premier,
après Magellan , le tour du monde. Drake ,
en lui faifant la relation du voyag e, d it, qu’à quarante
deux degrés ; (d ’autres difentquarante-trois),
il fut à l’entrée .du détroit d’Anian ; elle ept peine à le
croire ; & fans la véracité reconnjie de ce favori,
appuyée du témoignage dç l’équipage de tous ces
C A L 5 5 5
vaîffeaux, on en auroit pu douter alors. Auffi le (1 )
réda&eur de l’hiftoire générale des voyages ne veut
pas croire que Drake ait jamais eu deffein de paffer
par le nord. Quelle raifon en donna-t-il ? i° . parce
qu’il eft dit qu’il vouloit y aller de la Chine ; 2®.
que le détroit d’Anian n’a jamais été bien connu.
Ces deux raifons fortifient plutôt cette certitude
qu’ils ne la diminuent.
i°. Alors la géographie fe fondoit fur des faits
réels , fur les anciennes relations & cartes des Efpagnols
, qui indiquoient ce détroit entre l’Amérique
& l’extrémité orientale de l’Afie ; par eonfé-
quent la Tartarie , contiguë à fon fud à la Chine ;
comment donc Drake pouvoit-il mieux indiquer la
route qu’il vouloit tenir * que par les pays les plus
voifins , & les feuls connus de l’A f ie , la Chine &
le Japon ?
20. Si ce détroit n’a jamais été bien connu, on
peut dire qu’on en avoit plus de connoiffance alors
que depuis ce tems, où on avoit tout défiguré. Sup-
pofons que non : Magellan, peu auparavant, n’a-
t-il pas paffé par le détroit de fon nom, quoique
celui-ci n’eût jamais été connu du tou t, & que
même on eût à peine un foupçon qu’il en exiftât de
pareils ; au lieu que perfonne ne doutoit de celui
d’Anian ? Un héros, un marin , un amiral des plus
experts, des plus célèbres, ne devoit-il pas chercher
à augmenter fa gloire en y ajoutant celle d’avoir
paffé le premier ce détroit, pour retourner en Angleterre
? On voit d’ailleurs quelles raifons importantes
lui ont infpiré cette réfolution.
C ’eft donc d’après ce voyage & cette relation de
Drake qu’on devoit juger, fi on vouloit, quoiqu’à
tort, rejetter celle des Efpagnols. Voyons comment
011 s’y eft pris.
Après qu’on eut défiguré cette partie de l’Amérique
, transformé la Californie en île , qu’on
difoit de cinq cents lieues de long , apparemment
avec les fmuofités, fans quoi elle auroit eu à peine
quatre cents lieues, au lieu de dix-fept & plus,
que les Efpagnols indiquoient, depuis le cap Saint-
Lucar , jufqu’à l’extrémité du détroit , que fon
giffement y eft fud-eft à nord-oueft, même plus
fud & nord, au lieu de oueft nord-oueft ; qu’on eut
mis ce détroit & l’extrémité occidentale de Tîle au
230,240 , 250 d. de longitude & p lu s , avec une
grande terre de Jeffo , entr’elle & l’A fie;après que,
de nos jours, on eut vérifié l ’ancienne pofition , &
reconnu que ce détroit fe trouvoit, félon la diver-
fité des nouvelles cartes, entre l’Afie & l’Amérique,
à 190,200,205 degrés, on a cherché à placer ce
port de Drake, dont on ne pouvoit nierl’exiftence,
d’après la relation , du moins pour la latitude , par
conféquent, au 38 d. de cette île , dont on laiffe
fubfifter la figure & le giffement dans la prefqu’île ,
malgré l’erreur reconnue : ce qui fait, depuis le cap
Saint-Lucar même, & non depuis Tîle C anon, qui
fans doute fe trouve plus loin en mer, 17 degrés ab-
(1) Tom. X L I , pag. 12, édit. ia. .
X y ■ /