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Jean, capitaine dans le régiment de Piémont,
fils de Jean nommé ci-deflus de tué à Montmédy,
fut aulfi tué à Gironne en 16S4.
THOMAS. M. Thomas, de l ’Académie fran-
caife, eft un des écrivains qui ont le plus honoré
les lettres. Ses talens, l’ ufage qu'il en a fait, fon
caractère , fa conduite , tout en lui a mérité de
fervir de modèle. Ses talens, comme tous ceux
qui ont de l’éclat, & qui fe diftinguent par une
phyfionomie particulière, ont eu plufieurs imita-
tçurs c|ui , n ayant pas comme lui le mérite de
l ’originalité , font reliés au delfous de lui. Ses ver-
tus ont eu moins d’imitateurs. Sa première paE
fion, dit M. le comte de Guibert, fon fuccefleur
à l’Academie françaife, fut l’amour de la vertu, la
ieconde fut l’amour de la gloire. En entrant dans
l'Académie, il avoit juré de fe dévouer pour jamais
a la vérité , a la vertu j il ne làifie ni. une action
ni un écrit qu’on ne puiife placer à côté de ce
ferment.
M. Thomas perdit fon père, étant encore dans.
l’enfance > une mère, digne de prélîder i l’éducation
d’un homme vertueux , le deftüia d’abord
au barreau 5 mais les lettres le réclamoient & l’entrain
oient. Ici M. de Saint-Lambert, q ui, en qualité
de directeur de l’Académie, recevant M. de
Guibert à la place vacante,- partageoit avec lui
Fheureufe fonction de louer M . Thomas, raconte
une anecdote qui prouve bien que, comme Favoit
dit M. de Guibert, l’amour de la vertu lempor-
toit encore chez M. Thomas fur l ’amour dè la
gloire, cclletoit, dit M. de Saint-Lambert, enivré de
*> fes efperances, lorfque fa mère vint le trouver ,
M & lui reprocher d oublier l’étude des lois. Com-
» ment pouvoit-il négliger les moyens de parvenir
» a une fortune qu’ il auroit partagée avec elle &
« avec fes autres enfans ? Elle verfa quelques
« larmes : M. Thomas les vit couler. Il raflembla
»3 tous fes ouvrages ; il les jeta au feu en préfence
33 fe naère , & les vit brûler en fondant en
» larmes. 11^ n’a jamais fait de facrifice qui lui' ait
» autant coûte. Mais il a d i t , & il faut l’ en croire,.
» que le fouvenir de cette adion avoit été pendant
» toute fa vie le plus délicieux de fes fouvenirs. »
Sa mère lui'ayant permis depuis de fe livrer à
fes goûts, indulgence dont il faut faire honneur,
ou à fa tendrefle, ou à fes lumières, M. Thomas ,
comme pour l’en récompenfer , la plaça , d’une
manière aufli noble que touchante, dans fa belle
Oïe fur le Tems, couronnée en 1762 à T Académie
françaife :
Si je devois un jo u r pour de viles richelfes ,
Vendre ma liberté , defeendre à des baffiffes
Si mon coeur par mes fens devoir être amolli :
O tems L je te dirois : Préviens ma dernière heure
H â t e - r o i, que je meure
J a im e.m ieu x , n’ êrre pas que de v iv r c .a v ilL
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Mais fi de la vertu les géuércufes flammes
Peuvent de mes écrits palîe-r’dans quelques âmes 5
Si je peux d’un ami foul/iger les douleurs,
S il eft des malheureaxaontJ’obfcurc innocence
Languiflè fans défenfc,
Et dont ma foible main doive efluyer les pleurs :
O tems 1. fufpends ton vol, refpeéle ma je une fie ;
Que ma mère, long-tems témoin de ma tendrefle
Reçoive mes tributs de refpeét & d’amour j
Et vous, gloire, vertu, déefles immortelles ,
Que vos brillantes ailes
Sur mes cheveux blanchis fe repolent un jour.
C e ne font pas feulement de beaux vers que-
nous préfentons ici à nos lecteurs, c’ eft M. T h o mas
tout entier, c’eft letableau le plus vrai de fon
a m e c ’eft l’hiftoire de toute fa vie. .
M. Thomas fut célèbre dès le collège, par l’é clat
que fes fuccès répandirent fur l’inftitution des
prix publics de l’ümverfite, inftitution nouvelle
alors. Mais le premier ouvrage par lèquel'il fut
connu dans le monde fut une ode à M. de S.é~
chelles , alors contrôleur-général. Cette ode an-
nonçoit dès-lors un homme & un poète.
