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de notre hémisphère d,e tems immémorial ; ca r ,
quoique les procédés gu’pn emploie pour obtenir
la malléabilité d’un métal fi rétif dans fon état
minéral foient très-compliqués, M. de Mairan a
cependant prouvé qu’il faut regarder comme fa-
buleufes, les époques auxquelles on veut rapporter
cette découverte. {Lettres fur la Chine.)
Nous ne pouvons pas nous engager ici dans une
analyfe bien exa&emept fuiyie des fyftênies pro-
propqfés, pour expliquer les çaufes de cette différence
qu'o,n vient d'Ofiferver entre les deux parties
dîun même globe. C e ft un fecret de la nature,
où refprit humain fe confond à mefure qu’il
s’.opiniâtre à vouloir le deviner. Cependant, les
viciflitudes p h y fiq iie s le s tremblemens de terre,
les volcans, les inondations, & de certaines ça-
taftrophes, dont nous, qui vivons dans le calme
des élémens , n’ayons point une’ idée fort jufte,
ont pu y influer ; on fait aujoud’lïui que les
plus violentes fecouffes de tremblement de terre,
qui. fe font fentir quelquefois dans toute détendue
du nouveau continent, ne communiquent aucun
mouyement à notre .continent. Si ce n’étoit par
les avis particuliers qu’on en a reçus de différens
endroits., on eût ignoré, en Europe que le 4 d’avril
1768., toute la terre de, l’Amérique fut ébranlée,
de forte qu’il a pu y arriver anciennement des dé-
faftres. épouvantables , dont les habitans de notre
liémifphere , loin de s’en reffentir, n’ont pu même
fe douter. Au refte, il ne faut pas , à l’exemple
de quelques favans, vouloir appliquer au nouveau
monde les prodiges. qu’on trouve dans le Tirnée
lç Çritias, ail lu jet de l’Atlantique noyée par
une pluie qui ne dura que vingt-quatre heures.
Le fond;de, çette tradition venoit de l’Egypte ;
mais Platon la embellie 0,11 défigurée par une quantité
d’allégories , dont quelques-unes font philo-
fophiques, & dpnt d’autres font puériles, comme
la viétoire remportée, fur les Atlanti.des par les
Athéniens, dans un tems où Athènes n’exiftoit pas
encore : ces anacroiiifmes fe font fi fouvent remarquer
dans les écrits de Platon , que ce n’eft pas.
à tort fans doute que les Grecs mêmes l’ont aç- ;
café d’ignorer la chronologie de fon pays.{Athen.
l'ib. V9 cap. 12 & 13. ) La difficulté efi de favoir
ft les Egyptiens , qui ne naviguaient pas , & qui
ont dû, par conféquent, être très-peu verfés dans
la géographie pofitiyc, ont eu quelque notion
exa&e fur une grande île ou un continent fitué
hors des colonnes d’Hercule. O r , il faut avouer
que cela n’eft pas probable : mais leurs prêtres ,
en étudiant la coimographie, ont pu foupçonner
qu’il y avoit plus de portions de terre répandues
dans l’océan qu’ils n’en connoiffoient : moins ils,
en connoiffoient par le défaut abfolu de la navigation,
plus il eft naturel que ce foupçon leur
fait venu ; & fur-tout fi; l ’on pouvait démontrer
qu’avant l’époque de la mefure de la terre, faite
en Egypte par Eratoftène fous Ever^ète, les prêtres
y ayoient déjà une d f la véritable gras-
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deur du globe. Quoi qu’il en fo ît , leurs doutes ou
leurs foupçons fur l’exiftence de quelque grande
terre , ne concernoient pas plus l’Amérique en
particulier, que toutes les autres contrées qui leur
etoient inconnues ; & les limites de l’ancien monde
, telles que nous les avons fixées, reftent invariablement
les mêmes.
Que le cataclyfme ou l’inondation de l’Atlantique
ait rendu la mer fi bourbeufe au-delà du
détroit de Gibraltar, qu’il n’a plus étépoffible d’y
naviguer, comme Platon le v eut, c’eft un fait démenti
par l’expérience, depuis le voyage d’Han-
non jufqu’à nos jours. Cependant feu M. Gefner,
dpnt l’érudition eft bien connue, croyoit que Vite
de Çérès, dont on parle dans un très-ancien poème,
attribué à Orphée foüs le titre d'ApyonauTixa ,
étoitun refte,de l’Atlantique : mais cette île , qu’on
défigne. par fes forêts de pins, & fur-tout par les
nuages noirs qui l’enveloppoient, ne s’eft retrouvée
nulle p art;d e forte qu’il faudroit qu’elle eût
été abîmée depuis l’expédition des Argonautes,
en fuppofant même, contre la vraifemblance oir
plutôt contre la poftîbilité, que ces Argonautes
aient pu venir, de la mer Noire dans l’océan -, en
portant le navire Argo du Borifthène dans la Vif-
tu le , pour pouvoir rentrer en fuite dans la Méditerranée
par les colonnes d’Hercule , comme il
eft dit vers la fin de ce poème attribué à Orpliéè ;
d’où on peut juger que le merveilleux n’y eft pas
épargné, & queM. Gefner auroit dû être plus incrédule.
