
BRANDEBOURG- P RUSSE.
T
J- l n’y a rien dans le Di&ionnaire, fur aucun de
ces deux articles. Cette omifljona été réparée en
partie dans ce Supplément 3 partie fécondé , intitulée
Chronologie, pages 63 8 80635). Mais le grand
Roi de Pruffe, Charles-Frédéric, le héros le plus
brillant du dix-huitième fiècle (troifième Roi de
PrufTe ) , n’ y eft pas même nommé : c ’eft cette
omillion, plus inexcufable encore que la première,
que nous allons réparer /en confacrant à ce grand
Prince un article-pärticiilier hors de rang.
Le premier Électeur de Brandebourg, pour qui
la Prufie fut érigée en royaume, 8c qui fut couronné
8c facré à Königsberg le 18 janvier 1701,
étoit l’ aïeul de Charles-Frédériç. On le nommoit
Frédéric III, 8c communément le Grand-Eletteur.
Il avoit rendu de grands fervices à l’ empereur
Léopold 8c à l'Empire, tant en Hongrie contre les
Turcs, que fur le Rhin, où il prit, en 1689, Kei-
ferfwert 8c Bonn. Il mourut le 2j février 1713. 11 eut pour fucceffeur Frédéric-Guillaume fon
fils, que M. de Voltaire appelle le gros Roi dePrujfe ,
îte qu’il* peint comme un véritable vandale, uniquement
occupé â amaffer de l’argent, & à entretenir
à moins de frais qu^il fe pouvoit le~splus belles
troupes dé l’Europe. C ’étoit le Roi le plus riche
en argent comptant ; mais il n’étoit riche qu’aux
dépens de fés fujets, qu’il réduifoit tous à la pauvreté..
La Turquie eft une république en compa-
raifon du defpotifme exercé par FrédéricrGuil-
laume. Tel etoit le 'p ère de Charles-Frédéric,
Jamais père 8c fils ne furent fi différens l’un de
l ’autre : ce n’étoit pas cependant par le defpotifme
qu’ils différoient le plus.
«Mais on peut juger, dit M. de Vo ltaire, fi
» ce vandale étoit étonné 8c fâché d’avoir un fils
j plein d’efprit, de grâces, depoliteffe & d’ envie
« de plaire, qui cherchoit à s’inftruire, 8: qui fai-
» foit de la mufîque 8c des vers. Voyoit-il un livre
» dans les mains du Prince héréditaire? il le j etoit
» au feu. Le Prince jouoit-il de la flûte.? le père
» eaffoit la flûte, 8c quelquefois traitoit fon alteffe
« royale comme les femmes qu’il rencontroit cau-
« fant dans les rues, ou les prédicansqu’il voyoit
« à la parade, »-c’eft-à-dire, qu’il lui donnoit des
fouffiets ou des coups de pied dans le ventre ,
ou des coups de canne 5 car c’eft ainfi qu’il ac-
cueilloit les femmes 8c les miniftres du faint
évangile.
Dégoûté de l’empire d’un tel Roi & d’un tel
père, & jaloux de s’inftruire par les voyages, à
l’exemple du czar Pierre I , le Prince-Royal, en
1730, voulut aller vifiter la France: ou l'Angleterre,
& peut-être ces deux Etats, fuivant ce que
les circonftances lui laifferoient de tems Se de
liberté. îl lia fa partie avec deux jeunes gentilshommes
qui dévoient l’accompagner. Pour ce
grand crime, il fut arrêté 8c mis à la citadelle de
Cuftrin. Son père, qui, de tous les exemples que'
le czar Pierre avoit offerts à l’imitation, n’étoit
capable d’imiter que fa barbarie dénaturée envers
fon fils, vouloit abfolument faire périr le
Prince-Royal : ce fut avec peine qu’ il accorda la
vie 8e la liberté du Prince aux Pollicitations de
;l’empereur Charles V I & aux larmes de- la Reine
de Pruffe. Dans lès premiers tranfports de fa co-
; 1ère, foupçonnant la princefle Guillemine, qui fut
: depuis la margrave de Bareith, d’avoir été ce qu'il •
appelpit complice du projet de fon frère, il la
pouffa à grands coups de pied vers une fenêtre
qui s’ouvroit jufqu’au plancher, & par laquelle
elle alloit tomber fi fa mère ne l’eût retenue par
| lès habits 5 elle en eut une contufion dont la marque
lui refta toute fa vie.