Ep 17)9 parut- le poème de Jumonville : cet
officier français avoit été tué par les Anglais, dans
une occafion où fà mort, pouvoit être diverfemenr
interprétée , félon les intérêts & les vues politiques.
Nous ne balançâmes pas, en France-, à le.
regarder comme afîàffiné,.à faire de cet attentat
le motif d’une guerre , à réclamer la vengeance &
les fecours de l’Europe & de l’Amérique. Cependant
s’il fut aflaflîné, Paffaflin étoit ce même Wa~
fington que^ nous avons tant célébré depuis
comme le héros de l’Amérique anglâife j mais en 1754.3 lorfqu’il fervoit & commandoit les Anglais „
il étoit pour nous un monftre digne des plus grands
châtimens. M. Thomas, bon citoyen, & furtout
ennemi de toute violence, fut aifëment entraîné
par les déclamations du rems j il les crut & ne les
jugea point du fond du collège de Beauvais, où il-
avoit été fait profefîeur en fortant de fes clafles.
En conféquence de Felprit-public qu’ il voyoit régner
autour de lu i, en rendant à la mémoire de-
M. de Jumonville les honneurs toujours dus aux.
viélimés d’E ta t, il maltraita fort les Anglais &
Wafîngton. Grande leçon pour les. hommes de-
génie,. de ne pas trop fe hâter de faifîr ces fujets
hiftoriques & politiques avant que le tems ait.
calmé res paffions, changé les intérêts & dévoilé
là vérité. O n^ dit que nul ne devoit être pommé:
grand ni fieuî^c avant qu’on eût vu la fin de fa
vie : peut-être Suffi perfonne, avant ce terme fatal,,
ne doit-il être jugé,furtout défavorablement, dans;
des ouvrages confacrés à la poftérité. Ce. poème,,
au refte, confirma, les« efpéranees q.ue lès premiers;
elfeis dé M.-Thomasvivoientfait naître j,mais,hien?-
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tôt il né s’agit plus d’effais ni d’ efpéranees. Une
noble & vafte carrière s’ouvre devant M. Thomas :
i l entre dans la lice au moment où l ’Académie
françaife propofe, pour fujet de fes prix, l’éloge
■ des grands-hommes en tout.genre. M. Thomas va
célébrer la vertu & la gloire : le ‘voilà dans fon
élément. C e fut alors qu’ on vitparoître, d’année
en année, cette belle fuite d’éloges fublimes, tous
•couronnés, & dont le moindre mérite eft de l’être,
& q ui, entremêlés de poèmes pareillement couronnés
ou dignes de l’ê tre , tels que Y Epure au
Peuple , Y Ode Jur le Tems , ont porté rapidement en
triomphe M. Thomas à l’Académie françaife , où
il entra , dit M. de Guibert, comme les anciens
vainqueurs montoient au capitole , précédés de
leurs trophées & aux acclamations de tous les
ordres de citoyens. C é triomphe fut d’autant plus
applaudi, que , par un trait d’équité généreufe,
qui étoit parfaitement dans fon caractère, M. Thomas
avoit refufé d’en avancer le moment. Ecoutons
parler M. de Saint^Lambert.
« On avoit placé M. Thomas dans un pofte honorable
, auprès d’un miniflre qui lui marquoit
»3 de la confiance & même de l’amitié j mais ce
»3 miniftre attribua une plaifanterie qui répandoit
*3 du ridicule fur fa fociété, à.un homme de lettres
>3 aujourd’ hui l’un des membres les plus illuftres de
»3 cette Académie. M. Thomas étoit fon ami, &
»3 connoiffoit foninnocence : on en pouvoit donner
33 des preuves, mais il auroit fallu perdre les vrais
33 auteurs delà plaifanterie, & l’ami de M. Thomas
33 ne put y confentir. Le miniftre, pour empêcher
*> d’entrer à l’Académie un homme de lettres
.-»s dont il crôyoit avoir à venger fa fociété , voulut
»3 engager M. Thomas à demander une place qui
vaquoiti il ne put l’y déterminer, & fut mécon-
3» tent. Il ne renvoya pas M. Thomas, f i ce n’eft
33 pas renvoyer l’homme de bien qu’ on a aimé, que
53 de le traiter avec indifférence. M. Thomas de-
33 manda la permiffion de fe retirer. 33
Voilà M. Thomas & fon illuftre ami-, non-feulement
reux juftifiés ( ils étoient au deffus de l’apologie
génédont
) , . mais même convaincus d’un procédé ils furent victimes F un & l’autre. Mais
•cqoumelmlee nt le véritable auteur de la plaifanterie , que fut fa faute & quelque danger qu’il
y eût pour lui à l’avouer, ne la révéloit-il pas lui-
même. C e t aveu, mêlé tfexcufes, auroit eu un air
de générofité, propre à défarmer la vengeance.
