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font nuifibles; Les autres peuples font fous leurs
yeux le commerce de leur monarchie; & c’eft véritablement
un bonheur pour l’Europe, que le
Mexique, le Pérou & le Chili, foient poffédés par
une nation parefleufe.
Ce feroit fans doute un événement bien fingu-
lie r , fi l’Amérique venoit à fecouer le joug de
l ’Efpagne, & fi pour lors un habile vice-roi des
Indes , embraflant le parti des Américains , les
fouteneit de fa puiffance & de fon génie. Leurs
terres produiroient bientôt nos fruits ; & leurs ha-
bitans n’ayant plus befoin de nos marchandifes,
ni de nos denrées , nous tomberions à-peu-près
dans le même état d’indigence , où nous étions
il y a quatre fiècles. L’Efpagne, je l’avoue, pa-
roît à l’abri de cette révolution, mais 1 empire de
la fortune eft bien étendu ; & la prudence des
hommes peut-elle fe flatter de prévoir & de vaincre
tous fes caprices ? »
L’air de ce royaume n’eft pas le même dans
toutes les provinces ; il eft humide dans la Galice,
dans la Catalogne, & dans les autres contrées qui
s’approchent de la mer. Vers les parties fepten-
trionales & dans les montagnes, il eft vif', frais ,
6 c même froid. 11 pleut rarement dans le refté du
pays ; l’air en eft fi ferein , qu’on n’y voit prefque
point de nuages. Durant les mois de juin , juillet
& août, la chaleur eft infupportàble de jour,
principalement vers l’interieur du royaume ; elle
deffeche, elle tarit des ruifleaux & même clés rivières
; malgré cela les nuits font extraordinairement
fraîches, fans que le ferein foit dangereux.
L’hiver n’a rien de rigoureux ; la glace eft rare,
6 c on n’y voit prefque jamais de neiges, excepté
dans les montagnes; Ce paflage trop fubit du
froid au chaud , eft caufe que les femences demeurent
long - tems dans le lein de la terre avant
que de fe reproduire ; mais cependant ce n’eft ni
à cette caufe qui a toujours été la même , ni à la
grande fécherefle de la terre en beaucoup d’endroits
, qu’il faut attribuer ces difettes qui défo-
lent quelquefois l’Efpagne ; n’en accufons que le
gouvernement: c’eft lui qui , dans tous les pays ,
fait des guerriers, des favans , des cultivateurs &
des hommes ! L’Efpagnel, cette nation aujourd’ui
paralyfée ; a befoin , d’une grande fecouffe qui le
tire de cette léthargie politique. On trouve encore
en lui le fang de ces braves & anciens Caf-
tillans ; il a encore cette élévation d’ame , ces
fentimens nobles & généreux , cette foif de la
gloire, cet amour pour la patrie & les fciences,
ce defir des fuccès qui ont étonné nos ancêtres,
& en ont impofé aux nations ; mais par malheur
tous ces avantages s’altèrent, fe perdent, fe confondent
dans une adminiftration douce & léthargique
; fes cérémonies religieufes, fes prêtres,
fes moines, ont fait de dette nation coloflâle un
peuple de pygmées.
Oui, l’Efpagne a eu du bled, & elle en manque
fou vent de nos jours l Elle a été riche, à préfent
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elle eft pauvre au milieu de fes tréfors ; elle a eu
la première infanterie de l’Europe ; elle a eu les
plus intrépides navigateurs, les plus fages négo-
dans , & aujourd’hui on n’ytrouveroit peut-être
pas un général à comparer à ceux d’une autre nation
; on n’y trouveroit pas un foui artilleur ! on
n’y trouveroit plus cette manoeuvre maritime qui
étonneit l’Anglais, cet enfant de la mer ; & fes rté-
gocians ne font guères aujourd’hui que les fadeurs
des autres nations.
Cependant, quel peuple habita un plus beau
pays ! quel peuple eut une langue plus riche-, des
mines plus précieufes, des denrées plus- rechef--
chées, des pofTeffions plus vaftes ? Laquelle des nations
fut pourvue de plus de qualités 'morales &
phyfiques : une ame noble & naturellement portée
aux grandes chofes , une imagination vafte ,
exaltée, bc cette conftitution phyfiquequi fait des
héros dans le crime comme' dans la vertu ! j’ajouterai
de la fobriété, de la patience, de la bravoure ,
un amour des loix & de l’ordre ; enfin - cette fiabilité
de cara&ère qui fait les nations éternelles ! &
cependant ce peuple fi heureufement né, cette nation
fi eftimable à tant d’égards , on n’ofe porter
les- yeux fur elle fans une efpèce de compaflien :
il femble que la nature n’ait qu’ébauché cet enfant
chéri & gâté ! Le fier, le noble Efpagnol rougit de
s’inftruire, de voyager, de rien tenir des autres''
peuples. Mais ces fciences qu’il dédaigne, ces arts
qu’il néglige, ne font-ils rien pour fon bonheur ?
