
On fe mit à négocier, félon i’ ufage, pour gagner
du rems. Le duc de Savoie négocia, félon
l'ufa g e , pour gagner des places^ il effaya de corrompre
le chevalier de Rivara, gouverneur de k
citadelle de C afal, capitale du Montferrat, auquel
it envoya le marquis de Rivara fon frère, qui était
chargé de lui faire les offres les plus féduifantes.
Le chevalier eut horreur de l’idée d’une infidélité
j il menaça fon frère de lui faire trancher la
tête s’il ne fe retiroit au plus tôt. Le marquis reporta
cette réponle au duc de Savoie, qui, fuivant
toujours de près l’exécution de fes deflèins, sTé-
toit encore approché de la frontière pour recueillir
les fruits de cette nouvelle entreprife.
Comme tous ces petits intérêts leçondaires &
fubalternes venaient toujours fe réunir aux grands
intérêts généraux de la rivalité de la France &
d e l ’ Efpagne, ces deux puiffances, malgré les
mariages récens qui les uniffoient, fe divifèrent
fur cet objet comme fur tous les autres. L’Efpagne,
fans prendre parti ouvertement pour le duc. de
Savoie, fomentoit les troubles & vouloir gouverner
le duc de Mantoue , quel qu’il q>ût être,
La France étoit la protectrice naturelle de la Mai-
fon de Gonzague. Le prince de Piémont reftoit à
Mantoue & intriguoit en faveur de fa foeur contre
le Cardinal-Duc, qui n’avoit trouvé pour toute
reffource, dans les coffres du feu Duc fon frère,
que quatorze mille écus. Le duc de Savoie 3 de
concert avec fon fils , introduifoit fecrétement
dans Mantoue des gens de guerre déguifés.; en
même tems il demandoit qu’on lui renvoyât la
ducheffe douairière de Mantoue fa fille, & la
princeffe de Gonzague fa petite - fille , infinuant
que fi fa fille étoit greffe, elle fer oit peu en fureté,
étant au pouvoir d’ un Prince qui avoit intérêt
qu’ elle n’accouchât point. Ferdinand répondoit
q u e , s’ il n étoit pas à portée de ûiivre L'événement
de cette prétendue groffeffe, il pourrait
être trompé fur l ’article ; ainfi l’ on craignoit ou
l’on feignoit de craindre, d’un côté le poifon, de
l’ autre une fuppofition de part.
Cette quefhon du renvoi de la ducheffe douairière
& de. fa fille au duc de Savoie devint.un
grand objet de négociation. Le duc de Savoie,
pour affeCter de la modération, demandoit que fi
l ’on craignoit de remettre fa fille entre fes mains,
fi l’on ne vouloit pas l’envoyer à T urin, on l’ envoyât
du moins à Cafal, où: elle feroit moins immédiatement
dans la dépendance du Cardinal-
D u c , & où fon père feroit plus à portée de
veiller fur e lle , ou bien à Milan, fous la garde
de l’Efpagne, où elle ne dépendroit d’aucune des
parties intéreffées. C ’étoit même pour Milan qu’il
paroiffoit incliner le plus , car par fes intelligences
avec les Efpagnols il étoit autant le maître à
Milan qu’à Turin.
Enfin , la ducheffe douairière déclara qu’elle n’é-
toit pas greffe, & le cardinal Ferdinand prit publiquement
le titre de Duc. Alors on entama une autre
négociation : ce fut celle du mariage de ce cardinal
duc Ferdinand avec la ducheffe douairière
fa belle-foeur : tout à l'heure on craignoit qu’il
ne 1 empoifonnât, à préfent on vouloit qu’ il Té—’
poufat. Ferdinand ne montrait point de r é p u gnance
pour ce mariage, que les Efpagnols paroif-
foient defirer. En général, le nouveau duc de Mantoue
, comme fon frère & fes autres prédéceffeurs ,
& comme tous les Princes foibles placés entre-;
deux grandes puiffances , cherchoit à leur plaire
également à toutes deux. Le duc de Savoie , plus/
hardi, cherchoit davantage aies diviferpour pro-
fiter de leurs divifions : tous deux étaient divers
fement fufpeéls, meme à leurs amis. Le duc dé
Mantoue l’étoit par fa molleffe, autant que le duc
de Savoie par fon énergie.
A travers ces légers nuages politiques tout paroiffoit
calme & affuré : le duc de Mantoue étoit
poffeffeur paifible 5 le duc de Savoie, à la vérité ,
redemandoit toujours fa petite-fille, & l e duc de
Mantoue vouloit la conferver. On négocioit à l’amiable
fur cet article, & le projet de mariage
entre la ducheffe douairière, mère de cette Princ
e ffe , & le duc de Mantoue, n’étoit rien moins
qu’abandonné lorfque tout à coup l’orage éclate.
