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fait d’ abord quelquechofe, &ileûtétépoftîble que.,
d'après YH.Jloirc de l'Aftronomie, ouvrage favant,
l ’Académie des belles-lettres eut jeté les yeux fur
lui pour remplir une de fes places ; elle ne l’a pas
fait cependant ; mais M. le baron de Breteuil, mi-
piftre des Académies, qui aimoit M. Bailly, ayant
juge à propos de faire creerparleRoi une clalîe d’a*
cadémiciens libres réfidans à Paris, y plaça M. Bailly,
d’après le droit de première nomination appartenant
au Roi, lorfqu’il créoit ou une Académie ou
quelque clafle nouvelle dans un de ces corps, &
il cédoit enfuite à l’Académie le droit de fe compléter
par élection en cas de vacance. C ’étoit af-
furément un titre très-honorable que cette nomination
royale ; mais ce n’étoit pas avoir été des
trois Académies au même titre que M. de Fonte-
nelle, c’eft-à-dire, par un jugement de fes pairs, i
M. Bailly n’avoicétéa ce titre-là que de l’Acadé- j mie des fciences & de l’Académie françaife, & la I
diftinétion de M. de Fontenelle refte toujours unique
dans fon genre.
Mais le public, qui n’y regarde pa*s de lï près,
vit dans M. Bailly un nouveau Fontenelle à triple
couronne , & ces honneurs académiques lui attirèrent
d’autres honneurs qui lui ont été vendus
bien ch e r , & qui ont du lui faire regretter le tems
où il étoit fimple protégé de M. de Ëreteuil. Un
homme de lettres pouvoit être fier de la faveur fpé-
ciale de ce miniftre, le plus grand bienfaiteur des,
lettres depuis Colbert, & qüiles a protégées le plus
utilementpourle public, en établiflant encore, dans
l ’Académie des infcriptions , un comité chargé dé
faire Connoître, par des notices détaillées, les
tréfors que la plus riche bibliothèque du Monde
pofïède en manufcrits. On doit déjà dans plus
d’un genre, & en particulier dans notje Hiftoire,
d’importantes découvertes à- cette heureufe infti-
tution. Nous aimons à payer à fon autqur ( & auteur
en même tems de plusieurs autres inftitutions
utiles aux fciences ) ce tribut d’éloge & de reconnoiflance,
dans un tems où il ne peut plus rien
pour nous ; qu’il ait au moins la confolation de fa-
voir que fes bienfaits ne font pas oubliés.
V oicile torrent de la faveur populaire qui porte
M. Bailly hors de fa .fphère, à l ’Aflemblée des
états-généraux, qui l’ élève à la préfidence. Voilà
les miniftres profcrifs, le dernier prévôt des marchands
aflaffiné ; voilà M. Bailly maire de Paris j le
voilà feul. miniftre, feul magiftrat, fans avoir été •
formé à cette immenfe & périlleufe place par aucuns
travaux analogues. Nous ne Je fuivrons pas
dans ce tourbillon de grandeurs & d’embarras, ni
dans les détails de fon adminiftration : ces événe-
mens ne font pas encore mûrs pour l’Hiftoire : on
écrira mille Hiftoires de la révolution avant que
le tems d'en écrire véritablement l’Hiftoire foit
arrivé. Les vrais amis de M. Bailly l’ont vu avec
regret embarqué , fans provifions & fans pré- ;
voyance, fur cette mer orageufe de la révolution ;
Ms lui ont prédit .fon fort, & li ça. fort étoit iné-
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vitable, ils ayroient voulu du moins que fa vie
politique eut^été irréprochable comme fa vie litté—
' ^ l 1 eL}> va^ez refpe&é un Roi malheureux ,
oc dejaqMus d’ a demi-dé trôné, pour lui épargner
ce parallèle d Henri IV , conquérant fes fujets, &
de Louis X V I , reconquis par les liens ; ce qui emportait
une improbation tacite delà conduite pré-,
cedente de ce Prince. On auroit voulu que fa mo-
deme naturelle lui eût rappelé qu’ il n’avoit ni
allez de données, ni aftfez d’ ufage des affaires, ni
allez de connoilfances des renorts cachés qui
produifoient les événemens de fon tems, pour lé
croire en droit & en état de faire des leçons à un
Roi de quarante ans, qui régnoit déjà depuis quinze
ou leize ans; on auroit voulu qu’il nieût pas appelé
wz beau jour celui où fon fouverain étoit
traîne en captivité à Paris par une horde de cannibales,
qui portaient en triomphe devant lui les
rrvlS . Sarôes fidèles : on croit que fi notre
H moire lui avoit été plus familière , il aur oit évité
de repeter 1 aélion trop connue de ce féditieux
Marcel, qui attacha d’ une main infolente, fur la
tete du dauphin Charles, pour fauve-garde, le
hgnal de la révolté , il auroit fu combien ce Marcel
elt diffame dans nos Hiftoires, principalement
pour cette aêtion, & il fe feroit bien gardé de
d aggraver par un difcours qui ne pouvoit guère
être pris que pour une dérifion.
