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au plus offrant, dans le bureau du crieur public.
Cette vente dure depuis le matin 3 dix heures,
jufqu’à quatre heures après midi.
Le marché au riz , le marché à la vola ille, le
marché aux fruits & aux herbes, font très-bien entretenus,
& il y règne une police admirable.
Les Chinois, qui font en grand nombre dans
cette v ille , y ont bâti, en 1646, un hôpital pour
les infirmes & les vieillards de leur nation.
Batavia a aufli un hôpital pour les orphelins
qui y font nourris jufqu’à ce qu’ils foient en état
de gagner leur vie. Le château , à l'embouchure
de la rivière, tout près de la v ille , eft de forme
quarrée & bâti en bonnes pierres de tailles ; il
eft défendu par quatre battions, beaucoup dç gros
canons, & une forte garnifon ; les folfés en font
larges & profonds. Dans l’enceinte du château il
y a deux places ; la .maifon du gouverneur général
des poffefiîons Hollandaifes, dans les Indes,
eft dans la plus grande, & on l’appçrçoit de très-
loin en mer. La tour en eft très-haute, & au lieu
de girouete, il y a, au haut un yaiffeau de fer qui
tourne au gré du vent* C ’eft laïque s affemblent
le grand-confei! , la chambre des comptes & la
fecrétairerie.
Je ne parlerai pas de l’arfenal, qui eft richement
muni de toutes fortes d’armes, ni des bureaux
où font les archives, ni des magafms fans
nombre où l’on garde les commeftibles & toutes
les chofes néceflaires pour fe défendre en cas de
liège : ce château à deux portes principales, dont
la plus çonfidérable eft celle qui va à la campagne,
elle fut bâtie en i6^6'9 i\ya. fur le fofféunpont
de pierres de taille qui a quatorze arches, vingt-
fix toifes de long & dix de large. L’autre porte
eft la porte d’eau; elle eft au nord. Il y a encore
deux petites portes dans les courtines, à l’orient
& à l’pçcident, qui fervent à charger & décharger
le canon, les boulçts & les munitions de bou-
ïhe. Ce château çft embelli d’une petite églife octogone
, bâtie en 1644,
Batavia eft environné de la fortereffe à l’orient
jufqu’à la rivière d’A n s jo l,& à l’occident jufqu’à
la rivière d’A u k e , le long du golfe de Batavia ; au
midi par le port de Noordwyck, celui de Rifi
w ick , qui a cinq battions, par Jacatra: mais
toutes ces fortifications qui en impofent aux Indiens,
fi peufavans encore dans l’art de détruire,
ne réfifteroient pas long-tems aux troupes Européennes.
Il faudrait dix ans à toutes les forces
réunies de l’île , Sç à peine un mpis aux artilleurs
Français , les meilleurs du monde en tie r , pour
fe rendre maîtres de cette place. La rivière eft couverte
de moulins à bled , à fcier, à papier & à
poudre. Qn y voit aufli des tuilleries, des fours à
briques, des moulins a fücre, Scc.
Hors de la porte de P ie f t , eft le lazaret, éta-
blifiement utile & qui devroit exifter dans prefquç
toutes les villes maritimes.
J^es habitans dç Batavia font op libres oy attachés
à la compagnie. C ’eft un mélange de
vers peuples. Ou y voit des Chinois, des Malais,
des Amboiniens, des Javanois, des Macaffars, des
Mardikres, des Hollandais , des Portugais , des
Français, &c.
Les Chinois y font un commerce immenfe, Sc
contribuent beaucoup à la fplendeur de cette ville«
Ils furpaftent tous les autres peuples de l’Inde
dans la connoiffance de la mer & de l’agriculture.
Leur diligence & leur attention continuelle
entretiennent la pêche-, & c’eft par leur travail
qu’on eft pourvu à Batavia de riz , de cannes,
de grains, de racines, d ’herbes potagères, & de
fruits. Ils affermaient autrefois les plus gros péages
& les droits de la compagnie ; on les laiffe
vivre en liberté félon Içs loix de leur pays , &
fous un chef qui veille à leurs intérêts. Ils portent
de grandes robes de coton ou de foie avec
des manches fort larges. Leurs cheveux ne font
pas coupés à la maniéré des Tartares, comme dans
leur patrie. Ils font longs & treffés avec beaucoup
de grâce. La plupart de leurs maifons (toutes
bafles & quarrées ) font répandues en différens
quartiers, & principalement dans ceux où le commerce
çft le plus floriffant.
