
ne vouloit point paroître devoir 4 l’hymen de la
PrincelTe ce qu’ il prétendoit pouvoir exiger d’ailleurs
; que peut-être même.» étendant fes vues dans
l ’avenir, &’ prévoyant que la Princeffe pourroit
nJavoir point d’ enfans du Dauphin , il vouloit,
avant to u t , fixer irrévocablement fes droits , foie
par les armes, foit par des traités. Frappés de cette
id é e , 8c ne foupçonnant pas que le Roi pût ne
pas mettre de bornes à fes prétentions, & qu’il
ofat les appliquer à toute la fiicceflion de Bourgogne
, ils crurent que quelques foumiflions fa-
tîsferoient ce point d'honneur délicat dont ils le
fuppofoient touché. Defcordes ou Defquerdes
( voyeç Crévecoeur dans ce Dictionnaire ) , auquel
ils communiquèrent leurs idées, & qui avoir fecré1-
tèment conclu fon traité avec le R o i, lui rèndit
compte de ces difpofitions, & lui eônfèillà d exiger
qu’ on remît Arras entre fes mains j les ambaf-
fadeurs y confentirent. Ils alloient porter ce eon-
fèil à leur Souveraine > mais Lefclavage où ils la
trouvèrent réduite , leur fit fentir la faute qu’ils
avoient faite de l’abandonner. Peut-être s’ils euf-
fent fuivi de l’oeil fa fortune, leur expérience lent;
eût-elle fuggéré les moyens dé prévenir fa difgrace
& la leur. Marie , à leur départ, étoit reftée dans
la ville de Gand, centre toujours redoutable de la
fédition & de la révolte. Les bourgeois de cette
ville , prefque tous riches marchands , jôignoient
à cette grofliéreté baffement orgueilleufe qu’ inf-
pire l’opulence , la férocité turbulente que donnent
la licence & l’habitude de la rébellion. Ils
s’étoient rendus maîtres des Etats de Flandre tu-
multueufement affemblés dans leur v ille , & les
ayant remplis de leur fureur , ils maffacrèrent les
magiftrats établis par le dernier Duc ; ils sulfurèrent
de la perfonne de Marie j ils Voulurent être fes
tuteurs ; ils lui compofèrent un confeil de bourgeois
infolens, fans l’ avis duquel ils lui défendirent
de rien entreprendre ; ils la retinrent prifonnière
dans fon palais.
Pendant ce tems Louis XI l’accabloit par fes
armes ou la défoloit par fes intrigues : elle ne
vôyoit autour d’elle que des tyrans & des opprèf-
feurS. Ses prétendus amis , fes parens même, qui
accouroient auprès d’elle fous prétexté de la fe-
côurir , n’y étoient attirés -qui par des vues inté-
reffées. L’ un demandoit des bénéfices, l’autre des
gouVernéraèns, le s autres de l’argent $ d’autres
des honneurs & des grâces de toute êfpèce. Tous
abufoient de la foibleflè de Marie } tous lui ven-
doient bien cher des fervices qu’ ils rie lui ren-
dôient point 5 tous fe réunifiaient contre Hügohet
& d’ Imbercourt, dont la fidélité défintérefiee fai-
foit la fâtyre de leur avidité. Ils foulevoient contre
ces deux excellens miniftres des peuples déjà trop
furieux, qui n’avoient pas oublié que le chancelier
Hugonet avoit déchiré de (a main la p’aricalte
originale de leurs privilèges, & que d’imbercourt
avoit prêté fon bras au düc Charles pour lès fou^
mettre. Le comte de Saint-POli qui s’éf oitâttàché
à M arie, leur reprochoit d’avoir caufé la mort
honteufe du connétable fon père , en confeillant
au Duc de le livrer au Roi. Il ne diflimuloit point
la haine qu’ il leur p o r to it, & du moins cette
haine avoit un principe eftimable.
Les Gantois, iiifenfibles au démembrement des
Etats de la Princeffe , voyoient avec inquiétude
les conquêtes du Roi l'approcher de leur ville. Ils
crurent néceffaire de lui envoyer une députation ,
pour lui rappeler la trêve jurée avec le Duc , 8c
lui demander la paix > ils arrachèrent aifément à la
Princeflè toutes les inllruétions qu’ils voulurent >
elle confentit à to u tp e r fu ad é e que le Roi n’au-
roit égard qu’à la lettre de créance qu’elle avoit
donnéç à Hugonet & à d’ Imbercoürt, & que ceux-
ci avoient remife au R o i, ne prévoyant pas l’ indigne
ufage qu’ il devoiten faire. Les Gantois compofèrent
leur députation de quelques membres du
confeil , à la tête defquels ils mirent le pensionnaire
de leur ville. Le Roi vit arriver ces bourgeois
pleins d’orgueil & de fottife , & fe promis-
bien de fe jouer de leur ignorante & groflière fim-
pliçité.
