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d’un voluptueux propriétaire ; on n’y rencontre
que peu d’arbres, même de ceux qui font utiles,
parce que les fruits déroboient trop de fuc aux
grains ; & chez cette innombrable nation, on cort-
noît la valeur d’un arpent de terre, & plus encore
le prix d’un homme.
On reçoit fur ces coteaux les pluies & les fourçes
dans des rèfervoirs pratiqués avec intelligence ;
par un art plus merveilleux encore , fouvent les
rivières & les lacs qui baignent le pied d’une montagne,
en arrofent & fertilifent le fommet. Dans
le midi de la C h in e , ces; hauteurs donnent ordinairement
par an trois récoltes , & il faut cette
prodigieufe fertilité pour nourrir une population
plus prodigieufe encore- Le terrpin qu’il eft impof-
lible de convertir à l’agriculture, eft deftiné aux
arbres dont on a befoin pour la charpente des édifices
, & la conftruélion des vaiffeaux. Plufieurs de
ces montagnes renferment des mines d’o r , d’argent
, de cuivre, d’étain , de fer. *
L a mer couvroit jadis les belles provinces de
Nankin & de Tche - Kiang ; mais l’induftrie Chi-
noife a c om m e celle des Hollandois, fait des conquêtes
fur l’Océan , & a repouffé ce terrible élément.
O n voit du fein des fleuves s’élever des villes flottantes
, formées du concours d’une infinité de bateaux
remplis d’un peuple qui ne vit que fur les
eaux , & ne s’occupe que de la pêche. L’Océan
lui-même eft couvert de cités floriflantes, & dont
la population excède les villes les plus peuplées
de l’Europe ; mais cette fertilité furnaturelle n’eft
cependant pas- la même dans tout l’empire ; elle
varie fuivant la nature des terreins & la diverfité
des climats. Les provinces baffes. & méridionales
produifent un riztrês-gros qu’on récolte deux fois
par an. Sur les lieux élevés & fecs de l ’intérieur
du p a y s , le fol produit un riz moins gros, qui a
moins de goût, de fubflance, & qu’on ne recueille
qu’une fois l’an. Dans le nord croiflênt tous les
grains de l’Europe , dans la plus grande abondance
ce de la meilleure qualité. Dans toute la Chine, &
fu-tout au fu d , les légumes & les poiflons. font
la feule nourriture du peuple, & fuffifént à cette
clafle innombrable > mais fur-tout l’art des. engrais
eft à un point de perfeélion qui étonne les peuples 1
de l’Europe ; on rend à la terre ce qu’on en reçoit
, & fes bienfaits ne font pour ainfi dire qu’un
échange.
Tous les jours de Tannée pour cette nation îabo-
ïieufe font des jours de travail, excepté le premier
qui eft deftiné aux vifites réciproques des familles,
& le dernier confacré à la mémoire des ancêtres.
Chez ce peuple mût & fa g e , tout ce qui lie
civilife les hommes eft religion ; il n’a befoin q uai
du frein des loix civiles pour être jufte ; le culte -
public eft Famour du travail, & le travail le plus !
xeligieufêment honoré c’eft l ’agriculture. L’empereur
lui-même * la main appuyée fur le f o c , ne
dédaigne point d’ouvrir la terre au printems, & '
cette refibeélafile cérémonie fs fait avec un appac
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reil de fête & une magnificence qui attire uif petite
pie de cultivateurs des en virons, .de, la capitale;.
L’exemple du prince eft-fuivi dans.la- même faifois
par , les viçeVrois des provinces ; & d’un point de
l’empire à d’autre , on rend un honneur folemnel
à Fart qui nourrit les hommes. On accorde des
honneurs ;à tous les. laboureurs qui fe diftinguent
dans la culture des terres. Si quelqu’un d’eux à
fait une découverte utile à fa profefîion, il eft ap-
pellé à la cour pour éclairer le prince, & l’état le
fait voyager dans les provinces pour former les
peuples à fa méthode. Dans ce fage empire,
les dignités ne font pas héréditaires ; on n e. distingue
ni la nobleffe ni la roture, mais le mérite.