Les Malais n’approçhent pas des Chinois pour
la fubtilité & l’induttrie. Ils s’attachent particuliérement
à la pêche , & l’on admire la propreté
avec laquelle ils entretiennent leurs bâteaux.
Les voiles en font de paille, à la manière des Indiens,
Ils ont un chef auquel ils font très - fournis.
Leurs habits font de coton ou de foie ; mais les
femmes les plus diftinguées de leur nation portent
des robes flottantes de quelques belles étoffes à
fleurs. L’ufage des hommes eft de s’envelopper
la tête d’une toile de coton pour retenir leurs cheveux.
On les voit continuellement ou mâcher du
betél, ou fumer avec des pipes de cannes vernifi-
fées. Leurs maifons, qui ne font couvertes que de
feuilles d’oie ou de jager, ne laiffent pas d’avoir
quçlqu’apparence au milieu des cocotiers dont elles
font environnées.
Les Mores ou les Mahométans diffèrent peu des
Malais. Us habitent les memes quartiers , & leurs
habits fontlçs mêmes: mais ils s’attachent un peu
plus aux métiers. La plupart font colporteurs,’
& vont fans ceffe dans les rues avec différentes
fortes de merceries, du corail & des perles de
verre, Les plus considérables exercent le négoce,’
fur-tout celui de la pierre à bâtir, qu’ils apportent
des îles dans leurs barques. Tout le gouvernement
des Hollandais, dans les Indes, eft partagé en fix
confeils. Le premier & le fupérieur, eft compofé
des confeillers des Indçs, auquel le général prê-
fide toujours. C ’eft dans cette affemblee qu’on délibère
fur les affaires générales & fur les intérêts de
l'état. On y lit les lettres £c les ordres dç la compagnie
pour les faire exécuter, ou pour y répondre,
t Ceux qui ont quelque demande ou quelques pro-
I pofition à faire à cçttç çhambrç fuprême, peuvent
Ions les jours avoir audience. Le fécond confeil,
qui eft plus proprement le confeil des Indes, eft
compofé de neuf membres & d’un préfident.
Il eft dépofitaire du grand fceau, fur lequel eft
repréfentée une femme dans un lieu fortifié, tenant
un'e balance dans une main, & dans l’aivre
une épée, avec cette infeription autour de la figure
: Sceau du confeil de juftice du château de Batavia.
Toutes les affaires qui regardent les feigneurs
de la compagnie & les chambres des comptes,
y reffortiflenr. On y peut appeller de la cour des
échevins, en payant vingt-cinq réales d’amende,
lorfque la première fentence eft confirmée.
Le troifieme confeil, eft celui de la ville, compofé
des échevins, qui font au nombre de neuf,
entre lefquels on compte toujours deux Chinois.
C’eft-là que fe plaident toutes les affaires qui s’élèvent
entre les bourgeois libres, ou entre ceux-
ci & les officiers de la compagnie, avec la liberté
de l’appel au confeil de juftice.
Le quatrième, eftla chambre des direéleurs des
orphelins, dont le préfident eft toujours un con-
feiller des Indes. Il eft compofé de neuf confeilf
lers, de trois bourgeois, & de deux officiers de la
compagnie, dont le devoir eft d’adminiftrer le bien
des Orphelins, de veiller à la confervation de leurs
héritages, & de ne pas fouffrir qu’un homme,
qui a des enfans, les quitte fans leur laiffer de quoi
.vivre pendant fon ablence.
Le cinquième, eft établi pour les petites affaires,
& ne porte pas d’autre titre. Son préfident doit
être aufli un confeiller des Indes, & fes fondions
confident à faire figner les bancs de mariage devant
des témoins ; à faire comparoître les parties ; à juger les obftacles qui furviennent , & à tenir
la main pour empêcher qu’un infidèle ne fe marie
avec une femme Hollandaife, ou un Hollandais
avec une femme du pays, qui ne parle pas la
langue Flamande.
Enfin le fixieme confeil eft celui de la guerre.