Concluons. M. Bailly a fait des fautes ,' des
fautes graves. Eh ! qui n’en eût pas fait à fa
place ? 11 a pu pécher par faibleffe , & avoir une
conduite chancelante , incertaine; mais il n’a
jamais été ni fourbe ni pervers, & c’étoit beaucoup
alors. Des gens très-dignes de fo i, & qui
etoient dans fa confidence, m’ ont même afluré qu’ il
a voit toujours été fidèle au Roi dans fon coeur ,
fans ofer le paroître , & qu’ à la nouvelle de l’éva-.
lion du R o i, fon premier mouvement avoit été un
mouvement de joie ; le fécond, un mouvement de
crainte.
Si la faveur populaire 1 avoit d’ abord un peu
enivré, ne peut-on pas, pour fon excufe, dire de
cette faveur ce que Lafontaine a dit de celle des
Rois :
L o rfqu e fur cette mer on v ogu e à pleines voile s ,
Q h on croit avoir pour fo i les vents & les é to ile s ,
Il c ft bien mal-aifé de régler £es defirs.
Le plus fa ge s'endort fu r la fo i des zéphyrs.
Pour lu i, il s’eft endormi fur la foi des plus fougueux
aquilons. Forcé , lorfqu’il étoit en place
de^ faire un aéte de juftice & de vigueur qui:
même avoit commencé de rétablir l’ordre, rentre ‘
depuis dans la clafle des particuliers , puis devenu
fugitif, il ofa rentrer en France fous le règne des
Jacobins, oubliant qu’il avoit fait tirer fur leurs
troupes : ceux-ci s’en fouvinrent; iis l’envoyèrent
au fupphce, & on fait de quelles barbaries
OC: de quelles, atrocités ils. le furchargèrent. Tu.
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trembles , Bailly, lui dit quelqu’un , foit pour le
plaindre, foit pour l ’infulter ? De froid3 répondit-
il , non de peur ni de regret d la vie ; & ce fut fon
dernier mot.
Quant à fon rival Condorcet, il né reçoit aucune
excufe : fa vie politique a flétri jufqu’ à fa vie
littéraire, & l’a chafle du Temple de la gloire.
Le mouton enragé n’ a jamais été plus enragé que
dans la révolution. Sa conduite a révolté tous les
honnêtes gens & impofé filence à fes amis. Son
nom eft refté décrié, moins méchant cependant
que ceux qui l’ont profcrit, qui l’ont fait ou qui
l ’ ont laifle mourir, ou qui l’ont forcé à s’ôter la
vie pour une légère différence d’ opinion, pour
quelques articles de conftitution non adoptés.
BARTHELEMI ( M. l’ abbé) . Les volumes 21,
23 , 24, 26, 28, 30, 32, 39, 41 dés Mémoires
de l’Académie des infcriptions & belles - lettres
contiennent dès ouvrages confidérables, des. découvertes
importantes, qui forment comme la pre-
mière-partiede la renommée littéraire de M. l’abbé
Barthélemi. Le rang honorable & paifîble qu’il oc-
cupoit dans les lettres avoit abondamment de quoi
flatter un coeur amoureux de la gloire, & de quoi
exciter l ’envie. Les refpeéts des favans de l’Europe,
une grande confidération qu’il devoità fesconnoif-
fances, à fes talens, à fon caractère, à fes moeurs,
n’étoient pas un avantage médiocre ni le partage
le moins defirable. On admiroit depuis long-tems
le génie inventeur qu'il portoit dans l’érudition ,
cette fagacité qui faififloit les rapports dès différentes
langues, qui retrouvoit l ’alphabet palmy-
rénien, qui expliquoit la mofaïque de Paleftrine ;
cette parfaite connoiflance des médailles , cet art
de déchiffrer & d’ expliquer les infcriptions , ce
nouveau plan d’une paléographie numifmatique,
cette réunion du favoir & de l’efprit & de l’art
d’écrire ; mais enfin les gens du monde, & ceux
qui croient faire feuls les réputations, pouvoient
dire encore-: «Quel eft donc cet homme que nous
» voyons fi fbuvent cité comme un oracle, en qui
« l ’on vante furtout cette critique fage & jufte,
*> fans laquelle l’érudition feroit fi peu de chofe,
*> & qui feroit encore quelque chofe fans elle ?
