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trezième fiècle , à une religion de paix, on en vît !
Succéder une de fang, & pour perfuader, on envoyait
des bourreaux !
L’Inquifition connoît de tous les crimes-ou délits
eccléfiaftiques, tels que l’héréfie » les blafphê-
mes, la mauvaife doélrine, les mauvais livres, les
profanations, l’abus des facremens, les aceufations
de fortilèges, &c. A Venife & dans la Tofcane elle
eft exercée par des Cordeliers , & par-tout ailleurs
par des Dominicains. Ces derniers, pour fe distinguer
dans cette odieufe commiffion , fe font
portés à des excès inouïs. On les a vu rechercher
toute la vie d’un citoyen après fa mort,, lui faire
fon procès pour une aélion paffée depuis dix à
vingt années , & profanant le refpeél du aux tombeaux.,
pouffer la barbarie jufqu’à brûler fes cendres.
Qu’un malheureux eût été condamné injufte-
nient, il n’étoit point permis à fon frère, à fon fils
de prouver fon innocence. Si le faint office relâchoit
quelqu’une de fes miférables viélimes, il lui étoit
défendu de chercher à vouloir fe réhabiliter : ils -
vouloient avoir le mérite de pardonner, lors même
qu’il n’y avait pas à pardonner! Avoir une femme,
une fille aimable, pofféder de grandes richeffes,
étoit fouvent un crime que l’on exploit par la perte
de fa liberté : on ofoit même violer le droit des gens,
ce droit facré chez toutes les nations ; on arrêtoit
indiffinélement les étrangers, & ceux qui étoient
à la fuite des ambaffadeurs. Un père étoit puni pour
n’avoir pas été le délateur de fon propre fils, un
frère pour avoir voulu ^cacher les fautes de fon
frère , un ami celles de fon ami. On avoit retranché
des morceaux entiers des faints pères, parce
qu’ils renfermoient des maximes contraires à celles
de l’Inquifition. Les rois mêmes ne pouvoient fe
fouffraire à cet odieux tribunal. On menoit au fup-
plice deux Cordeliers, pour avoir avancé une opinion
nouvelle ; ils chantoient les pfeaumes comme
martyrs : Philippe III, roi d’Efpagne,.les vit de fon
balcon, & ne put s’empêcher de dire : V o i là deux
hommes bien malheureux de mourir pour une chofe dont
i l s fo n t pe r fu a d è s ! L’Inquifiteur en fut informé, &
condamna le roi à perdre une palette de fang qui
fut brûlé par la main du bourreau.
Le procès ayant été fait à Charles-Quin't, après
fa mort, parce qu’il n’avoit point fait de legs pieux
aux moines & aux églifes., fon aumônier fut condamné
à être brûlé fur le, fimple foupçon de s’être
oppofé aux largeffes de ce prince. Philippe II, jaloux
de don Carlos fon fils , qui étoit fon rival, &
fon rival aimé, eut recours à ce. tribunal pour fe
défaire de ce prince infortuné, fous une apparence
de juffice.
On ne pourroit exprimer les fupplices horribles
eue l’on faifoit fouffrir à, ces malheureux en leur
donnant la queftion : on leur diiloquoit les os, on
leur faifoit avaler une quantité prodigienfe d’eau -,
on les étendoit fur un banc creux où étoit une vis
qui les ferroit, & un bâton en travers qui leur rom-
poit l’épine du dos : on leur graiffoit la plante des
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pieds , 8c on les leur bruloit à un feu lent ; toutes
ces tortures duroient une heure. Mais rien n’éga*
loit la pompe de la grande fête de l’Inqüifitioia à
Madrid. On conduisit dans une proceffion folem-
nelle un grand nombre de Juifs & d’autres infortunés.
Ils étoient couyerts d’une chemife de foirfre
peinte de différentes figures , on chàntoit des hymnes
& des cantiques d’aélions de grâces, & on en
faifoit enfin un fuperbe Auto-da-fé, (aéle de foi, )
dans la grande place où ils- étoient brûlés.
Les Efpagnols & les Portugais on exercé dans
l’Europe & dans les Indes des cruautés q,ui font
frémir , & qui les ont rendus odieux aux peuples des
deux mondes ; mais grâce à la philofophie, qui
éclaire infenfiblement tous les hémmes , l’Inquifition
aujourd'hui en Efpagne............Ma plume
s’arrête. Elle alloit en impofer aux nations, je
ne me mentirai point à moi - même ! L’Europe eft
encore indignée de cet odieux jugement qui vient
de frapper un miniftre fage & citoyen ! La France
a accueilli cet illuffre malheureux ; les honnêtes
gens de toutes les claffes fe font empreffés de le
confoler, & chez toutes les nations cet homme
bienfaifant trouvera des amis, des admirateurs &
une patrie !
