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ment j la foibleffe de fa faqté, qui ne l ’a lai (Té
parvenir à un allez grand âge qu’à force .de ménag
em en t ne lui permirent pas de pouffer plus loin
la carrière militaire : il fe vit forcé de quitter lé
fervice. Il s’en plaint lui-même noblement en vrai
patriote & en chevalier français , dans un de fes
éloquens difcours. Il fe tourna du côté des négociations
& des ambaffades-, où il acquit une autre
forte de gloire non moins defirable Sc plus utile à 1 humanité. Il fut envoyé en ambaffadeà Rome le
I er. janvier 1748. Il le fut dans la fuite en Angleterre
3 où il prépara la paix, dont les préliminaires
furent lignés en 1762. Perfonnen’a jamais eu dans
un plus haut degré les qualités propres à un, mini
ftre de paix. Un efprit fin & délié ^ comme fa
phyfîonomie & fa taille ; plein de fageffe & de
luftefle, fans fauffe fineffefans fauffe prudence,
la j>1lis engageante affabilité, la plus conciliante
aménité, un badinage dans l ’efpfit toujours obligeant
& toujours aimable 5 des grâces dans l’efprit
comme dans la figure, dans le maintien, dans Iqs ■
mouvemens, dans toute l’habitude du corps, avec j
moins d’ëclar peut-être que M. de Richelieu, mars
avec plus de cette gèntillefïe, s’il eft permis de
parler ainfi, qui caraCtérife plus particuliérement i
les grâces , & qui faifoit fentir que la grâce, plus
belle que la beauté, peut auffi convenir aux hommes,
même fans beauté.
Et n’eft-ce rien d’avoir tâté
Long-teins de la formalite
Dont, on affomme une ambaffade,
Sans en avoir rien rapporté
De la pefàn te grav i té
Dont cent mîniftres font parade ?
Si ces vers n’avoient pas été faits: pour M. de
Richelieu, ils auroientété faits pour M. de Nivernois.
Que ne nous eft-il rendu dans ce moment
pour difpofer de nouveau à la paix des efprits vio-
lens., qui la repoulïent Sc qui vont peut-être replonger
l’ Europe dans un abîme de maux dont ils
feront les premières viCtim.es! Il fut fait chevalier
des Ordres le 50 mai. 17 p . La voix publique, que
la- cour a eu Je malheur de ne pas allez entendre,
ou le tort de ne pas afféz écouter, n’a ceffé d’appeler
M. de Nivernois à une place qu’ il n’ a point -
occupée, celle de gouverneur des enfans de France}
St qui fait- combien de defaftres un choix fi
excellent Sc fi univerfellement indiqué auroit pu
prévenir? ' 1
Je n’ai parlé que de fes agrémens : c’eft fur fes
vertus que le voeu & l’efpoir public étoient fondes}
& moi, fi.j’ ofe le dire, mes regrets font fon-
dés principalement fur le talent qu’il avoit &. qu i!
auroit fi utilement exercé dans cette grande place,
de rendre la vertu aimable , de la faire germer
dans-Jes coeurs, Sc par-là de nous donner peutr
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être , avec d’autres difpofitions 8c d’autres fenti-
mens , d’ autres événemens, un autre ordre de
chôfes & prefqu’une autre nation.
Quelle a été fa récompenfe ? Les efprits infernaux
qui ravageoient l’ Etat il y a dix ans, fans
refpeét pour fon âge ( ils en avoient immolé de
bien plus âgés ) , le conftituèrent prifonnier au
Luxembourg, ou fes richeffes, fes vertus S: fes
qualités aimables le mettoient également en danger.
Il ne fut cependant pas donné à l’iniquité de-
prévaloir contre lui jufque-là..
Procédés hùc & non ibis amp lias.
La mort de Robefpierré lui rendit la liberté:
je l ’ai vu & embraffé libre, toujours gai, toujours
bon , toujours aimable , toujours jeune , quoi-
qu’oétogénaire depuis deux ans, fans fiel contre
fes perfécuteurs, ne les trouvant que ridicules,
.& oubliant qu’ ils étoient des monftres.
T e l étoit M. de Nivernois dans le rang où la
naiffance Sc la fortune l ’avoient placé.
Voyons quel il fut dans la république des lettres.
