
des pointes à tous leurs javelots : cependant dfes
hommes , foutenus par leur bravoure, combattirent
fouvent avec avantage contre des foldats cui-
raflés , calqués, & munis enfin d’inftrumens auffi
meurtriers que l’étoient le pilum de 1 infanterie Romaine.
Si donc l’Amérique eût été habitée par des
peuples auffi belliqueux que ces Germains & ces
Bataves, fept ou huit cents hommes nV euffent
pas conquis deux empires en un mois. Il ne faut
pas dire que la bande de Pizarre fat foutenue par
des troupes auxiliaires, puifqu’a la journée de Caxa-
jnalca les Efpagnols combattirent feuls l’armée do
l’empereur Atabalipa, & l’événement prouva que
Pizarre n’avoit pas eu befoin de troupes auxiliaires.
Il eft vrai que par une difpofition très-remarquable
du local, tous les grands fleuves, comme la
Plata , le Maragnon , l’Orénoque , le fleuve du
Nord , le Mifliffipi & le Saint-Laurent, ont leurs
embouchures à la côte orientale où les Européens
dévoient d’abord aborder ; de forte qu’en remontant
ces fleuves, ils pénétraient fans difficultés dans
le centre du continent ; mais le Pérou & le Mexique
fe trouvent, comme l’on fa it , dans un fitua-
tion contraire, c’eft-a-dire, a la cote occidentale ,
& on ne pHt les attaquer qu’avec des troupes déjà
fatiguées par les marches qu’elles avoient faites
dans l’intérieur des terres. f .
Quoi qu’il en fa it, le nouveau monde etoir fi
d éfert, que les Européens auraient pu s’y^établir
fans détruire aucune peuplade ; & comme 1 on eut
donné aux Américains le fe r , les arts, les métiers,
les chevaux, les boeufs, & les races de tous les
autres animaux domeftiques qui leur manquoient,
cela eût fait en quelque forte une compenfation
pour le terrein dont on fe ferait empare. On con-
noît des jurifconfultes qui ont foutenti que les peuples
chaffeurs de l’Amérique n’étoient pas véritablement
poffeffeurs du terrein, parce q u e , faivant
Grotius & Lauterbach, on n’acquiert pas la propriété
d’un pays en y chaffant, en y failant du bois
ou en y puifant de l’eau : ce n’eft que la démarcation
précife des limites, & l’intention de cultiver
ou la culture déjà commencée, qui fondent la pof-
felfion. Nous penfons, tout au contraire, que les
peuples chaffeurs de l’Amérique ont eu raifon dé
foutenir qu’ils étoient, comme on l’a déjà d it, pof-
feffeurs abfolus du terrein, parce, que dans leur
manière d’exifler, la chaffe équivaut à la culture ;
& la conftruflion de leurs cabanes eft un titre contre
lequel on ne peut citer Grotius , Lauterbach,
T itiu s , & tous les publicités de l’Europe , fans fe
rendre ridicule. Il eft certain que dans les endroits
où il y avoit déjà quelque efpèce dé culture, la
poffeflion étoit encore plus indubitablement fondée
; de forte qu’on ne conçoit pas comment il a
pu tomber dans l’efprit du pape Alexandre V I , de
donner, par une bulle de 1 an 1493 , tout le continent
& toutes les îles de l’Amérique au roi d Efpa-
gne ; & cependant il ne croyoit point donner des
pays incultes 6c inhabités , puifqu il fpécifie, dans
fa donation, les villes & les châteaux, civitntes &
cadra in perpétuant, tenore ■pnzfentiurn, donamus. On
dira bien que cet aile n’étoit que ridicule : o u i,
c’eft précifément parce, qu’il étoit ridicule qu’il fal-
loit s’abftenir de le faire, pour ne pas donner lieu
à des perfonnes timorées de croire que les fouve-
rains pontifes ont contribué, autant qu’il a été en
eux, à toutes les déprédations & à tous les maffa-
cres queles Efpagnols ont, commis en Amérique,
où ils citoient cette bulle d’Alexandre V I , toutes
les fois qu’ils poignardaient un cacique, & qu’ils
envahiffoient une province. La cour de Rome aurait
dû révoquer folemnellement cet acte de donation
, au moins après la mort d’Alexandre V I ; mais
malheureufement nous ne trouvons pas qu’elle ait
jamais penfé à faire cette démarche en faveur de
la religion. ^
Ce qu’il y eut encore de remarquable, c’eft que
quelques théologiens foutinrent, dans le X V I e ftècle,
que les Américains n’étoient point des hommes, 8t
ce ne fut pas tant le défaut de la barbe & la nudité
des fauvages, qui leur firent adopter ce fentiment,
que les relations qu’ils recevoivent touchant les A nthropophages
ou les Cannibales. On voit tout cela
affez clairement dans une lettre qui nous eft reliée
de Lullus : les Indiens occidentaux, dit-il, n’ont de
l’animal raifonnable que le mafque ; ils favent à peine
parler, & ne connoiffent ni l’honneur, ni la pudeur,
ni la probité ; il n’y a point de bête féroce auffi féroce
qu’eux; ils s’entre-dévorent, déchirent leurs
' ennemis en lambeaux, en fucent le fang & ont toujours
des ennemis ; car la guerre eft parmi eux éternelle,
& leur vengeance ne connoît point de borne :
les Efpagnols, qui les fréquentent, ajoute - i l , deviennent
infenfiblement auffi pervers , auffi mé-
chans, auffi atroces qu’eux ; fait que cela arrive par
la force de l’exemple, fait que cela arrive par
la force du climat : Adeo conumpuntur illic mores,
five id accidat cxemplo incolarum, fiv'e cali naturâ.