Le Prince, toujours prifonnier, voit entrer dans
fon efpèce de cachot à Cuftrin, un vieil officier
fondant en larmes., fuivi de quatre grenadiers j il
cruf qtfon .lui apportoit fon.arrêt de mort : on ne
vouloit que le rendre témoin forcément du fup-
plice d’un des compagnons de voyage qu’il avoit
choifis , &r dont l’échafaud étoit dreffé immé-'
diatement fous fa fenêtre. Les quatre foldats le
conduifirént à cette fenêtre, 8c lui tinrent la tête’
pendant qu’on coupoit celle de fon ami, afin qu’il
ne_ perdît rien de cet affreux fpeétacle. Le Prince.
s’évanouit, 8e le père s’en applaudit. L’autre ami'
■ avoit eu le bonheur de s’échapper , 8e on ne l ’a-
; voit manqué que d’une minute.
Le Prince,' devenu libre au bout de dix-huit
mois , fe confola en cultivant les Mufes Sc en en-,
tretenant des correfpondances avec M. de V o ltaire,
qui fut toujours pour lui avec raifon le héros
de la littérature, le maître 8c le modèle qu’il tâcha
d imiter, avec M. Rollin, pour lequel il eut uoe
; eftime plus froide , mais une eftime marquée Sc
meritee, 8ec. Les Pièce?fugitives de M. de Vol-
; P|jM font pleines .de fes louanges, foit lorfqü’il
n’etoit que Prince-Royal, foit lorfqu’ il fut monté
fur le trône. Prince-Royal, il ne pouvoit que cultiver
les Lettres en fecret, 8c promettre aux arts
une utile protection 8c de puiffans encouragemens
quand il leroit le maître. M. de Voltaire lui écri-
voit : ce II n’y a perfonne fur la terre qui ne. doive
33 des aCtions de grâces aux foins que vous prenez
33 de cultiver par la faine philofopbie, une âme
33 née pour commander. Croyez qu’il n’y a eu de
« véritablement bons Rois que ceux qui ont corn-
* mencé , comme vou s , par s’inftruire , par ccn-
33 noître les hommes , par aimer le vrai, par dé-
»» tefter la perfécution 8c la fuperftition. «
Charles-Frédériç étoit né le 24 janvier 1712.
Sa difgracé, comme nous l’avons dit-, eft de 1730,
au-commencement de l’année : fa grâce lui fut accordée
le 19 novembre de la même années mais,
fa grâce feulement, 8c non encore fa liberté ; 8c
fon père vouloit toujours l’exclure du trône en
faveur d’ un des trois frères puînés de Frédéric. Ce
Prince reparut pour la première fois , 8c inopinément
, a la cour, le 12 novembre 1731^ aux noces
de la margrave de Bareith fa foeur. Son père l’avoit
lait venir de Cuftrin fans en rien dire a perfonne.
Le 28 du même mois, à la prière de tous les chefs
8c principaux officièrs de l’armée, il le réintégra
dans fes grades militaires, 8c le rétablit dans tous
fes droits, à la grande fatisfaêtion de tout l’État ;
il lui donna même un régiment, 8c le fit général-
major de fes troupes.
L e Prince fut fiancé à Berlin le 10 mars 1732,
avecla princefle Élifabeth-Chriftine de Brunfwick,
8c il l’époufa au château de.Saltzdalh le 12 juin
1733. Avant fon mariage il avoit cru avoir une
maîtreffe 8c en être amoureux. 11 n’appartient qu’à
M. de Voltaire d’ajouter : Mais il fe trompait : fa
'vocation n étoit pas pour le fexre 3 ce qui eft vrai , c’eft
qu’iln ’ a point eu d’enfans.
Il monta fur le trône le 31 mai 1740. 11 ne manqua
pas de faire part à M. de Voltaire de fon avènement
à la couronne, 8c de lui témoigner autant
8c plus d’amitié qu’auparavant. M . de Voltaire lui
répond :
Quoi 1 vous êtes monarque & vous m’aimez encore 1....
O coeur toujours fenfible 1 âme toujours égale ,
Vos mains du trône à moi rempli fient l’intervalle.....
Ah 1. régnez à jamais comme vous écrivez;..,.;
Tirns perdit un jour & vous n’en perdrez pas.
