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Pépin de fon c ô té , dé c id é à tou t faire pour le
P a p e , par intérêt & par reconnoiflance, affembla
un parlement à Cré cy - fu r -Qife , pour faire réfoudre
la guerre contre les Lombards. Ca rloman , frère
aïné de Pépin-le-Bref, mais ^devenu moine au
M ont-Caffin parut dans, c e tte affemblée comme
ambaffadeur d’Aftolphe, roi des L om b a rd s , dont
il étoit d evenu fujet par fa retraite au Mont-Caflîn.
Etienne III 8c Pépin avoient efpéré que la guerre
fer o it réfolue fur le champ 8c fans contradiction.
L e s grands du ro y aume, entraînés par les rail'ons
de C a rloman , arrêtèrent qu’on enverroit des am-
baffadeurs à A f to lp h e , pour l’ inviter à lap a ix. Pépin
prit ombrage de Pafcendant que fon frère avoit
paru avoir dans ce tte oc ca fion , 8ç il s’ en vengea
d ’ une manière indigne. D e concert avec le P ap e ,
il le fit enfermer dans un monaftère à V ien n e ,
c e fut aufli alors qu’ il fit rafer & difparoitre les
enfans de Carloman. L e père mourut dette même
année dans fa prifon. Pépin fut fortement foup-
çonné d’ avoir nâté fa m o r t , & il avoit trop mérité
c e fou pçon.
Le s ambaffadeurs français trouvèrent Aftolphe
t rè s -d ifp o fé à la paix ; il oftroit d’y faire tous les
facrifices convenables 5 il avoit formé une entre-
prife fur Rome ; i l 's ’ en dé fifto it; mais il refufoit
a vec raifon de céde r a u P ap e la Pentapole & l’Exan-.
chat de R a ven n e , conquis fur les Empereurs grecs
par les.armes & le fang de les fu je ts , & fur le f-
quels le Pape n’avoit nul droit.
, Sur c.e refus fi n a tu re l, la guerre fu t réfolue.
C e fut alors que P ép in -le -B re f & les deux Princes^
fes f ils , créés patrices de Rome par le Pape & le.
peuple romain , firen t, d it-o n , du confentement
des grands du royaume, à l’ églife de Saint-Pierre,
ce tte cé lèb re donation 4e l ’Exarchat & de la j
P en tap o le , qui a donné naiffance à la puiffance
temporelle des Papes,
La donation de Pépin é to it faite avant la con q
u ê t e , & l ’événement pouvoit répandre un affez
grand ridicule fur ce tte libéralité préco ce > mais
Pépin ne donnoit que c e qu’ il pou voit livrer , &
ne le v an to itq u e d e c e qu’ il p ou vo it faire. Il paffe
le s Alpes , force, le pas de S u fe , taille en pièces
l ’ armée des Lomba rds, a fliége A ftolphe dans Pa v ie ,
Afto lp h e s ’effraye & promet tou t pour fe tirer de
danger j mais' dès‘fcque Pépin a repris la route de
France, enhardi par degrés par fon éloignement, il
diffère d ’ abord, puis refufe l’ évacuation dés places,
promifes , puis fe permet des courfes fur le territoire
de R om e ,- puis enfin il en vient jufqu’à invertir
l e Pape dans ce tte place. Les" cris douloureux
d’Etienne fe firent entendre en France. La lettre
q u ’il éc rivit à c e fu je t au nom de faint Pierre lui-
m êm e , lui a é té reprochée . C ’ e f t , dit un auteur
m o d e rn e , une profop op ée qu’ on a eu to r t d e qualifier
d e fupereherie : nous fommes entièrement de
c e t avis. Dans -cette le t t r e , dont on a fait tant de
b ru it , le Pape ne prétepdoit pas faire illüfion à
P é p in , au point d e lu i perfuader que c ’ éto-it faint
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Pie rte en perfonne qui lui é c r iv o it : c ’étoit;feulement
une figure demauvaifè rhétorique & de mauvais
g o û t , que le Pape avoit crue propre à toucher
P é p in , & qui auroit dû produire un effet tout
contraire. Mais on ne peu t s’ empêcher de p en fer ,
comme M. F le u r i, fur l’ équivoque qui règne dans
ce tte lettre : «« où l ’Eglife lignifie, non l’ affemblée
des f id è le s , mais les biens temporels confacrés
» à Dieu 5 où, par lé troupeau de J efus -Chrift, on
33 entend les corps 8c non pas les âmes î où les prô-
33 melfes temporelles de l’ ancienne lo i font mêlées
33 a vec les fpirituelles de l’ Ev an g ile , 8c les motifs
33 les plus faints de la re lig io n , employés pour une
« affaire d’E tat. ||
/ A-la réception de'cette le t t r e , Pép in , avec ce tte
cé lé r ité qui diftingue les héros de fa M a ifon , reparte
les A lp e s , délivre R om e , détruit une fécond
é armée de Lombards , afliége de nouveau
Aftolphe dans P a v ie , 8c le prelfe fi v iv em en t,
qu’A lto lp h e , voyant à quel guerrier il avoit affaire,
& cédant à fa de ftiné e, prit le parti d’ exécuter de
bonne fo i , quoiqu’ un p eu lentement, un nouveau
traité ligné à P a v ie , 8c. d’ évacuer en partie l’Exarch
at & la Pentapole. Etienne III ne jou it pas long-
tems de ce tte libéralité ; 11 mourut dès l ’ année fui-
v an te ,7 5 7 . Aftolphe avoit encore moins furvécu à
fa d ifg ra ce , 8c Pépin, tout-puiflant eu Lombardie,
avoit procu ré, de con c ert avec le pape Etienne I II,
lequel vivo it encore a lo r s , la couronné à D id ie r ,
qui avoit é té général des armées d’ A fto lp h e , 8c
dont le Pape lui avoit répond u, parce que Did ier
avoit promis de confommer la reftitutîon commencée
par Aftolphe.
