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3» dit-il ^ qu’il faut bien voir en dépit qu’ on en ait, '
*3 je ne vois aucun homme de robe. 33 U n’y avoit
affurément pas là de quoi fe vanter , & cette forfanterie
eft furtout finguliérement placée dans fes
Mémoires fur Louis X I V , où il quitte fouvent
ainli ce monarque pour parler de lui-même j ce
qui quelquefois n’elt pas fans agrément & fans intérêt
, mais ce qui quelquefois auffi pourroit lui
faire appliquer ces vers de Boileau :
Et mêle, en fe vantant foi-même à tout propos,
Les- louanges d'un fat à celles d’un héros.
Mais il prévient habilement cette application ,
en fe la faifant lui-même.
Sa mère lui voyant, dans fon enfance, une figùre
charmante , crut augmenter les agrémens de cette
figure en lui faifant porter s bien au-delà de l’em-
fan c e , des habits de femme. Il prit goût à cet
ufage , & le.conferva, par différens motifs , dans
un âge plus avancé j ce qui fat pour lui une fource,
&: de ridicules, & qui pis e ft, de défordres, dont
les détails ont été conlervés dans 1J ouvrage intitulé
Hiftoire de la comtcffe des Barres.
Quant aux ridicules de cet ufage , il y avoit accoutumé
tout le mondé, ( car on accoutume,le
monde à tou t, & cette excufe frivole & infigni-
fiante , il eft comme cela , il ,Jl fait airtfi ' eft une
raifon dont la multitude fe conténte ). i l ne quitta
prefque plus l'habit de femme jufqu’àsla fin de fes
jours : on le recevoit partout ainfi , fans prefque
faire attention à cette mafcarade. Il fe montroit &
étoit reçu même à Verfailles, même au jeu de la
Reine, dans ce traveftifiement : le févère Montau-1
fier fut le feul qui ofa l’en faire rougir , & faire
rougir* la cour de Ion indulgence. Cet homme ne
favoit compofer ni avec la décence ni avec la v érité.
Il lui ait en préfence de la Reine & de toutes
les Dames de la cour , dont fon propos étoit pref-
qu’ au tant la critique que celle de l’ abbé : M.unjieur,
ou Mademoifelle , car je ne fais comment vous appeler,
vous devriez mourir de honte d'aller de la forte habillé
en femme y lorfque Dieu vous a fait la grâce de ne le
■ pas être. Ailez vous cacher, M. le Dauphin vous
trouve mal ainfi. Pardonnez-moi , Monfeur, répondit
le jéune Prince , je la trouve belle comme un ange ;
& ce mot, ou ironique ou'fincère étoit en effet
celui qu’on employoit pour fon excufe.
• L ’abbé de Choify étoit de ces hommes qui peuvent
faire & qui font impunément de grandes
fautes, parce qu’ils ont en eux-mêmes de quoi s’en
relever. Après s’ être diftingué dans les ecoles- &
s’être dégradé dans le monde , il voulut, en fe
îaiffant oublier quelque tems à Paris, aller cultiver
loin de fon pays les talens dont il avoit montré le
germe, & ne reparoître en France qu’ avec une
réputation nouvelle, & , s’ il fe pouvoit, avec quelque
confédération. Il alla en Italie comme concla-
vifte du cardinal de Bouillon, lorfqu’ il fut queftion '
de donner un fucceffeur au pape Clément X j ce j
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fucceffeur fut l’ inflexible Odefcalchi, Innocent a ï .
Si Louis X IV , qui s’ oppofoit avec raifon à ce
ch o ix , ne fut pas inflexible à fon égard , Odef-
.calchi en eut principalement l’obligation à l ’abbé
de Choify, qui s’en repentit bien dans la faite. Les
cardinaux français, qui en général étoient affez
favorables à Odefcalchi, engagèrent l’abbé de
Choify à compofer la lettre qui vainquit enfin la
réfiftance de Louis X IV. L’abbé fut le premier ad-
mis à 1 honneur de baifer les pieds du nouveau Pape ;
mais la conduite de ce pontife & fon dévouement
à la Maifon d’Autriche ne tardèrent point
à juftifier l’averfioh qu’ avoit montrée Louis X IV ,
& à donner des regrets à l’auteur de la lettre.
11 eft d’autant plus inexcufable de fe comporter
fi mal, difoit l ’abbé de Choify en parlant du Pape,
qu’ il n’a pas manqué d’avertiffemens falutaires , &
ilcontoit, à cette occafion, qu’à lacérémonie qu’ on
appelle l’Adoration du Pape, le cardinal Grimaldi,
oui étoit en polfeflion de lui parler avec franchife
lorfqu’Odefcalchi n’étoit que cardinal, s’approchant
de lui pour l ’adorer, lui dit tout bas, mais
affez haut cependant pour être entendu de quel*
ques - uns de ceux qui étoient les plus proches :
Souvenez-vous' de ce que je vous ai toujours dit, que
vous êtes ignorant & opiniâtre : voila la dernière vérité
que vous entendrez de moi j je vais vous adorer.
