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de fe peupler, de s'enrichir, 8c de s’embellir dans
le fein de la paix. Quelques diftènfions inteftines,
dont les germes n’exiftôient point dans fon fe in ,
avoient de tems en tems altéré la tranquillité de la
république ; mais le courage du peuple l’avoit
bientôt rétablie ; & fa fureté eft aujourd’hui côrî-
folidée au dehors plus fortement que jamais par
deux nouveaux traités , l’un avec la France en
17 4 9 , l'autre avec le roi de Sardaigne en 1754.
C ’eft une chofe bien remarquable qu’une ville
qui compofoit à peine trente mille âmes, 6c dont
le territoire morcelé ne contient pas trente villages
, ne laiflat pas d’être une des villes les plus flo-
riffantes Se l’Europe.
Elle eft bien fortifiée du côté du prince qu’elle
redoutoit le plus , le roi de Sardaigne. Du côté de
la France , elle eft prefque ouverte, 8c fans dé-
fènfe. Mais le fervice s’y fait comme darisé une
v ille de guerre; les arfènaux 8ç les magafins font
bien fournis. Les G enevois peuvent ferVir dans les
troupes étrangères; & la loi les autonfe à faire,
fur le territoire , des recrues pour les compagnies
afteâées à des Genevois.
Avant la révolution de 1782 , qui a fubftitué
î ’ariftocratie au gouvernement populaire qui fit
fleurir cette v ille , le revenu de l’état n’aîloit pas
à cinq cents mille livres , mofiffoie de France :
l'économie admirable avec laquelle il étoit admi-
niftré fuffifoit à tou t, & produifoit même des fouîmes
en réfêrve pour les befoins extraordinaires.
Le s tréfors de l’état étoient dans les coffres des
particuliers.
On diftîngüe dans G enève cinq ordres de per-
fonnes : les citoyens qui font fils de bourgeois &
liés dans la ville ; eux feuls peuvent parvenir à la
jnagiftrature : les bourgeois qui font fils de bourgeois
ou de citoyens , mais nés en pays étrangers
, ou'qui étoient étrangers , Ont acquis le droit
de bourgeoifie que le magiftrat peut conférer ; ils
peuvent être du confeil général , 8c même du
grand confeil appelé des deux-cents. Les hàbitans
font des étrangers qui ont permiflion du magiftrat
de demeurer dans la v ille , & qui y ont le
droit do commerce & d’inauftrie. Les natifs font
les fils des habitans ; ils ont quelques privilèges de
plus que leurs pères -, mais ils font exclus du gouvernement.
Les domiciliés font ceux qui ont obtenu
la permiflion d’établir leur domicile dans l’éta
t , permiflion qui n’eft qu’annuelle. Ils peuvent
parvenir aux grades militaires ; & c’eft d’entr’eux
que font pris ceux qui forment la -clàffe dès habi-
tàris. L’exiftence de celle dès domiciliés ne date
que de l’édit de 1782 , ainfi que les droits de commerce
& d ’indpftrie dont jouit aujourd’hui la claffe
dés habitans.
A la tête de la république étoient quatre fyndics,
qui ne pouvoient l’être qu’un a n , & ne le redevenir
qu’après quatre ans. Aux fyndics étoit joint
le petit confeil , compofé de vingt-cinq membres
jâres du graqd-confeil, & un autre côrps qu’on
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appelé de la juftice. Les affaires journalières,
qui demandent expédition , foit politiques, foit
économiques & criminelles , étoient l’objet de
ces deux corps. Les fyndics qui étoient à leur
tête préfidoient aufli à tous les confeils & aux
diverfes chambres 8c départemens de l’adminif-
tration. ' •
Le grand confeil étoit compofé de deux cents
cinquante citoyens ou bourgeois ; il' étoit- juge des
grandes caufes civiles , il faifoit grâce , il batfoit
monnoie, ibélifoi't les membres du petit confeil,
il délibèrôlt fur ce qui devoit être porté au confeil
général. Le confeil général embraffoit le corps
entier des citoyens & des bourgeois qui ont atteint
l’âge de vingt-cinq ans, excepté les banque-
1 routiers, & ceux qui ont eu quelque flétriffure,
C ’eft à cette affemblée qu’appartenojt le pouvoir
légiflatif, le droit de la guerre 3c de la paix, les
alliances, les impôts, & ï ’éleéfion des principaux
magiftrats qui fe faifoit dans la cathédrale avec
beaucoup d’ordre 8c de décence, quoique le nombre
des vptans fût quelquefois de plus de quinze
cents perfonnes.
La République de Genève avoit pris pour
bafe de fa conftitutiou , cette loi fi fage du gouvernement
des anciens Germains : De minortbus
rebiis principes confiâtant^ de majoribus ofnnes ; ita
tâtnen ut ea quorum penes plçbem arbitrium eft apud
principes pnztraüentur, Tacite, de mou Germ.
Le droit civil de Genève eft prefque tout tiré
du droit Romain, avec quelques modifications ;
par exemple , un père ne_peut jamais difppfer que
de la ■ moitié de fou bien en faveur de qui il
lui plaît, le refte fe partage également entre fes
enfans. Cette loi affure d’un coté l’ indépendance
dçs enfans, 8ç dç l’autre elle prévient l’injuftice
des pères.
M. de Montefquieu appelé ayec raifpn une belle
lo i , celle qui exclût des charges de la république
lès citoyens qui n’acquittent pas les dettes de leur
père après fa mort, & à plus ’forte faifon ceux qui
n’acquitent pas leurs dettes propres.
On n’étend point les degrés de parenté qui prohibent
le mariage au-delà de ceux que marque le
lévitique: ainfi, lés coufins germains peuvent fe
marier enfemble; mais point de difpenfes .dans les
cas prohibés. On accorde le divorce en cas d’adultère
, ou de défertion malicieitfe, après des proclamations
juridiques.
La juftice criminelle s’exerçoit avec plus d’exactitude
que de rigueur. La queftion , déjà abolie en
plufieurs états, 8c qui devroit l’être par - tou t,
comme une cruauté inütile, étoit profçrîte à G e nève;
on jie la donnoit qu’à des criminels déjà
condamnés à mort pour découvrir leurs complices
s’il étoit néceflaire. L’accufé pouvoit demander
communication de ^ procédure, '& fe faire
alfifter de*fes parens & d’un avocat pour plaider
fa caufe devant' les juges à huis ouverts. Les
fenteiiçes criminelles fe rendoient dans la place
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publique par les fyndics , avec beaucoup d’appareil.
On ne connoiffoit point à, Genève de dignités
héréditaires ; le fils d’un premier magiftrat reftoit
confondu dans la foule , s’il ne s’en droit par fon
mérite. La nobleffe, ni la richeffe ne donnaient ni
rang, ni prérogatives : les brigues éfoient févère-
ment défendues. Les emplois etoient fi peu lucratifs,
qu’ils n’avoient pas de quoi exciter la cupidité;
ils ne pouvoient tenter q,ue des âmes nobles par
la confédération qui y eft attachée.
On y voyoit peu de procès ; la plupart ét.oient
accommodés par des amis communs, par les avocats
mêmes , & par les juges.
Des loix fomptuaires défendoient l’ufage des
pierreries & de la dorure, limitoient la dépenfe
des funérailles , 8c obligeoient tous les citoyens à
aller à pied dans les rues : on n’avoit de voitures
que pour la campagne. Ces lo ix , qu’on regarderont
en France comme trop févères, & prefque comme
barbares 8c inhumaines, ne font point nuifibles
aux véritables commodités de la vie qu’on peut
toujours fe-procurer à peu de frais ; elles ne retranchent
que le fafte, qui ne coniribue point au
bonheur, 6c qui ruine fans être utile.
La Suiffe exceptée, il n’y avoit peut-être point
de villes où il y eût plus de mariages heureux.
Genève étoit fur ce point a deux cents ans de nos
moeurs. Par une fuite des réglemens contre le lu xe,
on n’y craignoit point la multitude des enfans.
Sur tous ces objets , nous ignorons les changement
6c les révolutions qu’introduira le nouvel ordre
de chofes. *
On ne fouffroit point à Genève de comédie : on
craignoit avec raifon , qu’elle n’introduisît le goût
de la parure, de la diflipation, & le libertinage
que les troupes de comédiens répandent parmi la
jeurieffe. A la vérité les Genevois avoient une
falle de comédie fur les terreside France, au village
de Çhâtelltine, à cinq quarts de lieue environ
de Genève ; mais ce tempérament prévenoit
en partie les inconvéniens d’une falle exiftante dans
l ’enceinte de leurs murs. Il défavouoit les fpeéfa-
cles, il en modéroit la fréquentation par l'éloignement
; il empêchoit que la claffe inférieure des
citoyens ne fut diftraite de fes occupations habituelles
, par la difficulté de s’y rendre. Enfin, dans
cet état des chofes le fpe&aek ne pouvoit avoir
lieu que dans la belle faifon, tandis, qu’une falle
dans^à ville 1 y auroit rendu permanent. Les choies
ont déjà changé [à cet égard ; & il y a aâuel-
lement a Geneve une falle de fpeélacles, dont les
fondemens ont été jetés au mois de feptembre
dernier (1782).
x Geneve a une univerfité qu’on appèîe académie,
ou la jeunefle eft inftruite gratuitement. Les pro-
feffeurs peuvent devenir magiftrats, 6c plufieurs
le font en effet devenus, ce qui contribue beaucoup
à entretenir l’émulation 6c la célébrité de
1 académie. Depuis quelques années on y a établi
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tfufll une-école de deffin. Les avocats, les notaires
, les médecins, &c. forment des corps auxquels
on n’eft agrégé qu’après des examens-publics , &
tous les corps de métier ont aufli leurs réglemens,
leurs apprentiffages, 6c leurs chefs-d’oeuvres.
La bibliothèque publique eft bien affortie ; elle
contient 400.00 volumes , 6c un affez grand nombre
de manufcrits. On prête ces livres à tous les citoyens
, ainfi chacun lit 6c s’éclaire. Aufli le peuple
de Genève eft-il beaucoup plus inflruit que partout
ailleurs. On ne s’apperçoit pas que ce feit un
m a l, comme on prétend que c’en ferpit un parmi
nous. Peut-etre les Genevois 8c nos politiques ont-
ils également raifon.
Toutes les fciences, & prefque tous les arts,
ont été fi bien cultivés à Genève, qu’on ferpit fur-
pris de vpir la lifte des fayans 6c des artiftes en
tout genre que cette v ille^ produits depuis deux
fiècles. Elle a eu même quelquefois l’avantage de
pofteder des étrangers célèbres , que fa fituation
agréable, 6c la liberté ont engagé à s’y retirer.
M. de Voltaire qui réfida quelques années fur les
terres de Genève, au château des Délices , avant
d’habiter Ferney, retrouva chez ces républicains
les mêmes marques d’eftime 8c de confidération
qu’il avoit reçues de plufieurs monarques!
Une fabrique qui fleuriffoit à un point étonnant
à Genève étoit celle de l’horlogerie ; elle occupait
plus de quatre mille perfonu.es, c’eft-à-dire,
prè,s de la feptième partie des citoyens. Les autres
arts n’y étoient pas négligés, 6c les Genevois
paffoient pour les plus habiles mécaniciens dç
l’Europe.
Toutes les maifons font bâties de pierres, ce qui
prévient très-fouvent les incendies, auxquels on
apporte d’ailleurs un prompt remède par le bel ordre
établi à cet effet.
Les hôpitaux n étoient point à Genève comme
ailleurs une fimple retraite pour les pauvres malades
8c infirmes; on y exerçoit fhofpitalité enr
vers les pauvres paffans, mais fur-tout on en droit
uue multitude de petites penfions qu’on diftribuoit
aux pauvres familles pour les aider à vivre fans
fe déplacer, 6c fans renoncera leur travail. Les
hôpitaux dépenfoient par an plus du triple de leur
revenu, tant les aumônes de toute efpèce étoient
abondantes.
La conftitution eccléfiaftique de Genève eft purement
presbytérienne; point d’évêque , encore
moins de chanoines: ce n’eft pas qu’on défàp-
prouve l’épifcopat ; mais comme on ne le croit pas
de droit divin, on a penfé que des pafteursmoins
riches 8c moins importans que des évêques, con-
venoient mieux à une petite république.
Les miniftres font, ou Pafteurs, comme nos
curés, ou Poftulans, comme nos prêtres fans bénéfice.
Le revenu des pafteurs ne va pas au-delà
de 1200 livres , fans aucun cafuel : c’ e# l’ètat qui
les donné ; car l’égliie n’a. rien. Les miniftres ne
font reçus qu’à yingt-quatre ans, après des exa