74 AME , & il eft très-aile d’en découvrir la raifon : on n’y
cultivoit que très-peu ; de forte que ce travail-là
n’étoit point regardé comme le premier des travaux.
On a même découvert, tant dans le Sud que
dans le nord, beaucoup de chaffeurs qui ne culti-
voient point du tout, & vivaient uniquement de
gibier ; comme il leur arrivoit d’être plus heureux
en de certaines faifons qu’en d’autres , ils ne pou-
voient conferver la chair qu’en la boucanant : car
les nations difperfées au centre du continent, n’a-
voient pas la moindre connoiflance du fel ; mais
prefque toutes celles qui habitoient dans la zone
torride, & même fur les extrémités des zones tempérées
vers la torride, faifoient un grand ufage du
poivre-piment ( capjicum annuum ) , - ou d’autres
herbes auffi brûlantes ; & c’eft la nature qui leur
avoit ênfèigné tout cela. Il faut dire ici que les médecins
de l ’Europe ont été & font encore pour la
plupart dans l’erreur au fujet des épiceries : fous
les climats ardens, leur grand & continuel ufage
eft néceffaire pour aider la digeftion, & rendre
aux vifcères la chaleur qu’ils perdent par une transpiration
trop abondante. Auffi les voyageurs nous
apprennent-ils que ces Sauvages de la Guiane, qui
répandent tant de poivre dans leurs mets, qu’ils
emportent la peau de la langue à ceux qui n’y font
pas accoutumés, jouiffent conftamment d’une fanté
plus ferme que d’autres peuples de ce pays, comme'
les Acoquas & les Moroux, qui ne peuvent fe
procurer toujours une quantité Suffisante de piment.
En Europe même on voit déjà de quelle néceffité
cette épice eft aux Efpagnols, qui en fement des
champs entiers, comme nous femons le Seigle:
enfin, on fait qu’à mefure que la chaleur du climat
augmente, on a trouvé par toute l’Afie & l’Afrique
que la confommation des épiceries augmentoit en
raifon direéle de cette chaleur.
Parmi les peuples chaffeurs du nouveau monde ,
on a découvert différentes compofitions que nous
Sommes dans l’iifage d’appeller des poudres nutritives
ou des alimens condenfés , qu’on réduit tout
exprès en un petit volume pour pouvoir les transporter
aifément, lorfqu’il s’agit de faire quelque
courfe dans des Solitudes où la terre, Souvent cou- i
verte de neigeaà la hauteur de deux ou trois pieds,
n’offre aucufte reffource, hormis celle du gibier qui
eft incertaine ; parce que beaucoup d’animaux Se
tiennent alors dans leurs gîtes, qui Sont quelquefois
en des lieux très-éloignés de ceux où on les cherche.
Au refie, on voit par les relations., & même
par quelques paflàges de l’hiftoire, que la plupart
des nations errantes de notre continent ont eu ou-
ont encore des pratiques femblablês : les Sauvages
de la Grande-Bretagne compofoient une de ces
pâtes avec le karemyle, qu’on Soupçonne-être les
tubercules du magjon, que les gens de la campagne
appellent vefce fauvage, quoique çe Soit un lathyrus :
en avalant une boulette de cette drogue, les Bretons
pouvoient fe paffer de tout autre aliment pendant
un ( D iona in Seyer. ). Il en efi à-peu-près
A M E
de même de la poudre verte dont Se Servent les
Sauvages répandus le long du fleuve Jufquehanna,
qui fe jète dans la baie de Chéfapeak : il Suffira de
dire ici que cette matière eft compofée de maïs torréfié
qui en fait le fondément, de racines d’angélique
& de Sel. Mais on peut foupçonner qu’avant
que ces barbares n’eufîent quelque communication
avec les colonies d’Europe, ils n’employoient point
de Sel qui ne fauroit contribuer beaucoup à augmenter
les particules alimentaires.
