
qu’il ne pouvoir rien réfoudre fans avoir confulté
l ’Empereur. Il le confulta en effet, c ’eft-à-dire
qu’il lui demanda d’être difpenfé de livrer au Pape
fa dernière forterellè. L’Empereur, q ui, fous le
titre de défenfeur, s’étoit rendu fon tuteur & fon
maître, lui confeilla, c’e ft-à -d ir e , lui ordonna
d’ouvrir fes portes au Pape. L’Empereur lui-même
s’avança j ufqu’à Villefranche. Ce voilînage enimpo-
faauduc de Savoie, qui parut confentir à tout ; mais
la ville fe remplit infenfiblement de bruits fourds &
d’alarmes injurieufes à l'Empereur : on difoit qu’ a-
bufant de l ’état malheureux où le duc de Savoie
s’étoit réduit par attachement pour lui,' il vouloir
encore le priver de fa dernière place ; qu’il vouloit
s’emparer du prince de Piémont fon fils, pour tenir
le Duc dans une dépendance éternelle, & le
réduire à la condition d’ un de fes courtifans ; que
le Pape étoit du complot, & c . La garnifon du
château n’en voulut point fortir : la ville allégua
des privilèges, & prétendit qu’elle ne devoit recevoir
d’autres troupes que celles du Duc 5 elle
ferma fes portes au moment où le Pape étoit en
marche pour y entrer : il ne voulut pas retourner
a Monaco, & fe logea près de Nice, dans un
couvent de faint François. L’Empereur fut indigné
de la conduite du duc de Savoie ; il menaça, il
tonna : la France crut I’ occafion favorable pour
détacher le Duc des intérêts de l ’Empereur. On
commença par approuver & augmenter les alarmes
du Duc fur Nice ; on lui confeilla de ne s’en
point deffaifir. 11 étoit veuf depuis le 8 janvier
I ) 58 : on lui propofa de fe remarier en France,
& d’y marier le prince de Piémont; on lui promit
à ce prix la reftitution de fes Etats ; mais le duc
de Savoie craignoit plus les menaces de l’Empereur,
qu’il n’efpéroit dans les promeffes de la France.
II répondit qu’ il pleuroit trop amèrement la perte
récente de la duchefTe de Savoie, pour fonger à
la remplacer ; que le prince de Piémont étoit trop
jeune pour fe marier : mais ces négociations étant
venues à la connoiflance de l’Empereur, produis
e n t l’effet d’appaifer fa colère contre le duc de
Savoie ; car on n’accable que les malheureux qu’on
croit fans reffource.
Le duc de Savoie, dans toute cette affaire, eut la
politique timide des foibles 5 il mécontenta l’Empereur
, il irrita le Pape, il ne fatisfit point le Roi.
Peut-être entendoit-il mal fes intérêts en refufant
fa place pour l’entrevue. On vouloit apparemment
les confulter, puifque c’ étoit chez lui-même qu’on
demandoit à traiter de la paix. D’un autre c ô té ,
on ne conçoit pas bien pourquoi le Pape & l'Empereur
avoient tant à coeur le choix du château de
Nice ; que leur en coutoit-il d’ avoir égard, fur ce
point, aux alarmes peut-être injuftes , mais pourtant
naturelles, d’un Prince malheureux & opprimé.
Au refte, il dut s’attendre, après fon refus,
que les arbitres de fon fort feroient bien froids
fur fes intérêts. Ne devoit-il pas craindre même
que ces grands Souverains, entre lefquels il fe
trouvoit prefie, & qui tous étoient mécontens de
lu i, ne s’accordaffent à partager fes dépouilles?
