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” te ce qu’ il y a d’étonnant, c’eft que dans chaque
« partie Pline eft également grand : l’élévation des
m idees , la nobleffe du ftyle , relèvent encore fa
33 profonde érudition. Non-feulement il favoittout
” ce 9U on P °uvpit favoir de fon tems , mais il
33 avoit cette facilite de penfer en grand , qui mul-
¥ fcience ; il avoit cette finefie de réflexion
33 de laquelle dépendent l’élégance & le g oû t, &
33 il communique à fes lecteurs une certaine liberté
M j cfpr^j une hardiefle de penfer qui eft le germe,
•3 de la philofophie. Son ouvrage , tout aufti varie
33 que la Nature , la peint toujours en beau ; c’eft,
33 fi l’on veut^ une compilation de tout ce qui avoit
33 été écrit avant lui , une copie de tout ce qui
33 avoit été fait d’excellent & d’utile à favoir ; mais
33 cette copie a de fi grands traits, cette compilation
33 contient des choies raflemblées d’ une manière
33 fi neuve, qu’elle eft préférable à la plupart des
33 originaux qui traitent des mêmes matières, »
Si Pline eft ici jugé par fon plus heureux imitateur,
M. de Buffon a aufti trouvé dans fon fuccef-
feur à l’Académie françaife un panégyrifte qui, pour
le louer , a fu emprunter fon ftyle : c’eft M. Vicq-
d’Azyr. Reçu avant vingt-trois ans, à l’Académie
des fciences, devenu fecrétaire -perpétuel de la
Société de médecine , le talent d’écrire & l’éloquence
» qu’il joint à fes grandes connoiffances en
médecine & en anatomie, lui ont procuré l’honneur
de fuccédér à M. de Buffon dans le temple
de l’éloquencè & du goût. Il fembloit avoir été
réfervé pour cette place, & c’eft de quoi on eft
frappé d’abord en lifant fon difcours , en voyant
la convenance parfaite du ton avec le furet ; en y
retrouvant partout la majefté, Vrichefle, 1 harmonie
du ftyle de M. de Buffon. C’eft ainfi que
ce grand naturalise auroit fait fon-éloge s’il avoit
pu le faire ; c’eft ainfi qu’il avoit fait autrefois celui
de M. de la Condamine entrant à ^Académie fran-
çaifè ÿ 8c puifque nous rappelons ce fouvenir, nous
pouvons ajouter comme témoins , que l’oeil n’a
rien vu, que l’oreille n’a rien entendu de plus îm-
pofant que M. de Buffon avec fa belle & noble fi4
gure, avec fa voix pleine & fonore , prononçant
ces phrafes fiiblimes par lefquelles il célèbre les
fublimes travaux de M. de là Condamine en Amérique.
( F'oyei l’article Condamine ( la ) . ) C’eft ce
meme M. de Buffon que l’on croit entendre s’é- i crier , dans le difcours de M. Vicq-d’Azyr :
« Quel grand , quel étonnant fpeélacle que celui
33 dp la Nature! Des aftres étincelans & fixes, qui
33 répandent au loin la chaleur & la lumière des
33 aftres errans qui brillent d’un éclat emprunté i &
* dont les routes font tracées dans l’efpace 5 des
33 forces oppofees, d’où naît l’équilibre des mondes,
33 l’élémentléger quife balance autour de la Terre5
33 les eaux courantes qui la dégradent & la filîbn-
33 nent 5 les eaux tranquilles, dont le limon qui la
33 féconde , forme les plaines tout ce qui vit fur
i» fa furface, & tout ce qu’elle cache-en fon fein ;
*> l’homme lui-même, dont l’audace a tout entre-
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j. 33 pris, dont l’ intelligence a tout embraffédont
! 33 l’ induftiie a mefuréle tems 8c l’ efpace; la chaîne
| 33 éternelle des caufes, la férié mobile des effets, tout
33 eft compris dans cé merveilleux enfemble. 33
N’eft - ce pas encore M. de Buffon qui femble
dire : ,
- « Autour de l’homme , à des diftances que le
33 favoir 8c le goût ont mefurées, il plaça les animaux
33 dont l’homme a fait la conquête 5 ceux qui le
33 fervent près de fes foyers ou dans les travaux
33 champêtres ; ceux qu’il a fubjugués 8c qui re-
33 fufent de le fervir j'ceux qui le fuivent, le ca-
33 relient & l’aiment 5 ceux qui le fuivent 8c le ca-
33 relient fans l’ aimer ; ceux qu’il repoulfe par la
33 rufe , ou qu’ il attaque à force ouverte ; & les
33 tribus nombreufes d’animaux qui, bondiffantdans
33 les taillis, fous les futaies, fur la cime des mon-
33 tagnes ou au fommet des rochers, le nourriffent
33 de feuilles 8c d’herbes; 8c les tribus redoutables
33 de ceux qui ne vivent que de meurtre 8c de ear-
33 nage. A ces groupes de quadrupèdes il oppofa
33 des groupes d’oifeaux. Chacun de ces êtres lui
33 offrit une phyfionomie 8c reçut de lui un càrac-