Si l ’on trouve quelque part à notre occidènt
des traces d’un continent changé en une multitude
. d’île s , c’eft fans doute dans la mer Pacifique
, & nous ne répéterons pas ici ce que le préfixent
de Broffe en rapporte dans fon ouvrage,
où il traite des navigations vers les terres auftrales.
Quant à ceux qui prétendent que les hommes
ne s’étoient introduits que depuis peu en Amérique
, en franchisant la mer du Kamfchatka ou
le ; détroit de Tchutzhoi, foit fur des glaçons , foit
dans des canots ; ils ne font pas attention que cette
opinion, d’ailleurs fort difficile à comprendre, ne
diminue en rien le prodige ; car il feroit bien fur-
prenant qu’une moitié de notre planète fût reftée
fans habitans pendant des milliers d’années, tandis
que l’autre moitié étoit habitée : ce qui rend encore
cette opinion moins probable, c’eft qu’on y
fupppfe que l’Amérique avoit des animaux, puif-
qii’on ne fauroit faire venir de l’ancien monde
lès efpèçes animales, dont les analogues n’exjftent
pas, dans l’ancien monde, comme celle du tapir,
celle du glarna , celle du tajacu. Il n’eft pas poffible
non plus d’admettre une organifation récente de
la matière, pour l ’hémifphère oppofé au nôtre ;
car indépendamment des difficultés accumulées
dans cette hypothèfe, & qu’on n’y fauroit réfou-
dre , nous ferons remarquer ici que les os fofliles
qu’on découvre dans tant d’endroits de l’Amérique
? & à de petites 'profondeurs,, prouvent que de
certains
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certains genres d’animaux, loin d’y avoir été or-
ganifés depuis p eu, ont été anéantis depuis long-
tems. C e ft un fait indubitable qu’au moment de
l ’arrivée de Chriftophe Colomb, il 11 exiftoit ni dans
les îles, ni dans aucune province du nouveau continent,
des quadrupèdes de la première grandeur :
il n’y exiftoit ni dromadaire, ni chameau * ni gt-
raffe, ni éléphant, ni rhinocéros, ni cheval, ni
hippopotame. Ainfi, les grands os qu on y deterre
ont appartenu à des efpèces éteintes ou détruites
depuis plufieurs fiècles avant l’époque de la découverte
, puifque la tradition même n’en fubfiftoit plus
parmi les indigènes, qui n’avoient jamais ouï parler
de quadrupèdes d’une taille plus élevee que ceux
qu’on trouva chez eux en 1492. Cependant, la
dent molaire, qui avoit été confiée à M. l’abbé
Chappe, mort depuis dans la Californie, pefoit
huit livres, comme on le fait par l’extrait de la lettre
adreffée à l’académie de Paris par M. Alzate,
qui affiire qu’on confervp encore aéhiellement
au Mexique un os de jambe, dont la rotule a un
pied de diamètre. Quelques hippopotames de^ la
frande efpèce, tels qu’on en rencontre dans l’A-
yflinie & fur les rives du Zaire, produifent des
dents macheliere?, dont le poids eft de plus de huit
livres ; mais on peut douter qu’il exifte des élé-
phans dont les jambes contiennent des articles aufli
prodigieux que celui que cite,M* Alzate, dont le
récit ne paroît pas absolument exempt d’exagération.
Et il en faut dire autant des dimenfions que
le père Torrubia donne, dans fa prétendue Gïgan-
tologie,de quelques fragmens de fqueiettes exhumés
en Amérique, & qui font aujourd’hui affez
répandus dans différens cabinets de l’Europe. M.
Hunner, qui en fait une étude particulière en Angleterre
, croit qu’ils ont appartenu à des animaux
carnaciers ; & ce n’eft point fans un grand appareil
d’anatomie comparée, qu’il a rendu compte de ce
fentiment à la Société royale de Londres. ( Tranf.
