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Efpsgnols de tout têtus. Rien , à mon avis, ne fait
une preuve auflî forte en faveur de 1 authenticité
d’une relation, que fa conformité avec les découvertes
des premiers tems.
Je n’ignore pas que la Hontan n’eft pas toujours
exaél dans les latitudes : ceci mérite quelque attention.
M. le Page donne une diftance de trois cents
lieues du Millon ri au Saut Saint-Antoine, quon
ne compte que huit à dix lieues au-defliis de la rivière
Longue, & pourtant un peu au-dela du 45
degré ; ainfi feulement 5 degrés pour les trois cents
lieues , ce qui eft une erreur manifefte, à moins
qu’il n’en compte autant pour remonter ce fleuve
rapide.
M. Bellin, dans fa carte de la partie occidentale
du Canada, place l’Onifconilne à un peu plus de
43 degrés, & la rivière Saint-Pierre à 4 5 .C n peut
compter environ trentc-fix à trente-huit lieues, &
la Hontan dit qu’il a employé huit jours à faire ce
voyage ; ce qui eft très - poflible en montant un
fleuve aufli grand & auflî rapide.
M. Danville, dans la première de fes cinq cartes
qui enfemble repréfentent toute l ’Amérique,
place la rivière de Saint-Pierre à un peu plus de 44
degrés, & l’Onifconftne à 43. Celle-là doit fortir,
d’après toutes ces cartes, du lac des Tintons, dont
nous parlerons ci-après.
Sans nous arrêter plus long-tems fur ce fu je t,
nous concluons que cette découverte de la Hontan,
n’ayant jamais été contredite par d’autres relations ;
qu’au contraire, le peu qu’on a découvert depuis
s ’y étant toujours trouvé aflez conforme, on doit
la regarder comme authentique, aufli long - tems
que des faits certains ,qui attellent le contraire, ne
la détruifent.
Venons à la fécondé objeélion, fur laquelle je
n’ai rien à dire, finon que fi on ne doit ajouter aucune
foi pour des faits & des voyages qu’à des
gens de bonnes moeurs & à de bons chrétiens, il
en faudroit rejetter beaucoup, & fouvent donner
dans des erreurs, puifque quelquefois de très-honnêtes
gens , par crédulité ou par défaut de génie,
rapportent des faits erronés. On a toujours diftin-
gué entre les faits hiftoriques, où l’auteur n’a aucun
intérêt, & ceux de la religion.
On en doit agir de même ici. Perfonne ne croira
que FAdario du baron de la Hontan ait été un
homme en chair & en os ; on voit évidemment que
c ’eft lui-même : mais la relation du voyage nç doit
pas être moins authentique, n étant point de même
nature que fes dialogues.
Je dois encore faire remarquer que les relations
«ne M. Buaehe adopte entiérément, parlent du lac
du Brochet, dans la chaîne des montagnes, marqué
par lui comme par la Hontan ; ce lac fait une partie
des plus nouvelles découvertes des officiers François
& autres : il fe trouve , félon les unes , à environ
48®. La carte angloife de Jefferi de 1761 , le
place au-delà du 4 5 e vers l’oueft ; tous placent de
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ce côté la fameufe rivière de l’oueft : je la fiippofe
être celle ci-deflùs qui prend fa fource dans ladite
chaîne au nord-oueft des Gnacfitares, & a u nord-
efl du lac des Tahuglanks, dans lequel elle fe jète;
je doute qu’on puifle produire quelque chofe de fi
concordant : au moins ceux qui la repréfentent
comme fortant du lac Oninipigon, n’ont pas fongé
que ladite chaîne lui barreroit le chemin. Auflî M.