33 tère. U avoit peint le ciel 8c la terre , 1 homme
33 & les âges , 8c fes jeu x , & fes malheurs, 8c fes
33 plaifirs : il avoit alligné aux divers animaux toutes
« les nuances des pallions : il avoit parlé de tout,
33 8c tout parloit de lui...... Vous n’avez point ou-
33 blié avec quelle nobleffe, rival de Virg ile , M. de
33 Buffon a peint le courtier fougueux s’ animant au
» bruit des armes, 8c partageant avec l’homme les
33 fatigues de la guerre 8c la gloire des combats;
33 avec quelle vigueur il a delfmé le tigçe-, q u i, raf-
33 fafié ae chair, eft encore altéré de fang. Comme
33 on eft frappé de l’oppofition de ee.cara&ère fé-
33 roce avec la douceur de la brebis , avec la do-
» cilité du chameau, de la vigogne 8c du renne,
» auxquels la Nature a tout donné pour leurs mai-
« très , avec la patience .du boeuf, qui eft le fou-
33 tien du ménage & la force de l’ agriculture b Qui
jj 33 n'a pas remarqué* parmi les oifeaux dont M.; de
33 Buffon a décrit les moeurs , le courage franc, du
33 faucon , la cruauté lâche du vautour, la fenfibi-
33 lité du ferein, la pétulence du moineau , la fami- I
33 liarité du troglodyte, dont le ramage & la gaîté
» bravent la rigueur de nos hivers 5 & les douces
33 habitudes de la colombe , qui fait aimer fans par*
33 tage ; & les combats innocens des fauvettes ,
33 qui font l’emblème de l’amour léger ! Quelle va-
33 riété, quelle richeffe dans les couleurs avec lef-
33 quelles M. de Buffon a peint la robe du zèbre, I
: 33 la fourrure du léopard, la blancheur du cygne &
» l ’éclatant plumage de l’oifeau-mouçhe ! Comme
33 on s’ intéreffe à la vue des procédés induftrieux
33 de l’ éléphant & du caftor ! Que de majefté dans I
33 les épifodes où M. de Buffon compare les terres I
33 anciennes 8c brûlées des déferts de 1 Arabie, où I
33 tout a celle de v iv re , avec les plaines fangeufes I
33 du nouveau continent,. qui fourmillent d’infec- I
33 te s ,.où fe traînent d’énormes reptiles , qui font I
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*> couvertes d’ oifeaux raviffeurs, & où la vie femble
» naître du fein des eaux ! >3
M. de Buffon, s’il n’ à eu dans fon genre ni égaux
|)irivaux, a eu quelques adverfaires ayecdéfvjuels
M. Vicq-d’Azyr le compare.
« Le plus redoutable fut M. l’abbé deCondillac.
33 Son efprit jouiffoit de toute fa force dans la dif-
33 pute. Celui de M. de Buffon, au contraire, y étoit
» en quelque forte étranger. Veut-on lesbien con-
» noître? Que l ’on jette les yeux fur ce qu’ils ont
» dit des fenfations. Ici les deux philosophes par-
33 tent d’ un même point ; ç’eft un nommé que çha-
33 cun d’eux veut animer. L’ u n , toujours métho-
« dique , commence par ne donner à fa ftatue qu’ un
33 feul fens à la fois. Toujours abondant , l’ autre
» ne refufe à la fienne aucun des dons qu’elle au-
33 roit pu tenir de la Nature. C ’eft l’odorat, le plus
33 obtus des .organes, que le premier met d’abord
33 en ufage. Déjà le fécond a ouvert les yeux .de
»» fa ftatue; à la lumière, 8c ce qu’il y a de plus bril-
»* lant a frappé fes regards, M. l'abbé de Condillac
»» fait une analyfei lcomplète des impreffions qu’il
33 communique, M. de Éuffon, au contraire, a dif-
33 paru : ce.n’ eft plus lui, c ’eft l ’homme qu’il a créé,
33 qui voit, qui entend 8c qui parle. La ftatue de
v M. 1 abbé de Condillac, calme, tranquille, ne
33 s’étonne de rien, parce que tout eft prévu, tout
« eft expliqué par fon auteur. 11 n’ en eft pas de
33 même de celle de M. de Buffon : tout l’inquiète,
33 parce qu’abandonnée à elle-même elle eft feule
*3 dans l ’Univers ; elle fe meut, elle fe fatigue, elle
33 s’endort, fon réveil eft une fécondé naiffance ;
33 & comme le trouble de fes efprits fait une partie
»: de fon charme, il doit excufer une partie de fes
|| erreurs. Plus l’homme de M. l’ abbé de Condillac
33 avance dans la carrière de fon éducation, plus
33 il s’éclaire ; il parvient enfin à généralifer 8c à
33 découvrir en fui même les caufes de fa dépen-
33 dance 8c les fources de fa liberté. Dans la ftatue
33 de M. de Buffon, ce n’eft pas la raifon qui fe
„»A perfectionne , c’eft le fentiment qui s’exalte ; elle
s’empreffe de jouir : c’ eft Galathée qui s’anime
?ï tous le cifeau de Pygmalion, 8c l’amour achève
fon exiftence. Dans ces productions dè deux de
33 nos grands hommes, je ne vois rien defemblable.
