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grande partie des légions dans leurs quartiers d'hiver
, une violente tempête les avoir fübmergées.
Germanicus & Silius Ton lieutenant entrèrent
donc encore, par différens côtés , fur les terres
des Germains ; « ils ravagent , détruifent, embra-
33 lent tout : rien n’ofe tenir ferme devant eux 5
=° tout ce qui paroît eft pouffe, battu, enveloppé :
» l'épouvante étoit partout, la fureté nulle part. »
Les Barbares admiroient comme invincibles ,
comme des dieux fupérieurs à toute force humaine
ces Romains q u i, après avoir perdu leur flotte,
leurs légions, leurs armes, fembloient avoir augmenté
de valeur , de puiflance & même de
nombre. Quippe invicios & nu lit s ce f i bus fuperabiles
Romanos pr&dicabant, qui, perditâ clajfe , amlffts
armis , pofi confirata equorum virorumque corporious
littora, câdcm vinute , pari ferociâ , & ve/uti aucti
numéro irrupi(fient.
Encore une campagne, & cette guerre de Germanie
étoit à jamais terminée 5 du moins les Romains
le croyoient ainfi .3 & Tibère le crut fi bien,
qu'il fe hâta de rappeler Germanicus, dont il ne
pouvoir plus, même de fi loin, foutenir la gloire.
Germanicus alla triompher à Rome , & il y
traîna en triomphe à fa fuite, parmi une foule
d’autres Princes & chefs germains, Segimond,
fils de Segeftes 8c beau-frère d’Arminius 5 Thuf-
welda fa foeur, femme du même.Arminius, & un
fils d’Arminius & de Thufwelda, pour lors âgé de
deux ou trois ans, nommé Thumelicus.
.Arminius, ainfi féparé de fa femme & de fon
fils, mais délivré de Germanicus , & même des
Romains, qui fe replièrent en deçà du Rhin, pa-
-roiffant vouloir donner ce fleuve pour borne à leur
Empire , & fe contentant de laiffer au-delà une
haute réputation & une grande terreur de leurs
armes , Arminius tourna fon inquiétude & Ion
activité vers d'autres objets.
La guerre germanique avoit duré fi long-tems,
& avoit eu des fuccès fi divers, qu'il s'étoit formé
dans la Germanie deux factions contraires, dont
l'u n e , qui avoit l’efprit romain, étoit portée d’inclination
vers ces maîtres du Monde, & ne les
regardoit pas comme fi éloignés ni fi détachés de
toutes vues fur là Germanie, qu'elle ne put les
appeler à fon fecours dans l'occafion > l’autre, con-
fervant le pur efprit germanique, aflfe&oit une liberté
franche & fauvage, & une grande horreur
pour le joug des Romains. Arminius étoit à la tête
de ceux-ci, & Maroboduus, roi des Marcomans,
fon rival de gloire 8c de puiflance chez les Germains
( voye£ fon article ci-après, à fon ordre alphabétique
) , étoit réputé le chef du parti romain.
Arminius le décrioit fort à ce titre 5 & comme
Maroboduus avoit'paru vouloir prendre fur fes
peuples une domination plus abfolue que l'efprit
libre des Germains ne le comportoit, Arminius le
peignoit d’un côté comme le tyran & l’oppreffeur
des Germains, de l’autre comme l’efclave des Romains
& le fatelüte de Céfar 5 il anima contre lui
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| les Chéri.fques 8c les relies de fa ligue j il fouléva
une partie de fes fujets, lui fit la guerre , & le
i vainquit dans une bataille. Mais ces grands zélateurs
de la liberté ont prefque tous une pente invincible
au defpotifme : Arminius, que l’ardeur à
défendre la liberté de fon pays avoit toujours mis
- à la têtè des armées, & .accoutumé au commandement,
s’apperçut que fa gloire pouvoit tourner
au profit de Ton autorité. Son ame s’ouvrit à l’ambition,
& on lui reproche d’avoir conçu le projet
de fe taire fouverain de la Germanie. Ses compatriotes
en furent alarmés, & fe liguèrent contre
lui. On lui drefl'a des embûches. Des auteurs cités
par Tacite, rapportent qu’ on lut en plein fénat des
lettres d’un prince des Gattes, qui promettoit de
faire périr Arminius fi on vouloit lui envoyer du
poifon. ITeüreufe nation qui n’en connoifîoit point
encore l’ ufage, malheureufe puifqu’elle cherchoit
à le connoître ! Tibère fe crut un Fabricius en
répondant que le peuple romain fe vengeoit de Tes
ennemis par les arm^s, 8c non point par la,fraude
& par la trahifon. Arminius trouva parmi fes proches
& dans fa famille des ennemis plus perfides,
par la trahifon defquels il périt, après leur avoir
uelque tems fait la guerre avec des fortunes
iverfes. Il n’ avoit que trente-fept ans, 8c avoit
régné, c’eft-à-dire, combattu.douze ans. Après fa
mort, on oublia fes projets d’ambition & de ty rannie
j on ne fe fouvint que de fa gloire : il fut
révéré dans"toute la Germanie comme fon dieu
tutélaire , comme le vengeur de fa liberté. On
croit que c ’eft lui que les Saxons adoroient fous
le nom d'Irminfi.l, dans ce temple fameux qui fut
détruit par Charlemagne.