Mais il n’y a nulle apparence que le climat influe en
tout ceci ; puifque nous avons déjà obfervé que dans
les pays les plus chauds, comme fous l’équateur &
dans les pays les plus froids, comme au-deladu 50e
degré, on a également vu des barbares manger
leurs prifonniers, & célébrer par d’horribles chan-
fons la mémoire de leurs ancêtres, qui fe trouvèrent
comme eux à des repas femblables. 11 faut que
Lullus & les théologiens, dont il eft. ici queftion ,
aient abfolument ignoré que l’anthropophagie a auffi
été très - commune parmi les anciens fauvages de
notre continent; parce que, quand les fciences n’éclairent
point l’homme, quand les loix n’arrêtent ni
fa main, ni fon coeur, il tombe par - tout dans les
mêmes excès. Mais nous répéterons encore cnJnif-
lant cet article, qu’il lera à jamais étonnant qu’on
n’eût encore aucune idée des fciences dans tout un
hémifphère de notre globe en 1492 » forte que
l’efprit humain y étoit retarcTe de plus de trois mille
ans. Jufqu’à nos jours, il n’y a point eu dans tout le
nouyeap-jnonde une feule peuplade Américaine qui
fut
A M ,E
fut libre, & qui pensât à fe faire inftruire dans les lettres
; car il ne faut point parler des Indiens des mif-
fions, puifque tout démontre qu’on en a fait plutôt
;des enclaves fanatiques,que des hommes.(£).r.)f/c.)
R e c h e r c h e s g éo g ra p h iq u e s & c r i t iq u e i f u r la p o f i t io n d es
l i e u x f e p t e n t r io n a u x d e V A M É R I Q U E .
Je commencerai par pofer quelques axiomes ou
^maximes qui me ferviront de guides dans ces recherches.
t°. On ne peut fixer la pofition d un pays que lur
le rapport de perfonnes qui, l’ayant v u , en ont
donné une relation circonftanciée.
20. Les relations font plus ou moins authentiques,
félon les perfonnes & les circonftances. Les anciens
n’ont donné fur les régions éloignées, que des con-
noiffances vagues, d’après lefquelles on a dreffédes
cartes auffi bien qu’il a été poffible, en attendant
des témoignages plus furs mieux circonftancies.
3®.'Quant aux perfonnes, il y a une grande différence
dans le degré de crédibilité qu’elles méritent.
C e f l ce qu’il faut examiner avec attention, & pefer
foigneufement. Souvent on donne une relation anonyme;
tantôt on la préfente fous le nom d’une perf
o r e dont l’exiflence n’eft pas conftatée, ou bien
on la lui attribue fans raifon fuffifante; d’autres fois
elle eft d’un voyageur regardé comme plus ou moins
véridique ; il y en a qui ont pour garant tout un équipage
de vaiffeau, ou même plufieurs; enfin d’autres
ont été publiées d’après des voyages entrepris par
ordre d’un fouverain ou d’une compagnie, auxquels
ceux qui ont été à la découverte ont fait leur rapport.