Buaehe même, qui prétend fe fonder fur la carte
tracée par Ochagac, & la concilier avec celle dès
officiers François , fait tomber les rivières Pof-
coya c, aux Biches, de l’Eau trouble, de St-Charles
ou d’Aflinibouls, &c. de tous côtés dans les lacs
Bourbon , au F e r , aux Biches, formant enfemble
celui d’Oninipigon, & celui-ci fe joignant avec ïe>
lac aux Biches, fans qu’aucune rivière en forte, 8c
fe jète vers l’oueft. Sur tous ces lacs, il place les
forts Bourbon , Dauphin, la Reine , Saint-Charles
& Maurepas : fi ceux-ci exiftent, il faut bien que
les François en aient connoiflance. Il place le lac
du Brochet auflî dans ces montagnes, un peu au-
delà de 45 degrés ; il donne une trace légère d’une
rivière de l’oueft , mais qu’il conduit à deux pas de
là , pour ainfi dire, dans la mer de l’oueft. La Hontan
affure, fur le rapport des Mofemleks , que
nombre de rivières qui forment la rivière Longue,
prennent auflî leur fource dans ces montagnes ; &
le phyfique de tout ceci concourt à en aflùrer la
vérité. Il faut obferver que dans ces traces d’Ocha-
g a c , la rivière de l’oueft eft repréfentée comme
greffe , fortant immédiatement de l’Oninipigon ,
précifément où M. Buaehe repréfente la rivière
Pofcoyac , comme s’y jettant. Comment concilier
ceci ? Avançons de 5 degrés plus au fud, & examinons
cet efpace entre le 45 e & 40% qui nous pré-
fentera des chofes importantes : je ne parle point
de ce qui fe voit à l’eft du Mifliflipi ; nous y trouverons
même jufqu’au 25e degré, dès pays qui ne
font inconnus qu’à des ignorans tels que les auteurs
d’une gazette de 1770 , qui affuroient que les colonies
Angloifes, établies dans cet efpace, vouloient
s’emparer de tout le pays, fous les mêmes parallèles
vers l’oueft, jufqu’à la mer du fud , fuivant la c<?n-
ceflion à eux accordée par leur roi Charles , &c.
par une rivière qui, des monts Apalaches, y con-
duifoit, fans fonger ni ayx peuples innombrables,
ni à la quantité de rivières , pas même au Mifliflipi
qui en barrent le-chemin.
Vers rouefl j fpr les bords Au Moingona, du
Miflouri & autres rivières, fe trouvent feulement
jufqu’à l’eft & le nord du nouveau Mexique, les
Miffouris, Canfez, Painsrblancs, Acanfez, A ïonez,
& fur-tout les Padoucas, qui s’étendent fort au loin.
M- Buaehe même l’affure & en donne le détail. Ce
géographe, & plufieurs autres , rapportent unanimement,
que les fauvages aflureut que le Mif-
fouri a , depuis fa fource, 800 lieues de cours,
& qu’en remontant, depuis fon milieu, fept ou
huit jours vers le nord, on rencontre une autre
rivière qui a autant de lieues de cours vers l’oueû»
Ce qui nous éclairera, lorfque nous fuivrons la
relation que M. le Page du Prat, donne dans fon
hiftoire de la Louifiane, du voyage du faiivage
Y alon , Moncacht-Apé, dont nous allons parler.
Pour donner donc une idée de la largeur de la
partie feptentrionale de l’Amerique, calculons un
peu fa route.
Le point de fon départ doit être pris au nord
du confluent du Miflouri avec le Mifliflipi. M; le
Page dans fa carte, qu’on doit préférer à toutes
les autres àTégard de ces contrées, place ce point
à 284 d. 15' de longitude & 40 de latitude. Il
ne faut pas oublier de prévenir le leéleur, qu’il
défapprouve en divers endroits de fon ouvrage la
manière dont les autres cartes repréfentent le cours
de cette rivière.
En effet, on la fait venir du nord-oueft, &
quelques-unes lui donnent des finuofités infinies.
Pour lu i, ce n’eft qu’au 282e d. qu’il la fait def-
cendre du nord-eft au fud : tout le refte de fon
cours eft droit de l’oueft à l’e f t , de même que
celui de la rivière de Canfez qui s’y jète. Qui pou-
voit mieux le favoir que lui qui a parcouru le pays
dans le tems que les François avoient furie Miflouri
le fort Orléans ? qui s’en eft informé des naturels
du pays, dont la relation étoit conforme à une carte
efpagnole dreffée avec foin , pour fervir de guide à
lin corps qui y avoit été en v o y é , & lorfque les
Efpaguols en dévoient être mieux inftruits que tous
autres ?
Le cours du Miflouri y eft donc marqué généralement
entre le 41 & 42e d. de latitude ( 1 ) : il
paffa chez les Canfez qui font entre le 40 & le
4 1e d ., qui lui confeillerent de marcher une lune
& alors droit au nord ; & qu’après quelques jours
de marche il trouveroit line autre rivière, qui court
du levant au couchant. Il marcha donc pendant
une lune , toujours en remontant le Miflouri ;
il vit des montagnes & craignit de les paffer, de
peur de fe bleffer les pieds ( 2 ) . Enfin, il rencontra
des chaffeurs qui lui firent remonter le Mif-
fouri encore pendant neuf petites journées , &
marcher enfuite cinq jours droit au nord, au bout
defquels il trouva une rivière d’une eau belle &
claire , que les naturels nommoient la belle rivière.