33 D’où vient que fes ouvrages ne nous font pas
33 familiers LC e n’ eft donc qu’ un favant illuftre ? 33 :
Le Voyage du jeune Anacharfis a paru; il a ouvert la
fécondé époque de la gloire de fon auteur, & tout ;
le monde a reconnu que c’eft un écrivain également
agréable & profond, plein de connoilfances,
mais de lumières, de philofophie, de fenfibilité ,
de grâces ; qui applique ce rare talent d’écrire à
des objets pleins d’ intérêt &: d’utilité, qui inftruic
en amufant & en attachant, qui enrichit fon fiecle
d’ un vafte dépôt de connoitiànçes, & qui lui offre
en même tems un grand & beau modèle de ftylè.
La plupart des^écrivains , preffés d’ acquérir de
la gloire , & furtout d’en jouir, multipliant leurs
titres, ont foin d’occuper fouventd’eux le public,
& de 6e.fe laifler ni ignorer ni oublier. L’ ambition
[ d’un bel-efprit ordinaire eft non-feulement d’ arri-
| ver à l’Académie françaife, mais encore d ’y arriver
I de bonne heure. La littérature a reçu de l’abbé
| Barthélemi l ’exemple d’y arriver tard, pour y entrer
avec plus de gloire, pour y être porté en
triomphe. Un homme de lettres, né pour l’éclat
& la renommée, a eu le courage de difparoître
pour ainfi dire pendant plus de trente ans, de fe
priver des hommages du public pour les mériter ,
d’élever lentement en filence un monument unique,
mais éternel. Il facrifioit fa vie à fa mémoire,
ne travaillant que pour la poftérité ( le Ciel eft
jufte) ; l’ auteur a reçu fa récompense ; il a joui de
fa g lo ire, & l’Académie a joui de fes lumières
jufqu’au tems où elle a fuccombé elle-même fous
la barbarie de Robefpierre.
Le jeune Anacharfis avoitvoyagé précédemment
en Perfe, & il y avoit connu les amis auxquels il
adrefîe la relation de fon voyage en Grèce. Quand
on fe rappelle- où M. l’abbé Barthélemi a connu ,
loin de fa patrie', le miniftre brillant & aimable
qui l’a gouvernée depuis avec tant d’é c lat, & fa
. vertueufe compagne 5 quand on fonge aux douceurs
que leurs bienfaits & leur amitié ont répandues
fur la vie de T auteur , quel intérêt anime
cette ingénieufe & tranfparente allégorie, où l’auteur
fignale fa tendrefle & fa reconnoiflance d’ une
manière fi touchante ! Combien même ce voile ,
ce doux myftère de l ’allégorie,répand de décence
& de délicatefîe fur cet éloge !
« Vous que j ’eus l ’avantage de connoître dans
» mon voyage de Perfe, Arfame, Phédime, illuf-
33 très époux, combien de fois vos noms ont été
33 fur le point de fe mêler à mes récits ! De quel
33 éclat ils brilloient à ma vue lorfque j ’avois à
33 peindre quelque grande qualité du coeur & de
33 l’ efprit, lorfque j'avois à parler de bienfaits &
33 de reconnoiflance ! Vous avez des droits fur cet
33 ouvrage. Je le compofai en partie dans ce beau
33 féjour dont vous faifiez le plus bel ornement ; je
33 l’ ai achevé loin de la Perfe, & toujours fous vos
33 yeux ; car le fouvenir des momens paflës auprès
33 de vous ne s’efface jamais. Il fera le bonheur du
33 refte de mes jours ; & tout ce que je defire après
33 ma mort, c’eft: que»* fous la pierre qui couvrira
33 ma cendre, on grave profondément ces mots :
33 11 obtint les bontés d'Arfame & de Phédime. 33
Cette douceur de fentiment fans exagération ,
ces expreflions tendres & aimables, cette inferip-
tion , tout cela eft dans le goût de l’antique : c ’eft:
ainfi que Loelius dit de Scipion : Recordatione nef-
tr& a mi cilié fie fru or, ut beaté vixijfe v id c a r q u ia
cum Scipione vixerim.
C ’eft ainfi que Corneille, d’après Lucain, fait
dire à Ariftie :
Et tout me fe ra doux fi ma trame coupée
M e rend à mes aïeux en femme .de Pompée ,