L’ abbé de Choify , à fon retour en France, eut
une grande maladie, dans laquelle il fit des réflexions
qui produifirent en lui une efpèce de con-
verfîon, mais éphémère feulement, car tout étoit
éphémère chez lui : aucune de fes idées n’avoit de
permanence j la mobilité de fon imagination le me-
noit & le ramenoit tour à tour de la pénitence aux
plaifirs, & des plaifirs à la pénitence. Ses momens
de converfion & de pénitence , ou feulement de
dévotion courtifane-& politique, nous ont valu de
lui quelques ouvrages pieux, tels que quatre dialogues
fur l’immortalité de l ’ame , fur Î’exiftence
de Dieu, fur le culte qu’on lui d o it, & fur la Providence.
C e t ouvrage eut un grand fuccès : il fut
beaucoup lu , & il fut critiqué, c’eft-à-dire, déchiré
par Jurieu. Une traduction desPfeaumes , la
Vie de David & celle de Salomon, qui l’une & l ’aur
tre n’étoient que des panégyriques de Louis XIV $ 1 Hiftoire de faint L o uis , un Receuil d’hiftoires
édifiantes > enfin l’Hiftoire de l’Églife , font encore
des fruits de cette dévotion de cou r , ainfi
qu’une traduction de l’ Imitation de Jéfus-Chrift ,
dédiée à madame de Maintenon. Il avouoit lui-
même qu’il avoit fait fin s piété la traduction de ce
pieux ouvrage. La première édition étoit remarquable
par une eftampe où madame de Maintenon
étoit repréfentée aux pieds du crucifix, & au bas
de l’eftampe on lifoit ce verfet du pfeaume 4 4 ,
qui fembloit adrefle à madame de Maintenon par
Je crucifix même : Audi, jilia , & vide, & inclina
aurem tuam ,. & oblivifcere domum patris tui, 6’ con-
cupifcet Rex decorem tuum. Ecoutez , ma fille, voyez
& prêtez l’oreille > oubliez la maifbn de votre père,
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votre beauté touchera le coeur du Pvoi. Les interprétations
malignes qui furent faites de ce paf-
faere, obligèrent de le retrancher dans la fuite :
on fut mauvais gré à l’auteur d’y avoir donné lieu ,
& il fe trouva qu’ en voulant faire fa cour il avoit
difobligé. II ne fuffit pas en effet de flatter, il faut
flatter avec adreffe & fans inconvénient.
C ’eft le plus fouvent par les aveux de l ’auteur,
qu’on eft inftruit de fa frivolité & des difpofitions
légères qu’il apportoit à la compofition de fes
plus importans ouvrages- Quand il eut fini le dernier
volume de fon Hiftoire de l’ Lglife : J'ai achevé,
grâces à Dieu, dit-il, /’ Hiftoire de l'Eglife ; je vais
préfcmement me mettre a. Vétudier. Q tel peintre l di-
foit-il quelquefois en parlant de lui-même , quel
peintre pour les Antoines & les Pacômes , pour les
Auguftïns & les Athanafes !
Ce fut encore un zèle demi-pieux , demi-cour-
tifan, qui engagea l’ abbé de Choify dans ce fameux
voyage dé Siam, dont il nous a laiflé une relation
qu’on lit avec plaifîr. Les défaites, pour fe rendre
néceffaires ou. du moins confidérables , avoient
perfuadé à Louis XIV que le roi de Siam vouloit
fe faire chrétien , & fous ce prétexte ils l’ avoieft
engagé à envoyer à Siam une ambaffade folenneliê, :
à la fuite de laquelle feroit leur père Tachard ,
•mifiionnaire chargé d’inftruire le roi de Siam, &
dont nous avons aufii une relation de ce voyagé.
L’abbé de Choify fe fentit faifi d'un ardent defir '
de contribuer à la converfion du monarque afia-
tique : c’é to it, difoit-il, le meilleur moyen d’ex- ■
pier les écarts de fa vie paffée. En-effet 3 fi ce..