De ces relations, quelques - unes ont été imprimées
& connues dans letems que les découvertes
ont été faites, ou peu de tems après ; d’autres n’ont
paru quet-rès-long-tems après cette époque. Les unes
ont été contredites par d’autres, & quelques autres
ont été reçues comme avérées, dans le tems qu'on
en aurait pu prouver la fauffeté, s’il y avoir eu lieu
au moindre foupçon. Toutes ces circonftances doivent
être mûrement examinées, & en général il ne
faut point ajouter foi à celles qui pèchent contre la
vraifemblance, à moins quelles ne foient appuyées
par d’autres marques caraétériftiques d’authenticité»
40» Si le cara&ere d’authenticité s’y trouve ,
qu’elles foient de deux cents, de cent, ou de dix ans
feulement, ces relations doivent toujours être te-
nues pour inconteftables, quand même depuis ce
tems-làon n’en aurait point eu d’autres de ces pays,
& de leur fituation ; pùifqûe la vérité refte conftam-
rnent la même, quelque ancienne qu’ellefoit. Mais
fi de nouvelles relations, données par des yoya.-
geurs dignes de foi qui auraient été fur les lieux ,
contredifoient & corrigeoient les anciennes , il eft
manifefte que les témoins plus réeens mériteraient
plus de créant^»
5°. Si des relations d’une authenticité égale fe contredirent
, il faut comparer les degrés d’authenticité,
Jes circonftances, la probabilité ,1a poffibilité mêpie
f t fo g r a p h i e . T om ç h
de tout, & fe décider la-deffus, fans cependant,
dans ces cas, donner le fyftême adopté pour indubitable
, mais feulement pour probable, en attendant
•de nouvelles lumières plus certaines.
• 6°. Si les plus anciennes & les plus nouvelles découvertes
s’accordent entr’elles en tout ou en partie,
il ne faut pas héftter un moment de les préférer à
tout ce que les hommes même les plus favans auraient
écrit de contraire.
7 0. Si un voyageur donne une relation dont on
doute, parce qu’il eft le premier qui en ait parlé, &
que cependant elle ait été publiée fans qu’on l’ait
contredite, ou qu’une partie en ait été enfuite peu-
à-peu confirmée par des relations plus modernes,
je penfe qu’on doit la recevoir toute entière comme
telle, jufqu’à ce que le témoignage d’autres voyageurs
auffi véridiques conftate la fauffeté des autres
faits qui n’ont pas encore été pleinement confirmés.
8°. Lorfqu’il n’y a abfolument point de relation
fur un pays, il eft permis de recourir aux conjeéhw
' res, en rapprochant & en combinant les relations
des pays voifins, leur fituation , & toutes les circonftances
qui peuvent contribuer à former un fy ftême
raifonnable, en attendant que des faits certains
puiffent mieux nous inftruire.
cf. On ne doit point conclure qu’une première
relation eft fabuleufe, parce que les noms que les
anciens voyageurs ont donnés à certains pays & à
certains peuples, diffèrent de ceux qui leur ont été-
donnés enfuite. Je ne parle pas feulement des noms
que les Européens ont impolés aux pays, caps, baies „
rivières, &c.; on fait que chaque nation a pris la liberté
de donner tels noms qu’elle a voulu, & que *
les Efpagnols même fe font plu à varier ces noms
par un pur caprice. Si l’on prend la peine de conful-
ter les cartes des côtes de la Californie, par exemple
, on y trouvera prefque par - tout de la variété
dans la dénomination des mêmes lieux. Il en eft de
même des rivières qui' font au fond de ce golfe, de
fes cotes, & des endroits fitués dans l’intérieur du
pays. Tout a changé (excepté la réalité) par rapport
aux noms, comme fi c’étoient des pays entièrement
différens ; je parle même des noms que les
peuples voifins leur donnent. Nous favons que
tous ces noms font fignificatifs, & qu’il y a une
infinité de langues diverfes & de diale&es chez les
nations Américaines. Si donc dix nations différentes
indiquent le nom de leurs voifins, il eft poffible
qu’il y ait dix noms différens. Ce qui eft nommé
T e g u a jo , A p a c h e s , Mo q u i , X u m a n e s , &c. au nouveau
Mexique, eft nommé tout autrement parles
Miffouris, les Panis, les Padoucas, les Ghriftinaux,
les Sioux, les Àffinipoels, & c . , fans que pour cela
il s’agiffe d’autres nations ou d’autres pays.
io°. Toutes les cartes géographiques doivent fe
fonder fur de pareilles relations authentiques, fans
quoi elles ne prouvent rien ; chacun en peut dreffer
d’après fes idées ; on peut en copier de fautives qui
ne font fondées fur aucune relation. Souvent on
fuit celles-ci en quelques points, & on les contredit: