
» retient, non-feulement le fens , mais les expref
30 fions j & dégagé par la fortie du Roi, pendant
“ que madame de Montefpan fe remet à fa toi-
33 lètte , il fait le tour & va fe coller à la porte de
33 fon appartement > il lui préfente la main pour la
33 mener à la répétition d'un ballet où toute la cour
33 dévoit aflifter. Puis-je me flatter lui dit-il avec
» un air plein de douceur & de refpeéfc , que vous
33 uyei da'gné vous fouvenir de moi auprès du Roi ?
33 Elle rallure qu'elle n'y a pas manqué, & lui com-
» pofe un roman des fervices qu'elle venoit de lui
rendre. Il l'interrompoit de tems en tems par des
33 queftions naïves j il faifoit le crédule pour la
» mieux enferrer. A la fin , il lui ferre fortement
99 la main, lui dit qu’elle eft une menteufe , une
»9 coquine, & lui répète mot pour mot fa conver-
99 fation avec le Roi. La pauvre femme , toute
>9 troublée , n'a pas la force de répondre 5 les
>9 jambes lui manquent 3 à peine peut-elle parvenir
99 au lieu de la répétition , où elle s’évanouit. Elle
»9 conta, le foir , au Roi 3 ce qui lui étoit arrivé
»9 avec Lanzun. »9 II paroît que telle fut la véritable
caufe de l’emprifonnement de Lauzun dans la
citadelle de Pignerol , caufe fur laquelle made-
moifelle de Montpenfier ne s’explique jamais ,
& qu'elle n'accufe point d'injuftice, quoiqu'elle
fe plaigne fans ceflfe de l'effet.
M. Anquetil , en prononçant fur ce ftratagême
de M. de Lauzun 3 ait que ç'auroit été une manoeuvre
odieufe à l’égard d'un particulier, & que
c'etoit un crime à l'égard d'un Roi. En paflant
même ces qualifications, on pourroit encore demander
fi un Roi doit traiter en criminel d'Etat
un fujet qui n’a point péché contre l'Etat. Il eft
bien naturel fans doute de vouloir venger l’infulte
faite à fa maîtreffe 3 mais fi c’étoit déjà un tort de
la part du Roi, & une a&ion contre l’ordre public,
de vivre publiquement avec cette maîtreffe,
qui n’étoitpas libre, ni lui non plus 3 fi même cette
maîtreffe étoit convaincue d'avoir tort dans le cas
particulier dont il s'agit, n’ëtoit-il pas de la juf-
tice ainfî que de la fageffe du Roi de faire une
compenfation tacite des torts réciproques , & de
: garder fur le tout un filence prudent, ou de ne
punir que comme un courtifan, par la perte ouïe
refus des grâces, celui qui avoit manqué à tous
les devoirs d'un courtifan ? Si Lauzun avoit été
pris fur le fait, on auroit pu , fans injuftice, lui
faire fubir toutes les p; ines auxquelles il s’étoit
volontairement expofé par une action téméraire,
dont les motifs fembloient ne pouvoir être que
criminels, & ouvroient un vafte champ aux foup-
çons les plus finiftres | mais lorfqu'on ne pouvoit
plus fe méprendre fur fon motif, lorfque c'eft par
lui feul qu’on apprend, & fon aétion, & fes deffeins, i
lorfque cette aélion eft en quelque forte juftifiée ;
par la découverte qu’ elle a fait faire , lorfqu’enfin |
il ne s'agit que de torts de procédés , de torts de !
fociété, compenfés par les torts qu'on avoit eus à !
jfoaégard, le Roi doit-il févir en Roi pour la caufe j
particulière de fes paffions & des intrigues de fa
maîtreffe ? La pniffance publique doit-elle jamais
ê tre employée à la défenfe des intérêts particuliers
quand la lo i n’ eft pas formellement v io lé e ,
& quand l’ ordre public n'eft point troublé? Dans
les intérêts perfon n els , dans les intrigues de l'amou
r, de la jaloufie , de l'am b ition , les Rois ne
font que des particuliers , & tous les hommes ,
fur ces objets , font égaux en droits.
Il paroît au refte que Lauzun é to it incorrigible
dans fa tém é r ité , qu'il étoit toujours p r ê t , non-
feulement de fe ru in e r , mais de s'expofer à tou t
pour éclaircir un d o u te , pour confirmer ou dif-
fiper un foupçon , même fans un grand in té rê t, &
qu'on pou voit lui dire :
Evajli ? Credo, metues doSiufque cavebïs f
Queres quar.dd iteriim pa-yeas iterumque per ire
Pojfîs. Heu tôt i es fervus ! qu&.beiiua r-uz-tls , ■
Cutnfemel cff.igit3 reddit fe prava c a t e n i sHor.