moyen étoit agréable à Dieu , il L étoit aufii à
Louis X IV. Le chevalier de Chaumont étoit nommé
ambaffadeur: l’ abbé de Choify lui fut adjoint
avec le titre jufqu’ aiors inconnu de coadjuteur
a ambaffade. Arrivé à Siam , l’abbé de Choify fut
défabufé > il vit qu’il n’é to it, ainfi que le chevalier
de Chaumont, qu’qn perfonnage de parade 5
que tout le fecret de F ambaffade étoit entre fes
mains des Jéfuites, & que ce fecret étoit un projet
d’ailleurs utile d’établiflement d'un commerce dont
les Jéfuites efpérorient d’être les agens les plus in-
tereffés. C efut dans -ce voyage de Siam qu’il reçut
tous les ordres de l ’E-glife avec une promptitude
prefqu’égale à celle de ce Dauphin de Viennois ,
qui céda le Dauphiné aux Princes français , & qui
reçut le jour de Noël le fous-diaconat à la méfié
de minuit, le diaconat à celle du point du jour, 8>c
la prêtrifé à cellé du jour. L’abbe de Choify reçut
les quatre mineurs le 7 décembre, fut fous-diacre
le 8 , diacre le 9 , prêtre le 10. C e fut-aufii dans
ce même voyage de ’Siam , & dans le vaifieau ,
qu’il prêcha pour la première fois de fa vie à qua-
tante-deux ans. Les matelots compofoient fon auditoire
i il fut affez content de ce d ébut, & fembloit
fe propofer de cultiver ce talent j mais d ’au tres
occupations1 plus conformes, ou à fes-inçiina-
tions,,- ou à fes vues, difpofèrent de lui.
Le roi de Sfam, -ayant demandé ,-à l’abbé de
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Choify s’il ctoit vrai qu’ il connût le Pape, & lui
ayant dit que puifque cela e to it , il le chargeioit
de quelques commisions pour Rome, 1 abbé, tranl-
porté de jo ie , s’écrie : tc Oh ça 1 avouons la ve-
ri rité : ne fuis-je pas bien heureux ? & ne pouvant
« demeurer i c i , pouvois-je retourner en Europe
»• d’une manière plus agréable & plus convenable
,, à un eccléïiafbque ? J’ ai eu le fervice de Dieu
» en vue en venant, & je l ’aurai encore en retour-
« nant. 11 eft beau pour notre religion, qu un Roi
» idolâtre témoigne du refpeét pour celui qui en
« eft le chef en terre, & lui envoie des prefens
» des extrémités du Monde j de je crois que le
=> Roi fera bien-aife de voir le vicaire de Jéfus-
» Chrift honoré par le roi de Siam, & qu’ un de fes
== fujets foit chargé d’ une pareille commilfion.»
• Cet enthoufiafme, cette ivreffede plaifîr, n’ étoit
pas d’un homme encore trop défabufé : il le fut
bientôt pleinement. Le réfultat de fon ambaffade
fut qu’on ne le chargea de ,rien pour le Pape, &
qu’il ne put obtenir du roi.de Siam, qu à force de
Pollicitations, quelques vains complimens pour le
cardinal de Bouillon, que le roi de Siam ne côn-
noiffoit ni ne vouloir connoitre, mais qui etoit le
protecteur 4e l’abbé de Choify. C et acte de re-
'connoiffance envers un protecteur illuftre ne fut,
par l'événement, .qu’une confolation pour un ami
malheureux tourna fort mal pour l'abbé. En
arrivant en France il trouva le cardinal de Bouillon
difgracié à la cour & exilé, & la cou r, ne con-
fidérant pas affez. combien il avoit du. erre duHciie
à l’ abbé de Choify de favoir à Siam tout ce qui fe
paffoit à Verfailles . trouva mauvais-que l ’unique
fruit, de fon ambaffade fût un’e diltinétion pour un ^
filjet ex ilé . : le Roi s'en expliqua plus nettement
que juftement ; l’abbé s’ effraya ; il quitta la cour,
& il eut aufii pour fon compte l'honneur d’ une
difgrace, honneur dont on n’étoit point encore
jaloux , & qui dut furtout paraître pénible à un
homme pour qui le titre feul .d'ami d’un miniftre
ou d'un grand avoit toujours eu tant de charmes:
il fe retira au lëminaire des miflions étrangères à
Paris, & il nous îS a r e ÿu apres une demi-heu c
d’oraifon au, pied des autels , i l eut le bonheur d ’oublier
fa, difà'ace. Le recours à Dieu dans l’ infortune
verfe en effet le calme & la confolation dans
une ame pieufe s mais la piété de l’abbé de, Choify
étoit trop mêlée de retours vers la cour & le
monde, & ce prompt oubli de fa difgrace pourroit
bien n’ être qu’une forfanterie dévote.
Quoi qu’ il en fo it, fes livres de dévotion & de
flatterie, préfentés furtout par le P. de la C h iife ,
firent oublier fes liaifons avec le cardinal de Bouillon.
L’abbé de Choify reparut à la cour ; il fut élu
à l’Académie française, ce qui alors étoit prefque
une marqué de faveur, & qui au moins excluoit
toute idée de difgrace ; il fut reçu le i f août 1687 à
la placé de M. le duc de Saint-Aighan : il fe montra
un excellent académicien, 8c par fon aïliduité aux
aflëmblées, & par fon ftyle pur & léger, par fes