
43* c H I S f honore ceux qui cultivent la vertu. Son efprit eft
v i f & pénétrant.
Le vernis de la C h in e , la porcelaine, & cette
variété de belles étoffes de foie qu’on tranfporte
en Europe, font des témoignages affez honorables
de l’induftrie' des Chinois. Il ne paroît pas moins
d’habileté dans leurs ouvrages d'ébène , d’écaille,
d’y v o ir e , d’ambre & de corail. Ceux de fculpture,
& 'leurs édifices publics, tels que les portes de
leurs grandes villes , leurs arcs de triomphe , leurs
ponts & leurs tours ont beaucoup de nobleffe & de
grandeur. S’ils ne font pas parvenus à la perfeâion
qui diftingue les ouvrages de l’Europe, il en faut
acculer la mefquinerie Chinoife , & fur-tout la
pafïion qu’ils ont pour leur pay s , qui leur fait dédaigner
ce qui vient de 1 etranger, & ne leur fait
trouver rien au - defiiis des découvertes qu’ils
tiennent de leurs ancêtres.
Il eft vrai qu’ils ont moins d’invention que nous
pour les mécaniques ; mais leurs inftrumens font plus
limples , & ils imitent facilement. C ’eft ainfi qu’il
font à préfent des montres, des horloges , des miroirs
, des fufils J & c. Leur architeaure , leur peinture
, leur fculpture , eft d’un mauvais goût ; mais
c f goût eft pour eux ce qu’ils conçoivent de plus
parfait. Leur conftruâion marine eft encore au
berceau, & n’a rien qui puiffc fouffrir la compa-
raifon même la.plus éloignée avec les arts de l’Europe.
L’exceflive population-, & la difficulté de
trouver, toujours du travail, produit une multitude
incroyable d’efciav-es dans les deux fexes ;
c’eft-à-dire, de perfonnes qui fe veiident , en fe réfer
van t le droit de fe racheter. Les familles aifees
ont un grand nombre de ces domeftiques volontairement
vendus , quoiqu’il y en ait auffi qui fe
louent comme en Europe. Un,père vend quelquefois
fon fils , fa femme,. & fe vend lui-même à
v il prix.
L ’habillement des Chinois eft une robe de foie ou
dë coton, & c . félon les climats plus ou moins
chauds , & félon la fortune des particuliers. Cette
robe tombe jufqu’à terre, & l’un des pans fe replie
fur l’autre. Les manches font larges vers l’épaule,
& fe rétréciffent par degrés jufqu’au poignet, La
ceinture eft une large écharpe d’argent , de fo ie ,
ou de coton, 8cc. dont les deux pointes defcendent
jufqu’aux genoux. On y attache un e tu i, qui renferme
un couteau , & deux petits .bâtons , dont
on fe fert comme de fourchettes. En hiver ces
robes font garnies de très-belles fourrures; mais
toutes les couleurs ne fe portent pas indifferemçnt.
L e jaune n’appartient qu’a l’empereur & aux princes
de ion fang. Le fatin à fond rouge eft le partage
d’une efpèce de mandarins , aux jours de cérémonies.
Les autres portent ordinairement le noir ,
le bleu, ou le violet. La couleur du peuple eft
toujours ou du bleu ou du noir.
Les Chinois , dequis qu’ils ont adopté les ufa-
ges Tartares , font rafer leur tête , & laiffent
çrpître fur le fommet allez dç cheveux pour les
CH I mettre en treffes. En été ils portent üli petît clin-,'
peau, en forme d’entonnoir , dont le dehors eft
travaillé avec beaucoup de propreté. La doublure
eft de fatin. Du fommet de ce chapeau fort une
groffe treffe de crin qui fe répand jufqu’aux bords;
Les mandarins & les lettrés ont une autre efpèce
de bonnet , que le peuple n’a pas la liberté de
porter ; mais comme tous ces détails exigeroient un
volume, nous ne nous étendrons que fur lesfchofes
les plus importantes.