Arrêtons - nous ici pour commencer notre calcul :
deux grands villages des Canfez font marqués fur
la carte de M. le Page, l’un à 280, & l’autre à 282
d. Accordons le point du départ depuis le dernier.
Moncacht - Apé marcha pendant une lune, foit
trente jours. L’auteur en fait un calcul très-modéré,
difant que notre Anacharfis américain l’a-
voit affuré, qu’il marchoit plus vite qu’un homme
rouge ne marche ordinairement; d’où il conclut
que c e lui-c i, ne faifant qu’environ fix lieues par
(1) Le Page du Prat, Relation de la Louifiane, tome
IJ I y pag. 8 9 ,5* fuiv.
(a) Il paroît par-là qu’il a avancé plus loin qu’au milieu
du cours du Miflouri, avant de paffer la belle rivière,
jour, lorfqu’il eft chargé de deux cens livres au
moins, Monchacbt-Apé, qui n’en portoit pas plus
de cent, quelquefois pas plus de foixante, devoir
fouvent faire jufqu’à neuf ou dix lieues. Il a raifon ;
car le P. Charlevoix affure que les Aouïez, à 43 d.
30% font vingt-cinq à trente lieues par jour (3 )
lorfqu’ils n’ont pas leur famille avec eux : cependant
il fe rabat à fept lieues par jou r, qui font
donc deux cent & dix lieues , depuis les Canfez,
qui fe trouvent, dis-je, au 282e d. ; ces deux cent
& dix lieues, à quatorze lieues & demie par dé-
gré, font quatorze degrés & demi, jiifqu’au lieu
qu’il rencontra les chafleurs qui fe trouvèrent donc ,
à deux cent foixante-fept degrés & demi ; on voit
bien que c’eft compter trop peu.
Les fauvages difent unanimement que le cours
du Miflouri eft de huit cents lieues, & qu’au milieu
, ainfi à quatre cents lieues, on voyage vers le
nord pour trouver la rivière de l’oueft. Ici il n’a:
avance vers l’oueft que neuf petites journées : avant
que de tourner au nord, ne comptons que trois
degrés & demi, & cela nous conduira feulement
au 264e degré, & ne fera , depuis la jonélion du
Miflouri au Mifliflipi, que 20 degrés 1 5 '; & à
quatorze lieues & demie par degré, qu’environ
deux cent quatre-vingt-treize lieues, au lieu de
quatre cents. Ainfi on voit qu’on accorde beaucoup
(4).
Je ne compte pas le peu de chemin que fit
Moncacht-Apé fur la belle rivière, pour arriver
chez la nation des Loutres. De là , il defeendit pen-
j dant dix-huit jours la même rivière avec les Loutres
, & arriva chez une autre nation. Il eft dit que
cette rivière eft très-groffe & rapide. On pourroit,
donc donner vingt lieues par jour, pour le moins:
contentons-nous de quinze; cela fera deux cent
foixante-dix lieues , ou environ 20 degrés ; nous
nous trouverons alors au 250e degré.
Il vint en aflez peu de tems chez une petite nation,
& enfuite.'acheva de defeendre la r iv iè re ,’
fans s’arrêter plus d’un jour chez chaque nation;
mais il ne dit point combien de tems il a mis à
faire ce trajet. La dernière des nations où il s’ar-
(?) Ceci ne paroîrra pas exagéré, lorfqu’on voudra
conûdérer que les foldats romains, chargés du poids de
foixante livres, faifoient fix à fept lieues de chemin en
cinq heures de tems -, eux qui n’étoient pas accoutumés ,
comme les Sauvages, dès leur jeuneffe, dès leur enfance
: même , g vivre uniquement de la chaffe & à faire des
’ centaines de lieues pour l’avoir abondante.
(4) J’avoue pourtant qu’on ne doit pas toujours infif-
ter egalement fur les mefures itinéraires des Sauvages ;
je veux croire que depuis l’embouchure du Miflouri
jufqu’à l’endroit où l’on paffe vers la belle riviè re, il
peut y a vo ir , compris les détours, quatre cens lieues ,
' mais qu’il y e n a moins de là jufqu’à fa fource, que les
Sauvages doivent mieux connoitre. J’en dis de même
du Mifliflipi, & il peut y avoir depuis la mer huit cents
lieues jufqu’au Saut Saint - Antoine -, mais beaucoup
moins de là jufqu’à fa fource , que les Sioux n’ont peut-
être jamais reconnue par eux-mêmes-, aufli pour accorder
plus qu’on ne peut demander , je fixe le paffage dq
Monçacht-Apé, leulement au 270* degré,