Philof à Van 1768. ) Mais fi cela étoit v ra i, il fau- ,
droit que la nature eût fuivi en Amérique un plan
très-oppofé à celui qu’elle a fuivi dans notre continent
, où tous les quadrupèdes terreftres de la
première grandeur font frugivores, & non carnaciers
: c’eft unev erreur de la part de Profper Alpin
& de M. Maillet d’avoir cru que l’hippopotame Soit
farcophage ou carnivore. On conçoit que tout cela
a dû être de la Sorte, à caufe de la difficulté qu’euf-
fent eue des quadrupèdes carnaciers de la première
grandeur à trouver leur fubfiftance, & à la trouver
toujours,tandis que les végétaux renaiffent d’abord f
& en une telle abondance , qu’ils font plus que fuf-
fifans pour nourrir les bêtes frugivores de la taille
la plus énorme : ainfi l’opinion de ceux ’qui attribuent
ces débris à des efpêces zoophages, n’eft
guère probable. Inutilement a- t-on interrogé les
fauvages qui habitent les bords de l’O h io , pour
favoir ce qu’ils penfent de la découverte des grands
pffemens qu’on fit fur le bord de cette rivière en
1738 : ils n’ont pas donné là-Uellùs plus d’éclairçiS-
f Géographie, Tome h
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femetit que n’en donnent les habitans de la Sibér
ie , fur la découvertè de l’ivoire foffile de leur
pays, quelles uns regardent comme des dépouilles
de géans, & les autres comme les reftes d’uti animal
qui vit fous terre , & qu’ils appelaient mam-
movt, individu plus digne de paroitre dans la mythologie
du Nord, que dans les nomenclatures de
l’hiftoire naturelle. Cependant, M. Bertrand, qui
a parcouru en obfervateur curieux la Penfylvanie
& une partie de l’Amérique feptentrionale, affuje
que quelques fauvages ayant vu des coquilles
d’huîtres, trouvées dans la chaîne des monts Bleus,
qui fe prolonge du Canada à la Caroline, dirent
qu’ il n’etoit pas furprenant de trouver des coquilles
autour des monts Bleus, puifqu’ils favoient que la
mer les avoit jadis enveloppés de fes eaux.
C e rapport eft fondé fur la-tradition universellement
répandue parmi tous les peuples de 1 Amérique
, depuis le détroit de Magellan jufqu’au Canada
: ils veulent qu’anciennement les terres baffes
de leur continent aient été fubmergees ; ce qui
obligea leurs ancêtres à fë retirer fur les hauteurs.
Ce n’eft point fàns quelque étonnement qu on lit
dans Acofta, que de fon tems on voyoit encore
en différens endroits, des traces très-marquées de
cette inondation : Certe in novo o'be in^entis cujuf-
dam exundationis non obfcura monumenta à peritis
notantur. ( de Naturâ N. O. )
Quoi qu’il en fo it , on ne fauroit expliquer pourquoi
toutes les peuplades de l’Amérique avoient
I eu fi peu de commerce & de liaifon entr’elles,
comme cela eft démontré par la multiplicité des
langues, qu’en admettant que leur manière de vivre
de la chaffe ou de la pêche, les empêchoit,
non-feulement de fe réunir, mais les obligeoit encore
à s’éloigner les unes des autres. Aufii a-t-on
'v u , que quand les tribus fe rapprochent au point
de s’intercepter le gib ier, cela allume des guerres
nationales qui ne finiffeiit que par la deftruction ou
la retraite de la tribu la plus foible ou la moins
brave : des poignées d’hommes s’y difputent des
déferts immenfes ; & les ennemis s’y trouvent quelquefois
à plus de cent lieues de diftance les uns des
autres t mais cent lieues de diftance ne font rien
pour des chaffeurs qui, en cherchant le gibier ou
en le pourfuivant très-loin, fe rencontrent toujours
quelque part. La difficulté de fixer les limites,
qui eft déjà très-grande parmi les nations féden-
taires, l’eft bien davantage parmi des hordes qui
errent de forêts en forêts, & qui prétendent cependant
être poffeffeurs abfolus des lieux qu’ils ne
font que parcourir.
Les peuples véritablement pêcheurs ou ichthyo-
pbages, n’exiftoient que dans les parties les plus
feptentrionales du nouveau monde : car quoique
l’on trouve entre les tropiques des fauvages qui
pêchent beaucoiip, ils plantent cependant malgré
cela quelques pieds de manioc autour de leurs
cafés. Mais par toute l’Amérique, cette culture,
ainfi que celle du maïs, étoit l’ouvrage des-femmes,
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