Etienne IIP eut pour fucceffeur le pape Paul I
fon frère. A fa m o r t, arrivée en 7 6 7 , une faCtion
fuppofant apparemment que les Papes, étant d e venus
Princes tom porels , des laïcs éto ien t'd é fo r mais
fufceptibles de ce tte dignité , avoit mis un
l a ï c , nommé C on ftan tin , fur la chaire de faint
Pierre. C e tte nouveauté prophane offenfa les regards
du p euple de R ome i il fe fo u le v a , & C o n f tantin
eut lé s yeu x cre vé s .
4°. U n e é lection plus canonique mit en fa place
le pape Etienne IV : c ’é to it lui qui occupoit le
'Saint-Siège à l ’avénèment des Princes fran ça is ,
Charles ( depuis Charlemagne ) 8c.C a rloman, en
768. Etienne avoit de fréquens démêlés a v ec D idier
, qui a vo it quelquefois fur lui un afeendant
bien fingulier. Etienne IV avoit envoyé en France
S e rg iu s , tréforier de l ’Eglife romain e, fils de
C h r ifto p h e , primicier de la même E g l i f e , pour
demandera Pépin d u fe cou rs contre les Lombards.
S e rg iu s , en arrivant en France, trouva que Charles
8c Carloman avoient fuccédé à Pépin 5 il les fit
aifément entrer dans les difpofitions de, leur père
à l’ égard du Saint-Siège. Les deux Princes envoyèren
t chacun un commirtaire a vec quelques
tro u p e s , pou r prendre connoiffance de l’ état des
affaires de l ’Italie , 8c fecourir 1^ Pape s’ il en étoit
befoin. I th i e r , commirtaire de Charlemagne ,
remplit
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remplit fa million en pacifiant quelques tro u b le s ,
& en faifant rendre au Pape quelques places 5 Do-
d o n , commirtaire de C a rloman, refta auprès du
P a p e , p o u r .le fervir félon les conjonctures. Le
Pape n’é to itq u e trop b ien fervi par fes deux amis^
Chriftophe 8c S erg ius , auxquels il étoit redevable
de fon e x a lta tion , & q u i, plus zé lé s encore que
lui pour la grandeur temporelle du Sa.int-Siége,
ne c e flo ien td e prelfer l ’entière exécution de spro-
meffes d’Aftolphe 8c de D idier. C e dernier Prince,
fatigué 8c irrité d ’un z è le fi incommode, entreprit
de perdre ces deux miniftres , & il y réuflît. Il mit
dans fes intérêts Paul Afia r te , camérier du Pape,
ja loux du crédit de Chriftophe 8c de S e rg iu s , 8c
prêt à tout faire pour leur nuire. C e t homme parvint
à les rendre fufpeCts au P a p e , & à lui faire
craindre de leur part le fort de l ’antipape Conftantin.
E t ien n e , par l’ effet desfuggeftions d’ A fia r te ,
pouffa l’aveuglement jufqu’à s’ unir avec D id ie r ,
& accepter le fecours de ce t ennemi contre fes
deux plus fidèles fujets. Chriftophe & -Sergius ri’ i-
gnoroient pas les intrigues d ’ Afiarte 8c de Did ier 5
ils en inftruifirent D o d o n , & implorèrent fon appui
5 ils apprirent q u e , fous prétexte de faire un
pèlerinage au tombeau de faint P ie r re , Did ier al-
îo i t paroître aux portes d ê Rome avec une armée.