33 JDans l’une^ on admire une poéfie fublime; dans
33 1 autre, une philofophie profonde. Pourquoi fe
” traitoiept-ilsenrivaux, puifqu’ils alloientpar des
33 chemins différens à la gloire , & que tous les
33 deux -étoient également fûrs d’y arriver ?
5 La rivalité de M. de Buffon & de M. de Linné
n avoit pas de fondemens beaucoup plus folides.
Ces-deux hommes diverfement célèorespouvoient
fervir l’ un à l’autre, 8c ne pouvoient pas fe nuire.
Il y a place pour tout le monde dans le temple 4e
la Gloire.
«'Le favant naturalifte d’Upfal dévoua tous fes
33 monjens àTobCervation. L’ examen;4e vingt mille
33 individus fnffit à peine ài fon activité. 11 fe fervit,
3» pour les claffer, de métho4es qu’il avoit inyen-
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33 tées ; pour les décrire , d’une langue qui étoit
33 fon ouvrage ; pour les nommer, de mots qu’il
>? avoit fait revivre, ou que lui-même avoir formés,
» Ses termes furent juges bizarres : on trouva que
33 fon idiome étoit rude ; mais il étonna par la pré-
33 cifîon de fes phrafes ; il rangea tous les êtres lous
« une loi nouvelle. Plein d’enthoufiifme, il fem-
33 bloit qu’il eût un culte à établir, 8c qu’il en fût
?? le prophète..... Avec tant de favoir 8c de carac-
« tère , Linné s’empara de l’enfeignement dans les
» écoles; il eut les fuccès d’un grand proféffeur ;
» M. de Buffon a eu ceux d’un grand phiJo.fophe,
» Plus généreux, Linné auroit trouvé, dans les qu-
» vrages de M. de Buffon , des pafiages dignes
»■ d’être fubftitués à ceux de Sénèque, dont il a
» décoré les frontifpices de fes diviflons. Plus jufte,
» M. de Buffon auroit profité des recherches de
33 ce favant laborieux, lis vécurent ennemis, parce
» que chacun regarda l ’autre comme pouvant por-
» ter quel qu’ atteinte à fa gloire. Aujourd’h’-i que
» l’on voit combien ces craintes étoipnt vaines,
» qu’il tne foit permis , à moi leur admirateur 8c
» leur panégyriite, dè rapprocher, de réconcilier
» ici leurs noms , fur qu’ils ne me défàvoueroient
» pas eux - mêmes s’ils poiivoient être rendus au
» fiècle qui les regrette 8c qu’ ils ont tant illüftré. »
La description du Jardin du Roi, dans 1 état où
l’ ont mis les foins de M. de Buffon ; la peinture de
M. de Buffon lui même avec fa belle phyfionomie,
fes cheveux blancs, fes, attitudes nobles^, & le feu
du génie dans les yeu x, compofant, au milieu des
jardins de Montbar, l’Hiftoire de la Nature ; la
peinture .meme des tendres foins que l’amitié lui
prodigua dans les derniers mornens, 8c de l’hommage
public que lui rendit, à fon convoi, l’affluence
de vingt mille fpe&ateurs, ou formant fon cortège,
ou l’attendant dans les rues, aux fenêtres, & juf-
que fu r les toits : tous cés tableauxTont dans la
manière de M. de Buffon , 8c paroiffent fortir de
fon école ou plutôt de fa main.
M. de Buffon a mêlé quelques erreurs aux grandes
& belles yéritës que contiennent fes ouvrages.
M. <Viçq-d’ Azyr ne l ’a point diflimulé , non plus
queM. de Saint-Lambert, qui le recévoità l’Académie
françaife en qualité, de diredeur. « Sans
» doute, dit ce dernier, la dqdrine de la rorma-
» tion des planètes 8c de la génération des êtres
33 animés fera citée au tribunal de la Raifon ; mais
33 elle y fera citée avec tes erreurs des grands hom-
33 mes. Les idées étemelles ,de Platon , les tour-
» billons de Defcartes, les monades de Leibnitz,
» tant d’autres moyens d’ expliquer toutes les'ori-
» gines, tous les mouvemens , toutes les formes,
» n’ ont point altéré le refped qu’on a confervé
» pour leurs inventeurs.
» ;M. de Buffqn, dans le Jardin du Roi, pouvait
» jouir, comme le czar Pierre, du plaifir d’avoir
» repeuplé 8c enrjchi fôn empire. Il .y recevoir lès
» vifites & les hommages des favans, des Voya-
*3 geurs , des hommes illuftres dans.tous les genres^
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