Le duc de Savoie fond à main armée fur le Montferrat,
s’empare de Trin, d’Albe, de Montcalvo*
de toutes les places de ce duché,, à la r-éferve de
Cafal que le duc de Nevers fauva en fe jetant
dans cette place avec ce qu’ il avoit de monde à
fa fuite. C e feigneur, qui étoit auffi de la Maifon
de Gonzague, & qui devint auffi dans la fuite duc
de Mantoue, ne s’etoit nullement préparé à la
guerre. 11 yoyageoit alors en Italie, conduifant à
Florence Renée de. Lorraine fa belle-foeur, fille
du duc de Mayenne, qui alloit époufer Marie
Sforce, duc d’Ôgnàno-, comte de Santa-Fiore a
fils du duc Sforce. Etant arrivé à Savone, près de
Gênes , le 25 avril il y trouva des lettres
de Carlo de Roffi, général des troupes du due
de Mantoue, qui, au nom de toute la nobleffè dij
Montferrat, le prioit d’aller à leur fecours j ce
qu’ il fit. Le duc de Mantoue fe rendit auffi à Cafal,
mais fans vouloir-rien entreprendre, difoit-il,
qu’ avec la permiflîon du roi de France & de la
Réine fa mère, fl eft affez fingulier qu’on n’ ofé.
défendre fon pays fans en avoir reçu la permiflioQ
d’un Souverain étranger 5 mais il eft vrai que cek
petits Princes d’ Italie, à l’exception1 du feul duc
de Savoie, n?étoient rien & ne pouvoient rien
fans l ’affiftance de celle des deux grandes puiffances
rivales, fous la prôté&iori defquelles ilis
s’étoient mis. En cette occafion le duc de Mantoue
les réclama toutes deux. Les Efpagnols firent
d’abord femblaht de vouloir le fecourir : le gouverneur
du Milanez l’ affura qu’il avoit ordre du roi
d'Efpagne fon maître, d’obliger le duc de Savoie à
fe retirer & à, reftituer tout ce qu’ il avoit pris -5.
mais bientôt les Efpagnols ƒ interprétant ces pro-
meflès, y mirent pour condition, que le duc de
Mantoue viendroit lui-même en perfonne fe remettre
entre les mains du roi d’ Efpagne, & témoigner
par-là qu’ il renonçoità toute autre aflif-
tarice qu’ à celle de ce Monarque.
• Les Vénitiens, que le duc de Mantoue confulta
fur cette propofition, lui répondirent ce qu’il au-
roit dû fe répondre à lui-même, que ce feroit
compromettre étrangement fi réputation, fes Etats
& peut-être fa vie; ils lui offrirent des fecours
d’hommes & d’argent, & chargèrent leur ambaf-
fadeur à Rome, de faire, de concert avec les
miniftres français, toutes les inftances poflibles
•auprès du pape Paul V (Borghèfe), pour l ’engager
:à former une ligue des puiffances d’ Italie en laveur
du duc de Mantoue, & à fe mettre à la tête
de cette ligue. Ces miniftres ajoutoient à toutes
les repréfentations qu’ ils avoient déjà faites plus
d’ une fois au Pape, de nouvelles inftances, fondées
furies difpoffrions alors dévoilées des Espagnols,
8c fur la fervitude dont elles menaçoient
l ’ Italie. Toutes ces tentatives ne produifirent rien
fur l’ efprit du Pape. C e Pape, difoit l’ambaffadeur
de France à Rome (le comte de Brèves), ce Pape
tft Prince de repos, b qui ne croit pas que le feu foit
chaud quS.1 ne le fente.
Cependant l’Efpagne ne ceffoit d’ armer tant à
Milan que dans fes autres Etats : en même tems
elle preffoit le duc de Mantoue d’aller à Milan,
& de fe remettre entre les mains du gouverneur ;
ce qu’il refufa ; mais pour ne point mécontenter
l ’Efpagne, que tous ces Princes d’ Italiecroyoient
avoir intérêt de ménager plus encore que la
France, parce qu’ils en étoient ferrés de plus près
du côté du M ilanez, il avoit promis de s’aboucher
avec le gouverneur en un lieu non fufpeèt.
Le double mariage de Louis XIII avec Anne
d’Autriche, & d’Elifabeth, foeur de Louis XIII,
avec le Prince d'Efpagne, qui fut depuis le roi
Philippe I V , laiffoit fubfifter à travers l’ apparence
d’une affez grande liaifon , toute l’ancienne rivalité.