L e commerce de M. de I auzun avec Mademoi-
felle eft allez con n u , &,pa r les Mémoires d e Ma-
demoifelle e lle-même, & par les l ettres de madame
de Sévigné 3 mais l’ ouvrage de M . Anquetil
en préfente des particularités affez curieufes. Dans,
un voyag e que c e t auteur a fait à la ville d’ Eu en
17449 il paroît q u'il a recherché avec foin tous les
monumens de ce tte cé lèb re & finguliëre paffion de
Mademoifelle pou r M. de Lauzun. Il a vu fur une
cheminée du château de ce tte ville , un portrait
en grand de ce tte Princeffe. Auprès d’ elle étoit
un amour qu'elle regardoit tendrement 5 il tenoit
une b a lan c e , dont un des bai uns é to it chargé d'un
feeptre & d'une co u ro n n e , l'autre d’ un coe u r enflammé
qui l'emportoit. C e tableau allégorique
faifoit allufîon au refus qu'elle avoit fait de la main
du toi de P o r tu g a l, pour confervèr fon coe u r à
celui qu’ elle aimoit 5 elle avoit même é té exilée
dans fes t e r r e s , & en particulier danis fa ville
d’E u , non p a s , dit l'a u teu r , pour avoir refufé le
roi de P o r tu g a l, mais pour s’ en être vantée. Le
roi de Portu gal pouvoit en effet être mécontent
de l’ éclat qu’ elle donnoit à c e refus 5 mais le roi
de France ne de voit pas épiler fa cou fin e, ni pour
ce re fu s , ni même pour c e t éclat.
M . Anquetil a vu de p lu s , en 1 7 4 4 , au T rép o r t ,
à peu de diftance de la ville d’ E u , une fille âgée
alors de foix an te -d ix à fo ix an te -q u in ze a n s , &
q u i , félon la tradition du pays , é to it fille de
M. -d e Lauzun & de Mademoifelle 3 elle é t o i t ,
comme ce tte Princeffe , d’ une grande & belle
ta ille , & reffembloit beaucoup à tous les portraits
de ce tte même P r in c e ffe , qu’on v o y o it dans le
château & dans la ville d’Éu . C e t te fille v iv o it
d’ une penfion de i yo o liv . qui lui é to it exactement
payée , fans qu’elle fût d e quelle pa rt. De plus ,
elle o ccupo it la plus jo lie maifon au T rép o rt 3 elle
n’ en-eédit point propriétaire , & elle n'en payoit
de loyer à perfonne. M . Anqu etil fait 3 d’ après
l’ âge de ce tte fille , des c a lc u ls , d 'o ù il réfulte
que fi elle étoit fille de mademoifelle de Mont-
b en fie r , elle ne pouvoit pas être née depuis le
tems où ce tte Princeffe pouvoit avoir époufé
M . de Lauzun : il faut fe reporter au tems qui a
p récéd é fon emprifonnement à P ig n e ro l, & o ù .,,
de l'a veu de tou t le monde , il n'y avoit point
encore ên tr'eux de mariage fecr'et, c ’ eft-à-dire ,
vers 1670 ou 16 7 1 .
Mais il refte une difficulté que l’ auteur ne lèv e
pas , & qui paroît cependant facile à le v e r 3 c ’eft
ce lle qui concerne la réputation de la Princeffe ,
qui paroît avoir toujours été de la régularité la
plus fcrupuleufe dans fes moeurs. O r , comment
conc ilier ce tte délicateffe fur l’h on n eu r , avec la
naiffance d’une fille , fans mariage ni public ni
fecret ?
Nous nê Voyons pas c e qui nous empêche de
fuppofer q u e , lorfqu’ en 1670 Louis X IV défendit
à Mademoifelle & à M . de Lauzun ce mariage
p u b lic , qu’ il leur avoit permis d’ a b o rd , leur dédommagement
& leurcon fo lation fut d ’y fuppléer
à l inftant par un mariage fecre t 3 & puifque l’ o pinion
la plus générale eft que ce mariage fecret
eut lieu , & qu’ on n’en fait pas certainement l ’é poque
, pou rqu oi veut-on qu’ il 11’ ait eu lieu qu’au
retour de M . de Lauzun , & non pas ( comme il
eft cependant naturel de le préfumer ). dans l'in tervalle
de la prohibition du mariage à l'emprifon-
nemeat de M. de Lauzun ?
Il eft vrai que quand madame de Montefpan
v en d it, dans la fu ite , avec tant d'artifice, à M âde-
moifelle le retour de fon amant, & la promeffe
d'unepermiffion de l’épou fermême publiquement
(p rom e ffe qui refta fans e f fe t , quoique payée par
le facrifice des plus beaux domaines ae Mademoifelle
, qui en fit malgré elle une donation
entre-vifs irrévocable à M. le duc du Maine ) ,
madame de Montefpan avoua qu'e lle n’avoit pu
rien obtenir de Lou is X IV pour un mariage pub
lic 5 mais elle parut p rendre fur elle de confeiller
à Mademoifelle un mariage f e c r e t , en lui difant
que M . de Lauzun l ’én aimeroit m ie u x , que le
myftère entretenoit 1 amour & pjrévenoit les dégoûts.