Quant à la méthode de Se procurer du feu , elle
étoit la même dans toute 1*étendue du nouveau
monde, depuis la Patagonie jufqu’au Groenland :
~oa frottoit des morceaux de bois très-durs contre
d’autres morceaux très-fecs avec tant de force & fi
long-tems qu’ils étinceloiènt ou s’enfîammoient. Il
eft vrai que chez de certaines peuplades au nord de
la Californie, on inféroit une efpèce de pivot dans
le trou d’une planche fort épaiffe, & par le frottement
circulaire, on obtenoit le même effet que celui
dont on vient de parler ( Muller, Reife un i
entdeck : von den RuJJen, tom. I. ). Il paroît bien que
c’e ftle Seul inftinéi, ou s’il eft permis de le dire,
l ’induftrie innée de l’homme qui lui a montré cefte
pratique ; de forte que Suivant nous , il faut ranger
parmi les fables ce que quelques relations rapportent
des habitans des Marianes, des Philippines, de
Los-Jordenas & des Amicouanes, qui ignoroient,
à ce qu’on prétend, le Secret de faire du feu ; & fi
l’on trouve de tels «faits dans des géographes de
l’antiquité, comme Mêla, au Sujet de certains peuples
de l’A frique, il eft néceffaire d’avertir que Mêla
avoit puifé dans les mémoires d’Eudoxe, que Stra-
bon nous dépeint comme un impofteur q u i, pour
faire accroire qu’il avoit doublé le cap de Bonne-
Efpérance, fe permettoit de mentir Sans fin. On
v o it , par l’hiftoire de la C h in e , & Sur-tout par
l'iiSage encore aujourd’hui fiibfiftant chez les Kamfi-
chatkadales, les Sibériens & même chez les nayfans
de la Ruffie, que la méthode de faire prendre feu
au bois par le frottement, a dît* être générale dans
notre continent avant la connoiflance de l’acier &
des pyrites : la chaleur que l’homme fauvage a Sentie
dans Ses mains, lorfqu’il les frottoit, lui a enfeigné
tout cela. .
Comme il y avoit en Amérique un très-grand
nombre de petites nations, dont les unes étoienc
plongées plus avant que les autres dans la barbarie,
& dans l’oubli de tout ce qui conftitue l’animal raisonnable,
il eft très-difficile de bien diftinguer les
coutumes adoptées Seulement par quelques tribus
particulières, d’avec les ufages généralement Suivis.
Il y a des voyageurs qui ont cru que tous les Sauvages
du nouveau monde n’avoient pas la moindre
idée de l’incefte , au moins dans la ligne collatérale,
& que les freres y époufoient Sans ceffe les Soeurs,
ou les connoiffoient Sans les époufer; ce qui a fait
penfer à plufieurs perfonnes que les facultés physiques
& morales ont dû s’altérer dans ces fauvages-’
là , parce que l’on fuppofe qu’il en eft des hommes
A M E
comme des animaux domeftiques, dont quelques-
uns fe rabougriffent par les accouplemens incei-
tueux : ce qui a indiqué, ainfi qu on fait, la necef-
fité de mêler ou de croifer les races pour en maintenir
la vigueur & en perpétuer la beauté. 11 confie,
par des expériences faites depuis peu Sur une feule
efpèce, que la dégénération eft plus grande & plus
prompte par une Suite d’accouplemens dans la ligne
collatérale que dans la ligne descendante ; & c’eft-
là un réSultat auquel on ne Se Seroit affurément
point attendu. Mais en Suivant les lettres édifiantes
& les relations des PP. Lafiteau & Gumilla {Moeurs
des fauvages & hifloire de l'Orénoaue. ) , il eft certain
qu’il exiiloit en Amérique plufieurs tribus où 1 on
ne contraéloit pas 'même de mariage dans le troi-
fième degré de parenté ; de Sorte qu’on ne fauroit
dire que les conjonctions que nous appelions illicites
9 ou , ce qui eft la même chofe, incefiueufes,
y ont été généralement en v o gu e , comme elles
l ’étoient Sans doute chez les Caraïbes & chez beaucoup
d’autres. Garcilaflb rapporte auffi ( hifloire des
Incas.') que les grands caciques ou les empereurs
du Pérou époufoient, par une polygamie Singulière,
leurs Soeurs & leurs coufines-germaines à la fois ; il
ajoute à la vérité, pag. 68 , tom. I I , que cet ufage
ne s’étendoit point jufqu’au peuple; mais c?eft-là
un fait qui nous Semble prefque impoffible à éclaircir
; car enfin il ne faut point prêter une foi aveugle
à tout ce qu’on lit dans Garcilaflb, touchant la lé-
giflation des Péruviens : il convient d’ailleurs que
chez les peuplades de ce pays où l’autorité du grand
cacique ou de l’empereur étoit mal affermie, comme
chez les A ntis , le mariage étoit inconnu : quand la
nature leur infpiroit des d.firs, le hafard leur donnoit
une femme ; ils prenaient celles qu'ils rencontraient ;
leurs filles , leurs fcturs, leurs meres leur étoient indifférentes
; cependant ces dernieres étoient plus exceptées. !
Dans un autre canton, ajoute-t-il, les mères gardoient
leurs filles avec un foin extrême ; & quand elles les
marioietit, elles les dèfioroïent en public de leurs propres
mains , pour montrer qu'elles les avoient bien gardées.
