
à Ton fucceffeur, eut M. de Malesherbes
peine litie féance , 8c qu’ il recommanda particuliérement
pour préfident fans préfidence, & ne s’apperçut
qu’elle eût chaûgé de chef qu’à un plus grand
rapprochement entre le chef & les membres, qu’à
une plus grande fïmplicité'dans lesmanières, qu’à
une cordialité pour ainfï dire fraternelle. Voici le
témoignage que lui rendoit, dix-huit mois après
fa retraite, l’organe de cette fociété, lorfque des
révolutions arrivées dans le miniftère eurent forcé
M. de Malesherbes à quitter le Journal des J'avans
& la librairie, emploi qu’il rie pouvoit exercer que
fous M. fon père.
^ Malesherbes étoit non-feulement un
" chef qui nous honoroit , mais un arbitre plein
03 de lumières & de goût, qui nous inftruifoit, qui
| noL}s éclaircit 5 il étoit plus encore, il étoit notre
« ami, oui, notre ami, 8c ce titre, que nos coeurs
31 lui donnent, le flattera plus que tous les refpeéts
»» dus à fa naiifance 8c à fon rang.. Quel autre a
» mieux mérité des lettres ? Quel autre les a fer-
* v ie s , encouragées, récompenfëes avec plus de
* z è le , de discernement & d’équité ? Quel autre
» furtouta mieux fu difpenfer aux.gens de lettres,
»1 a proportion de leur mérite, cette confédération
31 & ces égards, prix'le plus flatteur de leurs tra- 3i vaux, que 1 ignorance feule eft en pofîeilïon de
11 leur refufer, mais dont tant de gens font ou pro-
» digues ou avares, fans choix & fans convenance ?
” L e Journal des fa-vans en particulier lui a des obli-
» gâtions efïentielles, fur lefquelles il nous fiéroit
31 mal de nous taire. Sa modeftie aura beau vou-
« loir rejeter nos juftes éloges, fon coeur généreyx
31 ne pourra fe refufer à la douceur de voir que
ii nous fentons le bien qu’il nous a fait : il en jouira
« en nous en voyant jouir 5 il nous aimera fans
» doute toujours : nous lui fommes trop téndre-
31 ment attachés pour ne pas en être bien fûrs ,
»° comme il doit l’être de notre éternelle recon-
» nomance. »
M. de Malesherbes accourut chez le rédacteur
pour 1 embrafier avec des larmes dé reconnoiffance
oc de tendreffe 5 c ’eft ainfï qu’il traitoit avec les
gens de lettres.
E x illo Corydon, Corydon efi tempore nobis.
C ’efi fous fon adminiftration que la littérature*
^.pris un plus grand caractère d’utilité , en s’éle-
vant aux fciences politiques, err produifant une
loule d’excellens ouvrages-fur T agriculture, le
commerce, les financés, & , par une fuite natu-
relJe, fur ies diverfes branches de l’adminiftration,
C eft fous lu i, c eft fous fes aufpices qu’a paru
le plus vafte & le plus beau monument de notre
fiecle & de tous l é s fiècles, cette Encyclopédie,
q u i, félon l’éxpreffion du fucceffeur de M . d’A-
lembert a l’Académie, « par fon étendue, par la
31 feule audace de l entreprife, commande pour
» ainfï dire 1 admiration, même avant de la jufti-
M b er, si & les contradictions que ce grand ouvrage
a elfuyées, tenoient' principalement à .une intrigue
de Janfeniftes, qui vouloient enlever à M. le chan- celier 8c à M. de Malesherbes l’adminiftration de
la librairie, pour l'affervir à leurs préjugés -8c à
leurs payons.
Les ennemis des philofophes ont beaucoup ac-
cufe M. de Malesherbes d’avoir été trop favorable
a ceux-ci : rien de plus injufte que ce reproche..
