
C A N ne pouvoient que l’affoiblir. Louis XTV céda à une
nouvelle compagnie de commerçans le Canada,
qui lui avoit été remis par le défilement de la première.
Trois gouverneurs fe fuccédèrent en peu
^Tannées. Chacun fuivit un fyftême différent, & tous
ajoutèrent aux maux dont la colonie étoit accablée:
Tlroquoisvenoit armé demander la p aix , la con-
cluoit, & recommençoit les hoftilités dès qu’il étoit
de retour dans fa patrie : Alexandre de Prouville ,
marquis d eT ra c i, marcha contre le canton d’A -
gnies, le. plus redoutable de tous. Il gagna des batailles
, fit des conquêtes, & ne rendit pas la Colonie
plus floriflante. L lroquois, quoique vaincu , fe
félicitoit en fecret de l ’imprudence des Français,
qui s’engageoient témérairement dans des contrées
inccfiîflues, & qui périffoient fouvent avant d’arriv
er au terme de leur expédition. Il fuyoit à deflein,
abandonnoit fes bourgades, ôc laiffoit à la faim 8c
à l’intempérie des climats le foin de détruire fon
ennemi. Il voyoitavec le même plaifir les Hollandais
chafles parles Anglais delà nouvelle Belgique.
Toutes ces guerres meurtrières entroient dans fes
vues politiques, & diminuoientdu moins le nombre
des Européens, dont il redoutoit le voifinage.
Chaque jour on changeoit à Québec le plan de
I’adminiffration. La liberté du commerce y fut publiée
en 1667 , & bientôt on reffentit les effets de
cette fage ordonnance : de nouveaux colons arrivèrent
de toutes, parts : cette affluence mit lé gouverneur
en état de rétablir la gloire des armes Fran-
ça'rfes. C ’étoit Daniel de Bemi de Courcelles. La
paix fut bientôt conclue, parce qu’elle fut le fruit
des viéfoires remportées fur les lroquois , fouvent
vaincus & toujours redoutables. Quand le calme
fut rétabli dans fa colonie, il n’adopta point la barbare
politique de fouiller la difcorde parmi fes ennemis
, & de les rendre les propres inftrumens de leur
deftruélion. Il termina les différends qui s’étoient
élevés parmi les cantons lroquois , & le fuccès de
fa négociation fut d’apprendre aux fauvages à ref-
peéfer le nom Français. Enfin parut Louis de Buade,
marquis de Frontenoie qu’on peut appeller le
fondateur de la Nouvelle-France. Soldat,- citoyen,
général, magiftrat & négociateur, il uniffoit les
vertus de l’honnête-homme aux talens du grand
capitaine» Son premier foin fut d’affermir la paix
conclue avec les lroquois. Il affréta dans toutes les
négociations un ton de fierté inconnu à fes prédé-
ceffeurs ; il parla en maître qui diéloit des loix à un
peuple libre, & il eut. la gloire d’en être écouté. Il
s’appliqua enfuite à faire fleurir l'agriculture , & à
faciliter la circulation dans le commerce.
Ces occupations pacifiques né le détournèrent
pas des foins de la guerre allumée entre l’Angleterre
8c la France. Les troupes fe mirent en campagne
, fuivies de quelques fauvages , & s’emparèrent
de Colzar & de Cemen Telles. Cafquebé
eut la même deftinée. Tous les forts voifins ouvrirent
leurs portes, & foufcrivirent aux conditions
preferites par le vainqueur. Les Anglais, réfolüs de
venger la honte de tant de défaites, firent un armement
confidérable. Trente - quatre voiles, fous
les ordres de l’amiral Phibs, couvrirent le fleuve
Saint-Laurent. Phibs fomma le gouverneur de rendre
Quebec à Guillaume I I , roi d’Angleterre. Je cort-
nois, répondit le comte de Frontenoie, Jacques I I ,
roi d’Angleterre ; quant au roi Guillaume , je ne le
connois pas. Je fais feulement que lé prince d'O-
range eff un ufurpateur ; mais , quel que foit le légitime
poffeffeurde la couronne Britannique, Que-
bec n’appartient ni à l’un ni à l’autre. Louis XIV en
eft le,maître , & je le lui conferverai au péril de ma
vie. Les Anglais débarqués tentèrent des attaques
infruéhieufes, efiuyèrent des forties meurtrières ,
furent vaincus dans trois combats , remontèrent fur
leurs vaiffeaux, Sc difparurent. Ils tournèrent leurs
armes contre Mont-Réal, ou le chevalier de Cal-
lière, émule de la gloire du marquis de Frontenoie,
fit une défenfe fi opiniâtre , qu’il força les ennemis
à faire une retraite précipitée.