ASCARIC & R AG AISE. (Hifi. rom.) C ’eft
vers la fin du règne de l’empereur Dèce ou Dé-
cius , mort en 255, qu’ on voit pour la première
fois dans l’Hiftoire le noln des Francs ouFrançais.
Ils paroiffe’nt moins établis le long du Rhin, qu’ er-
rans fur fes bords, infultant les frontières de l’Empire,
& quelquefois pénétrant dans l’intérieur des
provinces, y faifant de grands ravages^ & des fé-
jours aflez longs pour refîemblér à des projets
d’établiffement. Aurélien & Probus les battirent
fous le règne de Valérien 8c de Gallien, vers l ’an
2^8 j & une chanfon militaire, parvenue jufqu’ à
nous, & compofée dans le tems par les foldats
d’Aurélien, pour célébrer la victoire remportée
par ce général fur un millier de Français, femble
attefter encore la crainte qu’ on avoit de ceux-ci,
par l’éclat qu’on donnoit à un fi léger avantage.
Vers l’an 262, une troupe de Français pénétra
jufqu’en Efpagne, foit en traverfant & pillant les
Gaules, foit en s'emparant par force des vaifleaux
qu ils trouvoient dans les ports j car c’ eft ainfi que,
fans aucune marine, ils faifoient toutes leurs expéditions
maritimes : ils pouffèrent celle-ci îufqu'à
envoyer un détachement en Afrique ; puis ils fe
rejpignirent tous, & s’en retournèrent par mer &
ASC
chargés de butin dans leur pays, où ils n'arrivèrent
qu’en 270.
En 279, Probus, alors Empereur, battit-&
cbafîa les Français, q u i, avec quelques autres na-*:
tions germaniques | avoient envahi les Gaules: $, il.
les rep.o.ufla mêmè jufqu’au-delà de l ’Elbe, il en
tranfplantà un. grand nombre dans diverfes pro-,
vinces de l’Empire$ il en plaça jufque furies bords
du Pont-Euxin. C e u x - c i , en 2 0 1 exécutèrent
avec un plein fuccès une des entreprifes les plus
hardies & les plus incroyables. Ils Te Tajfirënt de
tous Jès navires qu’ils trouvèrent dans le Pont-
Euxin (la M er-N oire ) > ils râlèrent les côtes de
l ’Àfîe > épouvantèrent toute la Grèce , l’Italie, la
Sicile, l’Efpagne>firent une defeente en Afrique,
d’où ayant été repouffes, ils remontèrent fur les
vaiffeaux, paflerent le détroit de Gibraltar, & ravagèrent
TEfpagn e du côté de l’Océan comme du
côté de la Méditerranée. Dans l’expédition de
262, ils y avoient détruit Terragone., A leur retour
dans leur pays, en paflant devant la Sicile,
ils entrent tout à coup dans le port de Syraçufe ,
s introduifent dans la v ille, y font beaucoup de
butin & de carnagq , & s’abftinrent feulement de
la détruire. Ils arrivèrent enfin chez eux chargés
des richefles des nations, 8c ayant confîdérable-
ment ajouté à la gloire 8c à la terreur de leur
nom.
..Sous l'empire de Dioclétien 8c de Maximien,
vers l’ an 280,- joints aux Saxons, ou fans eu x , ils
firent encore quelques ravages.; On v o it , peu de
tems après, quelques Rois ou chefs français fournis
à Maximien, 8c fervant dans fes armées.
Dans lè partage que les Céfars Gàlérius 8c
Conftance-Çhlore avoient fait avec les empereurs
Dioclétien & Maximien, & dans celui qu’ils avoient
fait .enfuite entr’e u x , en qualité . d’ Empereurs,
après l’ abdication de ces deux derniers, la Gaule,
te par conséquent le foin de défendre la pondère
de l’Empire contre les incurfions des Germains 8c
des Français, étoit échue à C onfiance-Chlore,
ainfi que la Bretagne, l’Angleterre & l ’Efpâgne.