L’ Italie en étoit le principal objet. Les Princes
de cette contrée ménageoient davantage l’Efpagne,
parce qu' ils la craignoient davantage : il
s’agiffoit pour la France, de fe rendre auffi ou plus
redoutable qu’elle dans ce pays ; c’étoit à quoi
François I &Fïenr i II avoient inutilement travaillé
du tems de Charles-Qaint & de Philippe II ;
c ’étoit à quoi la France n’avoit pas même pu fon-
ger fous les règnes fuivans au milieu de fes discordes
civiles 5 mais c’étoit ce qui devenoit plus
facile du tems de Philippe I I I , & c’étoit ce qui
devoit arriver fous Philippe IV , pendant le minif-
tère du cardinal dé Richelieu en France.
Le Pape diffimuloit encore avec les Vénitiens :
il leur laiffoit efpérer qu’ il joindroit fes forces aux
leurs, 8c à celles des autres puiffances de l’Italie
en faveur du duc de Mantoue, auflitôt qu’ il ver-
roit l ’Efpagne manquer aux promeffes qu’elle lui
avoit faites de maintenir bu de rétablir la paix de
l’Italie ; cependant, il empêchok ces autres puiffa
ne es dJ agir, & , confervant toujours du reffen-
timent de la conduite ferme que les Vénitiens
avoient oppofée à fes prétentions ambitieufes dans
l ’affaire de l’interdit de Venife , il n’ etoi-t pas fâ ché
de voir les Vénitiens s’embarquer feuls dans
une affaire qui alloit les mettre en butte a toutes
les forces de l’Efpagne ; il les avertiffoit feulement
, comme par intérêt & par amitié, de ne pas
compter fur la France, qui avoit, difoit-il, toute
autre chofe à faire que de fecourir le duc de Mantoue
; il tenoit le même langage au grand-duc de
Tofcane & aux autres puiffances d’ Italie.
Bien plus, les Vénitiens & le duc de Mantoue
ayant demandé' au Pape la permiffion de faire au
moins quelques levées de gens de guerre fur l’Etat
de l ’E glife, le Pape la refufa formellement.
Le duc de Nevers écrivoit de C afal, q u e , fi la
France ne fe hâtoit de venir au fecours du duc de
Mantoue, ce Prince étoit perdu, 8c que tout ce
qu’il pouvoit efpérer de plus heureux, fi 1 Efpa-
gnene s’accordoit pas avec le duc de Savoie pour
partager les Etats de Mantoue, & s’il pouvoit conferver
le Montferrat, c’étoit de le conferver à condition
de recevoir garnifon efpagnole dans Cafhl.
Ces remontrances produifirent leur effet : la cour
de France annonça que les Français marchoient au
fecours du duc de Mantoue, 8c alloient fondre fur
les Etats du duc de Savoie.
! Quelle que fût à cet égard l’ opinion du Pape*
il perfiftoit à dire que la France , malgré toutes
fes proteftations de vouloir fecourir efficacement
le duc de Mantoue, n’ en feroit rien & n’en vouloit
rien faire, étant trop occupée chez elle par
les cabales & les fa&ions qui commençoient à
troubler la minorité de Louis XIII & la regence
de Marie de Médicis, & q u i étoient pour la France
d’ une toute autre importance que la guerre du
Montferrat. Le Pape affe&oit de croire que toutes
ces menaces, de paffer -en Italie. & d’attaquer les
Etats du duc de Savoie, n’ avoient pour objétque
de l’engager, lui Pape, à fe déclarer pour le duc
de Mantoue, Sc qu’ après avoir rendu ce fervice
à ce Prince, la France ne prendroit point d’autre
part à la guerre qu’ elle auroit allumée en Italie.
Ces conjectures furent démenties par la conduite
dé laFrance^ qui fit un armement confidérable. La
connoiffance qù’ on eut de cet armement eut beaucoup
d’influence fur les affaires de Mantoue, 8c accéléra
la pacification : les Efpagnols voulurent 8e
parurent en avoir le principal honneur ; ils obligèrent
le duc de Savoie à reftituer toutes les places
qu’ il avoit prifes dans le Montferrat, & ils Içs
remirent au duc de Mantoue ; mais fous pretextç
de prévenir de nouvelles irruptions de la part du
duc de Savoie, ils eurent grand foin de mettre des
garnifons efpagnoles dans toutes ces places. ^
L’ affaire nu défarmement du duc de Savoie &
du gouverneur de Milan n entraîna pas moins de
négociations que la guerre qui avoit précédé : on
vouloit toujours contraindre -le duc de Mantoue-
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