Mademoifelle parut révo ltée de la propor
t io n : fon honneur s’ en alarma : ce Q u o i ! M ass
d am e , d i t-e lle , on le verra vivre publiquement
90 ch ez moi comme mon m a r i, fans y être autorifé
99 par un mariage public ! 99
Mais Mademxfilelle, fi indignement trompée &
fifcandaleufement dépouillée par madame de M o n tefpan
, n’ étoit pas o bligée de lui dire fon fe c r e t ,
& de lui avouer qu'elle avoit prévenu fon confeil;
elle regarda même peu t-être c e confeil comme
un piège qu'on lui ten d o it , pour pénétrer fon fecre
t ou pour lui en arracher 1 aveu.
La Angularité de M . de L a u z u n , que les grâces
& l'agrément des manières avoientlong-tems ren-
•due fi p iq u an te , e u t , dans fa v ie ille ffe , tous les
inconvéniens de l'humeur & de la bizarrerie jointes
à une caufticité doucereufe, qui le faifoient craindre
& haïr. Sa longue & ambitieufe vieilleffe étoit troublée
par des fouvenirs douloureux, par des regrets
vifs & amers de la faveur qu’il avoit perdue , &
des grandeurs qui lui échappoient. Le duc de Saint-
Simon fon beau-frère ( ils avoient époufé deux
foeurs, filles du maréchal de Lorges) en rapporte
un trait bien remarquable. Le duc de Lauzun avoit
été capitaine des Gardes-du-corps, & ne l'étoit
plus. Il avoit à Paffy une maifon agréable & bien
fit liée, qui conferva long-tems fon nom après lui,
'& qui depuis a été long-tems connue fous le nom
de Maifon de madame ae Saijfac. Il y eut, dans l'été
de 1 7 1 6 , une revue de la Maifon du Roi dans
une plaine près du bois de Boulogne. « Madame
99 de Lauzun étoit à Paffy en bonne compagnie ,
99 dit M. de Saint-Simon, & j ’y étoisallé coucher
99 la veille de cette revue. Madame de Poitiers
99 ràouroit d’envie de la voir , comme une jeune
99 perfonne qui n’a rien vu encore, mais qui n’ ofoit
| >9 fe montrer dans fon premier deuil. Le comment
» fut agité dans la compagnie , & on trouva que
99 madame de Lauzun l'y pouvoit mener un peu
99 enfoncée dans fon carroffe , & cela fut conclu
99 ainfi.
>; ?9 Parmi la gaîté de cette compagnie , M. de
99 Lauzun arriva de Paris, où il étoit allé le matin:
99 on tourna un peu pour le lui dire. Dès qu’ il l’ap-
99 p r it , le voila en furie, jufqu’ à ne fe pofféder
99 plus, à dire à fa femme les. chofes les plus déf-
99 obligeantes, avec les termes non - feulement les
99 plus durs, mais les plus injurieux & les plus
99 faux. Madame de Poitiers à pleurer aux fangiots,
99 & toute la compagnie dans le plus grand em-
*9 barras. La foirée parut une année,- & le plus
99 trifte réfectoire un repas de gaîté, en compa-
99 raifort du fouper. 11 lut farouche au milieu du
99 plus profond filence 5 chacun à peine, & rare-
99 ment, difoit un mot à fon voifin 3 il quitta au
99 fruit à fon ordinaire, & s'en alla coucher. On
99 voulut après fe foulager & en dire quelque
9? choie*3 mais madame de Lauzun arrêta tout
99 fagement & poliment, & fit promptement don-
99 ner des cartes pour éviter tout retour de propos.
»9 Le lendemain, dès le matin, j’ allois chez
99 M. de Lauzun, pour lui dire tres-fortement
9» mon avis de la feene qu'il avoit faite la veille.
9911 étendit les bras , & s'écria , dès qu’ il me vit
99 entrer, que je voyois un fou qui ne méritoit
99 pas ma v ifite , mais les petites-maifons. ;1 fit
99 les plus grands éloges de fa femme, qu’ elle
'99 méritoit affurément 3 dit qu'il n’ étoit pas digne
99 de l’avoir , & qu’il devoit baifer tous les pas
99 par où elle paffoit3 s ’accabla de pouiiles3 puis,
>9 les larmes aux yeu x, me dit qu’ il étoit plus
99 digne de pitié que de colère 3 qu’ il falloit m’a-
99 vouer tout hautfa honte & toute fa mifère j qu’ il
« avoit plus de quatre-vingts ans 5 qu’il n’avoit ni
J ”99 enfans ni fui vans 5 qu’il avoft été capitaine des