Rien n’approche du cérémonial qui règne dans
les feftins Chinois. Chacune de ces cérémonies eft
obfervée par les convives & par le maître de la
maifon, avec la plus grande attention ; manquer à
la_moindre des clîofes, ce feroit manquer à la po-
liteffe , à la décence, & faire un outrage à tous les
convives. Les fimples lettres qui s’écrivent entre
des particuliers , font fujètes^à tant de formalités,
qu’elles caufent fouvent de l’embarras aux lettrés
mêmes Les Chinois n’ont point de falle de fpec-
tacle ; mais il y a des troupes de comédiens ambu-
lans que l’on mande dans les feftins, & qui repré-
fëntent des piècës devant les convives. Ces pièces
font toujours le récit de quelques événemens, dont
le but eft d'infpirer la haine du vice & l’amour de
la vertu, & le dialogue en eft coupé par des chan-
fon s , comme nos opéra-comiques.
Comme les femmes ne paroifïent jamais à la vue
des hommes, les mariages ne fe font que par le
miniftère de vieilles entremetteufes , qui font un
rapport avantageux de la beauté, de l ’efprit, &
des^talens des filles que l’on veut marier. Si ce rapport
convient aux parens du garçon , on accepte la
propofition, & le jour marqué pour la noce , la
jeune fille fe met dans une chaife fermée, fuivie
de ceux qui portent fa dot : un domeftique de confiance
garde la clé de la chaife, & ne doit la remettre
qu’au mari, qui attend fon époufe à la porte
de fa maifon. Il arrive quelquefois qu’un mari,
mécontent de fon partage, referme promptement
la chaife , & renvoie la fille avec toiit fon cortège.
Il eft permis auffi aux Chinois de prendre des concubines
, qui tiennent rang dans la maifon , après
l’époufe légitime.
Les cérémonies des fépultures font plus étonnantes
encore. C ’eft alors que le Chinois déploie
tout le luxe poffible. On a vu des en fans fe ruiner
pour honorer les cendres de leur père. Il eft peu de
Chinois qui ne faffe faire d’avance fon cercueil du
bois le plus précieux & le plus rare. D ’autres fe
font conftruire un beau mofolée, lorfqu’il n’y a
plus de place dans, celui de leurs ancêtres. Enfin ce
peuple , fi économe , devient prodigue & diflï-
pateur dès qu’il s’agit des funérailles. Alors l’en-?
terrement d’un homme riche eft un fpeôacle rempli
de pompe. La couleur du deuil eft le blanc, pour
les grands, comme pour le peuple.
Nous ne parlerons pas de la porcelaine des C h inois
, que tout le monde connoît, ni de leur encre
fi eftjmée, ni de leur papier fi beau, fi fin , & dont
les
C H T fes feuilles font d’une immenfe grandeur ; mais nous
ne devons pas oublier que l ’art de l’imprimerie eft
connu chez cette nation, depuis un tems immémorial
, ainfi que la poudre à canon , & l’ufage de la
bouflble. .
L ’argent & le cuivre font les feules monnoies
courantes à la Chine. L’or eft fur le même pied que
les pierres précieufes en Europe , & il s’achète
comme les autres marchandées. Les Européens y
gagnent beaucoup, parce que fa proportion avec
f argent eft d’un à d ix , au lieu qu’en Europe elle eft
d’un à quinze. L’argent monnoyé n’eft pas frappé
au coin ; mais il eft fondu en lingots , dont le poids
établit la valeur. Comme on v o it , le grand embarras
du commerce eft le moment des paiemens..
Les fciences que les Chinois cultivent affez foi-
gneufement fon t, l’arithmétique, l’aftronomie , la
géométrie., la géographie & la phyfique. Il paroît
qu’ils ont calculé les éclipfes depuis plufieurs
fiècles ; mais ils n’ont pas fait dans cette fcience ,
autant de progrès qu’ils auroient pu en faire, &
ils fe font arrêtés dès les premiers pas : quant à la
géographie, excepté les connoiffances qu’ils ont fur
leur empire , ils fo n t , pour le refte , de l ’ignorance
la plus groffière. Les premières notions des
matémathiques leur étoient inconnues avant l ’arrivée
des millionnaires ; & à peine favent-ils autant
de phyfique aujourd’hui, qu’on en fa v o it ily
a trois fiècles , en Europe.