I l en vivroit, difoit Duclos qui alloit droit au
folide, & qui parloit d’un tems où un bon écri-
1 vain(pouvoit vivre honnêtement du produit de fa
plume, M. de Nivernois fut reçu en 1.743 à l’Académie
françaife, honorairé de l’ Académie des inf-
criptions & belles-lettres en 1744. Les honoraires
réputés de fimples amateurs étoient difpenfés du
-travail} mais M. de Nivernois ne fe difpenfoit de
rien & rempliffoit toujours bien au-delà de fes
obligations. L e vingtième volume du Recueil de
l’Académie des inferiptidns & belles-lettres offre
deux excellens.Mémoires de lui, l’ un fur la politique
de Clovis} l’autre fur l’indépendance de nos
Rois, par rapport à l’Empire. Dans celui-ci les recherches,
l’un des grands mérites de cette favante
compagnie, ne font point épargnées , & les rai-
fonnemens les plus juftes font folidëment fondés
fur des faits certains &'fur des textes précis } l’autre,
plein dé vues & de fagacité, démêle dans
le feç récit des chroniqueurs les traces à peine
âpperçues.de la politique de Clovis } il la compare
à cêlle de Ferdinân d-le-Cath oli que & de Charles-
Quint : il compare auffi une entrevue de Clovis
& d’Alaric à Amboife avec la fameufè cc&férence
de Nice entre Charles-Quint & François Ier. , St
furtout la convérfion de Clovis avec l’ abjuration
d’Henri IV. Ces rapprochemens rendent pour
ainfi dire l’Hiftoire fenfible & palpable, & c ’efi
ainfi qu’ on laffait retenir, M. de Nivernois juftifie
toutes ces comparaifons par la reffemblanee des
objets, des vues, des motifs, dés caufés'Sc des
effets} il compare encore la rédaction de nos lois
faliques tous C lo v is , avec la promulgation des
lois romaines fous Juftinien, & il trouve le.code '
falique plus fimple Sc plus uniforme. En parcou-
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rint toutes les expéditions militaires de C lov is ,il
fait voir comment elles fe rapportent à un but
unique., .celui de réunir la Oatile entière fous la
domination de C lov is , comme le but de Ferdi-
nand-le-Catholique Fut de régner îeul en Efpagne,
Sc celui ,de Charles-Quint de rendre fa pttiffance ;
abfolumènt marches prépondérante dans l’éloignèrent l’Europe : il lès relève
déineonféquentes
les fautes que fit Clovis en politique, & qui quelquefois
de fon o b je t} mais en détefta'nt les v io lences
ôç, les perfidies de Clovis à l’égard de tous
ces petits Rois du nord de la Gaule., fes parens^,
il montre comment ces crimes rentroient dans le
plan d’ambition Sc de conquête que Clovis s’étoit
fait.
Quand la barbarie eut effrayé les Mufes, diflipé les corps littéraires Sc anéanti les fciences autant
qu’elle le pouvoit, M. le duc de Nivernois prit
fur lui une des fondions du fecrétariat qui n’exif-
toitplus, moitié par amour pour lesdettres, moitié. ’
par amitié pour le littérateur 5 il fit l ’éîôge hifto-
rique de l ’abbé Barthélemi, comme un prékt êlo-
quent avoit fait l’oraifon funèbre* d’un curé de
Paris ; il prouva que les grands feigneufs -éclairés
favoient rendre hommage, finofi à Légalité des
hommes, du moins au rapprochement du mérite
Sc de la grandeur.
Mais c’ eft furtout l’Académie françaife que M. d® • ■
Nivernois a dû regarder comme le théâtre de fa ’
gloire littéraire } c’eft là que fon génie aimable &
fouple lui a tant de fois procuré des. fuccès fi flatteurs
en tant de genres ; c’eft là que, quand le fort
le plaçoit à la tête .de l ’Académie, le public la
troüvoit furtout dignement repréfer.tee } c’eft là
qu’après un jufte éloge (commandé par les cir-
conltances Sc répété par tous les coeurs) du jeune
.comte de Gifors fon gendre, moiffonné à Crevelt
dans les champs de la gloire, je l’ ai vu attendrir
tout l’auditoire, & remplir tous les yeux de larmes
lorfqu’ on l’entendit ajouter d’une voix émue : -c Ce
» fils fi cher étoit devenu mon fils.........Hélas ! je 33 n’ai joui qu’un inftant de cette heureufe adop- .*» tion. »5
-Grande leçon du grand art de fe mettre en jeu
à propos, & de doubler l’intérêt général par l ’intérêt
perfonnel !