Les premiers aétes du gouvernement du nouveau
Roi eurent pour objet le bien public I l’avantage de
fes fujets, l’amélioration de fes États. \JAnd-Machiavel
, qui parut en 1 7 4 1 , ouvrage dont le Roi
de Prufl'e eft reconnu pour l ’auteur , 8c M. de
Voltaire au moins pour l’ éditeur, promettait à
l’Europe une politique pleine de juftice 8c d’humanité.,
8c dont la bonne foi feroit la bafe. Mais on
a v o it, contre Charles-Frédéric , un préjugé général
que fon père avoit eu plus què perfonne, 8c
auquel ce père avoit lui - même donné lieu. Frédéric
Guillaume , charmé de fes belles troupes ,
dont il faifoit tous les jours la revue, 8c jaloux de
les conferver , ne les expofoit point aux hafards
des fiéges 8c des batailles. Parmi fes nombreux défauts
il avoit la.bonne qualité de ne pas aimer 8c
de ne pas faire la guerre : ainfi le Prince, n’ avoit
point eu d’occafion- de faire preuve de talens militaires
, 8c l ’on ne pouvoit fe perfuader qu’un Roi
Hijloire. Tome VI. Supplément.
bél-efprit fût jamais un Roi guerrier , un héros.
Cependant la mort de l’empereur Charles V I ,
arrivée en 1740, avoit fait naître la guerre géné-‘
raie de 1741 , dans laquelle toutes les puiflances
de 1 Europe avoient pris p arti, les grandes pour
s’agrandir encore, les petites par foibleffe & par
contrainte. Le Roi de Pruffe, qui trouvoit laSilefîe
à fa bienféance , defiroit de l ’ajouter à fes États :
c’étoit à qui dëpôuilleroit la Reine de Hongrie ,
femme d’ un grand courage 8c d’un efprit fécond
en refîburee, mère de la dernière Reine de France,
que des brigands ont fi indignement 8; fi lâchement
maflacrée. Le prétexte de la guerre de 1741 étoit
d’abaifler enfin cette énorme puiffance autrichienne
qui avoit autrefois alarmé l’Europe, mais qui depuis
long: tems ne l’ alarmoit plus. Au refte, ces
puiflances, ennemies les unes des autres, avoient
toutes , félon l’ufage, complètement raifon dans
leurs manifeftes refpe&ifs : tout dépend de la manière
d’envifager & de faire envifager fon objet.
C ’eft ce que le Roi de Pruffe fait parfaitement
fentir dans une lettre à M. de Voltaire, du 3 ; mars
1742- Cc Si je vous difois que des peuples de diffé-
33 rentes contrées d’Allemagne font fortis du fond
33 de leurs habitations.pour fe couper la gorge avec
33 d’ autres peuples dontilsignoroient jufqu’ au nom
33 même, & qu’ils ont été chercher jufque dans un
? pays fort éloigné, pourquoi? parce que leur
33 maître a fait un contrat avec un autre Prince,
33 & qu’ils vouloient, joints enfemble, en égorger
« un troifième , vous me diriez que ces gens font
33 fous, fots 8c furieux de fe prêter, au caprice Sc'.'
33 à la barbarie de leur maître.
« Si- je vous difois que nous nous préparons
33 avec g;rand foin à détruire quelques murailles éle-
vées à grands frais, que- nous Faifons la moiifon
33 où nous n’avons point femé , 8c les maîtres où
33 perfonne n’eft aflez fort pour nous réfîfter, vous
33 vous écrieriez : Ah barbares ! ah brigands ! in-
33 humains que vous êtes : les injuftes n’hériteront
33 point du royaume des cieux : félon S. Mathieu,
33 c h a p . 12 , v . 3 4 ...! .
î : f Je me contenterai de vous informer qu’ un
33 homme dont vous aurez entendu parler fous
33 le nom de Roi de Pruffe , apprenant que les
33 Etats-de fon allié l ’Empereur ( Charles VII ,
33 Electeur de Bavière.) étoient ruinés par la
33 Reine de Hongrie, eft volé à fon fecours j qu’ il
33 a joint-fes troupes à celles du Roi de Pologne,
33 pour opérèr une diverfîon en Baffe - Autriche ,
» 8c qu’ il a fi bien réufli, qu’ il s’attend dans peu à
33 combattre les principales forces de la Reine de
33 Hongrie pour le fervice de fon allié. Voilà de'
33 la générofité, direz-vous ; voilà de 1 héroïfme.
33 Cependant Je premier tableau 8c celui-ci font
» les mêmes; c’ eft la même femme qu’on repré-
33 fente, premièrement etreornettes de nuit lorf-
» qu’elle fe .dépouille de fes charmes , 8c enfuite
«: avec fon'fard, fes dents Sc fes pompons. 33
.Ainfi ce généreux.empreffement de courir au
D d d d d