Le deux rivaux , loges autour de N ic e , l ’un à
Villeneuve, l’autre à Villefranche, ne fe virent
point : le Pape alloit continuellement de l’un à
I autre , écoutant leurs plaintes, exeufant leurs
torts , fixant leurs droits, propofant des expé^
diens , rapprochant les èfprits. Le réfultat des
conférences fut que la paix ne put fe faire ;
mais on conclut une trêve de dix ans, avec le
rétabliffement du commerce entre les fujets des
deux Monarques, de forte que cette trêve valut
une paix , & qu’ il n’y eut de facrifié que le duc
de Savoie. Il le fut pleinement. La trêve le laiffoit
dépouillé de fes Etats pour dix ans encore, &
on eut la barbarie, à fon égard, d’exprimer dans
.le traité, qu’il n’y feroit compris qu’en ratifiant la
trêve dans un mois, c’ elbà-dire, qu’en confentant
par écrit d’ être dépouillé pour dix ans , de peur
de l’être pour toujours. Si la ratification n’ arri-
voit pas dans le mois, l’Empereur retireroit fa
protection. Il fallut faire cette indigne ratification :
le Duc l’envoya à l’Empereur, qui l’envoya au
Roi. Le Roi ne l’ayant pas trouvée conçue comme
il la vouloit, le Duc fut encore obligé de la réformer
, de la renvoyer plus ample & abfolument
illimitée. Cependant il voyoit Montéjean, Annexant
, Langei, fucceflîvement gouverneurs du
Piémont pour le R o i, relever, augmenter les
fortifications de toutes les places importantes, au
point d’en rendre quelques-unes inexpugnables ;
revêtir de murailles , entourer de fofles les boulevards
de T urin, conftruire des citadelles à Pi-
gnerol, à.Montcallier & ailleurs; prendre enfin
tous les moyens de perpétuer la pofTeftion du
Roi. L’Empereur en faifoit à peu près autant de
fon côté : fes garnifons rempüffoient toutes les
places que n’occupoient pas les Français. Ceux-
ci , non - contens de s’affermir dans les Etats du
duc de Savoie, s’y étendoient. Montéjean &
Langei acquirent pour le Roi ia ville de Caours,
moyennant dix mille écus qu’on étoit convenu de
donner à Cercévafque , qui en étoit feigneur. On
alla jufqu’ à propofer au Du c , dé 1a part du R o i,
d’abandonner encore fon comté de Nice ; il eft
vrai qu’on lui offroit en échange d'autres terres
en France, pour vingt mille écus de rente. Cette
propofition le révolta ; il jura qu’ il mourroit au
moins comte de Nice.
Dans fon défefpoir, il ne lui reftoit d’autre reffource
que de faire rompre la trêve & de rallumer
la guerre ; c ’eft ce qu’exprimoit la devife qu’il prit
vers ce tems-là , d’un bras nu armé d’une épée,
avec cette légende tirée de Juvénal :
Spoliatis arma fuperfunt.
Voilà ce qui refte à ceux à qui on a tout pris.
Il étoit a fiez malheureux, mais il n’étoit pas
affez guerrier pour mériter cette légende. Au
refte, il eut fatisfa&ion : la guerre fe^ ralluma
entre Charles - Quint & François I , à l’occafion
de l’affaffinat des ambaffadeurs français, Rincon &
Frégofe, commis par l'ordre de Charles-Quint ;
car il faut avouer que ce grand Empereur fut un
peu trop grand affaflin d’ambaffadeurs. En 1543 ,
iorfque la flotte turque de Soliman i l faifoit voile
pour fe joindre, fur les côtes de^la Provence, à la
flotte françaife commandée par le comte d’Anguien,
Grignan, gouverneur de Marfeille, crut
avoir pratiqué des intelligences fûres dans le château
de N ic e , cette unique place qui reftoit encore
au duc de Savoie : trois foldats piémontais
avoient promis à Grignan de lui livrer ce château.
Grignan avoit fait part de ce projet au comte
d’Anguien, qui en fit part au-Roi. Le Roi l’ approuva,
& chargea le comte de l’exécuter. Grignan
répondoit qu’il n’y avoit aucune furprife à craindre;
mais le comte d’Anguien à joignoit à fa bravoure
une prudence rare Page de vingt-deux ans qu'il
avoit alors. Quatre galères feulement s'approchèrent
de Nice, portant entr’ autres foldats, les trois
Piémontais qui avoient promis de livrer le château.
Le comte d’Anguien fuivit avec le refte de
de N ic e , pour être à portée , en cas de tra-
fa flotte, mais il s’arrêta en pleine mer à la hauteur
hifon, ou de fecourir fes quatre galères s'il étoit
affez fort, ou de fe retirer fans danger fi les forces
des ennemis étoient trop fupérieures 5 précaution
juftifiée par l’expérience de tant de fauffes trahi-
fons, qui n’étoient que des pièges tendus par les
eommandans des places qu’on-difoit vouloir livrer.
A peine les galères étoient-elles arrivées la nuit
au pied du château, qu’André Doria , qui étoit
en embufeade derrière le cap dit de Saint-Soupir,
vint fondre fur elles avec fix galères, fuivies à
l ’inftant de quinze autres commandées par Jean-
netin Doria fon neveu. C e fut inutilement que les
quatre galères françaifes, fe voyant furprifes, forcèrent
de rames pour gagner à le port d’Antibes; elles
furent prifes & conduites Villefranche. Le comte
d’Anguien, ayant v u , à la faveur de la lune, le
nombre des galères de Doria , s’écarta promptement,
& regagna fans perte le port de Toulon.