Tant de fuccès ne furent pas fans quelque mélange
de revers. Plufieurs partis Français , trahis par
un courage imprudent, furent battus & difperfés.
Ces pertes , quoique légères,* affoibliffoient la colonie
, & le comte de Frontenoie, qui cherchoit
moins à remporter des viétoires ffériles, qu’à mettre
une barrière entre les Anglais & lu i , négocia avec'
les lroquois, pour leur faire accepter la neutralité »
fous la condition de ne point ouvrir aux Anglais de
paffage fur leurs terres ; mais il n’obtint d’eux que
des propofitions infidieufes, despromeffes vagues ,
& des trêves enfreintes aufli - tôt que jurées. Frontenoie
fe fortifia de l’alliance de plufieurs nations
voifines , & fur-tout des anciens Hurons, dont une
partie étoit rentrée dans fes poffeffions. La guerre fe
renouvella, & la fortune favorifa alternativement
les deux partis. Frontenoie, impatient de fixer la victoire,
foupçonna que fa préfence infpireroit aux fol-
dats plus de confiance dans lés fatigues, 8c que fon
exemple les embrâferoit de cet enthoufiafme , qui
eft le préfage certain des fuccès. Ce vieillard, courbé
fous le poids des ans & des infirmités, qui en font
le trifte apanage , s’engagea dans des pays entrecoupés
de précipices, 6c hériffés de rochers , où la
nature avare refufoit tout aux bcfoins de l’homme.
Sa confiance triompha de tous les obftacles ; il combattit
toujours au premier rang, défit les lroquois
dans plufieurs rencontres , & revint triomphant.
Une conduite aufli vigoureufe lui acquit un tel af-
cendant fur cette nation perfide, qu’elle n’ofa plus
infnlter ni les Français ni leurs alliés. Frontenoie,
qui n’ambitionnoit des vf61oir.es que pour terminer
la guerre:, crut toucher à l’inftant.d’une paix générale
* 8c pour y parvenir, il convoqua une affem-
blée de toutes les nations. Mais il n’eut pas la douce
fatisfaéÜon de mettre la dernière main à fon ouvrage
: ce fut la feule chofe qui manqua à fon bonheur,
& non pas à fa gloire. Le chevalier de Callière,
qui lui fuecéda, recueillit le fruit de fes tra-.
’ vaux politiques & guerriers. Ce fut par un congrès
général
C A N général qu’il fignala les premiers jours de fon gouvernement.
On y vit arriver plus de dix-huit cents
dép.ités des nations feptentrionales. Le traite fut conclu
avec une pompe véritablement fauvage. Comme
on alloit termiuer les conférences , lin des chefs
s’avança, 6c tint ce difcours qui decele le caraélere
national. « Le grand ouvrage eft achevé, ^8c la
'hache va refter cachée au fein de la terre ; 1 arbre
de la paix eft planté fur une haute montagne , où
toutes les nations pourront contempler fes rameaux.
Si quelqu’un de nous fent renaître quelque clefir de
vengeance, il fixera les yeux fur lu i , 8c fentira
auffitôt la fureur s’éteindre ». Se tournant enfuite
vers le gouverneur, il lui dit : « Mon p ère, ton
coeur eft fatisfait, & le mien eft aufli rempli de jo ie ,
car le coeur de ton fils ne fait qu’un avec le tien.
Rériffe le miférable qui fe fentiroit encore altéré du
fang de fon propre frère. Nous fumons tous dans le
mêrae caluniet, un même foleil nous éclaire, une
même terre nous nourrit , & mon père . tu as
applani fa furfaee; il n’y a plus de barrière qui
nous fépare ; nous fommes tous ta famille. Mes
frères les Outaottacks ont été perfuadés que la mort
de plufieurs de nos compagnons étoit l’effet de tes
fortilèges: ils m’ont députe vers toi, pour te fup-
plier d’écarter de to i, pendant leur retour , tous les
fléaux qu’ils difent que ru tiens dans tes mains. Pour
moi, qui fuis chrétien, je fais qu’il n’eft qu’un feul
maître de la vie des hommes, & ce maître eft Dieu.
Je ne te demande donc point la vie , elle ne dépend
pas de toi ; je te demande un don plus précieux ,
un dort qui eft ta puiffance ; c’eft ton coeur, ne me
le refùfe pas. Hélas! mon père, ton fils te parle
pour la dernière fois. C ’eft en te venant vifiter que
j’ai gagné la maladie , qui m’arrêtera fans doute en
chemin. Mais, puifque je t’ai vu , je ne me plains pas.
Je parts ; mes jambes peuvent à peine me porter.