Comment fouffroit-il que F innocent fat puni pour
le coupable, qu’ il fût traité avec une rigueur qui
auroit encore été exceffive quand même elle n’eû«t
pas été injufte? Car tout le monde fait combien
rut éclatante alors la difgrace de 1 homme déjà célèbre
fur qui elle' tomba, & qui n’a ce fie depuis,
d’ajouter à.fa gloire. Il perdit des places avanta-
geufes, fa fortune fut renverfée, & le coupable
put voir tout cela d’un oeil tranquille, ainfi que le
contre-coup qu’en reffentit M. Thomasi Au refte,
nous ignorons quelles peuvent avoir été les caufes
particulières de ce filence qui nous étonne.
Les flatteurs du miniftre, & ceux qui, pour
l’ intérêt de leur-haine, l'excitoient à la vengeance,
ofoient,bien accufer M. Thomas d’ ingratitude,
pour n’avoir pas voulu fervir le reflentiment de
fon bienfaiteur, reflentiment qu’il favoit n’être
pas fondé. Quoi ! fi mon bienfaiteur eft vindicatif
& injufte, ou fi on le rend te l, il faut que je ferve
fç>n injuftice, fous peine d’ ingratitude ? Ainfi la
reconnoiffance, ainfi les vertus deviendroient l’inf-
trument du vice. Une fi étrange morale ne pouvoit
être dans les principes de M Thomas.
Un magiftrat, membre de l’Académie, avoit
fait un réquisitoire, dans lequel des gens de lettres
diftingués , qu’il n’ aimoit pas , fe crurent défignés
d’une manière injurieufe & injufte. Dans ces conjonctures
arriva la réception de M. l’ archevêque de
Touloufe à l’A cadémiej M. Thomas le recevoit
en qualité de directeur. Le difeours de M. Thomas
, compofé avant le réquifitoire, & où il ne
pouvoit avoir eu en vue Je magiftrat, contenoit,
contre les^e .nemis & les détracteurs des lettres ,
quelques parafes générales , dont le public s’ avifa
de faire au magiftiat une application contraire aux
viles du directeur} ce qui rendit la féance fort dé-
fagréable pour tous deux. Le magiftrat, irrité,
courut fe plaindre à M. le chancelier deMaupeou^
alors en place. Le chancelier n’avoit jamais lu , Sc
n’aimoit pas ceux qui lifoient; il faifit cette occafion
de traiter en coupable F Ariftide dé la littérature ,
qu’il étoit las d’ entendre appeler le jufie. II fe fit
remettre le manuferit, en défendit Fimpreflion,
& menaça M. Thomas de la Baftille fi, par quelque
moyen que ce put être , le difeours venoit à
paroître imprimé. M. Thomas, qui voyoit les
difpofitions de ce miniftre , & qui connoiffoit,
par la voix publique, de quoi il étoit capable,
craignit que, pour effectuer la menace de la Baftille,
quelque perfide imprudence ne Iaifîat tomber
le manuferit entre les mains d’un imprimeur.
Il eut la préfence d’efprit & le courage de répondre:
Si l'on me rend refponfable des événemens 3 le manuferit
ne doit pas refier dans d'autres mains que les
miennes. Le chancelier furpris n'ofa le refufer.
Parmi beaucoup d’amis refpeétabies, M. Thomas
en eut un plein d’efprit, de talens, de fen-
timens honnêtes & de principes vertueux, mais
qu’une indomptable impetuofité de caractère, une
inquiétude dévorante, jetoient à tout moment dans
des tranfports de fureur, & rendoient d’ un commerce
infupportable} c ’eft Fauteur des Faujfes Infidélités
y de la Merejalouje & de plufieurs autres
ouvrages, ou bons, ou du moins bien écrits. C ’eft
de lui qu’on put toujours dire :
Æfiitat ingens
Imo in corde pudor, mixtoque infania laStu
< E t fur iis agitatus amor & confcia virtus.
C ’eft lui qui, plus poète encore par la manie de
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