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Dauphin lui avoit écrit plufieurs billets tendres
qu'elle avoit tous renvoyés avec beaucoup de ref-
peét. C e n’eft pas de fang-froid qu’une Princefle
charmante 3 accoutumée à porter l'amour dans tous
les coeurs, s’ entend dire par une fubalterne & par
Une fille à elle r «« U amour-propre vous trompe 3 &
33 votre vertu s'alarme fans fujet y ce n eft pas vous ,
33 cefi moi quon aime. 33 La Princefle reçoit fort
mal la confidence de mademoifelle Chouin, 8c dans
le fecret dépit d’ avoir fervi de prétexte à l'amour
du Dauphin pour une de fes femmes, comme Madame
( U ende tte d'Angleterre ) avoit autrefois
fervi de prétexte a l’amour de Louis XIV pour
mademoifelle de la Vallière, elle reproche à mademoifelle
Chouin fon orgueil crédule, ne veut
croire ni à l'amour du Dauphin ni à la vertu de
mademoifelle Chouin j celle-ci demande la per-
milfion de fe retirer pour échapper aux pourfuites
du Dauphin : la Princefle de Conti lui défend de
fonger à la quitter, ScTurtout de fonger à plaire.
Gardez-vous, je vous prie,
D’imaginer que vous foyczjolie.
Un amant que madame la princefle de Conti
eroyoit avoir fix é , le comte de Clermont-Tonnerre
, la quitte , & c’eft encore pour mademoifelle
Chouin. Cet indiferet amant annonce à celle
qu'il veut féduire, le iaçrifice qu’il lui fait de celle
qu’ il fe vante d’avoir féduite î il fui parle de k
Princefle avec çiépris, 8c poufle 1 indécence de
l'ingratitude 8c de Vindifcrétion jufqu'àrévéler des
défauts cachés de celle qu’ il a aimée» 1 efl: étonnant
qu'on efpère réuflir par un pareil moyen ;
mais l’ expérience prouve qu’ on réuint par-là quelquefois.
Le comte ne réuflit pas cette fois : fa le ttre
tomba entre les mains de Louis Xi V. il mande fa
fille & fon fils3 Jeur fait lire la lettre. Ma fille,
dit-il à l'une , voilà votre amant ! Mon fils, dit-il
à l’ autre, voilà votre rival. La Princefle éclata en
fan gl ots : le Dauphin demanda T exil du comte de
Tonnerre & l ’obtint.
Cependant la princefle de C onti, qui, s’amufànt
autant à la cour unpeuhbre de Meudon, qu’elle
s’ ennuyait à la cour un peu grave de Verfailles,
fentoit l'intérêt d ’attirer & de fixer le Dauphin
auprès d'elle,'’ 8c qui, dans cette v u e , n’avoit rien
négligé pour retenir mademoifelle Chouin, juf-
qif à lui faire çonfeilier, c’eft-à-dire , commander
derefter, par madame de Maintenon, qui connoif-
ib it à peine cette fille , madame la princefle de
'Conti changea d’av is , & crut devoir éloigner
d’elle une rivale fi dangereufe, qui, fans beauté, lui
enlevait, & fes amis, 8ç fes amans. Mademoifelle
Chouin fe retira chez, la princelfe d’Fpinoy fa
protectrice 8c qui l 'avoit placée chez la princefle
de Conti. L’amour du Dauphin 1 y fuivit, toujours
écouté avec refpeÇi, jamais favortie d’ un, mot ni
d’un regard. Bientôt elle difparcît de fon nouvel
. sfl|ê : le Dauphin la cherche partout, la demande
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à tous ceux qui peuvent difpofer de fon fort ou
en être inftruits. line reçoit long- tems que des ré-
ponfes vagues 8cincertainesj il apprendenfin qu'elle
eft cachée dans-un petit appartement au faubourg
Saint-Jacques. Le Dauphin, déguifé , frappe à fa
porte i elle l’ouvre, & , reconnoiflant le Prince, la
referme fur le champ $ puis changeant coup fur
coup de retraite 8c de nom, elleefîaye de dérober
fa trace à la pourfuite perfévérante du Dauphin ,
qui la fuit dans toutes fes fuites & refuités, 8c enfin,
par la trahifon d’une domeftique, arrive jufque
dans fon cabinet & fe jette à fes pieds. « Monfi-i-
» gneur, lui dit mademoifelle Chouin, s’ il eft vi ai
que vous m'aimiez, vous n’ avez*qu'un mot à me
« dire, 8c je n'en ai qu’un à entendre > mais ce mot,
” je ne puis l'entendre ', 8c vous ne pouvez lé dire
33 fans la permiflion du Roi $ elle le renvoya en-
•3 fuite d'un ton auquel le Prince ne put réfifter. »
l n rcfléchiflfant fur ces paroles , les- premières
qu’ il eût obtenues , le Dauphin craignit qu’ elles
n’annonçaflent plus d’ambition que d'amour , ou
même de vertu j il héiita, puis, entraîné par
fa paflion , il propofa un mariage fecret ; 8c n’ o-
fant encore demander la permiflion de fon père ,
il prit fur lui de dire qu’ elle étoit accordée, 8c
mademoifelle Chouin prit fur elle de le croire, fa
cérémonie du mariage fe fit à Meudon, félon les
uns, à L iv r y félonies autres : on n’ en fait pas
l’époqi:e précife, non plus que de celui de madame
de M airitenon & de Louis XIV. La régularité, la
frugalité' , l'économie-, la fagefle, la piété même
entrèrent avec cette femme dans la Maifon du
Dauphin. Ce Prince devint 'un homme nouveau,
i orlque le fpeêlacle de cet heureux changement
eut produit fon effet à la c o u r , 8c difpofé favorablement
le Roi & madame de Maintenon , le
Dauphin o ù enfin parler au R o i, & lui demander
| le confentement tardif dont il avoit ofé fe paflèr.
