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Obfervations fur la langue, que l'abbé d’Olivet a
fait imprimer en 17 5 4 , long-tems après la mort
de l’abbé de Choify, fous le titre de Journal de
Vabbé de Choify. « C ’ eft peut-être, dit M. d’Alem-
*> b e r t, le feul ouvrage de grammaire, dont on
» puiflfe dire qu’il inftruit & qu’il amufe tout à la
» fois. ». I
Parmi les ouvrages profanes, mais utiles , de
l’abbé de Choify , on ne fauroit oublier fon hif-
toire de nos quatre premiers Rois Valois ; ce fut
à l’ occafion du dernier de ces Rois , l’infortuné
Charles V I , que M. le duc de Bourgogne lui de-^
manda comment il s’y prendroit pour dire ou pour
faire entendre que Charles VI étoit fou ; car on
croyoit alors qu’une fi trifte vérité ne pouvoit être
présentée qu’ avec de grandes précautions. On fait
la réponfe de l’abbé de Choify : Monfeigneur 3 je
dirai qu'il étoit fou. ( Voye^ l’article Mé^eray. ) Des
philofophes peu verfés dans l’Hiftoire, & qui ne
lavent pas combien les idées varient d’ unfiècle à
l’autre, ont reproché à M. le duc de Bourgogne
cette queftion, comme s’ il eût parlé par un intérêt
de Prince & par un delir fecret de voir fuppri-
mer, même après la mort des Rois , les vérités
affligeantes qui tes concernent, ou du moins par
le préjugé defpotique que le refpeft dû à la mémoire
des Rois doit impofer filenge fur de telles
vérités. Rien de coût cela. Le Prince parloit d’après
les idées du tems. Tout le monde trouvoit
alors de la hardieffe, & une hardieffe dangereufe,
à énoncer des vérités défobligeantes pour les Rois,
après leur mort comme pendant leur vie.
Quand M. de Montaufîer apprit la réponfe de
l ’abbé de Choify au duc de Bourgogne, il rendit
à l’abbé une partie de fon eftime ; il s’écria comme
Molière : Ou la v é-ité, ou la noble liberté va-t-elle
f e nicher? On dit même qu’ il ajouta : Je fu is fâché
de ne pouvoir demander a cet hermaphrodite fon amitié.
Cette admiration de Montaufîer pour un mot fî
Ample, & 1e plaifir que prenoit l’abbé de Choify
à fé vanter de l’ avoir d it, ne prouvent-ils pas que
tout 1e monde trouvoit alors un grand & noble
courage a ofer dire qu’ un roi de France étoit fou,
à promettre même a’ofer 1e dire ?
N’ avons-nous pas v u , jufqu’en 1771 (remarquez
cette époque), un arrêt du confeil profcrire
un ouvrage couronné par l’Académie françaife ,
& motiver cette profcription fur la licence que
l’auteur avoit prife de ne pas approuver la révocation
de l’édit de Nantes & les.dragonades ? Il
eft vrai que cet arrêt du confeil étoit l’ouvrage
d’un ignorant’, qui, ayant été autrefois élevé dans
ces principes , croyoit que rien n’avoit changé
depuis, & qui n’avoit pas eu les yeux ouverts
pour voir quelle révolution l’ opinion avoit faite
fur ce point dans les idées. C et ignorant eft pourtant
célébré comme un très-grand miniftre en vingt
endroits des Lettres de M. de Voltaire. i
Vi'di puduitque videre.
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Quant à la queflion du duc de Bourgogne, bien
loin d’y trouver un efprit defpotique, j’y verrois
plutôt te defîr honnête & eflimable de voir la
vérité hiftorique rentrer dans tous fes droits, &
. la crainte des obftacles que le préjugé pouvoit
mettre à une fage liberté.
Les ..Mémoires pour fervir à l’Hiftoire de
Louis X IV font, malgré le mal que nous en avons
d it, à quelques égards, te plus agréable & le plus
piquant des ouvrages de l’abbé de Choify 3 ils
n’ ont paru qu’après fa mort. Beaucoup de gens
les favent prefque par coeur.