Lorfque la flotte ottomane eut rejoint celle de
France a Toulon & à Marfeille, le comte d’Anguien
& Barberouffe, pour fe venger de la prife
des galères françaifes, réfolurent d aller mettre le
fiége devant Nice. Le commandant, qu’ils fom-
mèrent de fe rendre, répondit : Je me nomme
Mon (fort ^ mes armes font des pals, & ma devife : I l
me faut tenir. Montfort ne tint point, du moins
dans la ville ; mais il prit fa revanche dans le château
: la nature & l’ art concouroient à conferver
au duc de Savoie cette dernière place ; la fituation
du château furie haut d’ un rocher efearpé le ren-
doitprefqüeinexpugnable; les approches en éto'ient
dangereufes; l’ufage des mines ne pouvoit avoir
lieu.D’ailleurs, le comte d’Anguien intercepta des
lettres qui lui apprirent que le duc de Savoie marchoit
avec le marquis du Guaft, au fecours de
fon unique poffeffion. Ces raifons déterminèrent
les deux généraux à lever le fiége. Barberouffe
ramena fa flotte à Toulon, le comte d’Anguien
la fienne à Marfeille. Le duc de Savoie triompha
de leur retraite ; il fit battre des monnoies d’ argent,
où d’ un côté on voyoit la croix de Savoie
entourée des attributs de la viétoire ; de l’autre ,
on lifoit cette inlcription : Nic&a a Turcis & GalliS
obfejfa. Nice affiégée par les Turcs & les Français. Il
ne^ doutoit pas que ce feul mot ne fuffît poux
rendre les Français odieux, tant cette union avec
les Turcs paroiffoit alors criminelle !
La paix de Crefpy , conclue le 18 feptembre
i f 4 4 , régla les principaux articles fur lefquels
Charles-Quint & François I étoient divifés, mais
ce fut avec des réferves & des alternatives qui
ouvroient la porte aux chicanes & à la rupture.
Le duc d’Orléans, fecondfils de François I , parmi
ceux qui reftoient, devoit époufer, ou la fille, ou
la nièce de l’Empereur. C e choix aurcit dû naturellement
être déféré au duc d’Orléans : c ’étoit
à l’Empereur qu’ il l’ étoit. Si c’ étoit la fille , elle
devoit avoir pour dot les Pays-Bas ; fi c’étoit la
nièce, elle auroit le Milanez. Le mariage ne devoit
fe faire que dans huit mois ; & comme l’in-
veftiture de l’un ou de l’autre de ces Etats devoit
être la dot de la ducheffe d’Orléans, quelle
qu’ elle fût, il reftoit huit mois pour fe déterminer
fur ce choix. On convint de fe rendre réciproquement
tout ce qu’on s’étoit pris depuis la trêve de
Nice ; & comme l’Empereur avoit plus perdu dans
cettê guerre que François I , on ne renvoya point
l’exécution de cet article à huit mois ; il fut ftipulé
qu’on l'exécuteroit fur le champ.
Quant aux Etats du duc de Savoie, comme
l’Empereur n’y avoit pas d’intérêt direêt, le Roi
ne fut; obligé de les reftituer qu’au moment où le
duc d Orléans feroit mis en poffeffion, foit du
Milanez, foit des Pays-Bas ; ainfi ce qui pouvoit
arriver de plus heureux au duc de Savoie étoit
de refter encore dépouillé de fes Etats pendant
huit mois au moins.
Le duc d’Orléans mourut le 9 feptembré 1 ^45,
fans avoir été mis en poffeffion d’ aucun des deux
Etats qui lui avoient été promis, & le duc de Savoie
, Charles I I I , mourut le 19 feptembre 1 y ƒ 3 ,
fans être rentré dans les fiens.
2.6°. Emmanuel-Philibert fon fils & fon fucceffeur,
furnommé Tête de Fer, le vengea par l’éclatante
victoire de Saint-Quentin, dite de Saint-Laurent,
parce q u’il la remporta le 10 août ( 1 y 57 ) . Le
connétable de Montmorenci, général de l'armée
françaife, toujours brave, quelquefois imprudent,
plus fouvent malheureux , y fut Fait prifonnieravec
un de fes fils : fes deux neveux , l’amiral de Co-
ligny & d’Andelot, furent auffi faits prifonniers
dans Saint-Quentin même, que le duc de Savoie
emporta d’affaut. Les ducs de Montpenfier & de
Longueville avoient été pris dans la bataille : le ‘