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ne leur cèdent, ni en puiflance, ni en forces ; &
quoique leur- nombre foit comparé aux feuilles des
arbres, ils trouvent cependant des peuples plus à
Foueft, qui ne font pas moins nombreux. 11 faut
donc que le continent s’étende encore bien loin. On
doit aufli obferver que la Hontan ne dit point que
la rivière ait communication avec la mer depuis ce
'grand lac : mais on doit croire qu’elle y pafle, &
va toujours à Foueft; elle répondroit alors allez
pour la latitude à celle que M. Muller place à quarante
cinq degrés, mais à deux cens quarante-fixou
deux cent quarante-fept de longitude, & qu’il fait
forcir du lac Oninipignon entre le quarante - fep-
tième degré & demi, & le cinquantième de latitude.
C e lac fauroit d’autant moins être celui des Tahuglanks
, que celui-!! eft à l’eft, & celui-ci à FoueA:de
, la chaîne des montagnes ; fans compter que fur le
premier il y a le fort Maurepas, & que les environs
devraient être connus des François. Il fe peut qu’on
ait voulu concilier ces contradiélions , puifqu’on
varie A fort dans les longitudes & les latitudes , la
carte tracée par Onagach donnant toute liberté de
le faire ; cependant cette conciliation eft impoffi-
b le , fi le lac des Tahuglanks eft à environ 45 degrés
de latitude , & au fud du fleuve de Mifliflipi,
<& que, par contre, tous ces lacs foient à fon nord.
Quant à la longitude , il n’y a pas la moindre conciliation
à efpérer, dès que le dernier de ces lacs,
l ’Oninipignon, doit fe trouvera 275 degrés , au lieu
que celui des Tahuglanks ne fauroit être qu’au
3.45 à 250, en donnant plus qu’on ne fauroit accorder.
Que fera-ce, fi on réduit ces fix cent trente
lieues en degrés de quatorze lieues , comme elles
doivent l’être inconteftablement à cette latitude ?
Elles feront 45 degrés; & le bout occidental du
lac des Tahuglanks viendra au 241e degré de
longitude, vers l’entrée de Fuca; & les nations
plus éloignées feront dans la pleine mer, qu’on
fuppofe à fon oueft & fud oueft. Mais fi on peut
s’en tenir aux anciennes cartes, cette extrémité
occidentale du lac des Tahuglanks fe trouvera
vers le royaume de T o lm , ou dans le pays de
Teguajo , fi fort avancé vers ,1’eft dans les nouvelles
cartes; les 12 degrés de diftance entre le nouveau
Mexique & les Gnacfitares y conduifent &
feroient les quatre-vingts tafous , & encore plus
les quatre-vingts lieues qu’il y a entre ceux- ci &
les fauvages voifins des Efpagnols, indiqués par
les Moozemleks.
Je fais que plufieurs font depuis long-tems prévenus
contre la véracité de la Hontan. Le père
Charlevoix n’en porte pas un jugement favorable ;
il dit pourtant^dans la lifle des auteurs qu’il a placés
à la fin de fon H i j lo i r e d e l a n o u v e lle F r a n c e ,
qu’il étoit homme de condition , foldat, puis offi-
fc ie r ; en ajoutant que dans fa relation , le vrai eft
mêlé avec le faux ; que le voyage de la rivière
Longue eft une pure fiftion, aufli fabuleufe que
file de Barataria ; « mais que cependant en France
» & ‘ailleurs, îè- plus grand nombre a regardé ces
jj mémoires comme le fruit des voyages d’un ca-
jj valicr qui écrivoit m al, quoiqu’afîez légèrement,
jj & qui n’avoit point de religion, mais qui racon-
jj toit aflez fincèrement ce qu’il avoit vu jj.
Je crois que ce grand nombre raifonnoit bien ,
& M .D .L .G .D . C. encore mieux, & d’une manière
qui m’a charmé, puifqu’on y voit tout le bon
fens poflible. Il rapporte qu’après avoir traverfé le
lac Michigan & la baie des Puants , après un court
trajet par terre, la Hontan defcendit par la rivière
Onifconfine dans le Mifliflipi, & que cette route
étoit alors ^encore inconnue ; qu’il remonta le Mif-
fiflipi en huit jours jufqu’à la rivière Longue , qui
vient de l’oueft , & débouche fur la rive occidentale
qu’il place au 45^ degré de latitude.