- C ’étoit furtout à écrire des hiftoires & des anecdotes
de-fon tems que M. l’abbé de Choify étoit
propre; il y mettoit de la vivacité, de l’éclat, un
mélange piquant d efprit & de naïveté. Il n’étoit
peut-être pas allez inftruit ni affez laborieux pour
écrire les hiftoires qu’ on ne peut apprendre que
dans les livres & dans les monumens : on n’ a pas
cependant de traits formels d’ ignorance à lui rer
procher 3 mais en général on trouve fes ouvrages
un peu fuperficiels : on fent qu’il s’eft épargné le
travail des recherches, travail ingrat qui expofe
au reproche de pédantifme quand il. eft apperçu ;
tandis qu’ en fe l’ épargnant, on en eft quitte pour
un reproche de frivolité, & q u’on eft lu. C ’eft ce
qui arrivoit à l’ abbé de Choify : on le lifoit beaucoup,
on le lit & on le lira. Non-feulement il
n’eft pas pédant, mais il en eft tout l ’oppofé ; il
n’étoit pas même favant ; c’eft encore de lui qu’on
l ’apprend, & on apprend en même tems comment
il favoit vivre parmi des favans avec cette confidence
de fon ignorance. « Tai, dit-il, une place
» d’écoutant dans leurs affemblées, & je me fers
33 fouvent de votre méthode ; une grande mo-
33 deftie, point de démangeaifon de parler. Quand
33 te balle me vient bien naturellement, & que je
33 me fens inftruit à fond de la chofe dont il s’ agit,
33 alors je me laiffe forcer, & je parte à demi-bas,
33 modefte dans le ton de la v oix , auffl bien que
» dans les paroles. Cela fait un effet admirable ;
33 & fouvent quand je ne dis mot, on croit que je
33 ne veux pas parler, au lieu que la bonne raifon
*> de mpn filence eft une ignorance profonde,
39 qu’ il eft bon de cacher aux yeux des autres. fj
Si nous croyons l’abbé de Choify fur l’aveu qu’il
fait de ce qui lui manquoit, nous devons le croire
aufli fur les bonnes qualités qu’il s’ attribue : tout
ce qu’il dit de lui peint un bon coeur & des moeurs
douces. Grâces à Dieu, dit-il dans fes Mémoires,
je n'ai point et ennemis j & f i je Javois quelqu'un qui
me voulût du mal, j'irais tout a l heure lui faire tant
d’honnêtetés , tant d'amitiés , quil deviendrait mon
ami en dépit de lui.
Le P. Tachard, pendant l’ambaffade de Siam
lui avoit joué beaucoup de tours de jéfuite, dont
il n’ avoit connu qu’une partie à Siam, & dont il ne
fut pleinement inftruit qu’à fon retour en France.
Mais, dit-il, quand je me vis dans mon bon pays , je
fus f i aife , que je ne voulus de mal a perfonne. Ce
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fentiment a quelque chofe d’aimable ; mais il faut
avouer que, dans le bon pays dont il parte, on
trouve tant de diftraéUons, qu’ un homme d’un
caraàèré frivole Sc facile, tel qu’étoit l ’abbé de
Choify, ne devoit pas y conferver affez d’énergie
pour aimer ni pour haïr bien fortement 3 tandis
u on s’occuperoit à fe venger du paffé , on per-
roit le tems de jouir du préfent & de préparer
l ’avenir.
Le repentir que l’ abbé de Choify avoit de fes
fautes, n’étoit fouvent que le regret de ne pouvoir
plus les commettre. Il paffoit un jour avec un
ami, près d’ une terre confidéiable que le dérangement
de fa conduite l'avoit obligé de vendre.
Les fouvenirs chers & "douloureux que cette vue
lui rappeloit, lui arrachèrent de profonds foupirs :
fon ami, entrant dans fa peine, loua cette douleur
commé un garant far d’un repentir fincère & vertueux.
Ah ! s’écria l’abbé de Choify, comme, f i je
l'a v o i s je la mange rois encore ! . -
« Avec des qualités aimables pour la fo ç ié té , .
» dit M. d’Alembert, il lui manqua la plus effem-
93 tielle pour lui-même, 1a feule qui donne du
53 prix à toutes les autres, 1a dignité de fon état,
33 fans laquelle les agrémens n’ ont qu’un éclat fri-
33 v o le , & ne font guère qu’un défaut de plus.....
33 II joignit à l’amour de l’étude trop de goût pour,
33 les bagatelles ; à l’efpèce de courage qui mène
93 au bout du monde, les petitefîés de la coquet-
33 terie, & Fut dans tous les momens entraîné par
33 le plaifir & tourmenté par tes remords. Il
mourut le 1 oéiobre 172,4, à quatre-vingts ans révolus
, étant né le 16 août 1644. Peu de tems avant
fa mort il avoit rempli les fonctions de direéteur
1. la réception de l’abbé d’Olivet fon ancien ami,
& le difeours plein de fenfibilité, dit M. d’Alembert,
qu’ il prononça en cette occafion, fut comparé
par des confrères au chant du cygne. Il étoit
doyen de l’Académie françaife ; il eut pour fuc-
ceueur, dans le décanat, M. de Fontenelle.