Jamais homme ne fut plus impartial que M. de
Malesherbes , & je dirois prefque, fi je l’ofois ,
que 1 impartialité dont j’ai toujours entendu tout
le monde fe vanter, je ne l’ai jamais trouvée toute
entière que chez lui 5 aufïi tous les partis fe plai-
gnoient-ils de lui tour-à-tour. Vo yez dans la correspondance
de M. de Voltaire des plaintes allez
fréquentés & affez amères de ce que M. dé Malesherbes
ne lui permettoit pas tou t, 8>c refufoit
d être un philofophe de fecte. Quand les Jéfüites
furent opprimés, il les plaignit $ il les avoir condamnes
quand ils avoient été intrigans & oppref-,
leurs. Toujours prendre le parti du foibîe , de:
1 innocent, de l’ opprimé, etoit fa loi fuprême.
q ,.in.lu . Labus du pouvoir, étoit tout ce qui 1 irritoit. Les financiers, dont les cOnteftations
contre les contribuables étoient du reffort de la
cour des aides , avoient un macliiavélifme auquel
ils etoient affez fidèles. Quand la loi condamnoit
le contribuable, ils pprtoient l’affaire à là cour
des aides, furs de gagner leur caufe;quand la lo i,,
au contraire, défendoit le contribuable contre
1 exadleur , ils portaient l’affairé par évocation ,
au confeil, c ’eft-à-dire, au tribunal intéreffé du'
controleur-général, prefque toujours favorable à
celui qui vouloit aggraver le joug de l’impôt êc
augmenter le produit de l’impofition. ,M. de Malesherbes
eut à ce fujet de vives 8c fréquentés
guerres a foutenir contre les contrôleurs-généraux, '
& il les foutint avec un courage, une éloquence, '
une force de raifonnement qui déconcerta fouvent "
ces miniftres & fit imprelfion fur le confeil.
Quoiqu’il eut été quelquefois en butte aux efi-
trepnfes des parlemens, il fut leur plus zélé défendeur
lorfqu un homme élevé dans-leur fein, 8c
qui n avoit d’exiftence que par eux, entreprit de'
les détruire j ce qui, de,tous les partis qu’ on pou- ’
voit prendre à leur égard, étoit certainement Ie;t
plus mauvais 8c le plus injufte. Ses remontrances
fur ce fujet font célèbres $ elles partagèrent là cour,
& furent également applaudies par les gens d u '
monde & par les gens de lettres. Il expia ce fuccès
par trois ans d’exil 8c de difgraces, mais à la fin
la victoire fut pour lui j il revint & ramena e n '
triomphe fa compagnie que la tempête avoit dif-
perfée, & dont plufieurs membres n’avoient trouvé
d afyle qu’ a Malesherbes. Les difcours qu’il prononça
dans cette occafîon font du vainqueur le
plusgénéreux & le plus aimable 5 ils ne refpirent
q u e la paix & l’humanité, que la reconnoiffance
envers le fouverain qui leur avoit rendu juftice , '
que l’oubli des fautes, le pardon des injures, l’indulgence
. poiir les foibleffes, la* bienfaifancè &
l’amour du bien public. Tous les coeurs honnêtes
• en furent attendris jufqu’aux larmes. Sa conduite,
conforme à fes fentimens, fut la plus forte condamnation
de ces compagnies implacables, qui
fermoient à jamais leur fanétuaire à des hommes
eftîmables, pour les punir d’avoir obéi à la cour
dans des circonftançes délicates , où l’on pouvoit
varier fur l’interprëtatic>n des devoirs, & où même
les fautes dévoient obtenir grâce.
Sçirent f i ignàfcere mânes.,
. La cour des aides fut leur afylé.
Pour complément de la victoire, M. de Malesherbes
fe vit comme forcé d’ entrer dans le miniftère
: il ne l’accepta qu’à condition de le quitter
promptement 5 il ne le garda que neuf m ois, & il
■ y fit de grandes chofes ; il vuida les prifons d’Etat j
il établit & compofa d’hommes vertueux un tribunal
de famille, pour juger, parties ouïes, des cas
où les lettres de cachet pouvoient être utiles ,
même à l ’Etat j car détruire brufquement même
les abus , eft le plus grand des abus. On vouloit
que M. de Malesherbes fervît à faire, dans la Mai-
fon du R o i, des réformes peut-être héceffaires ,
mais rigoureufes : les voies de rigueur n’.étoient
pas à fon ufage^il aima mieux quitter'le miniftère,
8c laiffer faire à d’autres ces réformes, qu’ il pouvoit
defirer d’ailleurs comme utiles à l’Etat.