La mer., les fleuves, les canaux font un bien .commun
; la navigation, la pêche, la chaffefont libres »
& chaque citoyen ne craint point de fe voir dé-»
pouillé du champ qu’il tient de fes aïeux , par les
rufes odieufes & les pièges de la lo i, ou par l’exaction
de l’homme en place. La modicité des impôts
achève d’affurer les progrès de l’agriculture *
à l’exception des douanes établies dans les ports
de mer, on né connoît que deux tributs dans l’empire
; le premier eft une efpèçe de capitation que
tout homme eft obligé de payer depuis vingt ans
jufqu’à foixante , dans la proportion de fes facultés
; le fécond tribut, qui tombe fur les productions
, fe réduit au dixième , au vingtième , aii
trentième, fuivant la qualité du fol. La manière
de lever ces contributions eft aufli paternelle que
les contributions même ; Tunique peine qu’on im-
pofe aux contribuables trop lents à s’acquitter, eft
qu’on envoie chez eux des vieillards, des infirmes
& des pauvres , pour y vivre à leurs dépens, jufi-
qu’à ce qu’ils aient payé leur dette à l’état. Des.
mandarins perçoivent en nature la, dîme des terres
& en argent la capitation. Les officiers municipaux
verfent ces produits dans le tréfor de \l’é tat, pas»
les mains du receveur de la province. Une partie
de ces fonds eft employée à la nourriture du ma-
giftrat & du foldat. Le prix de la portion des récoltes
qu’on a vendues , ne fort du fife que pour
les befoins publics. Enfin, il en refte dans les ma?
gafins pour les tems de difette, ©ù l’on rend air
peuple ce qu’il avoir comme prêté dans les tems:
d’abondance.
Une adminiflration aufli fage, dans un pays fur-
tout où rien n’eft fi rare que la débauche, & où-
les femmes font fi fécondes, une vie fimple, une-
aélivité continuelle, de l’égalité dans les fortunes „
des loix aufli bonnes que douces, peu de guerres „
la falubrité du climat, & Tefpèce de honte infligée
aux célibataires ,, toutes ces caufes ont dû augmenter
prodigieufement la population.
Plufieurs .écrivains l’évaluent à. deux cent millions
, ce qui me paroît prodigieufement exagéré
d’autres à cent millions, & ceux-ci me parodient
s’éloigner moins de la réalité. S’il m’étoit permis;
de dire ici mon opinion, en confidéraat que le midi»
de la Chine eft. aufii greffé/ d’hommes que. le. aexdl
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’éft dèpéuplé, en examinant le nombre des plaines
immenfes qui ne font prefque point cultivées du
côté de la Tartarie, en calculant de vaftes déferts,
des montagnes inacceflibles Se defertes encore , Se
des forêts d’une étendue impofante , je croirois
que la population de toute la Chine n’excède pas
quatre-vingt millions. Je fais que nos millionnaires
& quelques voyageurs anciens font bien éloignés
de ma manière de penfer ; mais! j’ai plus d’une
raifon pour me défier des voyageurs & des mif-
fionnaires. Il femble que tous ces hommes là aient
moins cherché la vérité qu’ils n’ont écouté leur
imagination , ou qu’ils n’ont cédé à leur paillon
pour le romanefque. Q u’on les life attentivement
, & Ton verra fi j’ai fi grand tort de les juger
ainfi. ^
Il y a peu de mauvaifes années qui n’occâfion-
nent des révoltes; alors on ne reconnoît plus une
puiftance qui ne nourrit pas ; Se ce qui fait le droit
des rois , c’eft le devoir de conférver les peuples ;
enfin, l’empereur , malgré la vénération qu’on lui
porte, n’eft regardé que comme père d'une vafte
famille, & ce qu’on fui accorde en honneurs, en
pïiiffance, il doit le rendre en foins, en v igilance
pour maintenir la nation dans le bonheur &
la paix. Cette néceffité où eft le prince d’être jufte,
doit le rendre plus fage & plus éclairé. Il eft à la
Chine ce qu’on veut faire croire aux princes qu’ils
font par-tout, Se il n’eft pas de pays au monde où
les loix & la nation même faffent plus d’efforts pour
former l'héritier du trône; d’ailleurs , le nombre des
enfans de la famille impériale, l’ufage confacré depuis
tant de fiècles de ne choifir que le plus digne,
font régner entre ces nobles rejettons une louable
émulation , qui les porte à n’établir leurs droits au
trône que par leurs qualités & leurs vertus. On a
vu des empereurs chercher des fucceffeurs dans
une maifon étrangère , plutôt que de laiffer les
rênes du gouvernement en des mains foibles. A la
place de ces diftinélions hériditaires que Ton voit
dans prefque tout le refte de l’univers, le mérite
perfonnel en établit de réelles à la Chine. Sous le
nom de mandarins lettrés , un corps d’hommes
fages & favans fe livrent à toutes les études qui
peuvent les rendre propres à l ’adminiftration pu- '
blique. Les talens & les connoiffances feuîs font
admettre dans ce corps refpeélable. Ce font les
mandarins eux-mêmes qui choififfent ceux qu’ils
veulent s’affocier , Se il règne dans ce choix un
examen rigoureux. Il y a differentes claffes de mandarins
, & Ton s’élève des unes aux autres, non
point par l’ancienneté, le crédit, ni les rlçheffes,
mais par le mérite.
