
Marcel avoit faite autrefois au dauphin Charles
pendant la captivité du roi Jean. Le duc de Bourgogne
vint * comme'Marcel j combler l ’infulte par
fa préfence. « Beau-pere 3 lui dit le Dauphin , cet
», outrage m’efi fait par votre confeil, & ne vous en
»3 pouvez excujer , car gens de votre hôtel font les prin~
>3 cipaux ÿ f i fiche£ Jurement qu'une fois vous vous
>j en repentire^y & il nira pas toujours la- bcjogne
ainfi avotrcp laifir.— Monfeigneur3 répond le Duc >3 avec la plus outrageante froideur , vous vous
33 informerez quand jerez refroidi de votre ire. » Des
officiers du Dauphin , on alla jufqu’aux officiers du
Roi. Le chancelier, Arnaud titué j P avocat-général de Corbie , fut def- , Juvénal des Urfins, fut
mis au châtelet; Gerfon {voyez fon article dans
le Dictionnaire ) fut réduit à fe cacher. Le chirurgien,
Jean de T roy e, fit prendre au Roi le chaperon
blanc, lignai du parti bourguignon, comme
Marcel avoit donné l'on chaperon àu dauphin
Charles : tout le monde auflitôt en voulut avoir,
car il n’y avoit de fureté qu'à.l’abri de ce chaperon.
Les prédicateurs fanatiques ou politiques du
tems venaoient leur éloquence au duc de Bourgogne
& aux fang bouchers de Paris : ceux-ci firent
des lois de , qu'on appela les Ordonnances
eabochienr.es. Le iloi vint en chaperon feigneurs blanc au
parlement,pour les faire enregillrer. Lès & les officiers du Roi & du Dauphin, qu'on avoit
arrêtés, furent liés deux à deux fur des chevaux,
te tramés en prifon à travers les huées de la po-
pulaçe ; quelques-uns furent maffacrés dans les
rues, d'autres dans leurs cachots : on en jeta plu-
fïeurs dans la Seine ; on en fit périr un grand
nombre fur l’échafaud ; on y porta jufqu'à des cadavres.
Larivière, fils du miniftre de ce nom-, & un écuyer du Dauphin, nommé le petit M.aifnel,
avoient été mafïacrés dans la prifon à coups de
hache : on les traîna morts jufqu'aux halles, ou
où ils eurent la tête tranchée. Le Dauphin fut re-
.tenu prilonnier à l'hôtel de Sâint-Pol ; il y étoit
gardé à vue : on lui interdifo’it jufqu’aux amu-
femens les plus innocens. Jaqueville, capitaine
du guet de Paris , alors le favori du duc de Bourgogne
& 1 exécuteur de fes violences, paffant
un foir devant Phôtel de Saint-Pol, entend, des
violons ; il monte à l ’appartement du Dauphin,
où l'on danfoit ; il lui reproche ia 'aijfolution dans
laquelle il vivait : la Trémoille étoit avec le Prince ;
cefl vous 3 lui dit Jaqueville, qui êtes le minifire de
pis indécences. Le Dauphin perdit patience ; il tira
fa dague, dont Jaqueville eût été percé fans une
cotte de maille.qu il portoit toujours. Les archers
du guet s'avançoient pour maffacrer la TrémoiLle :
le duc de f ourgogne, qui furvint, lui fauva la vie.
Le Dauphin per.fa mourir d’une hémorragie caufée
par l'excès de colère ou le jeta cette infolence
de Jaqueville. .
