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poiffori enivré, avec le cururu-apé, & que la chair
du gibier tué avec des flèches envenimées avec l’Cx-
prefiïon de la liane woorara, y avoir produit, cette
contagion. Mais les anciens peuples fauvages de
notre continent ont empoiionné tout de même leurs
armes de chaffe, fans qu’il en ait jamais réfulté le
moindre inconvénient par rapport à leur fanté; &
on fait par expérience, que le poiffon qu’on affou-
pit dans les étangs avec la coccula Orientais offici-
narum, & que les poulets qu’on nie dans quelques
cantons des Alpes avec des couteaux frottés de fuc
de napel, donnent une nourriture très-faine. D'ailleurs
à i’ile de Saint-Domingue, où le mal vénérien
féviffoit beaucoup, lufage des traits envenimés n’é-
toit pas en vogue comme chez les Caraïbes & parmi
plufieurs peuplades de la terre ferme. Il n’en pas
vrai non plus que la piqûre d’un ferpen? ou d’un
lézard de la cla ie des iguans, ou que la chair humaine
mangée par les antropophages ait engendré
ce poifon vérolique dans le fang des habitans du
nouveau monde. L’hypothèfe de M. M m e , telle
qu’elle eft expofée dans la derniere édition de fon
grand ouvrage de Morbis venereis , s’éloigne bien
moins de la vraifemblance, que les opinions bifarres
dont on vient de parler : cependant il s’en faut
de beaucoup que cette hypothèfe de M. Aftruc foit
généralement adoptée. Nous dirons ici , que le
mal vénérien a pu être une affeâion morbifique
du tempérament des Américains, comme le feor-
but dans les contrées du nord ; car enfin, il ne faut
pas .s’imaginer que cette indifpofition ait fait les
mêmes ravages en Amérique, qu’elle fit en Europe
quelque tems après fa tranfplantation.
Le déf ut prefque ablblu d elà culture, la grandeur
des forêts, la grandeur des landes, les eaux
des rivières épanchées hors de leurs badins, les marais
& les lacs multipliés à l’infini,-& Fentaffement
des infectes qui eft une conféquence de tout cela,
rendoient le climat de l’Amérique mal-fain dans de
certains endroits, & beaucoup plus froid qu’il n’au-
foit dû l’être , eu égard à la latitude refpeétive des
contrées On a évalué la différence dç la température
dans les deux hémifphères fous les mêmes parallèles,
à i i degrés ; & on pourroit, même par un
calcul rigoureux, l’évaluer à quelques degrés de .plus.
O r , toutes ces çaufes réunies ont dû influer fur la
conftitution des indigènes , & produire quelque altération
dans leurs facultés : aiifli n’eft-ce qu’à un.
défaut de pénétration qu’on peut attribuer le peu
de progrès qu’ils avoient faits dans la métallurgie,
le premier des arts , & fans lequel tous les autres
arts tombent comme en léthargie. On fait bien que
la nature n’avoit pas refufé à l’Amérique les mines
de fe r , & cependant aucun peuple de l’Amérique,
ni les Péruviens, ni les Mexicains ne poffédoient
le feerçt de forger ce métal ; ce qui les privpit de
beaucoup de commodités, les mettoit dans l’un-
poflibilité dç faire dçs abattis .réguliers dans les.
bols, Bt de contenir les rivières dans leurs lits,
Jùeprs haches de pierre ne pouyoient entamer le
tronc des arbres, que quand ils y applîquoîent
en même-tems le feu; de forte qu’ils emportoient
toutes les parties réduites en charbon , & empê-
choient la flamme de gagner le reftê. Leur procédé
étoit à-peu-près le même, lorfqu’il s’agiffoit de
faire des barques d’une feule pièce , ou des chau-
derons de bois dans lefquels ils faifoient cuire
leurs viandes en y jetant enfuite des cailloux rougis
: car il s’en faut de beaucoup que tous les fàu-
vages connuffent l’art de former des vafes d’ar-
gille. Plus ces méthodes s’éloignoient de la' perfection
, & plus elles exigeoient de tems dans la pratique
: aufîi a-t-on vu dans le fud de l’Amérique,
des hommes occupés pendant deux mois à abattre
trois arbres. Au refte, on croira aifément que les
peuplades les plus fédentaires , comme les Mexicains
& les Péruviens , avoient, malgré le défaut
du fe r , acquis un degré d’induftrie bien fupérieur
aux connoifîances mécaniques que poffédoient les
peuplades difperfées par familles , comme les Wor-
rons, ou les hommes n’ont pas affez de reffôurce,
dit M. Bancroft, pour fe-procurer la partie la plus
néceffaire du vêtement, & ce n’eft qu’avec le r é -
feau qu’on trouve dans les noix de cocos , ou
avec quelques écorces d’arbres, qu’ils fe couvrent
les organes de la génération. ( Naturgefchichte von
Guiana ).