C ’eft parmi ces mandarins que l ’erfipereur choi-
fit les miniftres, les magiftrats, les gouverneurs
des provinces, & c .
La fuperftition eft fans pouvoir à la Chine ; pour
avoir part au gouvernement, il faut être de la feéfe
des lettrés.Les bonzes peuvent bien-, comme par- j
tout ailleurs a tromper une partie de la nation ,
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mais leur morale fanatique ne peut influer fur lè
fort de l’état.
Confucius, le refpeélable légiflateur des Chinois
, a fondé leur religion, qui n’eft autre chofs
que la loi naturelle. On tolère les fuperftitions,
le déifme, l’athéïfme même, enfin* toutes les fée-
tes ; on n’établit pas comme ailleurs une inquifi-
tion fur la penfée de l’homme ; on refpeéle fon for
intérieur, & la loi ne punit que les aélions qui
bleffent la loi. Le prince ne donne pas un édit qui
n@-foit une inftruélion de morale & de politique.
Le peuple s’éclaire, & n’en doit être que plus tranquille.
Peut-être n’eft-il pas un féul lieu dans le monde
ou l ’éducation des enfans foit plus foiguéè qû’à a
Chine ; ils n’y apprennent rien qui ne tende à les
rendre meilleurs fils & meilleurs citoyens. Il y a des
tribunaux érigés pour punir les fautes contre l és manières
, parce que les manières mêmes tiennent aux
moeurs, comme il y a en pour juger des crimes &
des vertus. On punit le crime par des peines douces
Se modérées ; on récompenfe la vertu par des honneurs.
Aufli ce peuple eft-il le plus doux, le plus
poli & le plus humain de la terre. Le patriotifme
eft chez lès Chinois une efpèce de paflion , & Ton
voit des hommes riches faire pour la patrie , ce
que nous ferions à peine chez nous pour nos enfans.
Quoique Ton 'trouve chez cette nation beaucoup
de qualités qui la rendent refpeélable, nous
ne pouvons nous empêcher de lui reprocher le
crime atroce d’.expofér fes enfans & de les étouffer.
Un père de famille calcule le nombre qu’il
peut nourrir par fon travail, & le furplus de ces
malheureufes viélimes eft livré en naiffant à la
mort, s’il ne fe préfente quelques particuliers plus
aifés qui les adoptent & en faffent leurs propres
enfans ; coutume barbare qui révolte l’humanité ,
& que Texcès de la population même ne peut
exeufer : nous lui reprocherons aufli fa mauvaife
foi dans le commerce , & Tefpèce de gloire qu’il
trouve à tromper les étrangers ; nous lui reprocherons
la vénalité de la juftice & des emplois,
& leur extrême avarice enfin qui dans ce peuple
eft un vice national. La lo i, comme nous l’avons
d it , n’accorde les' emplois' & les dignités qu’au
mérite ; mais l ’argent, la faveur & l’intrigue ouvrent
fecretement mille voies plus sûres. L ’étude
continuelle de ceux qui prétendent à quelque grâce
eft de connoître les goûts, les inclinations , l’humeur
& les deffeins de ceux de qui elles dépendent
; & il faut convenir fur cet article que les
Chinois ne diffèrent nullement des autres peuples
de l’Europe.
« Le palais de Fempereur eft quarré, 8e on lui
» donne un mille de chaque cô té , d’un angle à
» l’autre. La muraille eft haute de douze coudées ,
n & il y a aux quatre coins quatre tours tr-es-élevéesj
n au milieu de chacune de ces tours, il sfén élève
» une autre. Ces tours forment huit grands corps de
«•logis, qui font autant de magasinss reæplis de