La mort m’attend à quelques journées d’ici. Mes
derniers regards fe tourneront de ton côté ; ils te
chercheront ,*8cne te trouveront pas ; tandis qu’ils
te contemplent encore, embraffe ton fils, 6c fou-
viens toi de lui quelquefois. Ad ieu, mon père ».
J’ai cru devoir rapporter ce difcours , pour
donner une idée de l’éloquence des fauvages : les
expreffîons les plus touchantes, & toujours ornées
d’images, leur font naturelles. Ils accordent les
noms de père & de frère , avec autant de facilité
que les Européens prodiguent le nom d’ami. Onon-
thier eft le titre, par lequel ils dèfignent les gouverneurs
de Quebec. Ce mot, dans leur langue ,
lignifie , mon père, donne - nous la paix. Le chevalier
de Callière ne négligea rien pour rendre plus durable
la paix qu’il venoit de publier avec un pompeux
appareil ; & pour fe conformer au ftyle figuré
de ces nations , il leur avoit annoncé , dans
leur langage, qu’il avoit et1!foui la hache, que lui
feul connoiffoit le lieu où elle étoit cachée, que lui
feul auroit déformais le droit de s’en fervir pour
frapper celui qui troubleroit la paix de fes voifins ;
&qu’enfins’il s’élevoit entr’eux quelques différends,
Géographie. Tome I.
As n’avoîent d’autres juges que lui. Ën e ffe t, il les
termina avec tant d’équité, qu’il ne confulta que la
droiture de fon coeur. Ces peuples n’avoient point
de code ; les confeils des vieillards, & les anciennes
coutumes , leur tenoient lieu de loix. Voici
quelques-uns de leurs ufages : fi un homme étoit
bleffé dans une querelle, l’offenfeiir en étoit quitte
pour un préfent ; s’il périflbit de la main de fon ennemi
, 1 afiaffm donnoit à fes héritiers des préfens
proportionnés à l’eftime que le mort s’étoit acquifô
parmi les liens. Les femmes, furprifes en adultère,
étoient mutilées d’une manière horrible, & cette
févérité , autorifée dans des contrées où règnoit la
polygamie, fait affez voir qu’au nord , comme au
midi, le fexe le’plus fort abufe toujours de fon pouvoir
pour opprimer le plus foible.
C e traité , conclu par Callière -, fut l’époque la
plus brillante de fon adminiftration : elleTuffifoit à
la gloire. M. de Vaudreuil fuivit le même plan. Il
étouffa dans fa naiffance une guerre fanglante qui
venoit de s’allumer entre les Ouataouais & les Iro»
quois. Cette fage médiation ôtoit aux Anglais l’oc-
cafion de former une nouvelle ligue contre la
France avec les cinq cantons-. Cependant il voyoit
avec douleur la culture languir & la population s’éteindre.
Il propofa à la cour de faire tranfporter au
Canada cette multitude de contrebandiers condamnés
aux galères , dont le châtiment eft plus onéreux
à l’état qui les punit, qu’ils ne lui font utiles.
Mais la*mort l ’enleva au milieu de l’exécution. Les
cendres de la guerre fe réchauffèrent fous le gouvernement
de M. de Beauharnois, & bientôt tout
le nord de l’Amérique en fut embrâfé. Le refte
de cette hiftoire offre toujours le même tableau : les
fauvages toujours divifés entr’eux, les Anglais épui-
fant leur politique pour les foulever contre les Français
: ceux-ci, dupes & viéfimes de leur bonne-foi,
l’Iroquois paffant d’un parti à l’autre, les fécondant
8c les trahiffant tour à tour ; enfin le Canada, conquis
dans la dernière guerre par nos ennemis , le
brave & malheureux Mont-Calm , mourant les
armes à la main , & cette immenfe contrée cédée à
l’Angleterre par le traité de paix.
M. de V oltaire ne femble pas regretter cette
perte. Si la dixième partie , dit-il, de l’argent, englouti
dans cette colonie, avoit été employée à défricher
nos terres incultes en France , on auroit
fait un gain confidérable. Cette réflexion eft d’un
citoyen philofophe. On ne peut nier cependant
que le commerce des pelleteries , peu difpendieux
en lui-même, ne fut une fource de richeffes. Les
fauvages faifoic nt tous les frais de la chaffe, &
vendoient les plus belles peaux pour des inftrumens
greffiers ;tréfors qui leur étoient plus précieux que
nos métaux & nos étoffes de luxe, qui ne font que
des richeffes d’opinion. (M. d e S a c y .)
On la croit, cette vafte contrée , à-peu-près aufli
étendue que l’Europe ; les terres quon y a défrichées
font très-fertiles ; il y vient dp bon froment,
qu’on fème au mois de mai, 8c qu’oa recueille à la
A a a