S',Le R-oi, foit qu'il crut ou non la chofé faite, ne
lai dit que ce peu de mots : Mon fils ! penje^-y
1 o.en , & ne m’en parle£ plus , enveloppant àinfî fous
des paroles myftérieufes la permiflion 8ë la dé-
fenfe, mais proscrivant bien clairement toute’ publicité
: mademoifelle Chouin n’ en demandoitpas
davantage. L’obfcurité,la tranquillité, étoient tout
ce qu’elle defiroit j même l ’opinion publique la
touchoitpeu : elle en faifoit le facrifice au Dauphin
; fa propre eftime lui fuffifoit. Le Dauphin.:,
que fon premier mariage n’avoit pas rendu heureux,
le fut par cette fécondé alliance. À Paris, mademoifelle
Chouin demeuroit chez madame .d’ Fpi-
noy : le Dauphin y pafloit toutes les journée^-.
Dans la belle faifofi madame ,d’E p iso y ,& ma.de-
moifejle Chouin pafloier.t des mois entiers à Meu-
■ don ; mademoifelle Chouiny régnoit, comme une
femme modefte & retirée règne dans fon ménage.
Le Roi aijoit toutes les années, à Meudon, &
madame de Maintenon y avoit un appartement.
Quand le Roi y é to it, mademoifelle Chouin n’ÿ
patoifloir pa-sy mais c'étoit efle qui preparoit &
arrangeoit
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arrangeoit les fêtes qu’ on y donnoit à ce monar- |
que; Tout ce qu’ on craignoit à la cou r , c’étoit |
quelle ne donnât des frères à M. le duc de Bourgogne
& à fes frères : on la crut grofle, 8c la
cour fut inquiète. Quelques-uns ont dit qu’elle
étoit accouchée fecrétement, comme elle s’étoit
mariée. Madame de Maintenon l’eftima 8c la protégea
toujours j elle lui avoit fauve une lettre-de-
cachetdans un tems où l’on avoit voulu employer
ce moyen pour la fouftraire aux pourfuites de
M. le Dauphin. Lorfque mademoifelle d'Ofmond,
élève de Saint-Cyr 8c favorite de madame de Maintenon,
fe maria, madame de Maintenon, entr autres
inftru&ions qu’elle lui donna, lui dit : « Après
« la mort, du R o i, vous verrez peut-être made-
» moifelle Chouin toute-puiflante j mais qu’elle
» le foit ou qu’elle dédaigne de l’ê t r e , ayez
m toujours de fa confidération pour e lle .33 ’
Madame de Glapion, fupérieure de Saint-Cyr,
qui, renfermée dans fon couvent, ne jugeoit des
chofes du fiècle que fur des apparences générales,
auxquelles elle appliquoit toute la févérité mo-
naftique, d@mandoit un jour à madame de Maintenon
, pourquoi on ne chafloit pas de la cour
cette fille, qu'elle ne eroyoit que la maîtrefle de
M. le Dauphin. | Cette fille ! dit madame de Maih-
33 tenon, nous fommes trop heureux de l'avoir :
33 elle fe conduit bien, elle nous eft très-utile. En
33 mille occafions elle fait faire à Monfeigneur le
33 perfonnage qui convient.33
Mademoifelle Chouin furvécut long-tems à
M. le Dauphin , mort en 1711 ; elle ne mourut
qu’en 1741, oubliée ou ignorée de tout le monde 5
elle demèuroit alors obfcurément à Paris, rue des
Tournelles, furie rempart, dans une maifon où
avoit demeuré madame de Lafayette. « Nous
33 l’avons vue dans fa vieillefle, ait l’auteur des
33 Mémoires de madame de Maintenon, fans biens-
33 fonds , avec un mobilier modique, être la vic-
33 time de l’éconoinie qu’ elle avoit infpirée à Mon-
33 feigneur, difliper en oeuvres de charité une
33 penfion de 12000 livres, & ne conferver de fa
33 faveur que fes amis, 8c cette fierté de caractère
33 qui ne veut rien devoir, même à l’ amitié.33 J
Son neveu, de fon nom , M. Joly de Chouin,
baron de Langes y étoit, comme fes pères, grand-
bailli de Brefle 8c gouverneur de Bourg. La fille
unique de ce baron de Langes a époufé M. de Sa-
valette de Magnanville, intendant de T ours. Mademoifelle
Chouin eut dëux autres neveux, M. le
baron de Chaillouvres, ßc M. l’ évêque de Toulon.