Le premier rilot qu’ils lui dirent lui fournit une
dccafion de brouiller. Ils l’aflurèrent que la Princeflè
avoit pris là réfolution la plus confiante de
fe gbuverner par le confeil des Etats. Lé Roi les
interrompit. « Vous me trompez, dit-il, ou l’on
» vous trompe vous-mêmes > là Princeflè vous dé-
» favouêroit. Hugonet & d’ Imbercourt ont féuls
» fa confiance j je ne dois traiter qu’avec eux. «
l es députés voulurent prouver qu’ils étoient au-
torifés, & montrèrent leurs inftrüétions. Alors le
Roi foulant aux pieds toutes les lois de l’honneur
& de la probité, la foi due au fecret, les égards
que les Souverains fe doivent lès uns aux autres ,
montra aux députés la lettre écrite par Marie
par la Ducheflè douairière & par Raveftein. Il fit
plus j les députés là lui demandèrent, & il la leur
donna. C eux -ci, ne pouvant plus contenir leur
fureur, prirent congé dn Roi & volèrent à la vengeance.
Telle étoit l’infolente ivreflè de ces ré-
belles , qu’ ils s’ indignoiérit que leur Souvéràine
eût ofé faire ufage de la liberté que la nature ac-
; corde au dernier des hommes , dé placer fa cop-
! fiance où il lui plaît-.
C e fut avec une joie criminelle que le Roi les
J vit partir i il s’applaudit des horreurs qu’ils alloient
commettre. Cètte baïTeflè, une des plus odieufes
qui aient flétri fon règne 8c dégradé fon caractère,,
lui paroiffôit le chef-d’oeuVre rde la politique la
plus déliée. Les députés arrivèrent à Gand. Otü
s’étonne de ce prompt retour. ;1$ àflèmblent le
Côrifeii \ ils ÿ répandent leurs fureurs. « On nous
» trahit, s’ écrient-ils > on noais ârhufe par defauiîes
» inftfuélions. Hugonet & d’ imbêrcôart traitent
» fécrétemerit avec le9 ennemis de l ’Etat j ils abu-
» fertt de là confiance de la Princeffe, Comme ils
* abufoient de celle dé fori'pèfe ; ils lui extorquent
*> des fèttreS dé créance ^ cliifives. » Là. Princeflè
Voulut ouvrir la bouche pour défendre fes miniftres
, pour fe défendre elle-même > & ne pouvant
croire l’étonnante nouvelle que ce difeours
lui annonçoit, ellealloit peut-être nier l exiftence
de là lettre. Le penfionnaire s’avance jufqu’à elle, j
lesyeux étincelàns de colère,. & d’un ton’ infolent
& terrible : Voyeç, lui dit-il, Madame3 reconnoif- 1
Je^-vous ces dois écritures ? Marie ne répondit que
par un filenee d’accablemênt & d’indignation. LJn
iriépris pleirr d’horreur pour Louis XI fut le feul
fentiment qu’elle éprouva.
Cependant on murmure, on' délibère , on prépare
la pétte des deux miniftres : tout s’élève
eontr’éux fans pudeur ; le peuple, qui hait toujours
les miniftres , & à qui on faifoit haïr plus
particuliérement ces deux-là ; les Grands, qui les !
craignant, & qui' elpèrent les remplacer 5 le duc
de G lèves-, q u i, on ne fait pourquoi, comptoit
fur eux pour ménager le mariage de fon fils avec
la Princeffe, & qui apprend qu’ils travailloient
pour lé Dauphin > le. Comte de) Saifit- Pol qui
laifit cette oceafion de venger foin père ; l’évêque :
de L ièg e , qui n’ a pu oùblier que d’ imbercourt,
gouverneur de cette place pour le duc de Bourgogne
, avoit fouvent foutenu les droits de fon
maître contre l’évêque & fes partifans.
Hugonet & d’ Imbercourt auraierit pu fe fauver j
ils furent libres la nuit entière j mais ils comptèrent
fur leur innocence , comme fi un peuple effréné
favoit la fefjpeétçr > & fur la proteêlion de là
Princeflè , comme fi elle-même n’eut pas été ef-
clave. Le lendemain on les arrêta, & on nomma
des juges chargés de les trouver coupables.