Il a pour préfident le premier officier des bourgeois
libres. Comme la garde de la ville eft entre
leurs mains, c’eft le commandant aâuel de la garde
qui porte toutes les affaires de fon reffort à ce tribunal
, & la décifion s’en fait fur ie champ. Cette
cour s’affemble à l’hôtel - de- ville , & donne audience
deux fois la femaine: mais les moeurs de
cette ville répondent bien peu à de fi fages étabiif-
femens. Ecoutons le voyageur Graaf ; fon pinceau
s’exerce d’abord fur les femmes. 11 en diftingue
de quatre fortes ; les Hollandaifes , les Hollan-
daifes Indiennes, & celles qu’il nomme les Kafti-
ces & les Meftices. « En général, dit-il, elles font
w infupjportables par leur arrogance, leur luxe, &
3» le goût emporté qu’elles ont pour les plaifirs. On
?» appelle Hollandaifes, celles qui font venues par
?> les vaifleaux qui arrivent tous les ans ; Hotlan-
?» daifes Indiennes, celles qui font nées dans, les
?» Indes d’un pere & d’une mere Hollandais ; Kafti-
?? ces, celles qui viennent d’un Hollandais & d’une
j> mere Meftîcé; & Meftices, celles qui viennent
»» d’un Hollandais & d’une Indienne. . . . Toutes
>» ces femmes fe font fervir nuit & jour par des
»> efclaves de l’un & de l’autre fexe, qui doivent
>» fans ceffe avoir les yeux refpeélueufement atta-
»> ehés fur elles, & deviner leurs intentions au
■n moindre figne. La plus légère méprife expofe
»» un efclave, non-feulement à des injures groflie-
»> res, mais à des traitemens cruels. On les fait
v lier à un poteau pour la moindre faute , & fouet-
» ter fi rigoureufement à coups de cannes fendues,
» que le. fang leur ruiffele du corps, & qu’ils de-
» meurent couverts de plaies. Enfuite dans la
» crainte de les perdre, par la corruption qui
»> pourroit fe mettre dans leurs bleffures, on les
» frotte avec une efpece de faumure, mêlée de fel
»> & de poivre, fans faire plus d’attention à leur
»» douleur, que s’ils étoient privés de raifon ôc de
» fentiment >».
Rien de plus horrible & de plus révoltant que
ce tableau , qui réunit la cruauté à l’avarice ! Ce
font pourtant des Hollandaifes ! & ces femmes fi
douces , fi économes, fi modeftes, fi humaines en
Europe, ne font plus que des bourreaux & des
Meffalines dans les Indes !
« Une Hollandaife, ajoute le même écrivain,
» une Indienne de Batavia, n’a pas la force de
»> marcher dans fon appartement ; il faut qu’elles
?» foit foutenue fur les bras de fesx efclaves , & fi
>» elle fort de fa maifon , elle fe fait porter dans
»> un palanquin fur leurs épaules...............Elles
» font nourrir leurs enfans par une morefque ou
»> une efclave ; aufli prefque tous les enfans parlent-
»» ils le Malabare, le Bengalais, & le Portugais
»» corrompus, comme les efclaves dont ils ont re-
» çu la première éducation ; . . . . des mêmes
»> maîtres, ils tirent la femence & le goût de tous
»» leurs vices.
»» Les Meflices & les Kaftices valent moins en-
»» core que les femmes nées d’un pere d’une
»» mere Hollandais. Elles ne connoiflent pas d’au-
»» tre occupation que de s’habiller magnifique-
»? ment, de mâcher du b étel, de fumer des bonkes,
»» de boire du thé , & de fe tenir couchées fur
»> leurs nattes. On ne les entend parler que de leurs
»ajuflemens, des efclaves qu’elles ont achetés
?» ou vendus, ou des plaifirs de l’amour, auxquels
»> il femble qu’elles foient entièrement livrées,
»» Hollandais ou Mores, tout convient à leurs dé-
»> firs déréglés. Ce goût les fuit jufqu’à table où
»> elles ne veulent être qu’avec des femmes de
»»leur efpece. Rarement y voit-on leurs maris,
» & ce défordre eft paffé comme en ufage : elles
»» mangent d’une manière fi malpropre & fi dé-
»» goûtante, elles ont d’ailleurs fi peu d’éducation ,
?» que lorfqu’elles font invitées par les officiers de
» la compagnie qui arrivent de Hollande, leur
»» embarras fait pitié. Elles n’ofent ni parler ni
»»'répondre:, & leur reftource eft de s’approcher
» les unes des autres pour s’entretçnir enfejnhle