
celui du jeune Fénel, efprit facile , courageux ,
pénétrant, capable d’une application foutenue ,
& fécondé de lajplus heuréufe mémoire. « S’il
» avoit e u , dit M. de Bougainville , la force de
» maîtriler fon imagination, 8c de renoncer au
» projet d%re un philologue univerfel, il auroitéclairé
fes contemporains, il auroit inftruit la
“ p.oftérité 5 il devint favant, mais il ne fut pas
« habile , parce qu'on ne le devient pas fans mé-
» thode.-»?
Il entreprit à treize ans un Traité de géograhie
y à quinze, il faifoit des extraits critiques des]
ibliothèques de Leclerc & de Fabricius3 à dix-,
tept, i l voulut écrire-à la fois fur la divination,;
fur la philofophie hermétique, fur la conftruétion
générale de f Univers.
La métaphyfique parut à fon tour ; il n'en par-
loit qu’ avec un enthoufiafme religieux 3 elle l'attira
cependant faris le fixer. Il entreprit une critique
de MaUebranche, une réfutation de Hobbes,
une de Spinofa. 11 pafloit de la métaphyfique à la
morale, au droit naturel, air droit des gens, à la
politique, à toutes les branches de la philofophie,
fans fe rëpofer fur aucune. Un écart foudain le
tranfpqrtoit enfuite dans la géométrie tranfcen-
dante a il s'enfonçoit dans l’algèbre 3 il appliquoit
le calcul à des problèmes finguliers d’optique,
d’aftrônomie, de phyfique générale 8c particulière
: il Vérifioit les expériences de Bayle ; il mé- ;
ditoit avec Defcartes , converfoit avec Leibnitz 3
difpütoit avec Newton. En même tems il faifoit !
fon cours de théologie & des excurfions en m é -.
de.cine j il lifoit Galien , C e lle , Sydenham, Boer-'
hâve î c’eft de ce côté principalement que le por-
toit fon goû t, fi l’on peut lui attribuer quelque
goût particulier. Il s'étoit fait fur la médecine une
théorie propre, dont l'application fur lui-même
lui réuffifibit mal, 8c ne l'a point détrompé.
En littérature , l'étude des langués lavantes
l'avoit mis de bonne heure en état de lire les ori-,
ginaux ; il dévora les commentateurs comme il
avoit lu les textes, Helluo librorum. A quinze ans !
il travailloit d'après Bôchart, & méditoit une hy-
pothèfe nouvelle fur la difpeffïon des hommes. I l ,
fe rendoit familiers dès-lors les ouvrages de Sca- ;
liger & d'Ulferius} il s’exèrçoit dans l'art dès;
étymologies > il puifoit à la fois dans toutes ie s j
fources de l'Hiftoire ancienne .&moderne, étran-.
gère & nationale. De là naifloient en foule des.
plans d’ouvrages, des projets de diifertations j il.
en communiqua plufieurs au Pere de Tournemirié , j
dont il ambitionnoit lés éloges , 8c qui lui donna
"des avis. Le Père Hardouin, découvrant en lui le -
germe d'un novateur & l'ébauche d'un grand;
homme, voulut en faire un prüfélyte.j mais l'abbé j
Fénel. n'étoit point homme à fê laiffer fèduire pars
les fyftêmes qu’il n'avoit pas imaginés.'
Tout ce que nous venons de. voir n’étoii qu'en 1
études & en projets. A vingt-cinq anSjilfe voyoit'
en état d’écrire fur toutes fortes de matières , de
omni fc ib ili, 8c n'avo.it écrit fur aucune. II fe mit
à compofer à la fois pour les prix de toutes les
Académies, 8c du royaume ,48c de l’Europe. Dans
le cours de quinze ans il traita vingt-cinq que fiions
différentes de géométrie, de phyfique, d'allro-
nomie, d'Hiftoire tant ancienne que. moderner En
1741, il compofa pour l ’Académie des fciences ,
fur les propriétés de Vaitnan ,• pour cell - de Bordeaux
y fur les caufes de la noirceur des nègres ; pour
-l’Académie des inferiptions 8c belles-lettres, fur
Lhiftoire des Gala tes. || concouroit à la fois pour
des-prix fur l ’infuffifance de la loi naturelle, fur la
théorie de Saturne 8c de Jupiter, fur le fyftème
des monades , fur l'origine des pierres figurées.
« Afclépiade , fameux athlète du tems des Anto-
» nins, avoit, en moins de feptatis, combattu dans
» les jeux les plus célèbres de l'Italie, de la Grèce,
» de l'Egypte. 8c de l'Orient. Vainqueur dans tous,
» il avoit vu féize villes du premier ordre lui dé-
» férer à l'envi le titre de citoyen:. » . j H
Cette magnifique comparaifon fait d'abord tout
efpérer pour l'abbé Fénel, lorfque M, de Bougainville
ajoute :,« L'Afclépiade moderne, infa-
tigable 8c belliqueux comme l'ancien, neut pas
*> le même bonheur..... » Mais enfin il ;a fouvent balancé
la viêloire , 8c l'a quelquefois remportée.