.11 entra dans la rivière Longue le 23 octobre
1688, & la remonta jufqu’au dix-neuvième de
décembre, & mit environ trente-cinq jours à la.
defcendre jufqu’au Mifliflipi. Il donne une carte de
la partie de la rivière qu’il parcourt, difant qu’il
Favoit levée lui-même , & une autre dont l’original
fut tracé fur des peaux par des fauvages, Sl
Fon y voit une rivière qui coule à Foueft, peu éloignée
des fources de là rivière Longue. Il entre
dans le détail des peuples qui habitent à l’embouchure
de cettë fécondé rivière , affurant qu’il tient
ces connoiflances des fauvages, les Tahuglanks »
fitués aux environs du grand lac où fe jète cette
rivière de Foueft, &c.
Toutes les parties de fa relation paroîflent naturelles
; elles fe fouriennent réciproquement, & il
femble aflez difficile de fe perfuader qp’elîes ne
font que le fruit de l’imagination de Fauteur. Lorfi-
qu’elle fut publiée, perlonne ne la révoqua en
doute : ce n'eft que lorfqu’on a négligé ces découvertes
, qu’on a commencé à en douter , qu’on l ’a
rejettée & qu’on Fa traitée de chimère, fans en
produire aucune preuve.
M. Delifle, dans fa carte du Canada , avoit mis
la rivière Longue, & Fa fupprimée dans celle du
Mifliflipi, fans en dire la raifon. Le père Charlevoix
regarde la decouverte du baron de la Hontan ,
comme aufli fabuleufe que File de Barataria ; mais
c’eft fans preuve ; il en faudrait pourtant produire
avant de fe déterminer à traiter avec tant de mépris
la relation d’un voyageur aufli célèbre, gentilhomme
, officier, qui n’auroit pu efpérer des ré-
compenfes par des. fuppofitions fi groflières, qui.
l ’auroient déshonoré. ■
Il étoit accompagné de plufieurs François qui
étoient vivans lorfque fa relation fut publiée, &
qui l’aUroient démentie ; ils ne Font pas fait ; ceux
qui ont pris à tâche de le décrier, n’en ont pu citer
aucun. Ayant eu le malheur de déplaire au minif-
tre, fa difgrace aura pu influer fur fon ouvrage,
de même que fes fentimens trop libres Si peu religieux.
Le père Hennepin place une rivière à 7 ou 8 li.
au fud du faut Saint-Antoine, qui vient de Foueft *
te ne peut être que la rivière Longue. Elle doit 1
^être' conftdérable, puifqu’il la cite , vu qu’il ne fait
pas mention de cinq ou fix autres , que MM. De-
fille, Bellin & Danville placent fur le même côté.
Une de ces rivières , nommée par les géographes
. Rivière Cachée , eft à peu-près fous la même latitude
que l’embouchure de la rivière Longue parla
Hontan.
Benavides parle des Apaches-Vaqueras à l’eft
du nouveau Mexique ; il compte de là 112 lieues
vers l’e f t , jufqu’aux Xumanes , Japios, Xabataos ;
à F eft de ceux-ci, il met les Aixa:s & la province
de Q u iv a r i, dont il nomme les habitans Aixaraos,
qui reflemblent aflez aux Eokoros de la Hontan,
& la diftance y convient aufli.
Lors de la découverte du nouveau Mexique, par
Antoine d’E fpejo, les fauvages lui firent comprendre
qu’à quinze journées de chemin , il y avoit un
grand la c , environné de bourgades , dont les habitans
fe fervoient d’habits, abondoient en vivres ,
demeuraient dans de grandes maifons, &c.
Les Efpagnols de la province de Cibola , & les
habitans de Zagato, à 20 li. de Cibola vers Foueft,
confirmèrent la même chofe.
Tout ceci s’accorde avec le lac, & avec la nation
des Tahuglanks. Les Efpagnols placent au nord
& au-delà des montagnes du nouveau Mexique,
un grand pays , Teguajo, d’où ils prétendent que
fortit le premier Montézuma, lorfqu’ii entreprit la
conquête du Mexique. -
Il eft fûr que le Mifîburi .prend fa fo^irce dans
cette longue chaîne de montagnes, qui fèpare le
nouveau Mexique d’avec la Louifiane, & que les
rivières qui y prennent leur fource, coulent chacune
du côté où elles foi-tent de terre, vers Foueft
ou vers l’eft.
' . La route par le pays des Sioux, eft d’environ
trois degrés plus au nord que celle de la Hontan.