Il ne faut pas s’étonner après tout cela, de ce que
le nouveau monde contenoit fi peu d’habitans au
moment de la découverte : car la vie fauvage s’op-
pofe à la multiplication de l ’efpeçe au - delà de ce
qu’on pourroit fe l’imaginer; & moins-les fauvages
cultivent de terre, plus il leur faut de terrein peur
vivre. Dans le nord de l’Amérique, on a parcouru
des contrées de quarante lieues en tous fens fans
rencontrer une cabane , fans appercevoir le moindre
veffige d’habitation. On y a marché pendant
neuf ou dix jours fur une même direction, avant
que d’arriver chez une petite horde, ou plutôt chez
une famille féparée du refie des humains , non-feulement
par des montagnes & des déferts, mais encore
par fon langage différent de tous les langages
connus. Rien ne prouve mieux le peu de communication
qu’avoient eu entr’eux tous les Américains
en général, que ce nombre incroyable d’idiomes
qu’y parloient les fauvages de différentes tribus.
Dans le Pérou même, où la vie fociale avoit fait
quelques foibles progrès , on a encore trouvé
un grand nombre de langues, relativement incom-
préhenfibles ou inintelligibles, & l’empereur ne
pouvoit y commander à la plupart de fes fujets
qu’en fe fërvant d’interprètes. On obfervera à cette
occafion que les anciens Germains , quoique diffri-
bués dç même en peuplades > qui laiffoient autour
d’elles de vaftes deferts , ne parloient cependant
qu’une même langue-mere ; & on pouvoit,
ayant le fiècle d’Augufte comme aujourd’hui, affez
bien fe faire comprendre par le moyen du tudefque „
depuis lç centre de la Belgique jufqu’à l’Oder : tandis
qu’au nouveau monde ? U fuffifoit* dit A coda, dô
traverfer une vallée pour entendre un nouveau
jargon. ( De procur. Indorum falut.)
La dépopulation étoit peut-être encore plus grande
dans les parties les plus méridionales de l’Amérique
que dans le nord, ou ïes forêts avoient tout envahi ;
de forte que beaucoup de gros gibier pouvoit s’y
répandre & s’y nourrir, & nourrir à fon tour les
chaffeurs ; pendant qu’aux terres Magellaniques il
exiffe des plaines de plus de deux cens lieues où l’on
ne voit point de futaie,, mais feulement des buif-
fons , des ronces & de groffes touffes, de mauvaifes
herbes ( Befchrei. von ¥ a t'agoni en, ) , foit que la nature
des eaux faumâtres ou acides qu’on y découvre
, s’oppofe à la propagation des forêts, foit que
la terre y recèle des dépôts de gravier & de fubftan-
ces pierreufes, d’où les racines des grands arbres
ne peuvent tirer aucun aliment. Au refie, pour fe
former une idée de la défolation de l’intérieur de
ces régions Magellaniques, il fuffira de dire que les
Anglois faits efclaves par les Patagons, y ont fou-,
vent voyagé à la fuite de ces maîtres barbares, pendant
deux femaines, avant que de rencontrer un
affeinblage de neuf ou dix cafés recouvertes de peaux
de cheval. Dans le village qu’on a nommé la capitale
de la Patagonie, & où réfidoit le grand cacique,
on ne comptoit en 1741 que quatre-vingt perfonnes
des deux fexes ( voyage fait dans le vaiffeau. le Wa-
ger). Il y a d’ailleurs dans la latitude méridionale des
terres baffes, dont une partie eft marécageufe , &
dont l’autre eft régulièremént inondée tous les ans ;
parce que les rivières & les torrens, qui n’y ont pas
des iffues proportionnées au volume de leurs eaux,
fe débordent à des diftances immenfes, dès que les
pluies commencent dans la zone torride. Depuis
Sierra Itatin jufqu’à l’extrémité de la million des
Moxes, vers le quinzième dégré de lat. fud , on
trouve dans une étendue de plus de trois cens lieues,
ou de ces marais, ou de ces terres d’où les inondations
chaffent de tems en tems les habitans fur les
montagnes : aufiî n’y a-t-on vu que très-peu d’habitans
, qui parloient trente - neuf langues, dont aucune
n’avoit le moindre rapport avec aucune autre.