Son Mémoire fur U cabeftan, fans obtenir le prix ,
a mérité l'honneur d'être imprimé dans, les recueils
de l’Académie des fciences. En 1743 , l’Académie
de Soiffons couronna fa Differtation fur la conquête
de la Bourgogne par Les fils de Clovis '3 la même année
l'Académie des inferiptions 8c belles-lettres donna
le prix à fon Mémoire fur l'état des fciences en
France, depuis la mort de Philippe-lt-Bel jufqiia.
celle de Charles V . «=11 étonna fes juge s, dit M. de
*> Bougainville 5 8c l'un d'eux étoit M. Falconet,
fi capable d'étonner lui-même par l'étendue de
33 fes çonnoiffances. 33 Dans un autre endroit il dit
du même abbé Fénel : « Né pour le grand, il ne
33 remplit pas fon rôle 5. il étonna ceux dont il au-
30 roit pu le faire admirer. 33
En 1744, Vahbé Fénel fut reçu à l'Académie
des inferiptions 8c belles-lettres. L à , fes Diflerta-
tions n'étoient pas de fimples Mémoires, mais de
gros Traités, dont la longueur abforboit les féan-
ces de l'Academie, 8c cependant aucun de ces
ouvrages n'eft achevé. C e qui caraâérife fingulié-
rement fa manière de travailler, c'eft que la plupart
de fes ouvrages n'étoient, dans fon plan, que
.;des préparatifs .à d'autres ouvrages, de fimples
introductions qui, par l'événement, ne le condui-
foient à rien d’ultérieur. En 1747, il lut à l’Académie
une longue Differtation fur les dogmes religieux
des Celtes 8c des Germains 3 ce n'étoit qu'un
extrait de la préface qu'il deftinoit à fon hiftoire
de Sens, commencée Tou s l'épifcopat de M. de
Chavigni, continuée fous celui, de M. Languet,
8c qu'il n'a .pas eu lé tems d'achever,
ij En 1742 8c en] 1746 on avoit trouvé en divers
lieux dans des tpmbeaux anciens, quelques débris
d'étoffes de fo ie , titfues de fils d’or en.lame.
Ces découvertes réveillèrent d'anciennes idées de
M. l’abbé Fénel fur l'arc de fabriquer les étoffes :
de là un ample Trait j préliminaire, dans lequel, à
l’occafion d’un art particulier, il traça le plan, tel
qu'il l'avoit conçu, dé l'hiiloire générale des arts,
en remontant prefqu'à l'origine du Monde.
C e qu’il a lu à l’Académie fur les myftères
d’Eleufis étoit encore l'avant-propos d’une hiftoire
du paganifme ,~qui n'a pas plus été achevée
que fes autres ouvrages. -
Comme il ne converfoit guère qu'avec lui-
même 8c qu'avec fes livres, fon caractère étoit un
peu fauvage 3 il fembloit n’être ni de fon fîècle ni
de fa nation. Soit timidité, foit défiance, il crai-
gnoitles hommes, 8c ne s'ouyroit avec une foire
de liberté qu'au feul M. Falconet, dont l'anurie,
pour lui, née à l'occafion de fa Diil'ertation couronnée
à l’Académie des belles-lettres , s'étoit
acquis un droit à fa'reconnoiftànce. 11 tenoit d'ailleurs
pour maxime , que, moins un corps a de fur-
face , moins il eft en butte aux imp refilons des
autres corps.
. La langueur habituelle dans laquelle il a pafïe
les derniers tems de fa vie., étoit accompagnée
d'un fymptôme bien fingulier ; c'etoit une faim
vorace, comparable à cette foif ardente qui fait le
tourment des hydropiques. Les plus forts alimens
pris fans finefure ne fuffifoient pas à l'opiniâtreté
de fes befoins. C'etoit la faim d Erifichton :
Dira fumes implacat&que vigebat
Fiàmma guU.
Comme il fe piquoit furtout de Gonnoiffances
en médecine, il prétendit traiter lui-même fa maladie
(qui étoit un épuifement de jour en jour plus
fenfible ) j elle devint bientôt mortelle, 8c l'emporta
prefque fubitement le 19 décembre 1753.