Quoique la médecine ait toujours été fort en
honneur chez une nation qui aime la v i e , cette
fcience cependant eft encore chargée de tous les
préjugés des fiècles de barbarie. Ils lui croient des
rapports avec les aftres & les élémens ; & cet
art eft prefque un recueil de fuperftitions. Mais
s’ils ignorent la fcience de guérir certaines maladies
compliquées , ils poffèdent beaucoup mieux
que nous le fecret de connoître la maladie, à la
feule infpeéfion du poulx. Ils n’ont pas befoin
d ’interroger le malade, & lui difent dans quelle
partie il fouffre, ce qu’il y a à-efpérer ou à craindre
; & cette méthode fimple leur réuffit prefque
toujours mieux que les favantes differtations de
nos Meffieurs de la faculté.,
Les Chinois fe difent les inventeurs de la mu-
lique, & prétendent l’avoir portée autrefois au
plus haut degré de perfection ; cependant, rien
de plus pitoyable que cette mufique ; ils n’ont
pas même l’idée de l’harmonie, & vingt perfonnes
chantent le même air , en prenant toutes le
même ton. Quant à la mélodie , ils paffent de
la tierce à la quinte ou à l’oélave , ignorent
l ’art des femi-tons. Ils n’ont point de notes , ni
d’autres figures pour diftinguer la diverfité des
tons ; ils les expriment cependant par certains
çaraéières, & cet art ne s’apprend que par routine.
La mufique inftrumentale , chez eux , n’a
pas fait plus de progrès que la vocale ; leur meilleur
infiniment: ne vaut peut-être pas le plus mér
diocre de l’Europe.
Géographie. Tome I. Partie II*
C H ï 43 î • La poéfiè doit être peu de chofe chez ce peuple
grave & philofophe ; ce bel att n’eft rien fans
la chaleur & l’imagination ; & il femble que
l'éducation Chinoife prenne à tâche d’éteindre
ce feu divin qui fait les grands poètes. Prefque
toute leur poéfte confifte en quelques petites pièces
qui renferment des antithèfes, des allégories
& quelques réflexions morales $ cependant ils
emploient quelquefois les figures qui donnent
de la chaleur & de la force au ftyle & aux penfées.
Leur logique eft peut-être plus parfaite que la
nôtre, en ce qu’elle ne leur enfeigne point l’art
d’ergoter fur les mots, & de difféquer une pen-
fée; cette fcience n’a pour bafe que les lumières
naturelles de la raifon ; & , à ce titre , les lo-
gicens Chinois valent bien les éternels difputeurs
de nos univerfités.
Quant à l’h iftoire, il eft peu de nations qui ait
apporté plus de foin à écrire & à conferver les
annales de fon empire : c’efl un dépôt facré , qui
contient les faits fiables du règne de fes fouve-
rains. On y voit régner une mâle & noble har-
dieffe, telle qu’il la faut dans cette fcience : à ce
tribunal redoutable , la nation cite fes maîtres -,
leurs moeurs , leurs vices , leurs vertus. Leurs
hiftoriographes ne font pas de vils flatteurs, qui
ofent en impofer à la poftérité par d’infâmes men-
fonges , ni des écrivains pufillanimes, qui pefent
ce qu’il y a de dangereux à être vrais ; on choi-
fit un certain nombre de doéleurs défintéreffés ,
dont l’office eft d’obferver tous les difcours &
les aétions de l’empereur ; chacun les écrit en
particulier, fafis aucune communication avec l’autre
, & ils mettent leurs obfervations dans un tronc
deftiné à cet ufage : ce tronc n’eft ouvert qu’à
la mort du fouverain, c’eft d’après de pareils
mémoires que l’on écrit l’hiftoire de fon règne.
Leçon fublime que cette nation donne à fes fouve-r
rains & aux autres nations.
Leur morale confifte en cinq points principaux :
les devoirs des pères & des enfans ; du prince
& de fes fujets ; du mari & de la femme ; de l’aîné
des enfans & de fes frères, & ceux de l’amitié &
de la fociété ; & nous avouerons que c’eft peut-»
être dans cette partie que les Chinois excellent le
plus. Leurs livres claffiques contiennent la morale
, les loix & l’hifloire de l’empirë, depuis fa
fondation.
Mais la partie la plus pénible des études , efl
la cpnnoiffance du langage , & l’art de l’écriture ;
c’efl en cela que confifte toute rérudition des Chi- .
nois ; la carrière des emplois étant ouverte à tout
le monde, le dernier homnie du peuple apprend
à lire & à écrire.
La langue Chinoife n’a aucune reffemblance
avec les langues anciennes & modernes ; elle a
autant de caractères & de différentes figures que
d’expreflions & d’idées ; ce qui en rend le nombre
fi grand , que Magalhæns en compte 54,409 ,
d’autres portent ce nombre jufqu’à 80,000 :
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