Un gouvernement fi violent ne pouvoit fub-
Cûer. Le Dauphin trouvale moyen de traiter avec
Jes Armagnacs & de fe liguer avec eux : bientôt
il marche dans les rues de Paris à la tête d'e trente
mille hommes. Les féditieux voulurent fe raffem-
bler.Leduc de Bourgogne, qui jugea que la partie
ne feroit pas égale, les fit retirer lui-même ; il eut
enfuite la témérité d'aller joindre le Dauphin &
les Armagnacs au moment où l'on délivroit les
prifonniers , & où le duc de Bavière, ,6c le duc de
Bar, devenus libres enfin, dévoient naturellement
vouloir venger fur lui les affronts & les périls de
leur captivité. Jamais le duc de Bourgogne ne mérita
mieux qu'en cette occafion le nom de Jtan-
fans-Peur. Le bruit général étoit que ces deux
feigneurs , le lendemain du jour où ils furent
délivrés , dévoient être menés à Péchafaud fi la
tyrannie du duc de Bourgogne eût duré ces deux
jours de plus : on y conduilit à leur place un
frère du chirurgien Jean de Troye, chez lequel
on trouva une lifte de profeription, qui dévouoit
à la mort plus de quatorze cents chefs de famille
avec leurs familles entières. Cette lifte étoit divi-
fée entrois colonnes, diftinguées chacune par une
lettre particulière : un T défignoit ceux qui dévoient
être tués ; un B , ceux qui dévoient être
bannis ; un R 3 ceux qu'on devoit fe contenter de
rançonner. Tout parut rentrer fous l’obéiflance
du Dauphin : les chefs des faéiieux lui abandonnèrent
la Baftille , le Louvre , le Palais , l’hôtel-
de-ville ; les. Miniftres & Magiftrats deftitués
furent rétablis 5 les écharpes des Armagnacs remplacèrent
les chaperons blancs & les croix bour-
guignones. Le duc de Bourgogne fe retira en
Flandre , ou il avoit envoyé long-tems avant lui
le comte de Charolois fon fils : c'étoit la feule
précaution qu'il eût pr-ife contre les dangers de la
révolution qu’il éprouvoit dans' ce moment : la
harangue de fon cordelier , Jean Petit, fut brûlée
publiquement dans le parvis de Notre-Dame : on
voulut exhumer cet apologiftede Paffaflînat, pour
brûler auffi fes os. Le Roi déclara que jufque-là
il avoit été déçu, féduit & mal informé. Les prédicateurs
prêchèrent contre les Bourguignons ,
comme ils avoient prêché contre les Armagnacs :
on joignit la galanterie à la cruauté, on donna de*
tournois, & l’on publia des édits de profeription.
il fembloit qu’on craignît de couper la racine
des guerres civiles. On auroit pu vingt fois s’affu-
rer du due de Bourgogne : on l ’avoit biffé échapper,
& dès qu'il fut parti on lui déclara la guerre ;
les hoftilités recommencèrent avec une nouvelle
fureur.
Cependant le Dauphin fe trouvoit auffi efclave
des Armagnacs, qu’il r avoit été des Bourguignons.
Eh effet, la Reine, qui étoit toujours à la tête du
parti armagnac, furtout depuis qu’il étoit triomphant,
fit à fon propre fils le même affront que le
duc de Bourgogne avoit fait à fon gendre 3 elle
arrive inopinément chez le Dauphin, au Louvre,
fuivie des Princes & des chefs du parti armagnac ;
elle fait arrêter en fa préfence & en préfence du
Dauphin , quatre jeunes feigneurs de la cour d®
ce Prince : e'étoient les feigneurs de Moi, dé
Brimeu, de Montauban & de Croy. Le Dauphin
les défendit tant qu’il put ; il voulut fortir de fon
palais, & appeler le peuple à leur fecours : les
Princes le retinrent. 11 paroît qu’on foupçonnoit
ces amis du Dauphin d'intelligence avec le duc
de Bourgogne. On favoit que le Dauphin avoit
écrit au Duc pour réclamer Ion fecours; il vou-
loit que les Bourguignons le déliyraffent des Armagnacs,
comme les Armagnacs l'avoient délivré
des Bourguignons. Le duc de Bourgogne fe pré-
fenta aux portes de Paris, furtout du côté des
halles, qui avoient toujours été dans fes intérêts.
Pour échauffer fes partifans, il publioit que le
Dauphin l'avoit mandé, que les Armagnacs te-
noient le R0.1 & le Dauphin prifonniers. La cour
obligea le Dauphin de le défavouer : on publia fon
défaveu, & perfonne n'y crut. Cependant les
efforts du duc de . Bourgogne n'aboutirent pour
lors qu'à exciter dans la ville quelques confpi-
rations qui furent découvertes S1 punies : on déforma
les bourgeois, on leur enleva leurs chaînes,
qui furent portées à la Baftille. Le comte d Armagnac
paffa pour l’auteur de ce confeil : les habi-
tans en conçurent contre lui une haine mortelle,
qui fembi^ redoubler ehcore lorfqu’après la bataille
d'Azincourt, où le connétable d'Albret
avoit été tué, l’épée de connétable fut donnée à
ce même comte d'Armagnac. Le duc de Bourgogne,
pour profiter de ces difpofitions , parut
encore vouloir s’approcher de Paris ; mais il refta
cantonné dans la Brie, auprès de Lagny.; ce qui
le fit nommer par dérifion , Jean de Lagny., qui
n a hâte dé allen, plaifànterie relative apparemment
à quelque proverbe dü tems.