Effrayés alors de leur d an g er, ils prennent toutes
les précautions qu’ exige leur fureté*. Dodon leur
donne fa foib le troupe qu’ ils groflîffent comme ils
peu v en t, de quelques foldats raffemblés à la hâte 5
Didier arrive au tombeau de faint P ie r re , & fait
prier le Pape de s’y rendre $ Chriftophe 8c Serg ius,
n’ayant pu détourner le Pape de ce p ro je t , profitent
du tems où il con fère av ec Didier pour tenter un
coup de défefpoir. Ils entrent à main armée au
palais de La tran , avec D o d o n , pour enlever leur
enn emi, Paul Afiarte. E n c e moment même le
Pape rentroit dans c e palais, au retour de fa co n férence
avec D id ie r , qui avoit beaucoup augmenté
fa prévention contre fes deux miniftres : il vo it fon
palais in v e r t i, ne doute pas qu’ on n’ en veu ille à
fa v ie , croit voir l’ exécution de tous les complots
qu’Afiarte & Didier lui ontfait craindre ; il retourne
chercher un afile auprès de D id ie r , d’o ù , par le
confeild e ce P r in c e , il mande aux deux miniftres^
ou de venir le t ro u v e r , ou de fe retirer dans un
couvent. À ce t ordre qui annonçoit Chriftophe &
Sergius comme rebelles , le peuple les abandonne,
8c la foib le trou pe de D o d o n , qui lui-même n’ é-
toit plus en fûreté , ne pouvant plus les fecou rir,
ils font réduits à chercher leur falut dans la fuite :
mais toutes les avenues é to it gardées 5 ils font pris
& conduits au Pap e, c’ eft-à-dire, livrés à Didier 8c à
Paul Afiarte. On c reva les yeux au père , qui en mourut
au bout de trois jours > le fils fut étranglé en p rifon
: tel fut le prix de leurs fervices & de leur z è le .
Didier , pour mieux tromper le Pape -, n’ avoit
pas manqué de jurer de nouveau fur le corps de
faintPierre, qu’il confommeroitinceflamment l’exécution
du traité de Pavie. Le Pape doutoit fi peu
Hijioire. Tome V I . Supplément,
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de fa bonne foi, que, regardant comme fait ce que
Didier avoit promis, il s’empreffa étourdiment dé
mander au roi Charles & à. la reine Berthe fa mère,
que Didier avoit tout rejlitué ; qüe le Saint-Siège
n’avoit point d’ami plus précieux > que le Pape lui
devoit la v ie , n’ayant échappé que par fes avertif-
femens , fes confeils 8c fa protection généreufe ,
à une confpiration tramée par Chriftophe, Sergius
8c Dodon. Lorfque les Lombards fe retiroient, le
Pape fit rappeler amicalement à Didier fa promeflè
de reftituer promptement les biens appartenans au
Saint-Siège. « Que parle-t-il, répondit Didier, de
i l reftitution 8c de biens de faint Pierre ? Ne Jui
« fuffit-il pas que je l’ aie délivré de deux traîtres
« qui menaçoient fa vie ? 8c prétend-il qu’ un tel
» fervice foit compté pour rien ? S’ il eft fi peu fen-
*> fible aux bienfaits , qu’il fonge au moins à fes
1 intérêts, & qu’il fâche prévoir un avenir pro-
m chain. Croit-il que Dodon traité en ennemi, que
« les droits du patriciat violés en fa perfonne, n’ at-
« tirent pas bientôt fur Rome la haine 8c les armes
» de Carlonïan ? Lui refte-t-il alors d’autre défen-
» feur que moi? & ne fent-ilpasque, pour lui avoir
» été utile, je lui fuis devenu néceffaire. »
Etienne vit enfin l’ abîme où il étoit tombé ; il
vit qu’ il avoit lui-même égorgé fes amis 8c armé
fes ennemis ; il conçut la profonde malice de Didier
& d’Afiarte. ( Voye\ , dans lé Dictionnaire ,
à l’article Adrien 1 , la conduite de ce Pape envers
Paul Afiarte, 8de châtiment de ce traître.) Etienne,
défabufé, fe hâta d’écrire aux Princes français ,
pour les engager, en qualité de patrices, à s’ armer,
comme avoit fait leur père, en faveur du Saint-
Siège, contre les Lombards , & a n'en pas croire les
gens mal-intentionnés, qui pourvoient leur dire que D i dier
avoit refiidié les biens de /’Eglife. Ces gens malintentionnés,
c.’ étoit lui-même > 8c cette petite réticence
& ce petit détour, pour ne pas avouer qu’un
Pape s’étoitlaifle tromper, n’avoient rien d’ adroit.
Vers ce même tems Etienne apprit avec effroi
le projet que la reine Berthe, mère des deux Princes
français, avoit formé, de marier fon fils aîné avec
Hermengarde, fille du Roi lombard, voyant dans
ce mariage la pacification générale qui alloit être,
fon ouvrage. Le Pape n’ y vit que fon protecteur
s’unifiant- à fon ennemi ; il ne négligea -rien pour
traverfer cette alliance ; il avoit un prétexte qu’il
fit bien valoir. Charlemagne avoitune efpèce dJengagement
que la nation ne paroît pas avoir regardé
comme un vrai mariage avec une femme nommée
Flimiltrude -3 dont il avoit même un fils. C e t obf-
tacle , q u i, diaprés les ufages du tems, pouvoit
être facilement levé par un divorce ou par d’ autres
moyens , n’arrêtok ni la reine Berthe , ni le
Roi lombard, ni Charlemagne lui-même, qui ne
tenoit plus à ce lien. Le P ape, dans une lettre
très-curieufe," 8c qui exifte,, infifte fortement fun
l’indiflolubilité des noeuds du mariage j 8c pour
toucher par un endroit fenfible les princes Charles
8c Carloman, à qui cette lettre eft adreflee en