De quoi ne les aceufa-t-on pas ! Quelles fautes
( ils en avoient fait fans doute, puifqufils~ étoient
hommes & miniftres) n’érigea-t-on pas en crimes
irrémiflibles 1 C étoient eux qui avoient engagé le Duc
dans tant de guerres injufies & ruineufes , comme fi
l ’ardèur guerrière de ce Prince avoit jamais eu be-
foin d être animée. Choiera eux qui avoient mis le
connétable ae Saint-Roi enve les mains du Roi. Ils
avoient eu -raifon : le connétable étoit un traître
qui méritoit fon fort. Ils avoient vendu la jufiiee >
rien n’ étoit moins prouvé : ils avoient: reçu feulement
un préfent des Gantois long-tems après le
jugement d’un grand procès que ceux-ci avoient
gàgné. Us avoient anéanti les privilèges de Gand,
mais ils n’avoient fait qu’ exécuter lès ordres du
Duc : c’étoient les fé'diti'ons contimielles des Gantois
qui leur avoient attiré ce châtiment , auquel
ils> s’ëtOieht: fournis eux -mêmes après avoir été
Vaincus. Ils àvoient abufé de la confiance de la Prive-
c f e , c ’eft-à-dife, qu’ ils avorent accepté cet honneur
qu’ ils méritoient par leurs fervices. paffés ^
& dont ils avoient tâché de fe rendre encore plus
dignes par de nouveaux fervices.
Les juges, vendus aux rebelles, déclarèrent Hugonet
ik d’ Imbefteurt coupables de concuifton
81 flirtent d’attentat à leurs privilèges , & les condamnèrent
à perdre la cête.
Ges deux infortunés tentèrent en vain d’échapper
à ces brigands par un appel au parlement de
Paris. Ils efpéroient que Louis XI , quoiqu’il fût
l’auteur de leur difgrace-, rougiroit de faire con-
fommer, fous fon nom Üc par fon autorité , Une
injuftice auflïexécrable} que peut-être même, s il
contiriuoit de les opprimer, le parlement, plus
équitable , ne fe prêteront point à fa paflîon. Ils
efpéroient du moins qu’en gagnant du tems la Princeflè
& leurs amis trouveroient le moyen de les
délivrer. 5 mais ils ri’avoient d’amis que la Princeffe
, & la Princeffe étoit captive.
On n’eut point d’égard à leur appel : leur mort
étoit jurée. On leur avoit déjà donné , fans objet
& fans prétexte, une quêftion plus cruelle que la
mort même : on ne leur laiffa que trois heures-
pour fe préparer, & l’échafaud étoit déjà dreffé
dans la place de 1 hôtel-de-ville.
Marie l’apprend avec défèfporr, 8c ce défefooir
anime fon courage. Elle oublie, & la- dignité de
fon rang, & lès bienféarices rigoureufes de fonfexe*,
elle: fe fouvient feulement que fes amis vont périr
& qu’elle en eft la caufe 5 elle écarté avec horreur
les tyrans qui l’ obfèdent j elle court à l’hôtel-de-
ville j elle ne dédaigne point de fe jeter aux pieds
de ces, juges infâmes qui méritoient feuls la mort
qu’ ils- alloient donner à l’innocence \ elle leur demande
en tremblant une grâce qu'elle avoir droit
d’accorder , mais qu’elle accorde»it en vain.' Ces
tigres furent inflexibles. Marie ne fe rebute p oint}
elle court fur la place y elle voit les deux malheureux
objets de fes larmes couchés & renverfés fur
l’échafaud. Brifés par la quêftion , ilsnepouvoient,
ni fe tenir debout, ni le mettre à genoux pour
recevoir le coup mortel. Les bourreaux avoient
déjà les bras levés : un peuple effréné fixoit fur
eux fes yeux avides de fang. Marie perce la foule
& s’élance vers l’échafaud. Arrête1 , s’écrie-t-elle,
ou arrache^-moi lu vie. Ne m'enleve^pas mes amis ,
mes ferviteurs fidèles > ils n ont rien fait que par mes
ordres ƒ cefi moi qtton opprime en les opprimant. Ces
cris douloureux, ces accens du défefpoir, les larmes
dont fes yeux étoient inondés , les longs habits
de deuil dont elle étoit revêtue pour la mort
de fon père , fes cheveux épars, fès bras tendus
vers le peuple, la: bonté qu’elle fignaloit aiors.avec
tant d’é c lat,tou t ce fpedtacle intéreffant fufpendit
l’aèlion des bourreaux, fit renaître un rayon d’ef-
pérance dans le coeur cfès deux vrétimes, & excita
de grands mouvemens dans le peuple. C e t étrange
abahlèment de fa-Souveraine , de la fille de tant
deiRois & de tant de héros, fèmbla le toucher :
la pitié commençoït à entrer dans ces âmes farouches.
L’afièmblée fe divifoit en deux partis ,
les uns crioient grâce , les autres vengeance ; les
piques étoient baiflees , les épées tirées j on fe
menaçait, on combattoit. Le crime 8c l’infolence
triomphèrent. Des clameurs barbares; étouffèrent
les tendres prières de M arie, & firent confommer
le facrifice à fes yeux. Le fang de fes fidèlesfujets