Il couronna fes violences & fes crimes par une
confpiration nouvelle, qui devoit éclater le jour
du Vendredi-Saint; il ne s'agiffoit de rien moins
que de mettre la couronne fur la tête du duc de
Bourgogne. On devoit arrêter, renfermer, peut-
être même maffacrer le Roi, la Reine , tous les
Princes 3 tous les chefs du parti armagnac ; en
un mot, exterminer le parti entier. L'extravagance
de ce complot en égaloit feule l'atrocité ; il penia
cependant réuffir. Cet affreux fecret fut gardé
prefque jufqu'au moment de l'exécutibn ; ce ne
fut que quelques heures avant la nuit choifie pour
ce grand carnage , que le gouvernement en reçut
les premiers avis. Auffitôt Tanneguy-Duchater,
prévôt de Paris , courut s'emparer dés halles,
foyer de toutes les confpirations qui fe formoient
en faveur du duc de Bourgogne : on trouva dans
les maifons indiquées, les chefs du parti bourguignon
tout armes en attendant le lignai : les uns
furent arrêtés, les autres prirent la fuite. Le dire
de Bourgogne, non-feulement avoit eu connoif-
fancedu complot, mais même l’avoitapprouvé : 011
trouva fes lettres d'aveu entre les mains des chefs
de la confpiration. En même tems il fignoit avec
le roi d’Angleterre un traité par lequel il le reconnoiffoit
pour véritable & légitime roi de France,
& prometteit de lui rendre hommage.'
Le dauphin Louis mourut en 14 1 J , peu de
tems après ia bataille d'Azincourt, & mourut Armagnac.
Le dauphin Jean fon frère mourut Bourguignon
en 1416. Le dauphin Charles, qui fut
depuis le roi Charles V I I3 leur fuccéda. Il arriva
vers ce tems qu’on jeta dans la rivière , par ordre
du R o i, Bois-Bourdon, favori'd’I fa belle, & qu’on
accufojt d’un commerce trop intime avec cette
Princeflè. La Reine imputa la mort de Bois-
Bourdon au connétable d’Armagnac , & ne pardonna
jamais au dauphin Charles fon fils la part •
qu’elle le foupçonna auffi d’ y avoir eue ; elle fe
jeta dans le parti des Bourguignons , & fortit par
le fecours du duc de Bourgogne, de la prifon où
elle étoit elle-même retenue à Tours depuis 1 a-
venture de Bois-Bourdon. Le premier ufoge qu’elle
fit de fa liberté fut de faire la guerre à fon propre j
fils. Ainfi le véritable chef des Armagnacs fut alors
le dauphin Charles, celui des Bourguignons fi.t
cette même Ifabelle, fi lbng-tems l’ennemie de
ce parti, & le duc de Bourgogne devint fon lieutenant.
De tant de confpirations qui fe formoient en
faveur du duc dé Bourgogne pour l’introduire
dans Paris, il y en eut une enfin qui réuifit La
nuit du 28 au 25) mai 1418, le fils d'un quartinier,
nommé L e clerc, déroba les clefs fous le chevet
du lit de fon père, & alla ouvrir les portes. L'ifle-
Adam , lieutenant du duc de Bourgogne, entra
d’abord fans bruit ; puis quand le peuple fe fut
joint à lu i , & quand il fe-fut rendu maître de la
perfonne du R o i, toute la ville retentit de ce cri:
La paix à Bourgogne. Le vigilant Tanneguy-Duchâ-
tel ( voyez fon article dans le Diélionnaire ) fauva
le Dauphin ; le connétable d'Armagnac, déguifé .
en mendiant, fe cacha chez un maçon; mais fur
une défenfe qui fut publiée de donner afile à aucun
Armagnac fous peine de mort, le maçon le
livra. Alors commença un des plus horribles mafe
facres dont l'Hiftoire ait confervé le fouvenir. Le
connétable , le chancelier de Marie , les évêques
de Senlis, de Coutances, de Bayeux, d Evreux ,
de Saintes , &c. furent égorgés & outragés après
leur mort ; leurs corps furent traînés pendant
trois jours dans les rues : on avoit pris plaifir à
couper en lanières la peau du connétable , & on
lui avoit fait une écharpe de fa chair ; le fang ruif-
feloit dans les rues , on éventroit les mères , on
écrafoit les enfans ; les afiaffins rioient en contemplant
leur ouvrage : Regardez <-cs petits chiens , di-
îoient-ils ; ils remuent encore. Les chefs du parti
bourguignon les approuvaient & les encoma-
geoient : Mes enfans , crioient-ils , vous faites hier..
Les Armagnacs n'avoient pas eu plus d’humanité.
Le. journal du règne de Charles VI accule
les gendarmes du connétable d’avoir fait rôtir des
hommes & des enfans dont ils ne pouvoient pas
tirer de rançon ; 8c le connétable avoit auffi formé