( Relation de la mijjîon des Moxes.')
On ne croît pas que la population de tout le
nouveau monde, au moment de la découverte,
a pu être de quarante millions ; ce qui ne fait pas
la feizième partie de la totalité de l’efpèce humaine,
dans la fuppofition de ceux qui donnent à notre
globe huit cent millions d’individus. Cependant
on /imagine que la grandeur du nouveau continent
égale à-peu-près celle de l ’ancien : mais il eft
important de faire obferver que les calculs de
Tempelmann, de Struyek, & de plufieurs autres
fur la furface de l’Amérique réduite en lieues
quarrées, ne méritent point beaucoup de confiance,
parce que les cartes géographiques font
encore trop fautives , pour fuffire à une telle opération
; & on ne croiroit pas que toutes les cartes
connues, renferment à - peu -près une erreur de
cent lieues 3 dans, la feule longitude de quelques
pofitions du Mexique, fi cette longitude n’avoit
été déterminée depuis peu par une éclipfë de lune.
C ’eft bien pis, par rapport à ce qu’il y a de terres
au-delà des Sioux & • des Affénipoils : on ne fait
pas où ces terres commencent vers l’oueft, & on
ne fait point où elles finiffent vers le nord.
M. de Buffon avoit déjà obfervé que quelques
écrivains Efpagnols doivent s’être permis beaucoup
d’exagérations, en ce qu’ils rapportent de ce nom--
bre d’hommes qu’on trouva, félon eux , au Pé--
rou. Mais rien ne prouve mieux que ces écrivains
ont exagéré, que ce que nous avons dit du peu
de terres mifes en valeur dans ce pays, où Zarate
convient lui-même qu’il n’exiftoit qu’un feul endroit
qui eut forme de ville , & cette ville étoit, '
dit-il, Cufco. (Hiß', de la conquête du Pérou, lïv.
/ , c. 9. ) D ’ailleurs, dès l ’an 15 10, la cour d’Ef-
pagne vit que „pour remédier à là dépopulation
-des provinces conquifes alors en Amérique, il n’y
avoit d’autre moyen que d’y faire paffer des nègres,
dont la traite régulière commença en 1 5 16 ,
& coûta des fortunes énormes : on foupçonne
même que chaque Africain f rendu à File de Saint-
Domingue, revinFà plus de deux cens ducats ou
à plus de deux cens fequinsfuivant la taxe que
les marchands de Gènes y mettolent. Les Espagnols
ont fans doute détruit, contre leur propre
intérêt, un grand nombre d’Américains, & par
le travail des mines', & par des déprédations atroces
; mais il n’en eft pas moins certain que des
contrées où jamais les Efpagnols n’ont pénétré ,
comme les environs du lac Hudfon, font encore
plus défertes que d’autres contrées tombées d’abord
fous le joug des Caftilîans.
On conçoit maintenant quelle étoit au quinzième
fiècle, l’étonnante différence entre les deux
hémifphères de notre globe. Dans l’tin la vie civile
commençôit à peine ; les lettres y étoient inconnues
; on y ignoroit le nom des fciences; ou
y manquoit de la plupart des métiers ; le travail
de la terre y étoit à peine parvenu au point de
mériter le nom d’agriculture , puifqu’on n’y avoit
inventé ni la herfé, ni la charrue , ni dompté
aucun animal pour la traîner; la raifon qui, feule
peut diéler des loix «équitables , a V avoit jamais
fait entendre fa voix ; le fang humain couloit partout
fur les autels, & les Mexicains même y étoient
encore , en un certain fens* anthropophages ; épithète
qu’on doit étendre jufqu’aux Péruviens , puif-
que, de l’aveu de Garcilano, qui n’a eu garde de
les calomnier , ils rêpàndoient le fang des enfans
fur le cancu ou le pain facré , fi Fon peut donner
ce nom à une pâte ainfi pétrie , que des fanatiques
mangeoient dans des efpèces de temples, pour honorer
la divinité qu’ils ne connoiffoient point.
Dans notre continent, au contraire , les fociétés,
étoient formées depuis fi long-tems, que leur origine
va fe perdre dans la nuit des fiècles ; & la
découverte du fer forgé , fi néeeffedre & fi inconnue
aux Américains, s’eft faîte par les hahîtaas