M. de Voltaire ne croit point au mariage de
M. le Dauphin 8c de mademoifelle Chouin.
CHOISY. (.Frakçois-Timoléon de). ( Hifi.
liu.mod.) Ç ’eft le célèbre abbé de Chôily, dont
nous avons des Mémoires 8c plufieurs autres ouvrages
très-agréables , & 'qui mourut doyen de
l'Académie françaife. Son aïeul paternel avoit fait
fortune par un trait de courtifan allez familier aux
Hifioire. Tome LT. Supplément.
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| courtifans, mais qui ne fait pas la fortune de tous,
celui de perdre exprès au jeu 8c de tricher contre
foi-même. 11 avoit la réputation d’un redoutable
joueur d’ échecs. Le marquis d’O , furintendant des
finances, prétendoit à la même gloire, 8c en étoit
très-jaloux. En pareil cas, jamais furintendant ne
trouva de vainqueur ; mais M. de Choily eut la
double adrefle de fe laifler gagner & de paroître
fe défendre de bien bonne foi : c ’eft furtout de
cet artifice que le furintendant fut la dupe. Difpofé
favorablement pour le vaincu , par une victoire
qu’il eroyoit avoir été difputée, il lui trouva
de l’ e fp rk , précifément parce qu’il ne le foup-
çonnoit pas d’en avoir mis dans fa conduite. 11
l’employa dans des affaires fecrètes, qui furent utiles
à fa fortune.
On dit que Louis XIV tenant, contre le marquis
de Dangeau, à un jeu qui ne paroît pas intéreflfér
; l’ainour-propre , puifqu il eft purement de hafard
(au brelan ) , le marquis fentit cependant, en bon
courtifan , le majheur & J e tort pour un fujet
d’ofer gagner le R o i, 8c lui dit : « Sire, je fuis
33 fâché d’ avouer à votre Majeftë que j’ ai brelan
33 d’ a s .33 Le Roi lui répondit d’ un ton railleur &
triomphant : « Confolez-vous, Dangeau 5 j’ai brelan
ï*?? favori.33. J
Le fils de l’habile joueur d’échecs , le père de
l’ abbé de Choify , fut chancelier de Gafton, duc
d’Orléans. Il fut envoyé dans diverfes cours , où
il fervit l’ Etat avec zèle. « Chargé d ’une négo-
33 dation qui exigeoit de l’argent ( 8c le Roi n’en
■ 33 avoit pas ) , dit M. l’abbé de Choify dans fes
33 Mémoires, il alla en Hollande emprunter deux
33 cent mille, écus fur fon créd it, 8c n’en fut rein-
33 bourfé que fîx ans après.33 Moins habile ou moins
heureux courtifan que fon père , à fon retour en
France, il négligea le cardinalMazarin, qui, pour
fe venger, ne fe contenta pas de le négliger aufli,
8c voulut quelquefois le perfécuter.
La mère de l’abbé de Choify, arrière - petite-
fille du chancelier de Lhôpital, ofoit bien dire à
Louis XIV, quigoûtoit fon entretien : Sire 3 vou-
ler - vous devenir honnête homme ? ayez fuuvpnt des
converfi tions avec moi. Le Roi la crut 5 il s’en trouva
bien & elle aufli.
Elle avoit vu fon mari, à la mort de Gafton ,
perdre fa charge de chancelier, qui lui avoitcoùté
cent mille écus. "En conféquence elle recommanda
toujours à fes enfans de ne s’ attacher qu’ au Roi.
Rien n’eft tel que le tronc de l'arbre, aifoit-elle,
C equ in’eft vrai que quand l'arbre eft fort par lui-
même.
Quoique fon plus beau titre fût la gloire du
chancelier de Lhôpital fon bifaïeul, fils d'un médecin
de la petite ville d’Aigue-Perfe , ce qu’elle
leur recommandoit le plus encore , étoit de ne
voir que des gens de qualité. L’abbé de Choify fe
I vante d’avoir bien fuivi fes leçons fur ce p o in t,
& il s’en vante d’un ton qui réunit les ridicules
delà frivolité 8c de fa fatuité. Excepté les parens,