Devenu libre, il fe livra entièrement aux lettres,
qu’ il avoit toujours cultivées- au milieu de fes plus
importantes occupations.
Primum du-lces ante omnia Muse..
Il cultiva fes jardins, y rafifembla les plantes
éparfes dans, des climars divers.
Voyez dans c£s jardins , fiers de fe voir fournis
A la main qui porta le fceptre de Thémis,
Le f a n g d e s Lamoign'on, l’éloquent Malesherbes,
Enrichir notre fol de. cent tiges fiiperbes. •
11 médita fur les lois , il propofa d’utiles réformes,
qui, ne coûtant rien à perfonné, n’afflige oient point fa fenfibilité, & la fatisfaifoient même par le
bien qu’elles produifoient. Grâces à lui,nos frètes
errans furent du moins traités en hommes, en citoyens
, en fujets du R o i, & dans la difcuflïon de
ces matières délicates il peut être cité comme un
parfait modèle de la douceur, de la modération,
des égards qu’on doit garder dans la difpute. Nulle
trace de ce faux mépris que les difputeurs affeélent
pour les objections qu’ils réfutent, de ce ridicule
qu’ils aiment tant à répandre fur leurs aclverfaires ,
de cettè manie de réduire à l ’abfurde tout ce qui
s’écarte de leur opinion.
Il voyagea pour toujours ajouter à fes connoif-
fances, & c’eft dans ces voyages q u e , gardant
toujours l ’incognito , il lui arriva plufieurs fo is ,
comme à Germanicus,, de jouir de fa,renommée,
& d’entendre fon éloge dans des bouches non
fufpeétes.
Des conjonctures particulières le rappelèrent
une fécondéfois^auconfeil : il y rentra, mais fans
département, & n’eut plus de bien à faire que par
fes avis.
11 quitta encore le confeil, & du m.ojns l’ autorité
royale n’ a pas péri entre fes mains : il n’a vu
que comme particulier ces jours mauvais où il
n’y avoit plus ni bien à faire , ni mal à empêcher
ou à retarder. Il a vu les. malheurs d’ un Roi qu’il
aimoit, non en rainiftre , qui n’ aime de fon maître
que fon autorité qu’ il exerce, mais en ami tendre
& fincère, charmé de fes vertus, & prêt à lui fa*
crifier fa vie. Tous les coeurs ont applaudi à l ’em-
preffement généreux qu’il a témoigné pour fa dé-
fenfe. L’Univers fait le refte. C e n’eft pas ici le
lieu de s’ appefantir fur ces triftes faits, dontl’Hif-
toire ne rappellera que trop un jour la mémoire.
Detournons-en nos regards effrayés.
Heu ! cadit in quemquam tantum feelus ! heu ! tua
nobis
Cuncla fimul teeum folatia rapta, M.enalca !
Je peux dire au moins, pour la confolation des
amis de M. de Malesherbes, qu’il avoit defirp de
finir ainfï, 8c de ne pasfurvivre au maître, à l’ami
qu’il n’avoit pu fauver :
Son nom toujours fameux vivra dans la mémoire ,
Et qui meurt pour fon Roi, meurt toujours avec gloire.
Mais les tyrans qui lui procuroient cette gloire
furent lui en empoifonner la joie, e'n l’égorgeant
au milieu de fa famille, fille, petite-fille, gendre,
foeur, & c . j c a r , puifqu’il étoit le meilleur des
hommes , il falloit bien que fa mort fût de toutes
la plus cruelle & la plus douloureufe.
M. de Malesherbes , dont j’ ai cultivé quarante
ans l’honorable amitié, m’ a toujours paru l’être
qui a réuni fur la terre le plus de vertus, de talens,
de lumières, deconnoiffanees, d’efprk, débouté,
d’amabilité, de fimplicité,.& , ce qui n’ arrive pas
toujours aux hommes les plus parfaits, fa fin a été
digne de fa vie.
Des écrivains, vertueux fans doute , puifqu’ ils
ont le befoîn de célébrer la vertu, fe font hâtés
d’écrire fa v ie , peut-être avant le tems & fans des
inftrudïons fufflfantes. N ’ayant connu que fa vie
publique, & n’ayant point vécu E avec lui , ils l'ont e e 1