N’en a-t-il pas befoin pour rendre les fleuves navigables
& tracer des canaux de communication afin
de tranfporter le fuperflu d’une province dans une
autre province ? N’en a - t-il pas befoin pour corriger
des loix anciennes & ridicules, pour perfectionner
fa navigation , fon agriculture , fon commerce
; pour fes befoins de première nécefîité
ou d’agrément , pour fe fouftraire au joug trop
rigoureux de fes prêtres > pour repouffer des -erreurs
dangereufes, des préjugés plus dangereux^
encore; enfin pour former des légions dans l’art;
de fe défendre, & d’empêcher un voifm ambitieux
de le dépouiller ? Que lui manqueroit-il donc pour
être heureux, fi ce n’eft l’envie de l’être ! Mais’
vouloir eft un travail pour une nation parefleufe
& fuperbe ! Par - tout la nature fait les premiers-
frais de fon bonheur : par-tout elle- lui prodigue
dans la plus grande abondance, les plus beaux
fruits, les poires de toutes efpèces, les pêches,
les olives, les amandes , les figues , les raifms
de corinthe, les marrons, lés citrons, les ofangesy
les pommes de grenade, &c.; & tous ces fruits
font d’un goût exquis. La Manche & l’Andalou-1
fie produifont du fafran en fi grande quantité ,
qu’on pourroit, au befoin, en fournir toute l’Europe
; les provinces de Valence & de Grenade'
produifent de la canne de fucre. Par-tout le miel
eft abondant, ainfi que la foie. On cultive aulïï dii
riz dans la Catalogne ; la culture du chanvre & du.
lin, ne fournit pas la dixième partie de ce que
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l’Efpaftfte pourroit en ufer; encore le peu que fon
fol produit n’eft-il pas confommé fur les lieux,
parce qu’elle fe pourvoit’chez l’étranger de toiles
ordinaires , de toiles à voiles & de cordages. Le
diftria d’ A lca v a ch è la produit du coton. Lé lel eft
fi abondant par-tout, principalement dans les provinces
médite rranées 6c l e longues cotes, quon
pourroit en exporter pour des fommes comméra-
blés, & avec d’autant plus de profit, que le fo-
leil, par fa chaleur, fait tous les frais de ce 1W *
Les plus fameufes falines font à M a t a , dans le
royaume de Valence , à M in g ra n illa , à P u ^ a , &c.
Car la nature, non contente d’y former fans ceffe
le fol fur les «bords de. la mer-, y a mis en beaucoup
d’endroits des carrières de fel gemme. On
tire de l’alkali, du varefc & des autres plantes’ qui
croiffent au bord de la mer , une efpèce de fol
appellé fo u d e de B avilie , & foude de Bowrdine ,
que l’on emploie dans les favoneries & les verreries,
On en fait une fi grande quantité dans le
royaume de Murcie , & dans une partie de- la Grenade
, que la foule ville d’Alicante a exporté , dans1-
1-efpace d’un an , 4,111,664 livres de foude de
Barille, & 770,960 livres de foude de Bourdine,
fans comprer une autre efpèce de fol encore meilleur
que le précédent, appellé a g u a - a ^ u l, & qui
ne croît que dans les environs d’Alicante : on exporte
auffi beaucoup de cette foude d’Almeria ,
de Vera , de Torre de lasAguilas , d’Almazarron ,
de Carthagène, de Tortofa , & des petites îles-
d’Alfacqs.
Les troupeaux de moutons font très-nombreux»
Il eft des feigneurs qui en entretiennent jufqu’à
30 mille pièces , & il faut être peu à fon aife pour
n’en pas tenir au-delà de cent. Une partie de ces
moutons eft conduite dans les plaines pendant l’hiver
, & on les tranfplante de nouveau dans les-
montagnes durant l’été : ils fourniffent la meilleure
laine. Une autre partie demeure toujours dans le
même endroit ; une troifième forme les moutons
gras. La laine la plus recherchée vient de la Vieille
Caftille ; en général elle eft en Efpagne excellente,
très-fine, & fo diftingue, par fa douceur, de toutes
les autres laines de l’Europe. Ce n’eft cependant ni
la plus blanche, ni la plus longue.