FÉRONIÈRE ( La b elle) . ( Hifi. de France )
Prefque tous les hifto.riens nomment cette femme,
finon comme l’ objet d’une des paflions de François
I , du moins comme celui d'un de fes goûts
les plus vifs & les plus eonftans. C e fut e l le , félon
eux , qui lui coûta la vie par une brutale 8c abominable
vengeance de fon mari. Si l ’on en croit un
auteur nommé Louis Guyon , dans fes Leçons db-
verfes, n°. 2 , L. I , cette femme , aufii vertueufe
que belle , défefpéroit le Roi par fes rigueurs 3
mais les courtifans , qui favoient applanir toutes
les difficultés, lui rappelèrent qu’étant Roi ibétoit
difpenfé de plaire à une femme qu’ il vouloir vaincre.
ils allèrent faire part à la femme même de
cette noble idée. La Féroraere3 effrayée, avertit fon
mari : tous deux voulurent fortir du royaume, mais
.ils jugèrent cette, fuite impofîible 5 alors, dans fon
défefpoir, le mari exigea ae fa femme quelle obéît
au R o i, 8c il alla dans des lieux de débauche chercher
fon indigne vengeance. Il en guérit, dit Mézeray
belle en mourut j le Roi languit huit ou neuf
ans , 8c en mourut aufii.
Lç mari de la belle Féroni'ere étoit avoca t , 8c
l ’ on ne?" fait fi l'on, doit confondre ce tte maîtreffe
a vec ce lle qui eft défignée feulement fous le nom
de X Avocate y 8c dont p a r le , dans l ’ Heptaméron 3 la
reine de Navarre , confidente de toutes les galanteries
de fon frè re. Si c 'e ft de la même femme
q u 'il s ’a g i t , les détails 8c les circonftances font
bien changés. L’hiiloire de l ’A v o ca te eft aufii gaie
que ce lle de la Féroni'ere eft horrible. U n v ieil avo ca
t avoit une jeune 8c jo lie femme. U n grand feigne
ur , qui mien a fait le conte , dit la reine de Navarre
, mais qui m a défendu de U nommer , fe trouve
à une noce avec cette jeune femme , l’ aime , lui
p la ï t , en reçoit un ren d ez -vous. Le Prince ( c a r
la reine d e Navarre lui donne c e titre ,, 8c dit que
la France n a jamais eu & n aura jamais de Prince
mieux fait ni ae meilleur ai: ) , le Prince arrive feul
8c de nuit ch e z l'a vo cat 5 il le rencontre fur l’ ef-
calier 3 l'a vo cat tenoit à la main une lumière à la
faveur de laquelle il reconnoît le Prince. Tandis
qu'il s 'é to n n e , le Prince p rend fon p a rti, lui avoue
qu’ il eft en bonne fortune dans le vo ifin ag e , 8c lui
demande le fecre t. « Je m e fu is , dit i l , dérobé un
33 moment pour v en ir , connoiffant vos lumières 8c
33 vo tre c a p a c ité , vous charger d'-une affaire impor-
33 tante 3 mais je meurs de ( o i f , faites-moi donner
33 à boire . 33 L a femme vient pour f îrvir le Prince,
qui ne la regarde p o in t , 8c ne s ’occupe que de
l'affaire dont il é to it v e n u , difo it- il , entretenir
l’ avoca t 3 mais dans un moment où le ma riéto ie
allé au buffet p o u f apporter à b o ire , le femme à
g en o u x , préfentant au Prince des confitures , lui
dit tou t bas : Entrez dans la garde-robe a droite. L e
P rin c e, après avoir bien remercié l ’a v o c a t , 8cbien
affiiré la jeune femme qu’elle avoit le meilleur des
maris-, prend congé d’ eu x 3 l’a v o c a t , trop refpec -
tu eu x , v eu t le reconduire : « Qu 'a llez -vous faire?
>3 dit le Prince. O u b lie z -v o u s mon feçret ? Je dois
»3 or je veu x ê tre feul 3 je vous défends de faire
33 un pas. 33 II ferme la porté fur lu i , entre dans la
garde-robe à droite , 8c paffe la nuit ch ez l ’a v o c a t ,
qui s'applaudit d e la confiance qu’ un fi grand Prince
lui témoigne, 8c fur fes affaires, 8c fur fes piaifîrs.
L ’intrigue dura long-tems, 8c le P rince prit le parti
dans la fuite d ’entrer ch e z l ’ avocate par une porte
qui communiquoit à un cou vent 3 il fit fes arran-
gemens avec le s moines , fans leur révéler le fond
du myftère. Au r e to u r , il pafloit par leur églife :
c 'é to it toujours à l'heure des matines 3 il s’arrêtoit
dans une chapelle , 8c n’en for to it point que les
matines ne fuffent finies. C e Prince a vo it une Coeur
qui n 'é to it occupé e que de lu i , 8c qui vouloir que
tout le monde s'en occupâ t 5 elle a llo it quelquefois
dans ce même c o u v e n t , 8c recommandoit fon
frè re aux prières des religieux. Ah ! c’eft a nous,
lui dit un jou r le prieur , à nous recommander aux
pennes. « C 'e f t un Saint. Comment pourrions-nous
33 appeler autrement ub Prince de fon â g e , qui