Les indications qu’il reçut d’une rivière à Foueft ,
s’accordent aflez.avec celles du fauvage Ochagac ,
fuivie par M. Danville. La différence eft de deux à
trois degrés de latitude : mais il pouvoir facilement
s’y tromper, puifqu’il ne 1a copiée que fur les
peaux tracées par les fauvages.
Ces faits & ces raifonnemens du défenfeur du
baron de la Hontan , devroient fans doute déjà
fuffire pour ne pas mettre au rang des fables fa relation
: tâchons cependant d’en faire encore mieux
fe.ntir la force par quelques réflexions.
On n’a que deux objeéiions à faire contre fon
authenticité ; l’une que les circonftances de fa relation
ne font pas confirmées par d'autres ; l’autre
que c’étoit un libertin, un homme fans religion,
auquel on ne peut ajouter foi. Mais, je le demande,
font-ce là des raifons capables de faire la moindre
impreflion fur un homme impartial & non prévenu
? Je fais que c’eft-là le fort même de toutes les
anciennes decouvertes, & la raifon pourquoi on
rejéte les anciennes relations Efpagnoles. Quoi de
plus ridicule ? Celles-ci, par exemple , étoient tenues
pour indubitables par tout le monde ; on étoit
convaincu que plufieurs centaines de perfonnes de
foute qualité, en avoient été les témoins oculaires,’
Les faits étoient donc vrais alors ; mais parce que ,
depuis cent cinquante ans & p lu s , perfonne n’a
voulu fe tranfporter dans ces mêmes p a y s , on
trouve que ce qui étoit vrai alors, ne l’eft plus aujourd’hui.,
de même que pour les îles de Salomon,
plufieurs terres auftrales, &c. Il en eft de même
dans le cas préfent, parce que depuis la Hontan &
fes compagnons, perfonne n’a voulu fe hafarder
fi loin , tout ce qu’il dit eft controuvé ; & ce qu’il
y a de plus étonnant, eft que les découvertes de
Fonte & de Fuca, qui ne roulent que fur des pof-
fibilités impoftiblès , font reçues avec avidité.
Il y a plus encore : Fauteur dédie la carte du
. Canada. & cet ouvrage au roi de Dariemarck, dans
le tems que tous ceux qui l’ayoient accompagné
étoient encore vivans. Quelle hardiefle ! quelle impudence
de vouloir en impofer à un grand r o i, à
un fouverain puiflant, duquel il efpéroit peut-être
alors fa fortune, en récompenfe de fes travaux 8c
de. fes découvertes !
Ceci, peut-il entrer dans l’idée de qui que ce foit ?
Nous voyons d’ailleurs, par l’extrait du mercure
que nous avons donné, que la route que la Hontan
a tenue pour defeendre au Mifliflipi, étoit inconnue
avant lui ; qu’elle ne l’eft plus aujourd’hui ;
qu’on la trouve telle qu’il Fa décrite, & qu’il n’a
pu la favoir d’un autre, puifqu’elle étoit inconnue.
Si donc on a trouvé conformes à la vérité les articles
qu’on a pu re'connoître depuis, n’eû-il pas
injufte de rejetter ce qu’on n’a pas v u , feulement
parce qu’on ne Fa pas vu? Ne faudra-t-il donc
croire de tous les faits, de toutes les relations, que
ce qu’on a vu foi-même ?
Il eft certain qu’on a encore découvert une rivière
à la même latitude-, où il place l’embouchure
de la rivière Longue. Je. fais qu’on a trouvé à pro«-.
pos de lui donner d’autres noms ; celui de Saint-
Pierre ou celui de rivière Cachée : cent autres perfonnes
pourraient lui donner autant de noms; mais
fi ppur cette raifon on en veut faire autant de d ifférentes
rivières, ne multipliera't-on pas les êtres,
& ne mettra^t-on pas une confufion énorme dans
la géographie où il y en a déjà aflez ?
La Hontan représente une chaîne de montagnes ,
qui defeend du nord au fud , qui fait les limites
entre les Moozemleks & les Gnacfitares., qui a 6 li.
de large, eft difficile à pafler & fait de longs détours«
M. Buache, par fa fcience phyfique, donne la
même chaîne', à la vérité beaucoup plus à l’eft ,
pour l’amour de fon fyftême fur la mer de Foueft,
& fur le peu de largeur de la Californie : mais enfin
, c’eft la même chaîne. La Hontan n’étoit pas
homme d’étude ni phyficien ; comment donc imaginer
cette chaîne qui exifte , fi les Moozemleks ne
lui en avoient donné réellement la connoiftance ?
La remarque de D. L. G. D. C. eft importante
fur la conformité de cette relation avec celle des