Ce tribunal eft compofé d’un préfident, avec
titre d’Inquifiteur général & de lieutenant du pontife,
Romain en Efpagne, de fix confeillers, fous
le nom d’Inquïfiteurs apoftoliques, d’un fifcal, dé
deux fecrétaires du confeil, d’un alguafil major,
d’un receveur, de deux rapporteurs, de quatre
portiers ou huiffiers , d’un folliciteur, de plusieurs
qualificateurs & confulteurs , dont le nombre
n’eft pas déterminé. Entr’eux , de droit, il doit
y avoir un Dominicain , en vertu d’un décret
de Philippe III , du 16 décembre 1618. L’office
de l’Inquifiteur général efl trés-confidérable & très-
important. Le roi le nomme & le pape le confirme.
Lui fenl confulte avec le roi par rapport à
la nomination aux places de confeillers ou inqui-
- fiteurs , & nomme, avec le confentement du confeil,
les officiers des inquifitions fubalternes. Le
nombre des commis du confeil général eff très-
grand ; on porte au-delà de vingt mille ceux que
l’on appelle les fam ilier s de V Inqu ijition-, qui, répandus
dans toute l’Efpagne , font comme autant
d’efpions. Ce confeil a fous lui des tribunaux fubalternes
qui ne peuvent pas conclure à la prifon
contre les prêtres, les religieux, les chevaliers
des ordres militaires , & les.nobles, fans fa participation
, ni ne peuvent célébrer d’auto-da*fé,
fans fa permiffion expreffe. Ces tribunaux inférieurs
font-à Séville, à Tolède, à Grenade, à
Cordoue, à Cuença, à Valladolid, à Murcie, à
Lérida, à Logrogno, à Saint -Jago, à Saragoffe,
à Valence , à Barcelonne , à May orque , en Sardaigne
, aux Canaries, à Mexico, à Carthagène,
& à Lima. Les tribunaux du royaume y doivent
rendre compte tous les mois au confeil général do
l’état des biens confifqués, & chaque année de»
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•affaires qu’ils ont jugées, ainfi que du nombre de
leurs prifonniers ; les tribunaux qui font fitués
hors de l’Efpagne ne doivent rendre ces comptes
que tous les ans. .
On voit qu’il eft quelques privilèges pour ceux
qui font moines, prêtres ou nobles ; mais le malheureux
qui n’a d’autre titre que fa probité ? Mais
le fimple citoyen? Faut-il qu’il Jang.uiffe dans
■ les cachots des années entières avant de pouvoir
prouver fon innocence ? Doit - on abufer de fon
obfcurité & de fa foibleffe pour l’écrafer impunément
? La divinité n’exige point de vichmes
humaines 1 elle aime à pardonner : les prêtres
! . . . . . Ils ont toujours été les tyrans des
nations quand ils [n’en ont pas été les confola-
teurs: ce qui doit arriver lorfque la langueur du
gouvernement permettra à la puiffance facerdo-
tale de franchir les bornes qui lui font fixées par
la raifon & la juftice. Les magiftrats prépofés à
l’ordre politique, ont le droit, fans contredit ,
de punir les perturbateurs du repos public, &
‘tous les genres de délits qui rroublent la fociété;
mais aucun corps dans l’etat n’a le pouvoir d’approfondir
le fecret des confciences , & d’anticiper fur ,
les droits facrés de la divinité ! ’
Les fimples gentils-hommes s’appellent Cavalle-
ros & H id a lg o s : ces derniers n’ont la plupart aucune
préférence fur les roturiers, à l’exception,
•d’un petit nombre d’anciennes maifuns & de che- ;
valiers illuftrés par quelque ordre de chevalerie.'
Mais la haute nobleffe jouit d’une grande confidé-
ration : on y comprend les comtes, les marquis &
les ducs, lefquels compofent ce qu’on appelle la
■ nobleffe-titrée ( titulados) , parmi, lefquels les plus
•diftingués font les grands . qui tiennent le premier
rang après le roi & les princes du fang. Ces grands,
cjuoique.çh vifés en trois claffes, fe regardent comme
égaux entr’e-ux ; néanmoins il y a bien quelque
différence ; car lorfque le roi fait un grand de la
première claffe, celui-ci remercie fa Majefté, &
lui baife la main la tête couverte * lorfqii’il "doit •
etre de la fécondé claffe , il ne ‘fe couvre qu'après' i
le remerciment.; & s’il eft de la troifième , il n’ofe j
fe couvrir qu apres s’erre retiré du baifenîent de
'main , & rangé dans fa place parmi les autres j
•grands qui aflïftentà la cérémonie. La grandeffe ;
eft ordinairement héréditaire , à moins que le roi
■ ne.fpécifie qu il ne 1 accorde que pendant la vie
du titulaire , ce ; qui forme en quelque forte une
quatrième claffe.‘Outre la prérogative de fe couvrir
en préfence du roi, ce qui eft accordé à d’autres
personnes qui n’ont pas la grandeffe , comme
-aux cardinaux, aux nonces du pape, aux archevêques
, aux ambafladeurs des têtes couronnées,
>&c. les grands jouiffent encore de beaucoup d’autres
privilèges. Ils précèdent tous les autres dignitaires
féculiers, à l’exception du connétable de
Caftille, & de l’amirauté , aux affemblées des
états; & lorfqu’il s’agit de nommer un roi & un
-prince des Afturies, ils prêtent ferment entre les
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mains du roi après les évêques, & ils reçoivent celui
des t itu lo s o u titu lad o s de Caftille, c’eft-à-dire ,
des comtes & des marquis. Leur fils aîné prête
auffi ferment de fidélité. Ils jouiffent indiftinâe-
ment des droits attachés aux ducs , quoiqu’ils
ne foient pas décorés de ce titre. Lorfque le roi
veut époùfer üne.prmceffe, il envoie un grand
' pour célébrer le mariage par procuration. Lorf»
qu’un prince de la famille royale eft mort, les
grands le tranfportent fur le lit de parade & au
tombeau.
Quand le roi fort à cheval, ils font les plus
proches de fa pérfonne ; le grand écuyer feu! peut
leur difputer le rang, parce que par état, fl eft
obligé de fe tenir à côté du roi. Un prince étranger
arrivant à la cour eft reçu & accompagné par
un grand. Ils peuvent pénétrer jufqu’au cabinet
du roi, & même yentrer s’ils le jugent à propos;
leurs femmes partagent les mêmes prérogatives,
même dans leur veuvage. Lorfqu’ils ont eu la
grandeffe par leurs femmes , ils jouiffent des honneurs
qui y font attachés, même après leur mort.
Le roi, en leur écrivant ou en leur parlant, leur
donne le titre de primo , lorfqu’ils font vice-rois. ,
il ajoute encore l e mot illu fr e . Lorfque le pape
leur donne audience’, ils lui parlent affis, & reçoivent
le titre de fignoria. Aucun grand ne fau-
roit être arrêté pour délit fans un ordre exprès
du roi, & cet ordre ne fe donne que lorfqu’il s agit
d’un crime de leze - majefté, ou de quelqu’atitre
crime detat important. Ils reçoivent, auffi"bien
que leur fils aîné, le titre d’excellence. Ils s’efti-
ment égaux aux princes de l’Empire & de l'Italie,
ce qui a fouvent occafionné des difputes de rang
entr’eux.
On compte en Efoagne fept ordres militaires ;
favoir , celui de la Toifon d’or, celui de S. Jacques
, celui de Calatrava-, celui d Alcanrara, celui
de Montefa, & l’ordre de S. Jean de Jérufalem ,
& 1 ordre de Charles III.
L’ordre de la Toifon d’or a été inftitué par Philippe
- le - bon, duc de Bourgogne, pendant les
folémnités de fon mariage avec Ifabeile de Portugal,
dont les cérémonies fe firent à Bourges,
le 10 janvier 1430. Les ftatuts, rédigés en langue
Bourguignone, furent lus à là fécondé fête de l’ordre
, tenue à JRyfiel le 30 novembre 14*31. Le
pape Eugène IV confirma l’ordre en 143.3 ■>' &
Leon X en 1516. Les pays héréditaires de Bourgogne
, ainfi que l'ordre de la Toifon d’or , paffe-
rent à la maifon d’Autriche par le mariage de
l’empereur Maximilien I , avec Marie, héritière
de Bourgogne ; & quoiqu’en 1439 ce Prince abandonnât
le duché de Bourgogne au rci de France
Charles VIII, il coiiferva cependant peur lui &
pour fon fils'Philippe, enfuite roi d'Efpagne, la
plus grande partie de la fucceflion de Bourgogne,
ainfi que la fuprématie de l’ordre. C’eft de cette
manière que les rois d’Efpagne, & les archiducs
d’Autriche ont conferyé, outre une partie des
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