C e Prince avoit fait alliance avéc deux de ces petits
Rois français, nommés Afcaric 8c Ragaife :
ils s’étoient vraifemblàblement mis à fa folde j ils
etoient du moins fes penfionnaires ou fes tributaires.
Il croyoit avoir droit d’exiger d’ eux une
entière fidélité j mais c’étoit toujours ce qu’on
avoit le plus de peine à obtenir de ces peuples
libres , & toujours prompts à fecouer toute ef-
pèce de joug. Afcaric & Ragaife, voyant Conf-
tance-Chlore occupé dans la Bretagne contre les
Calédoniens & les Pièfes, faifirent cette occafion
de faire de leur côté des courfesTur les terres de 1 Empire. Confiance-Chlore, ayant promptement
tÊtmine la guerre britannique, Te difpofoit à venir
châtier les Français, lorfqu’il mourut à Yorck le
24 juillet 304. Conftantin fon fils , qui fuccéda
d abord à fon partage, & qui réunit dans la fuite
toutes les parties de l’Empire, après avoir achevé
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d’appaifer les troublés de la Bretagne, furprit les'
Français parla diligence imprévile avec laquelle il
fondit fur èux1 au milieu de l ’embarras que leur
caiifoit lè'butin dont ils étoient chargésn: ils le
croyoient dans le nord de l'Ecoffe, & il les écra-
foit fur la frontière orientale de la Gaule, Il les
défit entièrement, & fit prifomiiers leurs rois Afcaric
& Ragaife $ mais il fe montra indigne de fa
gloire par la vengeance, cruelle qu’il prit de ces
malheureux Princes. Qu'il les menât en triomphe
à la fuite, de Ton char, dans la. ville de T r ê v e s ,
c ’étoit un ufage qu’il trouvoit établi depuis long-
tems chez les Romains., & c’étoit ce que l’inconf-
tafice ik l’ infidélité de,ces Princes pouvoieat avoir
mérité ; mais par quel mépris barbare de tout principe
de juflice, d’humanité, de décence, par quel
horrible abus du droit de la guerre tk de la force
ofa-t-il les faire dévorer par les bêtes féroces ,
dans l’amphithéâtre, comme.des criminels condamnés
? Où étoit même la prudence, & comment
ne craigncit-il pas pour lui & pour fes fuc-
cefleurs les haines immortelles & les refientimens
implacables de cette nation belliqueufe ?
Des écrivains romains, eflayant dé juftifier ou
du moins d’exeufer une rigueur fi exécrable, di-
fènt qu’elle paroifloit être néceffaire pour punir
l’ infidélité continuelle & réprimer la licence effrénée
de ces peuples.
. ■ « Mais, répona Mézeray dans fon Avant Clo-
« vis y qui étoit plus digne de blâme & de châti- 33 ment , ou des Français qui violoient leur foi
33 après l ’avoir donnée, ou des Pvomains q u i, b3 fans aucune juftice, lés avoient forcés de la
33 donner ? 35
En effet, de quel droit & de quel front ceux
oui abufent de la force pour arracher à la foiblefle
des fermens involontaires, ofent-ils lui reprocher
la violation de ces férmens extorqués & prononcer
le mot de parjure, comme fi ce parjure n’étoit pas
entièrement & uniquement leur ouvrage , comme
s’il pouvoir y avoir du parjure ou il n’y avoit ni
promefîe libre ni ferment volontaire ? ■
Nous parlons ici en général, car dans les' traites
de puiffance à puiflance, on auroit tôrt d’ alléguer
le défaut de liberté j ce n’eft pas manquer de liberté
que de fouferire à uné paix moins avanta- '
geufe quand on a été battu : on a toujours tiré de
ce traité l’avantage qu’ on s’en promettoit, celui de
fortir de l’embarras préfent : on doit donc l’éxë-
cuter. François I n’avoit pas droit d ’alléguer contre
le traité de Madrid le défaut de liberté. Il avoit
voulu acquérir la gloire des héros en s’expofant
à tous les hafards de la guerre : la captivité efi un
de ces hafards^ : il ne pouvoit donc pas l’alléguer
contre les traités que cette captivité même lui
rendoit néceffaires, 8c qui pouvoient feuls l’en
tirer.
Quant aux rois A fcaric & Ragaife, ils pouvoient
mériter d être punis, comme nous l’avons d it, par
l’humiliation d’e tjé traînés en triomphe i ils pou