La laine qui fait la branche d’exportation eft de
trois fortes , la refîne, qui eft celle du dos, la fine,
qui eft celle des flancs, & la laine d’agneaux : on
la fait venir de Bilbao, de Bayonna , de Séville ,
( où l’on tranfporte auffi celle de Ségovie & de Se-
jquenza, &c. ) de Cadix & de Malaga. Pierre IV,
roi de Caftille, fut le premier qui conçut lé projet
d’améliorer les laines d’Efpâgne. Il fit venir un petit
nombre des meilleurs beliers d’Afrique, afin de
croifer les races, ce qui lui réuffit parfaitement.
Environ 200 ans après , le cardinal de Ximenès fit
la même chofe dans les environs de Ségovie, &
le fuccès couronna fon entreprife. L’Angleterre a
imité fouvem cet exemple, & la race des moutons
de Barbarie confondue avec la race des moutons
Anglais1, a donné à ceux:- ci une chair plus- défi--
cate& une laine plus fine : le même procédé réuf- ■
fit, je ne dis pas fur les animaux feulement, mais:
fur les hommes mêmes , & plus d’une fois-un peu- :
pie dégénéré abâtardi, a pris une nouvelle énergie
en mêlant fon fang, à celui d’un autre peuple-
Je ne dois point oublier de parier des- chevaux
d’Andaloufie &.des Afturies: qui font-très-eftimés ,
ni des mules & des mulets de ce royaume qui ont -:
des qualités fupérieures à ceux des autres-nations ; ,
mais les bêtes à cornes-font rares; Les objets d'e.:
commerce de ce royaume font encore le corduan ,
qui eft un cuir de chèvre paffé au tan, & que l’on
tire de Cordoue, le vermillon, le cuivre & le fer
de Bifcaye, &c. Enfin , en Aragon & dans.-îa Catalogne,
on recueille de la poix & beaucoup de
goudron ; mais fur-tout du mercure qui fo retire
de là fameufe mine d’Almanden , &c.
Les vins font l’objet d’un commerce immenfe,
non-feulement dans'l’Europe, mais .auffi dans les
Indes- Les Anglais & les Hollandais en enlèvent
tous les ans pour plufieurs millions : nous en tirons
auffi en France, mais rarement l’avons - nous tel
qu’il-eft for les lieux-: la plupart des- commiffio-
naires mêmes nous l’envoient déjà altéré ,. beaucoup
moins dangereux cependant que celui que l’on
vend à-Paris-, dans lequel on fait entrer une:foule
de drogues malfaifantes & meurtrières ! Autant les
vrais vins d’Efpagne font bienfaifans & falutaires ,
autant il faut fe défier de ces poifons travaillés qui
nous donnent une mort lente. J’en ai fait quelquefois
; l’analyfe , & j’ai honte de nommer les ingrédiens
qu’on y fait entrer : révéler cette odieufe manoeuvre,
c’eft montrer à.quel point on infulte aux lois;
| c’eft, ofons le dire, prouver qu’on a mis à prix la.
vie de l’homme 1
La qualité des vins d’Efpagne varie fiiivant les-
cantons : les uns font doux & délicats, les autres
chauds & vigoureux; beaucoup ont un bouquet exquis
, & portent l’odeur du mufeat ; les principaux,
font ceux de Sarragoffe, d’Huefca, & de Garinéna ,
dans le royaume d’Aragon.
Les vins deValdepognas , de San-Glemente, de
Solagna, d’Oreija , de Colmenar, de Chinchon,
de Cigales , d’Alaexos-, d’Arnedo d’Yepês, &.
d’Efquivias dans la Caftille.
Ceux deValbogua , & de la Malvoifie, de Sitgès
dans la Catalogne.
Ceux de Euentela Higuera, d’Alicante, de Be-
nicarlo , & de Torrente dans le royaume de Valence
; les vins de Rota, de Xérés., de Cadix, de
Malaga , de Caçalla, de Montilla, de Tinto, &
de Lucegna dans l’Andaloufie.
Ceux de Peralta , d’Afagra, & de Cafcante dans
la Navarre ; beaucoup d autres encore ; les uns
blancs, les autres rouges, quelques-uns clairets,
& ceux qu’on appelle A l o q u è s , ou vins paillets.
Enfin, le Pedro Ximenès , du nom d’une efpèce de
raifin dont on le fait, & ceux de Ribadavia en
Galice, qui font réputés les meilleurs & les plus.