CHRYSOSTOME ( S a in t Jean ) , ( Hift.
eccléfi )_, ou bouche d’o r , àinfi furnommé à caufe
de fon éloquence, naquit à Antioche en 344,
d’une des principales familles de la ville. Après
s’être exercé quelque tems au barreau, le goût de
la retraite vint 1e faifir 5 il y paffa plufieurs années,
d’abord fur tes montagnes voifines d’Antioche ,
puis dans une grotte plus inacceifible aux hommes,
où la méditation , la prière & l’étude de l’Ecriture
Sainte l’occupèrent tout entier. La folitude
a plus de douceurs peut-être que le commerce
toujours orageux du monde 5 maisles befoins éga-
lement impérieux ,& de l’ame, & du corps, rappellent
toujours vers le monde. Saint Jean Chryfof-
tômey rentra. Mélèce, évêque d’Antioche, 1 ordonna
diacre, & Flavien, fucceffeur de.Mélèce,
ce Flavien dont faint Chryfoftôme nous a c.on-
fervé l’éloquent difeours à l’empereur Théodofe,
en faveur de fon peuple d’Antioche, éleva Chry-
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foftôme au facerdoce en 382. L é même faint Jean
Chryfoftôme fut placé fur 1e fiége de Conftanti-
nople en 398. Son épifeopat ne fut qu’ un combat
éternel contre les abus qui défiguroient fon églife,
'contré l’orgueil des grands & les intrigues des
favoris , contre tous les vices du fiè c le , contre
toutes les feétes hérétiques de fon tems, nommément
contre les . Ariens & contre tes partifans
d’Origène. Son zèle s’étendit au-delà des bornes
de fon diocèfe,. au-delà même de celtes de l’Eglife;
il envoya des millionnaires travailler à la conver-
fion des Scythes. C e zèle pour la propagation de
la foi dans les contrées où elle eft encore inconnue,
peut n’ avoir pas de fuccès 3 mais, il n’ excite guère
d’orages : le zèle apoftolique contre le vice puif-
fant fait naître des haines dangereufes & funeftes.
Ni le rang de l ’impératrice Eudoxie , ni la faveur
d’Eutrope,n’empêchèrent Chryfoftôme de s’élever
avec force contre leurs injuftices. Son éloquence
& fes vertus ne l’empêchèrent pas de fuccomber.
Les fuccès même de fon éloquence lui furent
funeftes : fon fermon fur le luxe des femmes , fa-
tire indirecte contre Eudoxie, n’eut que trop de
fuccès , & ne fut que trop applaudi. Eudoxie.ne
1e lui pardonna jamais, & ne longea qu’ à préparer
fa vengeance. Elle gagna un certain nombre d’ évêques,
& parvint à faire condamner faint Jean
Chryfoftôme, en 403, dans une aflemblée que les
écrivains catholiques ne traitent que de conciliabule
: on chaifa ce faint prélat de fon fiége 3 mais
bientôt la fuperftition, au lieu d e là juftice, s’em-
prefîa de le rappeler. Un tremblement de terre qui
agita toute la ville, & qui ébranla furtout le palais
impérial la nuit même d’après le départ du faint,
effraya tellement l’Impératrice, qu’ elle crut ne
pouvoir échapper au danger que par 1e prompt
rappel de Chryfoftôme. Si la fuperftition favoit être '
conféquente, Eudoxie eût évité avec foin toutes
les occafions d’irriter contr’elle cethommè redoutable,
qui lui paroiftbit difpofer des élémens 3 mais
comme ces deux_perfonnages, toujours ennemis
dans le fond du coeur, n’avoient l ’un pour l’ autre
qu’un refpeét fo rc é , de nouvelles ruptures ne tardèrent
pas à éclater. L ’inauguration.d une ftatue
de l’ Impératrice, élevée dans Ja place près de
f églife de Sainte-Sophie, parut accompagnée de
beaucoup de cérémonies payennes; des Payens &
des Manichéens préfidoient à l’ ordonnance de
cette fête ; les acclamations du peuple, des danfes
& d’autres plaifirs mondains & profanes trou-
bloient le fervice divin dans Féglife de Saints-
Sophie: Saint Chryfoftôme fignala encore fon zèle
& fon éloquence contre ces fêtes indécentes ,
contre ceux qui tes çélébroient, contre ceux qui
les ordonnaient ou qui les permettaient 3 en un
mot, contre l’Impératrice. Cette Princeflè oubliant
le tremblement de terre qui avoit fuivi le premier
exil du faint, ou guérie de fes craintes iuperfti-
tieufesparle dépit & la co lè re , forma de nouvelles
intrigues avec des évêques ennemis ou