C ’ eft là qu’en recevant à l’Académie l'abb é,
aujourd’hui cardinal Maury, qui n’étoit alors que
grand prédicateur & prédicateur du R o i, il lui
difoit
« C ’eft à la cour que l’exercice de votre minif
tère eft fouverainement important, délicat 8c
m difficile. On doit la vérité aux Rois} c’eft le feul
33.bien qui peut leur manquer......Mais autant une !
33 crainte pufillanime, qui arrêtéroit la vérité fur j
>3 les lèvres du miniftre des autels. feroit une pré-
« yarication vile. Sc coupable, autant feroit répré--
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« henfible une âudacè téméraire qui violeroit le
» fefpedt qu’ on doit toujours à fon Roi, même;en
Sï l’enfêignant, mêïïiè en lui préfentant lë' miroic
» où il doit retronhoftrê fes foïblëffës. « ,
C ’eft là qu’ il fcra:çoit d’ urte plume élcrqueftte les
devoirs . tantôt d’ un avocat, en recevant un avocat
à l ’Acàdémie., tantôt d’ un magiftrat en regrettant
Un Confi'è’ré magiftrat, tantôt d’un journalifte , Sc
peut-être notre tems rend-il cette leçon plus importante
entore qu’elle në l’etoit au tems où ellq
fut donnée. .
« L’emploi de journalifte eft digne d’être exercé
33 par les meilleurs efprits. Il eft même bien inte-
33 rêffant qu’il ne tombe jamais en d’autres mains.
33 II importe fouverainement aux lettres & aux
33 moeurs que le journalifte réunifie..... la pureté
33 du goût Sc les tréfors du favoir, le mérite du
33-ftyle, & furtout autant de juftice dans le coeur,
y que de jufteffe dans l’ efprit} car le journalifte
A^xerce hfie forte de miniftère public Sc légal.
ïnC’èft ün rapporteur qut...... ne peut fans préva-
” tic^tion rien déguifer, rien exagérer ni rien
«OmettreA*.. Il doit être impaffible comme la loi.
H êft ëoup'àble fi l’ efprit de fatyre ou celui de
33 partialité juii fait pallier ou aggraver des fautes,
■M S’il s’attache malignement à relever les défauts,
» oü fià ëntraînépar quelque affection particulière,
33 s occupe qu’ à faire valoir des beautés. 33
C ’eft là encore q ue, digne apologifte des ufa-
ges 4^ l'Académie, il les défend contre la critique
inconfidérée de gens qui parlent fans penfer,
ou qui répètent fans examiner.
«c Tacite àpplaudiroit parmi nous à une compa- 33 .gnie q ui, fo'igneufe d’ entretenir dans fon fem
33 le fentimenf de la fraternité, fe Fait un devoir
33 religieux de^confacrer la^mémoire des morts, &
33 de fignaler l’adoption de leurs fucceffeurs par
33 des éloges} difcours qui ne font, à vrai d ire,
33 que l’ expreffion de nos regrets Sc la juftification
33 de nos choix. 3?
Ne voilà qu’un mot, Sc il eft fans réplique.
Pourrions-nous oublier ces fables charmantes
qui ont fait tant de fois les délices de l’affembiée ,
également nombreufe & choifie que les féances
publiques de l’Académie étoient en poffeffion d’ attirer?
Il a lu dans des féances particulières quelques
morceaux d’une tradu&ion en vers de l'EJfai
fur l 1 Homme, & , au jugement de fes pairs, fa traduction
étoit entièrement dans l ’efprit & dans la
manière de l’original. -
Sachons-lui gré de la pleine victoire qu’il a
remportée fur la foule des traducteurs en vers de
l ’ode Donec gratus eram tibi , Scc. , parmi lefquels
on compte les grands noms des Molière, desQui-
-nault, des R.ouffeau. Sa traduction fait juger que
ce feroit lui qui auroir lait cette ode charmante
j s’il eût précédé Horace.