Tom. 1 , pag. 14. Ce dernier ufage, s’il etoit
bien v ra i, pourroit paroître encore plus étonnant
que l’incefte, qui a du être effectivement plus en
vogue chez les petites hordes, composées feulement
de cent trente perfonnes, & telles qu’on en
voit encore aujourd’hui dans les forêts de l’Amérique
, que parmi les tribus plus nombreufes ; &
Sur-tout fi l’on réfléchit à. la multiplicité des langues
relativement inintelligibles, qui empêchoit ces
petites hordes de prendre des femmes chez leurs
voifins.
11 faut bien obferver ici que ce n’eft qu’une pure
SuppoSition dont nous avons rendu compte 7 au
Sujet de la dégénération, que les accouplemens in-
ceftueux pourroient occasionner dans l’efpèce humaine
, comme dans quelques efpèces animales:
La vérité eft que nous ne Sommes pas, & que
nous ne Serons point de Sitôt affez instruits Sur un
tfbjet fi important, pour pouvoir en parler avef
A M E i 7 ï
affurarice ; car il ne convient guère de citer ici
l’exemple de quelques peuples de l’antiquité, ni
Sur-tout l’exemple des Egyptiens, dont les lo ix ,
qu’on croit le mieux connoître, Sont Souyent les
plus inconnues : des Grecs qui ont écrit Sur l’hif-
toire de l’Egypte après la mort d’Alexandre, ont
pu aifément confondre les Sanctions d’un code
étranger ", adopté Sous la dynaftie des Lagides ,
avec les fan&ions du code national, où nous, qui
en avons fait une étude particulière, n’avons trouv
é aucune preuve convaincante de la loi qu’on
Soupçonne y avoir exifté , avant le tems de la conquête
des Macédoniens ; mais une plus ample dif-
cuffioii à cet égard Seroit ici très-déplacée. Ce qui
démontre au refte qu’il ne faut pas raifonner Sur la
néceffité de croifer les races , lorfqu’il s’agit des
hommes, comme lorfqu’il s’agit des animaux domeftiques
, c’eft que les Circaffiens & les Mingré-
liens conftituent un peuple qui ne Se mêle jamais
avec aucun autre, & où les degrés qui empêchent
le mariage Sont très-peu étendus : cependant le Sang«
y eft, comme l’on Sait, le plus beau du monde,
au moins dans les femmes ; & il s’en faut beaucoup
que les hommes y Soient auffi laids que le dit, dans
Ses Voyages au levant, le chevalier d’A rvieu , dont
le témoignage eft très-oppofé à celui de M. Chardin
qui avoit été Sur les lieux, & le chevalier d’Ar-
vieu n’y a point été. D ’un autre cô té , les Samo-
jèdes qui ne Se mêlent, ni avec les Lapons , ni
avec les Ruffes, conftituent un peuple très-chétif
& abfolument imberbe , quoique nous Sachions à
n’en point douter, par les observations de M.
Klingftaedt, que jamaisjes Samojèdes ne contractent
des mariages inceftueux, comme on l ’aflùre
dans quelques relations, dont les auteurs étoient
j très-mal informés.
IL peut exifter dans le climat de l’Amérique des
caufes particulières qui font que de certaines efpèces
animales y Sont plus petites que leurs analogues
, qui vivent dans notre continent, comme les
loups', les ours, les lynx ou les chats-cerviers , &
quelques autres. C ’eft auffi dans les qualités du Sol,
de l’a ir , de la nourriture que M. Kalm croit qu’il
finit chercher l’origine de l’abâtardiffement qui Survient
parmi le bétail tranfplanté de l’Europe dans
les colonies AngloiSes de terre-ferme, depuis le
quarantième degré de latitude , jufqu’à l’extrémité
du Canada. ( 'Hifi. nat & civ. de la Penfylvanie. )
Quant à l’homme Sauvage, la groffiéreté des alimens
, & le peu d’inclination qu’il a pour le travail
des mains , le rendent moins robufte qu’on ne Seroit
tenté de le croire, fi l’on ne Savoit que c’eft:
principalement l’habitude du travail qui fortifie les
mufcles & les nerfs des bras , comme l’habitude de
' chaffer fait que les Américains Soutiennent de longues
marches ; & c’eft probablement ce qui a déterminé
M. Fourmont à nommer ces peuples-là
des peuples coureurs , ( Ré.lexions critiques , ) quoiqu’ils
ne courent ou ne chaffent que lorfque la rté-
I cgffité la plus prenante les y oblige: car, quand